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La confiscation en droit pénal français et canadien

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Academic year: 2021

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© Adèle Tourné, 2018

La confiscation en droit pénal français et canadien

Mémoire

Adèle Tourné

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

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Résumé.

Sous le terme de « confiscation pénale » se cache une sanction, qualifiée de peine dans les législations française et canadienne, qu’il conviendra d’étudier de manière comparée. Toutefois, à la lecture des dispositions, la confiscation prend parfois l’allure d’une mesure de sûreté, voire d’une sanction réparatrice. Il est donc possible de dire qu’il n’existe pas une peine de confiscation, mais toute une panoplie de sanctions visant à mettre la main sur les produits de la criminalité. Il s’agit alors d’approfondir l’étude de ces sanctions pour en peindre un tableau synthétique, illustrant la diversité et l’originalité de la confiscation pénale.

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Abstract.

“Confiscation”, “forfeiture”: this criminal law penalty in French and Canadian law gives us the opportunity to compare French and Canadian criminal law principles. However, when reading the legislative sections interesting forfeiture, we can see that there are many sides to it, confiscation being both punitive and in some ways a remedy or a security measure. Therefore, there is not only one “forfeiture” but diversified sorts of forfeiture measures whose goals is to seize criminal assets.

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Table des matières

Résumé. ... ii  

Abstract. ... iii  

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS. ... V   AVANT-PROPOS. ... VI   INTRODUCTION. ... 1  

PREMIERE PARTIE : LA MISE EN ŒUVRE DE LA CONFISCATION PENALE. ... 24  

CHAPITRE 1ER: LE REGIME JURIDIQUE DE LA CONFISCATION PENALE. ... 25  

Section 1ère : le prononcé de la confiscation pénale. ... 26  

Section 2 : les effets de la confiscation pénale. ... 45  

CHAPITRE 2 : LA QUALIFICATION DE LA CONFISCATION PENALE. ... 53  

Section 1ère : l’identification du produit de la criminalité. ... 53  

Section 2 : la confiscation pénale, une peine aux caractères variables. ... 63  

DEUXIEME PARTIE : LA MISE A L’EPREUVE DE LA CONFISCATION PENALE. 78   CHAPITRE 1ER : LES OBJECTIFS INTERNATIONAUX ET EUROPEENS EN MATIERE DE CONFISCATION PENALE. ... 79  

Section 1ère : le développement de la peine de confiscation au niveau international et européen. ... 81  

Section 2 : les limites internationales et européennes au développement de la peine de confiscation. ... 97  

CHAPITRE 2 : LA CONFORMITE DE LA CONFISCATION PENALE AUX OBJECTIFS CLASSIQUES ET MODERNES EN MATIERE DE DROIT DE LA PEINE. ... 103  

Section 1ère : le bien-fondé de la confiscation pénale. ... 103  

Section 2 : l’efficacité de la confiscation pénale. ... 118  

CONCLUSION GENERALE. ... 126  

BIBLIOGRAPHIE. ... 129  

I.   Ouvrages généraux, traités, manuels, et cours. ... 129  

II.   Ouvrages spéciaux, monographies et thèses. ... 138  

III.   Articles. ... 140  

IV.   Table de la législation. ... 142  

V.   Table de la jurisprudence. ... 145  

VI.   Sites internet et articles de presse. ... 147  

ANNEXES. ... 148  

ANNEXE 1 : Directive de pratique n°VII, « ordonnances de confiscation », Cour provinciale de la Saskatchewan (Canada). ... 149  

ANNEXE 2 : tableau Europol sur la législation européenne en matière de confiscation.152   ANNEXE 3 : Tableau comparatif des législations dans les pays du common law. Source : FORFEITING LEGAL FEES WITH PROCEEDS OF CRIME:
THE ABILITY OF ACCUSED PERSONS TO PAY 'REASONABLE LEGAL FEES' OUT OF ALLEGED PROCEEDS OF CRIME, G.J. Rose, Université de Colombie-Britannique, 1995. ... 154  

Annexe 4 : COMMISSION EUROPEENNE, parties d’ANNEXES au Règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation, 21.12.2016, document intégral en ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A52016PC0819 (consulté le 3 août 2018). ... 155  

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Liste des principales abréviations.

Annu. Fr. Droit Int. ………Annuaire Français de Droit international.

Aust. N. Z. J. Criminol. ……….Australian & New Zealand Journal of Criminology.

Art. ……….Article.

DC (constit).. ……….Décision constitutionnelle.

QPC………Question prioritaire de constitutionnalité. Cah. Droit………...Cahiers de Droit.

Cass. ………..Cour de cassation.

Cass., crim. ………Chambre criminelle de la Cour de cassation. Coll. ………...Collection.

C. cr. ……….Code criminel. C. Pén. ………Code pénal.

CPP.. ………..Code de procédure pénale. Dr. fisc. ………..Droit fiscal.

Fasc. ………...Fascicule. éd. ………..édition.

Eur. J. Crime Crim. Law Crim. Justice....European Journal of Crime, Criminal Law and Criminal Justice.

R.J.T. ………..Revue juridique Thémis.

Houst. J. Int. Law. ………Houston Journal of International Law J. Money Laund. Control .. ………Journal of Money Laundering Control Id. ………...idem identique.

McGill Law J. ………McGill Law Journal

Mod. Law Rev. ………The Modern Law Review

Rev Sc Crim. ……….Revue de Sciences criminelles.

Rev. Int. Droit Pénal………...Revue internationale de droit pénal.

p. ………Page. par. ……….Paragraphe. préc. ………..Précédent.

(6)

Avant-propos.

Un système de justice pénale en mutation. Au Canada, dans l’affaire Gladue, la

Cour suprême soulignait les graves conséquences du maintien de délinquants autochtones dans un système de justice qui ne réussissait pas à leur fournir des services adéquats et à les réadapter, rappelant leur surreprésentation au sein de la population carcérale1. Alors, suivant l’article 718.2e) du Code criminel2, les juges décidant de la peine doivent considérer « les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou attaches autochtones ».

Avec les cercles de sentence et de guérison, qui constituent les deux principaux modèles de justice réparatrice en milieu autochtone, développés dès les années 19803, il s’agit, pour l’essentiel, de réparer les liens unissant les personnes issues d’une communauté altérés lors de la commission de l’infraction. Ces initiatives de justice réparatrice, soutenues et encouragées par les pouvoirs publics, sont utiles lorsque la criminalité crée un déséquilibre social ou sanitaire, au sein de la famille par exemple concernant les violences conjugales, ou quand il est question d’abus de substances toxiques ou de vandalisme4. L’équipe en charge de la mesure va mettre en place un processus en étapes, pouvant inclure notamment une rencontre entre l’agresseur et la victime ou sa famille, ou un traitement médical approprié5. Ce mécanisme réparateur offre un substitut intéressant aux peines dites classiques, c’est-à-dire celles qui étaient traditionnellement6 imposées suite à la commission d’une infraction : l’emprisonnement et l’amende. Le Professeur Pradel remarquait à ce propos qu’après une première phase de sanctions pénales, dite des peines corporelles, une seconde phase était apparue dès le XIXème siècle, caractérisée par la privation de liberté, en tant que peine. Ensuite, face aux critiques faites aux courtes peines d’emprisonnement, naît une troisième phase pénologique, qui s’exprime par

1

R. c. Gladue, [1999] 1 RCS 688, par. 47. 2 L.R.C. (1985), ch. C-46.

3 Mylène JACCOUD, « Les cercles de guérison et les cercles de sentence autochtones au Canada », (1999) 32-1 Criminologie 7‑105, n.3, DOI : 10.7202/004725ar.

4 Elmar G. M. WEITEKAMP et Hans-Jürgen KERNER, Restorative Justice: Theoretical foundations, Routledge, 2012, p. 74.

5

K. MCANOY, J.S. WALLACE-CAPRETTA et J. ROONEY, "An Outcome Evaluation of a Restorative Justice Alternative to Incarceration", (2002), Contemporary Justice Review, n. 4, vol.5, 319‑338.

