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Chapitre 1. Introduction générale

1.5 Le risque et le développement de l’enfant autochtone

Historiquement, les scientifiques n’ont accordé que peu d’attention au contexte culturel dans lequel l’enfant se développe et à comment ce dernier est susceptible de façonner les trajectoires et les processus développementaux (Fitzgerald & Farrell, 2012). Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que la culture a davantage été reconnue comme facteur influant sur le développement et que des études auprès de différents groupes culturels ont eu lieu (McShane & Hastings, 2004). Ces travaux ont mis en évidence que certains aspects du développement et de la relation parent-enfant sont universels alors que d’autres peuvent varier en fonction des cultures (Bradley & Corwyn, 2005; Michiko & Ippen, 2009). Par exemple, le concept de sécurité de l’attachement par lequel le nourrisson établit instinctivement une relation privilégiée avec le pourvoyeur de soins répondant de façon cohérente et sensible à ses besoins est vastement reconnu à travers le monde. Toutefois, la proportion des différentes organisations de l’attachement mesurées à l’aide de la situation étrange fluctue selon l’origine, car la culture influence la nature des comportements attendus tant chez le parent que chez l’enfant (Neckoway, Brownlee, & Castellan, 2007a).

Lanza et ses collaborateurs (2011) ont rapporté que l’exposition à différents risques, pratiques parentales et expériences contextuelles de même que leurs effets sur l’enfant sont susceptibles de varier selon la culture (McShane & Hastings, 2004). D’une part, ils expliquent que les facteurs de risque peuvent avoir une signification qui diffère en fonction du groupe culturel ; d’autre part, que l’adaptation à une situation de risque est influencée par le système culturel dans lequel les individus évoluent. En considérant cette perspective, notre étude s’intéresse à la réalité des mères inuites du Nunavik et au développement du nourrisson, ce que très peu d’études ont fait auparavant. En tant qu’Autochtones, les Inuits du Nunavik ont été soumis à des politiques assimilatoires dont l’objectif principal était d’empêcher les parents et les communautés de participer au développement de leurs enfants (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015). Appliquées jusqu’en 1990, ces politiques ont provoqué d’importants traumatismes qui sont encore lourds de conséquences et contribuent au contexte d’adversité dans lequel les enfants autochtones et leurs familles évoluent aujourd’hui.

1.5.2 Les études sur le développement de l’enfant autochtone

Malgré la diversification culturelle des échantillons, il demeure que la majorité des travaux réalisés à ce jour en développement de l’enfant s’appuient sur des résultats obtenus auprès de cultures occidentales (McShane & Hastings, 2004). Les chercheurs ayant travaillé dans les communautés autochtones ont constaté que plusieurs des théories actuelles sur le développement de l’enfant traduisent de façon imparfaite les observations réalisées dans ces milieux. Le Native Children’s Research Exchange (NCRE) a d’ailleurs souligné qu’il fallait éviter d’imposer aux enfants autochtones des postulats théoriques élaborés auprès d’autres cultures avant de les avoir véritablement testés (Native Children Research’s Exchange, 2016).

Les Autochtones du Canada et des États-Unis continuent d’être sous-représentés dans les travaux en développement de l’enfant. Les études portant sur les enfants de nations spécifiques d’Autochtones comme les Inuits sont quant à elles quasiment inexistantes (Frankel et al., 2014; Sarche, Croy, Big Crow, Mitchell, & Spicer, 2009; Sarche & Whitesell, 2012; Spicer et al., 2012). Dans la littérature, nous n’avons recensé que deux études traitant conjointement des facteurs de risque maternels et du développement du nourrisson chez les Autochtones. Ces dernières ont été réalisées auprès d’un échantillon de mères autochtones des réserves des Grandes Plaines aux États-Unis et de leur enfant âgé de 2 à 2,5 ans (Frankel et al., 2014; Sarche et al., 2009). Seule la sphère socioaffective du développement du nourrisson est évaluée dans ces études.

