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Chapitre 4. Discussion générale

4.3 Contributions de la thèse au contexte actuel

La Commission de vérité et réconciliation (2015) a récemment fait la lumière sur les traumatismes historiques engendrés par les politiques assimilatoires du gouvernement canadien à l’égard des Autochtones. Pendant plus d’un siècle, ces politiques ont visé à « tuer l’Indien au sein de l’enfant » en excluant les parents et la communauté du développement complet de celui-ci. Malgré la fin de cette campagne d’assimilation, les séquelles qu’elle a provoquées sont toujours d’actualité. Elles se reflètent négativement dans les compétences parentales des Autochtones ainsi que dans les inégalités multiples qu’ils expérimentent par rapport aux autres Canadiens. La Commission mentionne qu’il est nécessaire de reconnaître en premier lieu la présence de telles séquelles pour pouvoir en arriver à une véritable réconciliation.

La présente thèse contribue à la reconnaissance de ces séquelles en documentant empiriquement le contexte d’adversité socioéconomique et psychosociale vécu par une majorité de mères inuites du Nunavik durant la première année postnatale. Nos résultats mis en perspectives avec ceux de l’Enquête santé inuit 2004 (Anctil, 2008; Kirmayer & Kenneth, 2007; Lavoie et al., 2007; Muckle et al., 2007; Rochette et al., 2007) suggèrent que ce contexte semble relativement commun à l’ensemble des femmes inuites du Nunavik en âge de procréer et ne peut uniquement s’expliquer par les défis associés à la période du

postpartum. De plus, nos résultats corroborent les disparités entre les conditions socioéconomiques et psychosociales des mères autochtones et des femmes canadiennes non autochtones évoquées par la Commission. Ainsi, nous estimons que des facteurs non examinés dans notre étude, mais partagés par une majorité de femmes inuites et autochtones sont susceptibles de contribuer au contexte d’adversité dans lequel elles vivent aujourd’hui. Dans une étude sur les effets intergénérationnels des pensionnats autochtones, Bombay et ses collaborateurs (2014) constatent qu’avoir un parent ou un grand-parent ayant fréquenté ces établissements est associé à une exposition plus fréquente à des facteurs de risque ainsi qu’à une vulnérabilité accrue face à ceux-ci. Ils mentionnent que les descendants de survivants de ces écoles présentent des taux plus élevés de tentatives de suicide à vie, de symptômes dépressifs et de difficultés scolaires. La Commission de vérité et de réconciliation (2015b) a indiqué qu’il y avait eu quatre pensionnats au Nunavik entre le milieu des années 50 à la fin de 1971, mais que d’autres études sont nécessaires afin de connaître les répercussions plus spécifiques associées à la fréquentation de ces établissements dans cette région.

Grâce à l’identification de profils de risque à partir des difficultés vécues par les mères inuites du Nunavik durant l’année postnatale, cette thèse peut contribuer à orienter les programmes de prévention en santé publique. Un des profils est dit à faible risque tandis que les deux autres présentent une plus grande probabilité d’expérimenter de la détresse durant le postpartum, mais pour des motifs différents. Ce résultat suggère que pour favoriser le bien- être et réduire la détresse chez les mères inuites durant le postpartum, la Santé publique du Nunavik doit tenter de répondre aux différents besoins de ces deux groupes. Le premier groupe, essentiellement composé de mères monoparentales ayant des difficultés financières, est susceptible de bénéficier de programmes d’aide visant à combler les besoins de base tels que l’alimentation ou le logement. La littérature montre que la pauvreté touche 73% des mères autochtones chefs de famille monoparentale et que lorsqu’elles ne parviennent pas à gérer leur budget et à pourvoir à leurs besoins, ces mères peuvent se sentir inadéquates (Tourigny, Domond, Trocmé, & Sioui, 2007). À l’inverse, les mères autochtones dont les besoins de base sont comblés rapportent être choyées et sont moins enclines à vivre de la détresse (Harris, Russell, & Gockel, 2007). Le second groupe, surtout composé de mères vivant de la violence conjugale et consommant des substances, est susceptible de profiter davantage de programmes de soutien et d’accompagnement. La Atira Women’s Resource

Society dispense un programme spécifiquement destiné aux mères autochtones expérimentant conjointement ces deux problématiques et dont l’efficacité a été démontrée (Nathoo et al., 2013). L’objectif principal de ce programme est de créer un cercle de soutien permettant aux mères de nourrissons de s’habiliter à travers la fraternité culturelle et leurs expériences de vie (Atira Women’s Resource Society, 2011). Il comprend des visites à domicile, des ateliers psychoéducatifs, un groupe de soutien parental et des activités de guérison traditionnelle qui offrent la possibilité aux mères de briser l’isolement social et de renforcer leur sentiment d’identité culturelle positif.