6

L’amende et l’emprisonnement, peines développées dans le courant du XIXème siècle, suite notamment aux travaux de C. Beccaria.

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l’émergence de nouveaux traitements de la criminalité7, comme la probation dans le monde anglo-saxon, et le sursis de peine, en France ou en Belgique. Se développent aussi les alternatives à la privation de liberté, comme la confiscation ou les interdictions professionnelles, et des peines intermédiaires8 entre privation de liberté et probation, concept décrit par des auteurs américains comme Belinda R. Mac Carthy. Ces dernières idées sont toutes l’expression d’une volonté d’un renouvellement du modèle punitif. Face aux constats d’échec de certaines peines, qui ne semblent plus adaptées, les auteurs tentent de proposer des peines originales, voire des mesures alternatives aux poursuites pénales, dans le traitement de la criminalité. La confiscation semble en faire partie.

La justice réparatrice, qui privilégie « toute forme d’action (collective ou individuelle), visant la réparation des préjudices vécus à l’occasion d’une infraction »9, s’est manifestée en France principalement à travers le développement des modes alternatifs de règlement des conflits, qui ont conduit le législateur à consacrer la pratique de la médiation pénale10. Si ces mesures ne correspondent pas véritablement à la définition classique de la peine, elles se développent et démontrent l’intérêt du législateur pénal pour des mesures originales, nouvelles, alternatives en réponse à la criminalité. Outre la volonté du législateur, c’est l’ambition politique de l’actuel président de la République, Emmanuel Macron, qu’il convient de noter. Devant l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, où il s’est rendu avec la garde des Sceaux Nicole Belloubet, il présenta sa vision d'une justice qui abandonne la préférence carcérale pour d'autres "punitions", en partie inspirée des pays du nord de l'Europe. En effet, la prison est devenue un lieu qui coûte cher : "Un jour en détention coûte 100 euros en moyenne quand un placement sous bracelet électronique ne coûte que 11 euros"11. Si l’objet principal du mémoire présenté ici se limite à l’étude de la peine de confiscation, et de son régime juridique, l’intérêt ayant guidé les recherches effectuées concerne aussi

7

Jean PRADEL, Droit pénal comparé, 4e édition, coll. Précis, Paris, Dalloz, 2016, par. 491. 8 Belinda Rodgers MCCARTHY (dir.), Intermediate punishments: intensive supervision, home confinement, and electronic surveillance, coll. Issues in crime and justice, v. 2, Monsey, N.Y, Criminal Justice Press, 1987.

9 Mylène JACCOUD (dir.), Justice réparatrice et médiation pénale: convergences ou divergences?, coll. Sciences criminelles, Paris, Ed. L’Harmattan, 2003.

10

Marc TOUILLIER, « La justice réparatrice en droit français  : état des lieux et perspectives », (2014) 59 Cah. Dyn. pp.121‑133.

11

Mehdi FEDOUACH, « Plan prison: ce qu’il faut retenir des déclarations d’Emmanuel Macron; une révolution des peines », Article paru dans Challenges, le 7 mars 2018, en ligne : <https://www.challenges.fr/politique/plan-prison-ce-qu-il-faut-retenir-des-declarations-d-emmanuel-macron_571974> (consulté le 12 mai 2018).

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globalement la politique pénale, ou « l’ensemble des procédés répressifs, par lesquels l’Etat réagit contre le crime »12. La posture méthodologique choisie sera développée dans l’Introduction, de manière plus détaillée, mais il convient déjà de noter l’ambition globale de notre mémoire : comprendre le droit de la confiscation pénale, dans ses détails comme dans sa globalité. Toutefois, une précision doit être apportée. Si l’approche recherchée est d’être le plus complet dans l’approche de la confiscation, en France et au Canada, le droit est une matière qui évolue. Le Professeur Supiot remarquait à juste titre que « plus qu’un autre, le juriste écrit sur du sable. La loi nouvelle, le dernier décret, l’évolution de la jurisprudence, sont autant de vagues qui viennent brouiller la netteté qu’il avait cru pouvoir donner aux objets qu’il décrit »13.

Toutefois, la pertinence de ce mémoire réside dans l’approche comparée du sujet choisi qui, je l’espère, inspirera le lecteur de ce mémoire à d’autres réflexions. Au moment de l’achever, je dois des remerciements à tous ceux qui, par leur aide, m’ont permis de le mener à terme. J’éprouve une grande reconnaissance à l’égard des Professeurs Bertrand De Lamy14 et Pierre Rainville, qui m’ont permis d’intégrer le double-diplôme en maîtrise, unissant l’Université Laval à celle de Toulouse 1 Capitole. Monsieur Rainville a su m’accueillir chaleureusement pendant l’hiver à Québec et ses corrections ont été précieuses, lors de l’atelier de présentation notamment.

J’ai eu la chance d’assister aux cours de droit de la peine enseignés par la Professeure Julie Desrosiers, qui m’ont beaucoup appris. Je tiens également à la remercier pour les entrevues que nous avons pu avoir, qui ont toujours été riches en réflexions. Sa direction, ses encouragements et ses conseils ont été d’une grande aide au cours de la rédaction du mémoire et de sa relecture.

Je souhaite aussi à adresser mes plus sincères remerciements au Professeur Guillaume Beaussonie pour avoir accepté de diriger mes recherches, et sans qui un tel sujet n’aurait pas vu le jour. Son soutien et sa pensée m’ont offert des perspectives que je n’aurais pas envisagées, au fil de cette année de Master.

12 Mireille DELMAS-MARTY, Les grands systèmes de politique criminelle, 1. éd, coll. Thémis Droit privé, Paris, Presses Univ. de France, 1992, p. 13.

13 Alain SUPIOT, Les juridictions du travail, coll. Traité du droit du travail, n°9, Paris, Dalloz, 1987, p. V.

14

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Enfin, ma gratitude va à mes amis, mes camarades Valérine et Eloi, avec qui les journées de lectures à la bibliothèque ont toujours été agréables, quoique parfois bavardes. David et Chloé, pour leurs relectures, leur patience et nos échanges.

Et à ma famille, bien qu’éloignée, toujours présente. Je dois beaucoup à mon père, qui a su saisir (sans confisquer !) tout l’intérêt de mon sujet.

(10)

« Le droit a ses époques » Blaise PASCAL,

(11)

Introduction.

L’affaire Pinto. En 1983, Luis Pinto, arrêté aux Etats-Unis pour trafic de drogues,

explique avoir un compte en banque à Montréal, contenant la somme de 400 000$, qui proviendrait de ses activités criminelles. Les autorités américaines notifient la Gendarmerie Royale du Canada, qui obtient alors un mandat de perquisition afin de saisir les fonds. Les juges québécois15, cependant, annulent le mandat, décidant que les fonds, bien qu’issus directement d’activités criminelles, n’étaient pas une « chose » pouvant être saisie par le biais d’un mandat, l’argent sur un compte en banque n’étant qu’une créance de la Royal Bank of Canada16. Sur l’affaire, David Schermbrucker17 note :

“There was no other means to seize the funds so Luis Pinto got to keep his drug profits. Needless to say, this prompted disbelief and outrage within the law enforcement community: how could an admitted drug dealer get to keep his profits of crime simply because the Canadian criminal law had no tools to confiscate them?”18

Parallèlement, au milieu des années 1980, le développement de la criminalité transfrontalière inquiète la communauté internationale. Déstabilisant les économies et structures politiques de certains pays, les organisations criminelles profitent de l’émergence de nouvelles technologies permettant à l’argent, et en particulier aux fonds illicites, d’être transmis au-delà des frontières rapidement et aisément19. Ainsi, au cours d’une conférence diplomatique réunissant à Vienne cent-six pays20, a été adoptée la Nouvelle Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, le 20 décembre 1988. La France et le Canada, tous les deux signataires, ont donc adhéré au projet, qui sera étudié plus longuement au cours de nos développements. Il convient toutefois de retenir que dès l’article 5 de la Convention, la

15 Québec (Attorney General) v. Royal Bank, [1983] 38 C.R. (3d) 363 (Que. S.C.), CarswellQue31 ("Affaire Bourque").

16

J. PINK et D. PERRIER, From crime to punishment: an introduction to the criminal law system, 2014, Carswell, Toronto, p. 445.

