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Chapitre 1. Introduction générale

1.4 Processus de transmission du risque du parent à l’enfant

La première vague de travaux cités a permis d’identifier plusieurs facteurs de risque, sans toutefois offrir une compréhension des processus sous-jacents reliant ces risques au développement de l’enfant (Wright et al., 2013). Pourtant, les relations directes entre ces variables sont plutôt rares. La transmission intergénérationnelle du risque du parent à l’enfant implique souvent des processus complexes que les recherches actuelles cernent de mieux en mieux (Newland, Crnic, Cox, & Mills-Koonce, 2013). Certains des processus documentés jusqu’à présent sont d’ordre biologique et génétique (Serbin & Karp, 2004; Walters et al.,

2011). Par exemple, Walter et ses collaborateurs (2011) suggèrent que l’exposition du parent ou de l’enfant à de graves facteurs de risque est susceptible de provoquer une trace épigénétique (dans le matériel génétique des cellules) qui se transmet ensuite aux générations subséquentes et augmente les probabilités de diverses problématiques de santé. D’autres processus de transmission du risque du parent à l’enfant sont d’ordre environnemental. En effet, les facteurs de risque peuvent engendrer diverses formes d’altérations de la qualité de l’environnement que le parent prodigue à l’enfant via ses attitudes et ses pratiques parentales (MacKenzie, Kotch, & Lee, 2011). Ces attitudes et pratiques parentales tendent souvent à être moins sensibles et centrées sur les besoins réels de l’enfant, ce qui peut nuire à la relation d’attachement de même qu’à la qualité des soins et de la stimulation offerte (Field, 2010).

1.4.1 Altération de la qualité de l’environnement prodigué par le parent à l’enfant 1.4.1.1 Le fonctionnement réflectif. La capacité du parent à percevoir et à interpréter

adéquatement les besoins, les intentions et les états mentaux de son enfant à travers ses comportements contribue significativement au développement de l’enfant (Vrieze, 2011). Dans le contexte de relation d’attachement, cette capacité chez un parent à bien identifier ses propres états mentaux et ceux de son enfant est appelée le fonctionnement réflectif (Sharp & Fonagy, 2008).

Malgré s’il existe une certaine variabilité, Grienenberger et ses collaborateurs (2005) suggèrent que les parents issus de populations à risque tendent à présenter davantage de lacunes dans leur fonctionnement réflectif que ceux de la population générale (Schechter et al., 2008; Sharp & Fonagy, 2008; Wohlgemuth Levy, 2003). En effet, plusieurs études montrent que les mères ayant différents problèmes psychosociaux (dépression, violence conjugale, problèmes de consommation) sont plus faibles sur le plan des capacités réflexives. Rosenblum et ses collaborateurs (2008) ont mis en évidence des associations négatives entre la présence de symptômes dépressifs chez les mères et leur fonctionnement réflectif (r = - 0,19, p < ,10). Bremner (2002) a pour sa part démontré que les mères victimes de violence et dont les traumatismes demeurent non résolus ont tendance à confondre leurs expériences traumatiques avec celles impliquant leur enfant, ce qui peut les amener à développer une perception erronée, négative et mal intégrée de celui-ci et de ses comportements (Lieberman, Van Horn, & Ippen, 2005; Schechter, 2003). En comparant des mères ayant déjà fait usage

de cocaïne et des mères abstinentes, Levy (2003) a constaté un fonctionnement réflectif significativement inférieur au sein du groupe de consommatrices.

Ces faiblesses sur le plan du fonctionnement réflectif engendrent ensuite de mauvaises attributions quant aux comportements de l’enfant, particulièrement lors de situations ayant une teneur affective négative. Sharp et Fonagy (2008) expliquent que les parents avec un fonctionnement réflectif inférieur ont tendance à confondre leurs propres besoins avec ceux de l’enfant dans ces situations, ce qui se reflète ensuite négativement dans leurs pratiques et leurs attitudes parentales. En ce sens, le niveau de fonctionnement réflectif des mères a été inversement associé (r = -0,48, p ≤ ,001) à la qualité globale des pratiques et attitudes parentales déployées lors de la situation étrange avec leur nourrisson de 10 à 14 mois (Grienenberger et al., 2005). La force de ce lien suggère une influence mutuelle importante entre ces deux variables (d = 1,1). De façon plus spécifique, il semble que les mères ayant de plus faibles fonctions réflectives tendent à adopter des comportements parentaux plus intrusifs (r = -0,43, p ≤ ,01), évitant/anxieux (r = -0,29, p ≤ ,01), rejetant/hostiles (r = -0,34, p ≤ ,01) et parfois même dissociés quand leur enfant manifeste de la détresse (Grienenberger et al., 2005; Lok & McMahon, 2006; Rosenblum et al., 2008). Lorber et ses collaborateurs (2003) rapportent également que les mères présentant des antécédents de violence et un moins bon fonctionnement réflectif usent d’attitudes parentales plus réactives et de pratiques disciplinaires plus coercitives auprès de leur jeune enfant.