Une autre contribution importante de la thèse est d’offrir une compréhension initiale quant à l’influence de facteurs de risque socioéconomiques et psychosociaux vécus par les mères durant la transition postnatale sur le développement du nourrisson chez les Inuits. Alors que les effets de l’adversité socioéconomique et psychosociale sur le développement de l’enfant sont bien documentés auprès des populations occidentales, ceux sur le développement d’enfants issus de populations autochtones sont encore méconnus (Frankel et al., 2014; Sarche et al., 2009; Sarche & Whitesell, 2012). Les résultats préliminaires obtenus dans le cadre de cette étude ne soutiennent pas une conceptualisation cumulative du risque postulant que le développement de l'enfant est affecté par le fardeau croissant de stress résultant de l'augmentation du nombre de facteurs de risque (Jaffee et al., 2007; MacKenzie, Kotch, & Lee, 2011). Ils suggèrent plutôt que certains risques socioéconomiques et psychosociaux présents durant l’année postnatale, peuvent favoriser l’identification des enfants les plus vulnérables, c’est-à-dire celles dont le développement psychomoteur et cognitif optimal est le plus menacé en bas âge.

Nous estimons que les risques (ne pas avoir d’emploi, être peu scolarisé, avoir déjà tenté de se suicider et avoir consommé de la drogue durant l’année postnatale) influençant négativement le développement du nourrisson constituent des indicateurs d’un malaise de longue date qui continue de s’actualiser dans la vie des mères. Même si l’année postnatale constitue une période critique pour le développement de l’enfant, les résultats obtenus auprès de notre échantillon démontrent l’importance de s’intéresser à des stresseurs chroniques présents avant la naissance de l’enfant. Dans le cas des Inuits, les traumatismes historiques, dont les effets se transmettent aux générations subséquentes, constituent des stresseurs

chroniques, pouvant nuire aux processus de résilience des mères et les amener à répéter des comportements inadéquats vécus dans leur passé (Crawford, 2014; Nunavut Tunngavik Inc., 2013; Pauktuutit Inuit Women of Canada, 2006). La Commission de vérité et de réconciliation (2015) recommande d’ailleurs la mise en place de programmes de formation et de soutien parental adaptés à la culture afin d’aider les parents et familles victimes des conséquences de l’oppression culturelle passée. Notre étude soutient empiriquement la mise en place de tels programmes en montrant que la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères inuites à leur enfant est associée à un meilleur développement précoce chez le nourrisson.

Finalement, la thèse contribue à confirmer l’importance d’examiner le risque et le développement de l’enfant avec une perspective écologique qui tient compte du contexte socioculturel. Bien que notre second article réplique certains résultats obtenus auprès d’échantillons d’enfants occidentaux, plusieurs différences ressortent quant aux liens entre le risque socioéconomique et psychosocial et les comportements du nourrisson, mais aussi quant aux processus susceptibles de les expliquer. Comme l’indiquent Lanza et ses collaborateurs (2011), l’exposition à différents risques et pratiques parentales ainsi que leurs effets peuvent varier en fonction de la culture des individus (McShane & Hastings, 2004) : d’une part, parce que les facteurs de risque peuvent avoir une signification qui diffère en fonction du groupe culturel ; d’autre part, parce que l’adaptation à une situation de risques est influencée par le système culturel dans lequel les individus évoluent. Des traditions ou des systèmes de soutien propres à certaines cultures, incluant celle des Inuits, peuvent exercer des effets modérateurs sur le fonctionnement des individus, des familles ou des communautés dans un contexte d’adversité (Gone, 2009; LaFromboise et al., 2006). Dans la culture inuite, l’éducation des enfants n’est souvent pas seulement l’affaire des parents, mais également celle de la famille élargie et de la communauté. L’implication éducative d’autres individus est d’autant plus probable au Nunavik en raison de la pénurie de logements faisant en sorte que les enfants inuits n’habitent pas qu’avec leur famille immédiate. La présence de facteurs de risque ou de protection chez d’autres membres de la maisonnée que la mère sont ainsi susceptibles d’avoir des répercussions directes ou indirectes sur le développement de l’enfant. En ce sens, Bouchard et ses collaborateurs (2010) rapportent que le fait de devoir vivre avec des adultes autres que ses parents augmente les risques de l’enfant de subir des

violences physiques ou sexuelles. L’implication bienveillante de membres de la famille élargie pourrait à l’inverse venir atténuer les risques généralement associés au fait de grandir avec une mère adolescente.

Contrairement à la tradition occidentale, le développement des enfants inuits est l’affaire de la famille élargie et de la communauté plutôt que de la mère ou des parents seuls (Neckoway, Brownlee, & Castellan, 2007b). Même si les mères inuites jouent un rôle significatif auprès de leur nourrisson, l’implication plus grande de diverses figures familiales dans les soins et la stimulation de l’enfant observée au sein de cette culture peut contribuer à modérer les répercussions négatives des facteurs de risque maternels :