17 Counsel of the Department of Justice (Canada), Federal Prosecution Service, Halifac Integrated Proceeds of Crime Unit.

18

J. E. PINK et D. C. PERRIER, préc., note 12, ch. 23. 19

R.-G. KROEKER, « The pursuit of illicit proceeds: from historical origins to modern applications », J. Money Laund. Control 2014, 270, DOI : 10.1108/JMLC-01-2014-0005.

20 F. ROUCHEREAU, « La Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes », Annu. Fr. Droit Int. 1988.601‑617, 1.

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saisie et la confiscation des biens des trafiquants sont prévues, la Convention ayant pour objectif la sanction effective des trafics. La peine de confiscation, toutefois, n’est pas née de ces ambitions internationales, et ne date pas de la fin des années 1980.

Des origines historiques de la peine de confiscation à ses applications modernes. Selon Jacques Léauté, la confiscation remonte sans doute aussi loin dans le

passé que la propriété privée21. En effet, la réaction sociale consistant à punir les coupables en les frappant dans leur patrimoine est historiquement associée à la naissance de la justice pénale, puisque le recul de la vengeance exercée par le talion s’est opérée par le substitut des compositions pécuniaires. D’anciennes traces dans la common law britannique laissent toutefois croire que des formes de confiscation avaient un objectif réparateur, et étaient utilisées comme un moyen d’indemnisation de la famille de la victime tuée dans ce qui aujourd’hui serait appelé un accident du travail22. Mais en remontant encore plus loin dans l’Histoire, la peine de confiscation est présentée comme une punition, l’aggravation d’une peine de mort ou d’exil, étendant à la descendance une condamnation qui dépasse l’individu23. Certains parlent même d’une « vieille institution à connotation jadis religieuse24 », qui se mua en une incrimination politique de nature profane. Alors, la confiscation frappe des biens sans considération du propriétaire, puisqu’il s’agit en réalité d’une « conséquence logique de la situation »25, lorsque la confiscation vise à punir des crimes graves, de haute trahison par exemple. Le criminel, ou l’adversaire politique, est donc parfois remis à l’extérieur de Rome, dans le cadre des guerres civiles de la fin de la République, entre 88 et 40 av. J.-C., ou condamné à mort26. La confiscation, en plus de marquer une certaine sévérité, servait de financement pour des projets, une fois exécutée. Le Professeur Alain Fouchard27 explique quels sont les liens entre la confiscation et la politique, en Grèce ancienne28, et si la confiscation, au départ, est une véritable arme pour un parti politique au pouvoir, qui sert à financer la guerre, affaiblir l’adversaire ou récompenser les alliés, l’essor des procédures de

21 J. LEAUTE, Criminologie et science pénitentiaire, Paris, PUF, 1972, p. 812. 22

R.-G. KROEKER, préc., note 5, 269. 23

M.-C. FERRIES et F. DELRIEUX (dir.), Spolier et confisquer dans les mondes grec et romain, Chambéry, Université de Savoie, 2013, p. 7.

24 Id., p. 18. 25

Id., p. 65. 26

Id., p. 42.

27 Professeur d’Histoire grecque à l’Université Pierre-Mendès-France, Grenoble 2. 28

« Confiscations et politique en Grèce ancienne », Collaboration, A. FOUCHARD, in M.-C. FERRIES et F. DELRIEUX, Id., note 9, p. 12.

(13)

confiscation va de pair avec l’instauration d’un Etat de droit29. La confiscation était d’ailleurs générale, et ne visait pas un bien en particulier, puisqu’il s’agissait notamment d’anéantir un adversaire politique. La confiscation générale a ensuite été supprimée, mais elle n’a pas complètement disparu et fut réintroduite dans les législations, pour des infractions graves, comme le terrorisme.

Donc, si sa légitimité ou son équité peuvent être contestées, ce qui caractérise la confiscation, en tant que peine, c’est sa légalité, et l’organisation de procédures précises permettant son prononcé. Dès lors, il convient d’étudier la notion de peine, afin de savoir si la notion actuelle de confiscation lui correspond bien. La peine, épilogue du processus judiciaire30, est classiquement prononcée par un juge31, dit juge du siège en droit français32, dans des finalités précises.

Finalités traditionnelles de la peine. Le Code pénal français, à l’article 131-1,

précise qu’ « afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de

nouvelles infractions, et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonction -de sanctionner l’auteur de l’infraction ; et de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Il s’agit de rappeler les fonctions

classiques de la peine, l’expiation33, qui veut que la peine soit proportionnée à la gravité de l’infraction commise, dans un but punitif, mais cette première fonction est atténuée par l’impératif de resocialisation34, qui souhaite que le condamné s’amende, s’insère35, ou se réinsère dans la société. Cet article paraît un peu réducteur, et d’autres fonctions peuvent être attribuées à la peine. Cesare Beccaria défend un but de prévention générale et individuelle des infractions, opposé à une conception de la peine qui serait afflictive et

29

Id., p. 64. 30

H. PARENT et J. DESROSIERS, Traité de droit criminel, 2ème éd., Montréal, Éditions Thémis, 2016, p. 6.

31 Même si, contrairement au droit canadien où dans le cadre d’un procès avec jury, le juge garde le rôle de « juge du droit » et décide quelle peine sera imposée à l’accusé s’il est reconnu coupable, en droit français, les jurés sont des juges à part entière. Au même titre que les magistrats professionnels qui siègent à leur côté dans la cour d’assises, ils délibèrent ensemble sur la culpabilité et sur la peine, sans que les magistrats ne disposent de voix prépondérante.

32

Au Canada, c’est aussi un magistrat professionnel qui détermine la peine, et jamais le jury. Tandis qu’en Cour d’assises, en France, les jurés se penchent et sur la culpabilité de l’accusé, et sur la question technique de la peine (mais pas sur la demande civile de dommages-intérêts faite par la partie civile).

33

J. LARGUIER, Criminologie et science pénitentiaire, 10e éd., Paris, Dalloz, 2005, p. 115. 34 Id., p. 116.

35

Le Professeur Larguier explique que certains condamnés n’ont jamais été vraiment insérés dans la société.

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infamante. Pour lui, la peine a deux finalités : « Empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens, et dissuader les autres d’en commettre de semblable36. » Et, au Canada, dans l’arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), le juge Cory, dissident, cita ce passage37. Concernant la confiscation, ce passage est tout à fait pertinent38. Pour Beccaria, les peines les plus justes correspondent « [aux] mesures qui font l’impression la plus efficace et la plus durable possible sur l’esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable. » La confiscation, qui n’atteint le coupable que dans son patrimoine, semble bien convenir, puisque l’atteinte faite au patrimoine n’affecte pas directement le corps du délinquant, et pourtant, souvent, elle marque l’esprit de celui qui souhaitait s’enrichir grâce au crime.

D’autres finalités sont attribuées à la peine. En effet, la plupart des peines remplissent plusieurs fonctions39. Traditionnellement, la finalité rétributive, qui souhaite assurer une compensation du mal qui a pu être causé, caractérise la peine. Mais cette finalité n’est souvent pas entièrement suivie par les juges, puisque d’autres facteurs sont pris en compte, au stade de l’individualisation de la sanction, tels que l’âge de l’auteur de l’infraction, sa situation personnelle, les circonstances de commission de l’acte. Toutefois, face à la peine de confiscation pénale, le mécanisme de la justice rétributive trouve un écho. Le Professeur Jacques Léauté était d’avis que cette finalité rétributive pouvait s’analyser à l’aide de la terminologie juridique employée dans le droit des obligations :

« La dette, au sens large, née du fait juridique qu’est l’infraction, se trouve rendue liquide et certaine par le dispositif du jugement portant condamnation. Ce dispositif détermine quelle sorte de créance naît au profit de l’Etat chargé d’exécuter la décision, c’est-à-dire quelle sorte d’atteinte aux droits subjectifs du coupable l’Etat peut et doit infliger […] »40.