1.4.1.2 Le stress parental. La présence de difficultés socioéconomiques et

psychosociales tend souvent à augmenter le niveau de stress vécu par le parent (Whiteside- Mansell et al., 2007). Un niveau de stress parental élevé peut toutefois s’avérer préjudiciable au sein de la relation parent-enfant, car il influence négativement les attitudes et les pratiques que le parent adopte vis-à-vis de son enfant. En effet, différents travaux ont démontré que le stress parental est associé à une augmentation globale des comportements parentaux négatifs ainsi qu’à une réduction des comportements positifs et de la qualité de l’environnement familial (Crnic, Gaze, & Hoffman, 2005; Huth-Bocks & Hughes, 2008; Steele et al., 2016; Whiteside-Mansell et al., 2007).

Bögels et ses collègues (2010) expliquent que les parents soumis à un plus grand stress en raison de leurs difficultés sont susceptibles de réagir de façon exagérée aux

stresseurs subséquents, y compris ceux de la relation avec l’enfant. En effet, la présence d’un stress aigu ou prolongé peut provoquer une sensibilisation du système biologique de stress (fonctionnement de l’axe hypothalamo-pituitaire-surrénal et de la neurochimie des régions limbiques et frontales du cortex cérébral) qui génère une réactivité accrue aux stresseurs subséquents se manifestant sur le plan biologique et comportemental (Anisman et al., 2008; Bombay et al., 2014). Sur le plan comportemental, cette plus grande réactivité facilite le déclenchement de réponses de défense face aux stresseurs qui consistent à combattre, à fuir ou à figer. Face à un réel danger, ces réponses sont adaptatives et permettent à l’individu de préserver son intégrité. Toutefois, face aux stresseurs quotidiens expérimentés dans la relation parent-enfant, le déclenchement répété de telles réponses s’avère néfaste (Bögels et al., 2010).

Une situation stressante dans la relation parent-enfant pourrait par exemple se produire lorsqu’un enfant manifeste une intense détresse dans un lieu public que le parent arrive difficilement à calmer. Dans un tel contexte, les réponses de défense d’un parent qui fuit ou qui fige se traduisent par des comportements plus désengagés, passifs et sous- stimulants envers l’enfant alors que celles du parent qui combat vont prendre la forme de comportements plus intrusifs, contrôlants, irritables et surstimulants (Bögels et al., 2010). Plusieurs études montrent d’ailleurs des relations significatives entre le niveau de stress de parents à risque et ces pratiques et attitudes parentales : le stress parental est associé d’une part, à des comportements parentaux moins stimulants (r = -0,22, p < ,01), moins engagés et sensibles (r = -0,27, p < ,01) et d’autre part, à des styles parentaux plus autoritaires, punitifs (r = 0,16, p < ,01) et plus hostiles (r = 0,36, p < ,001) (Crnic et al., 2005; Schwerdtfeger, Larzelere, Werner, Peters, & Oliver, 2013; Steele et al., 2016; Whiteside-Mansell et al., 2007).

Dans leur revue de littérature, Bögels et ses collaborateurs (2010) suggèrent que les mères dépressives sont plus sujettes à fuir ou à figer, tandis que les mères qui consomment des substances sont plus enclines aux réponses combatives. Les auteurs ajoutent que ces réponses automatiques au stress parental augmentent aussi le risque de répéter des comportements parentaux abusifs vécus durant sa propre enfance (Schwerdtfeger et al., 2013; Steele et al., 2016).

1.5 Le risque et le développement de l’enfant autochtone