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Chapitre 3. Article empirique 2 : Le risque socioéconomique et psychosocial chez les

3.3 Résultats

3.4.2 Associations directes avec le développement

3.4.2.1 Qualité de l’environnement familial prodiguée par la mère. Le médiateur

proposé dans le présent travail, soit la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères, s’avère plutôt le prédicteur direct d’un meilleur développement psychomoteur et cognitif du nourrisson à 12 mois. Ainsi, bien que les pratiques parentales inuites aient été perturbées par des traumatismes historiques (colonialisme, écoles résidentielles, etc.) contribuant encore aujourd’hui aux conditions d’adversité dans lesquelles vivent les communautés, elles continuent de soutenir la résilience et le développement du nourrisson (McShane & Hastings, 2004; Muir & Bohr, 2014). Certaines sous-échelles du HOME reflètent des valeurs d’éducation traditionnelles inuites ; conformément aux valeurs culturelles, les mères inuites tendent à avoir des interactions affectueuses avec leur nourrisson et à accepter leurs comportements. Une grande majorité d’entre elles impliquent d’autres figures familières dans les soins à l’enfant (81%) et multiplient les opportunités de contacts entre l’enfant et sa famille élargie (98% fréquentent régulièrement leur famille). Malgré l’aspect moins discriminant de certains items du HOME pour mesurer la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères inuites, cet outil permet de capturer des valeurs d’éducation traditionnelles qui sont associées au bon développement du nourrisson.

3.4.2.2 Risques socioéconomiques et psychosociaux. Pour ce qui est du lien des

risques socioéconomiques et psychosociaux avec le développement du nourrisson, nos résultats corroborent partiellement ceux de travaux effectués auprès d’échantillons occidentaux : bien qu’ils n’indiquent aucun lien du cumul de risques avec le développement du nourrisson inuit, ils reproduisent les associations de certains facteurs de risque avec des indicateurs psychomoteurs et cognitifs du développement. En d’autres termes, la nature des facteurs de risque semble jouer un rôle plus significatif que le nombre de facteurs de risque

dans le développement des nourrissons de cet échantillon inuit. La présence de risques tels que ne pas occuper d’emploi, être peu scolarisé, avoir déjà fait une tentative de suicide ou consommer de la drogue dans l’année suivant la naissance d’un enfant est susceptible de refléter un malaise de longue date, qui continue de s’actualiser dans la vie des mères. Par exemple, une étude sur le suicide des autochtones (Kirmayer et al., 2007) rapporte que même durant une crise aigüe, des influences et expériences vécues au cours de la vie contribuent au geste suicidaire : les traumatismes individuels et collectifs de même que l’absence d’un soutien satisfaisant de la famille, des amis et de la communauté créent une prédisposition au risque suicidaire. Au fil du temps, cette chronicité des risques finit par hypothéquer les capacités d’adaptation et la possibilité de résilience des mères et des enfants (Wright et al., 2013). Des travaux traitant de la dépression postpartum auprès d’échantillons occidentaux (Azak, 2012; Cornish et al., 2005) corroborent d’ailleurs cette idée en démontrant que ce n’est pas un épisode dépressif bref qui est associé à des indicateurs développementaux moins favorables chez le nourrisson, mais bien une détresse maternelle qui perdure ou qui est récurrente.

De façon générale, notre étude s’est attardée à documenter les risques socioéconomiques et psychosociaux expérimentés par les mères inuites à un moment précis de leur vie et de celle de leur enfant. Même s’il est possible de suspecter que plusieurs de ces risques étaient présents avant la naissance de l’enfant, le devis utilisé ne permet pas de le confirmer avec certitude. Une des limites de notre travail est de ne pas avoir suffisamment considéré le contexte dans lequel s’inscrivent ces risques. Certes, le contexte historique, mais aussi le contexte écologique plus large qui semble particulièrement important dans l’éducation et le développement des enfants inuits. Dans la culture inuite, l’éducation des enfants n’est souvent pas seulement l’affaire des parents, mais également celle de la famille élargie et de la communauté. L’implication éducative d’autres individus est d’autant plus probable au Nunavik en raison de la pénurie de logements faisant en sorte que les enfants inuits n’habitent pas qu’avec leur famille immédiate. La présence de facteurs de risque ou de protection chez d’autres membres de la maisonnée que la mère sont ainsi susceptibles d’avoir des répercussions directes ou indirectes sur le développement de l’enfant. En ce sens, Bouchard et ses collaborateurs (2010) rapportent que le fait de devoir vivre avec des adultes autres que ses parents augmente les risques de l’enfant de subir des violences physiques ou

sexuelles. L’implication bienveillante de membres de la famille élargie pourrait à l’inverse venir atténuer les risques généralement associés au fait de grandir avec une mère adolescente. La force des associations trouvées dans cette étude, pouvant être qualifiée de petite selon l’échelle de Cohen (Cohen, 1992), correspond sensiblement à celle rapportée par les travaux auprès d’échantillons à risque, mais non autochtones (Brook et al., 2003; Cornish et al., 2005; Letourneau et al., 2013). Une des principales différences de notre étude avec ces dernières est qu’elle n’a pu documenter de lien entre le risque socioéconomique et psychosocial et les comportements du nourrisson. Cette différence peut d’abord s’expliquer par l’âge relativement précoce auquel nous avons mesuré les comportements. À 12 mois, les nourrissons font appel à un registre comportemental plus restreint et davantage teinté par le tempérament, ce qui rend l’influence de variables environnementales moins perceptible sur le comportement que chez des enfants plus vieux. Par ailleurs, il est possible que, pour des raisons culturelles, les assistantes de recherche de notre équipe aient eu plus de difficultés à percevoir et à interpréter avec finesse les comportements des nourrissons inuits, en particulier ceux de détresse. Dans la tradition de plusieurs peuples autochtones, il y a une tendance à décourager les manifestations d’émotions négatives chez l’enfant ou à intervenir en amont de celles-ci (Ryan, 2011). Pour un observateur étranger à la culture, les signaux de détresse deviennent ainsi beaucoup plus subtils et difficiles à percevoir puisqu’un adulte intervient avant qu’ils ne se produisent clairement ou sont réprimés par l’enfant qui intègre progressivement que ce comportement n’est pas accepté. Pour pallier à ce problème, Frankel et ses collaborateurs (2014), de même que Sarche et ses collaborateurs (2009), ont fait appel à des membres des communautés autochtones pour procéder à la cotation du BRS. Leurs résultats démontrent des associations similaires à celles des études auprès d’échantillons non autochtones entre les risques socioéconomiques et psychosociaux et les comportements de l’enfant à 2 ans.

Ainsi, il se peut que certaines des différences observées entre cette étude et les travaux antérieurs puissent découler des interprétations teintées par la culture des examinatrices, dont les normes relatives au comportement du nourrisson diffèrent de celles des Inuits. Tout comme l’avancent Muir et Bohr (2014), la création d’outils d’évaluation exhaustifs des pratiques parentales et du développement de l’enfant autochtone à l’usage des professionnels

non autochtones nous apparaît impérative.