Il établit alors une distinction entre deux types de « créances », l’une principalement sanctionnatrice, en cas de peine41, l’autre ayant pour raison d’être de protéger la société

36

BECCARIA, in M. CHEVALLIER et R. BADINTER, Des délits et des peines version commentée, Paris, Flammarion, 2006, p. 24.

37 Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 RCS 779, 803. 38

Voir le chap.2 de la Partie 2 du présent mémoire, sur la dissuasion (sect.1), qui approfondie cette affirmation.

39 J. LARGUIER, préc., note 30, p. 117. 40 J. LEAUTE, préc., note 21, p. 733. 41

(15)

contre un état dangereux, s’il s’agit d’une mesure de sûreté42. Cette théorie exprime bien le paradoxe du sens de la peine, que connaît aujourd’hui le droit pénal. Déjà, existe le constat que l’infraction peut donner naissance à d’autres mesures, autres qu’une peine, telles que des mesures de réparation civile43, des sanctions disciplinaires44 ou administratives45. La notion de peine a donc un sens strict, c’est-à-dire les sanctions que la législation nomme comme peine, et un sens plus large, pour désigner toutes ces mesures intégrant un ensemble plus vaste que la Cour européenne des Droits de l’Homme regroupe sous le terme de « matière pénale ».

Pour revenir aux fonctions de la peine, il faut rappeler l’article 718 du Code criminel canadien, qui expose clairement les différents objectifs du prononcé de la peine. Dénoncer, dissuader, isoler (« au besoin » !), favoriser la réinsertion sociale, assurer la réparation des torts causés, et enfin, susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants. La disposition insiste sur le terme de « tort causé aux victimes ou à la collectivité », ce qui rappelle la fonction de réprobation du droit pénal, qui, pour des raisons utilitaire ou morale, suffit à arrêter beaucoup de personnes sur le chemin du crime46. Dans la recherche de cette « sanction juste »47, qui oriente le stade de la détermination de la peine48, la prise en considération de ces objectifs est nécessaire. La confiscation qui retire au condamné le profit ou l’outil de son activité criminelle, semble, sur un plan théorique, ne pas correspondre aux objectifs en intégralité, surtout concernant l’impératif de resocialisation, qui a pour synonyme la réinsertion sociale. En effet, privé de ses revenus, le condamné ne pourrait plus subvenir à son existence. Cependant, les juges qui déterminent la peine prendront le soin d’examiner sa situation, avec l’aide de ce que l’auteur Eric Camous appelle la « mise en état patrimoniale » en France, connue également sous le nom d’enquête de patrimoine, qui rassemble le dossier faisant état des ressources d’un individu, et l’interrogatoire patrimonial, c’est-à-dire les déclarations de l’individu aux enquêteurs. Et si les juges canadiens expliquent que, dans le cadre du

42

Id., p. 519.

43 C’est notamment le cas du dédommagement, au Canada.

44 En France, par exemple, elles peuvent être imposées par la Commission bancaire. 45

Comme celles prononcées par l’administration fiscale. 46 J. LARGUIER, préc., note 30, p. 120.

47 Comme le prévoit l’article 718 du C. cr. : le prononcé des peines « contribue à la protection de la société, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes ».

48

H. PARENT et J. DESROSIERS, Traité de droit criminel, 2ème éd., Tome III (« la peine »), Thémis, 2016, par. 22.

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paragraphe 462.37(3)49, afin d’éviter toute fraude, la prise en compte de la capacité de

payer de l’accusé n’est pas compatible avec les objectifs de ces dispositions particulières qui visent à priver le contrevenant et l’organisation criminelle des produits de leur crime et à les dissuader de perpétrer d’autres infractions50, la capacité de payer sera un facteur pris en considération à l’étape de la détermination du délai de paiement51 offert au contrevenant. La question du prononcé de la peine ne laisse donc pas sans interrogations. Mais, avant d’étudier si la peine de confiscation, dans ses dispositions générales comme spéciales, répond aux exigences légales imposées en France et au Canada, il faut comprendre quelles sont ces exigences, qui caractérisent la peine « juste » que le juge recherche au stade de la détermination de la peine.

Précision terminologique : droit criminel et droit pénal au Canada. Il existe

des différences entre le droit criminel et le droit pénal au Canada. En matière criminelle, le Code criminel est la loi principale qui prévoit les comportements criminels interdits pouvant faire l’objet d’une poursuite au Canada. Il s’agit d’une loi fédérale, c’est-à-dire votée et modifiée par le Parlement canadien, à Ottawa. Le Code criminel prévoit aussi des règles sur la manière dont doit être gérée la preuve, la procédure pénale et la question de la peine. Le Code criminel s’applique partout au Canada. Outre le Code criminel, d'autres lois fédérales prévoient notamment des infractions criminelles, punies de la peine de confiscation, comme la Loi sur les armes à feu, ou la Loi réglementant certaines

drogues et autres substances.

En matière pénale, au Québec, la plupart des infractions pénales sont prévues dans des lois québécoises comme le Code de la sécurité routière, la Loi sur la qualité de

l'environnement ou la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Ces lois

sont adoptées par l’Assemblée nationale du Québec. C'est le Code de procédure pénale qui prévoit la plupart des règles de preuve et de procédure dans ces cas, peu importe la loi incriminante. Ces lois peuvent prévoir des peines de confiscation. Cependant, le présent mémoire se concentrera sur l’étude de la peine de confiscation au niveau fédéral, telle que décrite principalement par le Code criminel. Cependant, d’autres infractions pénales, applicables au Québec, sont prévues par d’autres lois fédérales52.

49

Partie sur les produits de la criminalité, par. 462(37 et s., C. cr., L.R.C. (1985), ch. C-46. 50

R. c. Lavigne, [2006] 1 RCS 392. 51 Id, p. 2.

52

Pour plus d’informations, lire : Gisèle COTE-HARPER, Jean TURGEON et Pierre RAINVILLE, Traité de droit pénal canadien, Cowansville, Québec, Éditions Y. Blais, 1998.

(17)

La définition de peine en droit canadien. Au Canada, terre de common law53, est donc introduit ce Code criminel unique, pour cimenter l’union du nouvel État54, à la suite de l’établissement de la Confédération canadienne, en 1867. Grâce au projet de Sir John Thompson, le Parlement d’Ottawa adopta le Code criminel en 1892 et dont l’entrée en vigueur a été repoussé au 1er juillet 1893. Ce code embrassait tout le droit criminel, de fond et de forme, au contraire du droit français qui a fait le choix d’un Code pénal, et d’un Code de procédure pénale, parallèlement. Le Professeur français Jean Pradel estime cependant que « le Canada finira par se doter d’un code pénal véritable et ultérieurement

d’un code de procédure pénale »55. En 1979, le ministre fédéral de la Justice, J. Flynn, déclara au cours d’une réunion de l’Association du Barreau canadien, le besoin d’une « complète révision du code criminel »56. Pour ce faire, le rôle de la Commission de réforme du droit du Canada, instituée en 1971, fut primordial. Elaborant un projet de code pénal, abouti, et débutant des travaux en procédure pénale, la Commission sera cependant dissoute, en juin 1992, pour des raisons budgétaires57, avant qu’ait été discuté au Parlement le projet de code pénal58. Depuis, d’autres projets ont été proposés59, mais aucun n’a véritablement abouti. Retenons que le Code criminel canadien traite à la fois du droit pénal de fond et du droit pénal de forme. C’est aussi le cas aux Etats-Unis, pour le code fédéral américain (Crime and criminal procedure, titre XVIII) de 1948, et les codes similaires de chaque État, à l’exception de la Louisiane60. Dans le Code criminel canadien, la définition et le régime de la peine se situent au sein de la partie XXIII. Cette partie générale sur la peine décrit un « processus uniforme de pondération juridique »61, pour la détermination de la peine au sein du jugement. Deux éléments sont pris en compte, en particulier. Il s’agit de la gravité de l’infraction commise, et du degré de responsabilité du délinquant, déterminés en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes liées

53 J. PRADEL, Droit pénal comparé, 4e éd., coll. Précis, Paris, Dalloz, 2016, par. 656.

54 D. H. BROWN (dir.), The birth of a criminal code: the evolution of Canada’s justice system, Toronto, Buffalo  : University of Toronto Press, 1995.