Dans l’étude de Sarche et ses collaborateurs (2009), les analyses de régressions effectuées ont révélé des relations significatives entre différents facteurs de risque maternels et des mesures de développement socioaffectif. Le revenu familial (ß = 0,39, 95% IC 0,19, 0,58), le stress maternel (ß = - 0,30, 95% IC - 0,50, - 0,11) et l’abus d’alcool des mères au cours des 12 derniers mois (ß = - 0,27, 95% IC - 0,47, - 0,06) ont été associés au Behavior Rating Scale du Bayley Scales of Infant Development – II. Le score total de compétence au Infant and Toddler Social Emotional Assessment (ITSEA), un questionnaire sur les problèmes socioaffectifs et comportementaux, a été positivement relié au revenu familial (ß = 0,22, 95% IC 0,02, 0,42). Le résultat à la sous-échelle d’externalisation du ITSEA a été

associé à l’usage maternel de drogue au cours des 12 derniers mois (ß = 0,29, 95% IC 0,09, 0,50) et au stress perçu par les mères dans la relation avec l’enfant (ß = 0,26, 95% IC 0,06, 0,46) tandis que celui à la sous-échelle d’internalisation a uniquement démontré un lien avec le stress perçu par les mères dans la relation avec l’enfant (ß = 0,36, 95% IC 0,14, 0,58).

De leur côté, Frankel et ses collaborateurs (2014) ont cherché à corroborer les résultats de Sarche et al. (2009) à l’ITSEA avec un échantillon similaire, en incluant toutefois des facteurs de risque supplémentaires aux analyses. Ils répliquent les associations du stress perçu par les mères dans la relation mère-enfant avec les scores aux sous-échelles d’externalisation (ß = 0,38, 95% IC 0,15, 0,60) et d’internalisation (ß = 0,46, 95% IC 0,25, 0,68). Ils obtiennent toutefois des relations significatives additionnelles entre ce facteur de risque et le résultat à l’ITSEA à l’échelle de compétence (ß = -0,41, 95% IC - 0,62, - 0,21) de même qu’à la sous-échelle de non-régulation (« dysregulation ») (ß = 0,48, 95% IC 0,27, 0,69). Parmi les facteurs de risque supplémentaires dans cette étude, les symptômes dépressifs et l’isolement social ont présenté des associations significatives avec les problèmes de comportement (ß entre 0,26 et 0,38) et avec la non-régulation de (ß entre 0,25 et 0,39) dans les analyses de régression.

1.5.2.1 Notre étude. Jusqu’en 1990, les communautés des Premières Nations

canadiennes, des Métis et des Inuits ont été soumises à des politiques assimilatoires qui visaient à éliminer la participation des parents et des communautés dans le développement intellectuel, culturel et spirituel des enfants (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015). Malgré l’interruption de ces politiques, elles continuent à avoir des conséquences dévastatrices en contribuant au contexte d’adversité et d’inégalités dans lequel les enfants autochtones et leurs familles évoluent aujourd’hui. Dans le domaine de la recherche, ces inégalités existent également et se traduisent par une sous-représentation des études sur les pratiques parentales et le développement des enfants autochtones (Sarche & Whitesell, 2012; Spicer et al., 2012). Cette sous-représentation entraine ensuite une méconnaissance des facteurs qui soutiennent ou entravent le développement optimal des enfants d’origine autochtone.

compréhension des difficultés vécues par les mères inuites du Nunavik durant la transition postnatale et de ses effets sur le développement précoce des enfants. Elle soulève les questions de recherche suivantes : quelles sont les difficultés socioéconomiques et psychosociales vécues par les mères inuites durant l’année postnatale qui constitue une période développementale charnière, mais aussi une transition vulnérabilisant les mères alors qu’elles constituent le principal pourvoyeur de soins à l’enfant ? Étant donné le contexte historique et culturel distinct des Inuits du Nunavik, est-il possible de retrouver des associations entre les facteurs de risque et le développement de l’enfant similaires à celles ayant été démontrées auprès de populations occidentales, durant l’année postnatale ? Spécifiquement, est-ce la nature des risques ou leur cumul qui prédit le mieux le développement de l’enfant à 12 mois ? Finalement, l’altération de la qualité de l’environnement prodiguée par les mères et de l’environnement familial représente-t-elle un processus susceptible d’expliquer l’association entre le risque et le développement de l’enfant?