55

J. PRADEL, préc., note 7, p. 656.

56 The criminal law in canadian society, Document du gouvernement fédéral, Ottawa, août 1982, p.10

57 G. LETOURNEAU et P.J. FITZGERALD, « Politique criminelle et réforme du droit  : l’approche de la Commission de réforme du droit », (1992) Tome 14 APC 95.

58

J. PRADEL, préc., note 7, p. 808. 59

Voir, par exemple, les travaux du Sous-comité sur la recodification de la partie générale du code criminel, créé en mars 1992 par le Comité permanent de la justice.

60 J. PRADEL, préc., note 7, par. 669. 61

(18)

à la perpétration du crime, et à la situation du délinquant. Ce processus est donc individualisé, et les juges rappellent que « chaque cas est un cas d’espèce »62. A la suite de la description générale de la peine, qui comprend, entre autres, les objectifs et principes de détermination de la peine, son organisation, procédure et règles de preuve, chaque peine est décrite, comme la probation63, l’emprisonnement64 ou le dédommagement65. La confiscation, elle, est abordée dans un chapitre intitulé « Amendes et confiscations », mais les principaux articles ne concernent que l’amende, dès le premier paragraphe de l’article 734. Il n’est fait référence à la confiscation en tant que peine autonome qu’aux paragraphes 734.4 (1), (2) et (3), qui concernent l’attribution du produit de l’amende ou de la confiscation, au Trésor provincial, au receveur général, ou à une autorité locale. Ces articles ne nous apprennent rien sur la nature de la confiscation, ou la détermination de son prononcé. Alors, il conviendra de se référer à la jurisprudence, qui développera le régime de la peine de confiscation.

Autre particularité du Code criminel canadien, concernant la peine de confiscation, il faut noter qu’à différentes sections, correspondantes à des infractions réprimées, une confiscation est parfois prévue. Cependant, il ne s’agit pas du même article, qui serait réécrit, à la suite de l’incrimination concernée. Il s’agit d’articles très différents les uns des autres, qui ne permettent pas, à première vue, d’établir un tableau synthétique de la confiscation. On peut donc dire qu’à la lecture du Code criminel, il n’est pas possible de comprendre réellement en quoi consiste la confiscation. Il existe plutôt des confiscations, prévues de manière disséminée, qu’il conviendra d’étudier.

Le rôle du juge au Canada en droit de la peine. Au Canada, les juges avaient

le pouvoir de créer des infractions nouvelles, avant que la situation ne change et que toutes les infractions aient une origine légale (« statutory »)66. En 1950, le juge Cartwright explique que « si une conduite doit être incriminée, alors qu’elle ne l’a pas encore été,

une telle création doit être faite par le Parlement et non par les juges »67. Le principe de légalité est donc ainsi consacré.

62 R c. Paquette [2007] R.J.Q. 2074, par. 78. 63 Articles 731 à 733.1, C. cr., L.R.C. (1985), ch. C-46. 64 Articles 743 et s., C. cr. 65 Articles 737.1 à 741.2, C. cr. 66 J. PRADEL, préc., note 7, p. 839. 67

(19)

Concernant la peine, une originalité est à noter, dans les pays anglo-saxons « [qui]

étonnera un pénaliste romano-germanique, notamment un Français »68. La liberté du juge n’est pas absolue, car des lignes directrices sont parfois imposées, lors du stade de la détermination de la sentence. Si ces lignes directrices étaient plutôt destinées à aider le juge à décider s’il doit imposer au contrevenant une sanction carcérale ou une sanction communautaire, ces directrices permettent d’intégrer le principe de modération, et d’éviter des disparités de fait, gages d’équité et d’uniformité69. Le Canada, toutefois, est le seul pays de tradition de common law qui n’utilise pas ces lignes directrices70, souhaitant maintenir une discrétion judiciaire. Dans l’Ouest71, les tribunaux établissent parfois des points de départs, qui indiquent des fourchettes des peines dans une situation donnée72. La Cour suprême a autorisé ces pratiques, mais il ne s’agit pas d’un motif d’appel si la personne déroge à ce point, afin de maintenir une individualisation de la peine73. Si le Parlement canadien et les différentes législatures provinciales74 fixent les peines applicables dans le cadre des infractions adoptées, et dirigent l’orientation de l’activité judiciaire en fournissant, souvent, l’espace à l’intérieur duquel les tribunaux devront exercer leur fonction répressive, les tribunaux participent aussi à la recherche de la peine la plus adaptée au cas d’espèce75. Leur rôle est donc essentiel à l’élaboration et à l’application de la peine de confiscation au Canada.

La définition de peine en droit français. Les textes en droit français ne donnent

aucune définition générale de la peine, au pays de la légalité76. Cependant, une définition

68 J. PRADEL, préc., note 7, par. 688. 69

« Commissions et lignes directrices sur la détermination de la peine - opinion publique. », Ministère de la Justice - Canada, Ottawa, (Mars 2018) Division de la recherche et de la statistique, section "Rech. En Un Coup Œil", en ligne : <http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/rco-rg/2018/mar05.pdf>.

70 Même si la Commission de droit du Canada l’avait proposé, id.

71 Le Québec n’est pas réellement concerné, même si le débat existe au sein de la communauté juridique.

72

H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 30.

73 A. VINING, « Questions relatives aux lignes directrices en matière de détermination de la peine: évaluation de divers modèles américains et de leur pertinence au Canada », Reproduit Avec Permis. Minist. Trav. Publics Serv. Gouv. Can. 2010, 1988, Publications du Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, p. 83.

74 Ces dernières n’ayant compétence que pour le droit pénal réglementaire, à l’inverse du Parlement fédéral, qui a compétence tant pour le droit pénal réglementaire, que le droit criminel. Le Parlement peut donner aux Provinces un pouvoir pénal, si cela est prévu par un texte de loi. 75

H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 30, par. 10.

76 E. GRANDE, « Droit pénal et principe de légalité  : la perspective du comparatiste », Rev. Int. Droit Comparé, 2004, pp. 119‑129, par. 1.

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peut être proposée, et des attributs spécifiques permettent de l’identifier. Châtiment destiné à frapper l’individu qui a commis une infraction, la peine répond à plusieurs qualités. Des principes généraux applicables à la peine existent. D’abord, le principe de légalité de la peine, consacré à l’alinéa 2 de l’article 111-3 du Code pénal. Cependant, notre système n’est pas un système de peines fixes, et le juge dispose de larges pouvoirs quant au choix de la peine et de son quantum77. Comme au Canada, le juge ne peut prononcer une peine non prévue par les textes, ou sa décision serait cassée, comme ce fut le cas pour la confiscation78. Cependant, concernant le quantum ou le taux de la confiscation, il nous paraît étrange d’en parler. Si cette expression a du sens concernant l’amende, qui se calcule en sommes d’argent, la confiscation, elle, a un objet79 bien particulier, qui sera étudié au sein du présent mémoire.

Ensuite, le principe de nécessité, interprété comme comprenant le principe d’individualisation des peines80, et le principe de proportionnalité des peines, est expressément mentionné dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, à l’article 881. Ce texte, garanti à l’échelle constitutionnelle, marque la volonté très forte d’encadrer les pénalités prévues par le législateur. Le Conseil constitutionnel contrôle de manière très souple la législation sur la base de ce texte, puisqu’il ne se considère pas comme étant le mieux placé pour contrôler la nécessité des peines choisies82. De plus, le Conseil « veille à ce la peine ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément

prononcé, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. »83

Concernant le principe d’individualisation de la peine, le Conseil demande en principe que le juge ait une capacité d’initiative dans le prononcé de la peine84 ainsi

77 J. LARGUIER, préc., note 33, p. 112. 78

Cass., crim., du 17 octobre 2000, n° 99-86.916, publié au bulletin. 79

Le produit ou l’objet de l’infraction, nous y reviendrons.

80 Consacré désormais à l’article 130-1 du C. Pén., sur la finalité des peines.

81 « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

82

Dans une décision du 20 janvier 1993, il déclare, dans un considérant de principe, qu’ « en l'absence de disproportion manifeste entre les infractions et les sanctions concernées, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre interprétation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines sanctionnant les infractions définies par celui-ci ».

83 Considérant de principe, voir par exemple : Conseil constitutionnel, Décision QPC n° 2011-162, 16 septembre 2011.

84

Voir pour aller plus loin la suppression des peines automatiques, aussi appelées peines accessoires, qui s’appliquaient automatiquement, sans que le juge n’ait à les prononcer expressément dans la décision de condamnation.

(21)

qu’une faculté de modulation du quantum de la peine85. Ces deux exigences sont cumulatives. Il faudra étudier si les régimes de confiscation y répondent, et la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 sera particulièrement éclairante, et donc étudiée subséquemment.

Quant au principe d’égalité, ne s’agit pas de prononcer une peine identique pour tous les auteurs d’une même infraction, mais plutôt d’imposer au juge qu’il ne tienne pas compte de la condition sociale du coupable86. Au Canada, au contraire, le juge dispose d’une certaine discrétion qui lui permet de prendre en compte la situation sociale de l’auteur de l’infraction, à titre de circonstance atténuante ou aggravante87. Mais parler du principe d’égalité de la peine paraît plus pertinent, en ce qu’il impose au législateur, plutôt qu’au juge, au cours de l’élaboration de la loi, une égalité des citoyens88.

Enfin, le principe de personnalité des peines exige que seul le coupable soit atteint par la peine prévue, et non des tiers. Toutefois, il est presque inévitable que la peine ait des répercussions sur la famille, surtout lorsqu’il s’agit de peines pécuniaires. La peine de confiscation posera ici quelques soucis, surtout lorsqu’elle est obligatoire, notamment, en tant que mesure de sûreté, puisqu’elle pourra « punir » des individus étrangers à la commission de l’infraction. Il conviendra d’étudier comment les législations française et canadienne tentent de résoudre cette problématique.

Classifications des peines. Outre les principes gouvernant les peines en France,

différentes typologies ont été proposées. L’une retient notre attention, il s’agit de la catégorie juridique distinguant les peines selon qu’elles sont principales, complémentaires ou accessoires. Concernant les peines principales, il s’agit de celles prévues par le texte incriminateur, qu’elles soient qualifiantes89 ou alternatives90. Les peines complémentaires, elles, ont vocation à s’ajouter aux peines principales. Pour les

85 Faire varier la durée d’une peine d’emprisonnement, par exemple. 86 J. LARGUIER, préc., note 33, p. 113.

87

H. PARENT et J. DESROSIERS, préc., note 30. 88

Voir par exemple la décision du Conseil constitutionnel à propos d’une loi d’amnistie, Conseil constitutionnel, Décision n° 88-244, DC, du 20 juillet 1988.

89 C’est-à-dire permettant de donner à l’infraction sa nature : criminelle, délictuelle ou contraventionnelle. Il faut se référer à la peine prévue dans le texte incriminateur.

90 Qui se substituent aux peines principales qualifiantes en matière délictuelle ou contraventionnelle seulement. Elles ne peuvent pas, par principe, se cumuler avec la peine principale de référence : le juge doit choisir entre les deux (exception faite de la peine de jour-amende (qui peut se cumuler avec toute peine, sauf l’jour-amende), ou de la sanction-réparation, qui peut être prononcée à la place (de manière alternative) ou en même temps que la peine d’emprisonnement.

(22)

identifier, une sous-partie du Code pénal leur est consacrée, aux articles 10 et 131-1191. La confiscation y est prévue. Toutefois, il est prévu que la juridiction de jugement peut décider de les prononcer à la place de la peine principale92, ce qui fait naître un sentiment d’incompréhension, nous permettant de douter de la pertinence de la distinction. Surtout, la liste des peines complémentaires consacrée à l’article 131-10 n’est qu’indicative, puisque le législateur prévoit parfois des peines complémentaires encourues à la suite d’une infraction qu’il décide d’incriminer. C’est le cas de la confiscation prévue par l’article 521-193 du Code pénal, relatif aux maltraitances graves sur des animaux. Les peines accessoires, quant à elles, s’appliquent de plein droit, théoriquement sans avoir besoin d’être prononcées par le juge – c’est-à-dire mentionnées dans la décision de culpabilité, lorsqu’un individu est condamné pour un certain type d’infractions. En principe, elles n’existent plus aujourd’hui, et l’un des objectifs du nouveau Code pénal de 1992 était de les faire disparaître de notre système juridique, puisqu’elles ne se conformaient pas au principe d’individualisation de la peine94. L’article 132-17 du Code pénal prévoit donc qu’« aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée ». La confiscation n’entre donc pas dans le champ des peines automatiques.

Enfin, les peines encourues par les personnes morales sont souvent mises de côté, concernant les classifications établies. Pourtant, en regardant le Code pénal, les personnes morales sont à peu près soumises aux mêmes peines que les personnes physiques. Simplement, des peines sont expressément visées, comme la peine d’amende, dont le taux encouru est parfois multiplié par cinq, ou arbitrairement fixé à un million d’euros si le crime ne prévoyait pas de peine d’amende. Egalement, la peine de dissolution, parfois

91

Pour connaître le régime précis de chacune des peines complémentaires, il faut se référer aux article 131-19 à 131-36 du C. Pén.

92

Article 131-11 du C. Pén. Le juge d’application des peines peut mettre à exécution une peine d’emprisonnement ou d’amende que le juge de jugement aura préalablement fixée, lors de la détermination de la peine, en cas de non-exécution de la peine complémentaire. L’article 434-41 du même Code prévoit de plus une peine d’emprisonnement de deux ans si les mesures imposées à titre de peines complémentaires ne sont pas exécutées.

93 Dans la partie spéciale, et non générale du Code. 94

La suramende compensatoire au Canada interroge puisqu’elle est prononcée automatiquement par le juge de la peine, sans qu’il ne soit possible de moduler son montant. Le 29 mars 2018, l'honorable Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a déposé un projet de loi visant à améliorer l'efficacité du système de justice pénale et à réduire les délais judiciaires, qui inclut une modification du Code criminel sur la question (projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel), Department of Justice Canada, 29 mars 2018, David Taylor, Cabinet de la Ministre de la Justice et procureur général du Canada.

(23)

présentée par la doctrine comme l’équivalent de la peine de mort, n’est prévue que dans certains cas, notamment si la personne morale a été créée pour commettre l’infraction qui est reprochée, ou si cette personne morale a été détournée de son objet initial, pour commettre des faits punis d’une peine supérieure ou égale à trois ans d’emprisonnement, exception faite des personnes morales de droit public95, et des partis politiques ou syndicats professionnels. Des peines de fermeture d’établissement, et d’interdictions diverses96 sont aussi applicables, et une mesure spécifique fut créée97, par la Loi « Sapin

II » du 9 décembre 2016, visant à soumettre la personne morale à un programme de mise

en conformité d’une durée maximale de cinq ans, destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre de mesures de prévention de la corruption. Si l’amende reste « la règle

pour sanctionner les personnes morales »98, prononcée à titre principal99 dans la quasi-totalité des condamnations100, parfois cette amende est assortie d’une mesure101 d’interdiction d’exercer ou de confiscation102. Ces mesures originales incluent une dimension dite « mesure de sûreté », puisqu’elles ont pour but que l’infraction ne se répète pas en prenant en compte, pour l’avenir, le risque de récidive, et une sanction pécuniaire, puisque les coûts des dispositifs imposés sont à la charge de la personne morale. Il est donc possible de dire que les typologies d’infractions, si elles étaient pertinentes à une époque, sont désormais dépassées, par l’introduction de législations qui laissent de plus en plus d’initiatives au juge, qui peut individualiser les peines avec plus de liberté. Toutefois, sans vouloir enfermer la peine de confiscation dans une classification stricte, il est important de se poser la question de sa nature, puisqu’en découle un régime juridique bien précis, qui sera étudié.

Terminologie de confiscation pénale et enjeux d’une définition. En droit

anglais, le Professeur Peter Alldridge différencie les termes de forfeiture et de

confiscation :

95 Pour les lecteurs canadiens, il s’agit en fait de l’Etat et des collectivités territoriales : mairies, départements, régions…

96

Notamment : exclusion des marchés publics, interdiction d’émission de chèques, ou de percevoir des aides publiques.

97

Art. 131-39-2 du C. Pén., mesures exécutées sous le contrôle de l’Agence française anti-corruption.

98 D. BAUX et O. TIMBART, « Les condamnations de personnes morales », Bulletin d’information statistique - Infostat Justice no103 (septembre 2008) à la page 2.

99

Selon l’art. 131-37 du C. Pén.

100 98% en moyenne, selon le Bulletin d’information statistique, n° 103, Ministère de la Justice. 101 Dans les cas prévus par la loi et selon l’art. 131-39 du C. Pén.

102

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« Forfeiture is the seizure of property by the state because of its use in the commission of crime. There is a range of statutory forfeiture powers. […] Confiscation was introduced to remedy the deficiencies of forfeiture. »103

Il fait en fait référence aux mécanismes de nature civile, présents par exemple en droit douanier (customs law) ou en droit fiscal. Au Canada, la distinction existe aussi, mais n’a pas la même signification. Le Code criminel utilise globalement celui de forfeiture en langue anglais, comme par exemple au paragraphe 462.37(1)104. Les auteurs, en droit criminel canadien105 comme en droit américain106 ou australien107, utilisent aussi le terme de forfeiture à la place de confiscation, ou les deux de manière indifférenciée. Sans procéder à une analyse sémantique approfondie, il est intéressant de noter cette dualité, qui reflète le flou terminologique autour de la confiscation pénale. L’objet de notre étude doit se limiter à la confiscation telle que décrite dans le Code criminel, présente dans plusieurs dispositions, s’insérant dans des régimes spéciaux, comme c’est le cas pour le terrorisme ou les produits de la criminalité. Il convient de préciser justement ce qu’il faut entendre par « confiscation pénale », notion centrale de la présente étude.

Définition négative de la confiscation pénale. Il est difficile de parler de « la »

confiscation, puisqu’il existe sans doute des confiscations, au pluriel, tant dans le langage courant que juridique. Il convient de distinguer l’objet de notre étude, de ce qui s’en exclut.

Dès l’Antiquité, les Romains différenciaient entre différentes formes d’atteintes à la propriété, venant de l’État. En latin, spoliare, dépouiller, désignait un acte violent, souvent illégal, qui laisse nue, au sens propre comme au figuré, sa victime. La confiscatio et son ancêtre, la publicatio bonorum indiquaient au contraire une procédure consistant à adjuger des biens privés au Trésor public, l’aerarium, puis le fisc, pour cause de crime ou de contravention. La confiscation se confondait aussi avec des mesures d’expropriation ou des droits de saisie confiscatoires108. Déjà, ces mécanismes

103

P. ALLDRIDGE, « Smuggling, Confiscation and Forfeiture », (2002), 65-5 Mod. Law Rev. 781‑791, p. 781, DOI : 10.1111/1468-2230.00408.

104

Sur le régime de la confiscation des produits de la criminalité, Partie XII.2, C. cr., L.R.C. (1985), ch. C-46.

105 J. E. PINK et D. C. PERRIER, préc., note 16, p. 447. 106

N. KOHLER, « The confiscation of criminal assets in the United States and Switzerland. », (1990) 13-1 Houst. J. Int. Law, Houston, pp. 1‑38.

107 A. FREIBERG et R. FOX, « Evaluating the Effectiveness of Australia’s Confiscation Laws: », Aust. N. Z. J. Criminol. 2016, DOI : 10.1177/000486580003300301.

108

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recouvraient une pluralité de situations et d’actions que les droits et les pratiques civiques antiques distinguaient par le vocabulaire, même s’ils les confondaient souvent dans les résultats109. C’est encore le cas aujourd’hui, quand la notion de confiscation répond à une certaine diversité juridique. Sans parler de régimes juridiques divers, puisqu’il convient de s’attarder uniquement sur la confiscation en tant que peine, il existe toutefois, dans les législations française et canadienne, différentes modalités permettant le prononcé de cette peine. Celles-ci seront étudiées.

En revanche, ce qui facilite l’exécution de la peine de confiscation ne sera pas directement l’objet de notre étude, qu’il s’agisse en amont des saisies pendant l’enquête, ou encore, en aval, des organismes de gestion des biens confisqués. Toutefois, s’il ne s’agit pas de l’objet direct de l’étude, il en sera fait référence, puisque ces mesures impactent le régime de la confiscation, et le prononcé de cette peine.

Des mesures pouvant avoir le même effet que la confiscation seront cependant exclues du champ de notre étude, telles que les expropriations ou droits de créance privés conférant le pouvoir de recouvrer des biens. Par exemple, des particuliers, des compagnies privées,banques et autres institutions financières peuvent proposer des prêts et obtenir, afin de garantir leur remboursement, des garanties hypothécaires sur des immeubles. De même, l’expropriation, au sens juridique, est un pouvoir d’exception, qui permet à l’Etat de s’approprier un immeuble ou un démembrement du droit de propriété sur un immeuble, pour des fins d’utilité publique, en contrepartie du versement d’une indemnité juste et préalable110. En effet, le propriétaire n’a, dans ce cas-là, commis aucune infraction, et n’a aucun lien avec une organisation criminelle, d’où le versement de l’indemnité. Toutefois, dans le langage courant, il est possible d’entendre parler de

109 Id.

110 Au Québec, par exemple, l’article 952 du Code civil du Québec consacre ce principe : « Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est par voie d'expropriation faite suivant la loi pour une cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. » (Chapitre C-12, CCQ-1991). La Loi sur l’expropriation québécoise (Chap. E-24) prévoit et encadre ce processus d’expropriation, lorsqu’elle découle du Gouvernement du Québec ou de son pouvoir délégué (d’une municipalité). Si l’expropriation découle du Gouvernement du Canada, il faut référer à la Loi sur l’expropriation canadienne (L.R.C. (1985), ch. E-21).

En France, il existe un Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, et son régime dépend du droit public, même s’il existe une phase judiciaire servant à garantir le transfert de propriété à la personne publique et le paiement d'une indemnité à la personne expropriée. En effet, si le transfert de propriété ne peut se faire par accord amiable entre la personne publique et la personne expropriée, alors la personne publique peut saisir le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance (TGI) qui prononce une ordonnance d'expropriation.

(26)

confiscation des biens, par le prêteur ou l’autorité publique, mais il ne s’agit pas du champ

de l’étude ci-présente.

La confiscation se différencie aussi des dommages et intérêts, c’est-à-dire la demande de nature civile de réparation du préjudice subi par la victime de l’infraction. Toutefois, il sera démontré que la frontière est parfois poreuse, et que, par certains mécanismes111, des biens confisqués peuvent être utilisés pour réparer les torts causés à la victime.

La confiscation, peine prononcée par la juridiction de jugement, ne doit pas enfin se confondre avec la destruction d’un bien, qui constitue seulement une modalité d’exécution de la peine112. Le tribunal n’a donc pas à prononcer la destruction, et seul le procureur de la République pourra en décider, en vertu de l’article 707-1 du Code de procédure pénale. Au Canada, la question de la destruction des biens se résout également au stade de la gestion des biens confisqués, étape administrée au niveau provincial113, et exclue de notre étude.

Définition positive de la confiscation pénale. Transfert forcé114, au profit de l’Etat, de la propriété d’un ou plusieurs biens appartenant au condamné, ou de leur équivalent en argent, la confiscation est aujourd’hui une peine prononcée à la suite de la condamnation à une infraction. Mais la confiscation est en réalité plurielle, dans le sens qu’elle est prévue au sein de plusieurs dispositions, introduites par différentes législations. Elle s’identifie en revanche par son résultat, qui est ce fameux transfert de propriété à l’Etat à la suite de la commission d’une infraction. La question de son identification sera approfondie, puisque si une condamnation est en principe exigée pour prononcer cette peine, ce principe subit de rares exceptions – qualifiées de confiscations par la loi – qu’il conviendra d’étudier.

La confiscation générale, qui porte sur tout le patrimoine du coupable, avait été supprimée en France en 1790, rétablie en 1792, abolie à nouveau par la Charte

111

Voir notamment la sect. 2, du chap.2, du Titre I, sur « L’aspect réparateur de la peine de confiscation pénale ».

112

É. CAMOUS, « Art. 131-21 et 131-21-1 - Fascicule 20, sur les peines criminelles et correctionnelles  : la confiscation. », (2017) Encyclopédies-JurisClasseur JCl Adm. - Fasc 200 POLICE Adm., par. 12.

113 Par exemple au Québec, voir la Loi C-52.2 - Loi sur la confiscation, l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales.

114

J.-H. ROBERT, Droit pénal général, 6. éd. refondue, coll. Thémis Droit, Paris, PUF, 2005, p. 430, chap. "Les peines complémentaires consistant en une atteinte aux biens.".

(27)

constitutionnelle de 1814115. En 1918, elle renaît pour sanctionner les crimes politiques116.

Si elle existe aujourd’hui en droit français et canadien pour les crimes les plus graves, les magistrats hésitent cependant à l’utiliser, puisqu’elle emporte de lourds effets pour le condamné, et il est possible de douter de sa validité constitutionnelle. Notons qu’en France, on ne parle plus véritablement de « confiscation générale », mais plutôt de « confiscation de patrimoine ».

La confiscation dite ‘spéciale’117, en réalité la plus couramment utilisée, existe dans un régime unifié en droit français, dans le Code pénal. Cette partie du code fut à de nombreuses reprises modifiée118, pour simplifier son prononcé et ainsi faciliter le travail des magistrats. Elle sera étudiée. En revanche, il existe des cas de confiscations spéciales à la suite d’infractions spécifiques, qu’il s’agisse du Code pénal, comme pour l’incrimination du trafic d’armes119 par exemple, ou même à l’extérieur de ce code, en matière de contrefaçon, sévèrement sanctionnée par le code de la propriété intellectuelle et au code des douanes120.

En droit canadien, il n’existe pas à proprement parler de régime unifié dans le Code criminel, mais un travail de rédaction a été effectué dans la partie XII.2 du Code, en ce qui concerne les « Produits de la criminalité ». Ce régime sera approfondi subséquemment, mais il doit être noté dès à présent qu’il existe d’autres nombreuses dispositions permettant la peine de confiscation, à titre complémentaire, à la suite

115

Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, consultable ici : http://www.conseil-

constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-constitutions-de-la-france/charte-constitutionnelle-du-4-juin-1814.5102.html (consulté le 8 juillet 2018), art. 66 : « La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne pourra pas être rétablie ».

116 J.-H. ROBERT, préc., note 114, p. 430. 117

En comparaison de la confiscation dite « générale ». 118

É. CAMOUS, préc., note 112, 3.

119 Il est prévu à l’art. 222-62 du C. pén., la confiscation d'une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition, grâce à la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 - art. 26.

120

Voir : l’art. 419 du code des douanes. Les sanctions fiscales douanières se cumulent avec les sanctions pénales de droit commun, susceptibles d'être infligées à l'auteur de la contrefaçon. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que les juridictions répressives doivent ordonner la confiscation des marchandises de contrefaçon, quand bien même elles ne

prononceraient aucune condamnation (Cour de cass., Crim., 17 janvier 2018, pourvoi n°16-85951). Pour en savoir plus, lire : Code des douanes, en particulier les art. 38, 215, 215 bis, 323, 414, 426, 428 et 437.

(28)

d’incriminations, concernant notamment les jeux et paris illicites121, les atteintes à la vie privée122, ou encore pour les armes à feu123.

L’avantage de la confiscation est qu’elle est moins stigmatisante qu’une peine d’emprisonnement, et plus efficace sans doute qu’une peine d’amende. Dans son Rapport pour l’année 2018, un chapitre spécial est consacré, par la Cour des comptes en France, au taux de recouvrement des amendes. Elle explique qu’"au-delà de l’enjeu financier, la

crédibilité de la politique de sécurité routière dépend de l’effectivité du paiement par les contrevenants. Pourtant les résultats en termes de paiement des amendes sont décevants, quel que soit le stade du paiement, et les indicateurs de suivi sont peu satisfaisants"124. En effet, le recouvrement d'une amende n'intervient pas forcément l'année de la verbalisation et peut se prolonger sur les années suivantes, et surtout, les amendes forfaitaires majorées125 ne sont de fait recouvrées qu’à hauteur de 30 % environ, selon ce Rapport. Ces défaillances militent en faveur de la peine de confiscation, dont l’exécution sera notamment facilitée si les biens confiscables ont été saisis en amont pendant l’enquête. En cas de condamnation, le transfert de propriété du bien à l’Etat sera évidemment plus simple. L’efficacité de la peine de confiscation renvoie toutefois à certaines notions économiques qui ne seront pas véritablement étudiées. Toutefois, son utilité en tant que peine dite efficace, idée défendue avec ferveur par certains gouvernements126, sera remise en question, en raison notamment d’auteurs qui doutent des bénéfices réels de la peine.

121

Par. 199(3) du C. cr., partie VII « Maisons de désordre, jeux et paris », L.R.C. (1985), ch. C-46.

122 Par. 192(1) du C. cr., partie VI « Atteintes à la vie privée », L.R.C. (1985), ch. C-46. 123

Par. 117.03(3) et 115(1) du C. cr, L.R.C. (1985), ch. C-46. 124

COUR DES COMPTES, Rapport public annuel, Paris, février 2018, "La gestion des amendes de circulation  : une dématérialisation achevée, des insuffisances à surmonter", p. 166, en ligne : <https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-01/06-gestion-amendes-circulation-Tome-2.pdf>.

125 Notamment prononcées par l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »).

126 Après la fusillade en 2010, en France, qui a tué à Marseille un adolescent de 16 ans et grièvement blessé un enfant de 11 ans, le ministre de l'Intérieur de l’époque Brice Hortefeux avait souhaité que les ressources des personnes soupçonnées de trafics de stupéfiants soient "passées au peigne fin" d'ici à la mi-décembre. « La saisie des avoirs criminels a un puissant effet sur la récidive » des trafiquants, assure aussi le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Miltd) Etienne Apaire qui estimait à l’époque à 1,5 milliard d'euros le chiffre d'affaires annuel du trafic de drogue en France. La loi du 9 juillet 2010 (dite "loi Warsmann") avait alors été votée au Parlement, concernant la saisie et la confiscation des biens criminels en matière pénale. Pour plus de détails, lire : Les avoirs criminels de plus en plus saisis par la police et la justice, Publié le 22/11/2010, Le Point et AFP, en ligne :

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