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les limites internationales et européennes au développement de la peine de

Description. Malgré les progrès faits en matière de confiscation grâce aux

instruments internationaux et européens, des lacunes existent en matière de coopération judiciaire (§1) et ce, même au niveau européen (§2 et 3), en raison des difficultés d’harmonisation des droits concernant la peine (§4).

§1-Echec de la coopération policière et judiciaire. Moins formelle que l’entraide

judiciaire472, la coopération permet un dialogue voire un concours entre Etats. L’exemple de la commission rogatoire a démontré que les moyens mis en œuvre étaient parfois trop longs, et ne donnaient pas les moyens de recueillir en temps utile les éléments recherchés473, pour plusieurs raisons474. De plus, l’inconvénient principal de cette coopération simple est qu’elle n’est pas obligatoire, puisqu’elle relève de la simple courtoisie internationale. Des mécanismes contraignants sont donc apparus pour pallier à ce désavantage.

§2-Doutes sur la confiance mutuelle entre Etats membres. L’entraide judiciaire est

développée par le biais de conventions internationales multilatérales, c’est-à-dire entre plusieurs gouvernements, ou de traités bilatéraux. L’enjeu principal est celui des réserves, qui peuvent faire échec à la mise en œuvre de cette entraide. Mentionnées à propos de l’Iran notamment, concernant la convention de Palerme, signée en 2000, les réserves font souvent obstacle à certains procédés mis en place par le traité. Au sein des traités

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Il existe un intérêt commun, concernant l’entraide judiciaire : les Etats luttent ensemble contre un phénomène qui les affecte tous. Alors que la coopération simple n’est qu’une demande d’aide à un autre Etat, concernant un intérêt national (par exemple, l’avancée d’une enquête).

473 K. PROST, « PRATIQUE ET NOUVELLES TENDANCES DE L’ENTRAIDE JUDICIAIRE  : L’AVENIR DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE », (1998) Réseau Continental d’échange d’informations relatives à l’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition. Organ. États Américains OAS Reccueil 2007, 2, en ligne : <https://www.oas.org/juridico/mla/fr/can/fr_can_prost98.html> (consulté le 6 juillet 2018). 474

Notamment le fait qu’une des exigences était que la commission rogatoire devait être délivrée par une autorité judiciaire. Or, au stade de l’enquête, dans les pays de la common law, c'est à la police et aux autorités chargées des poursuites pénales que revient le soin de procéder à l'enquête criminelle et d'engager les poursuites.

bilatéraux, signés entre deux Etats, la question se pose moins. Mais les obstacles classiques en droit international ressurgissent souvent lors de la construction du traité, ou de son exécution. Clause de sauvegarde, jeu des immunités… Mais celui qu’il convient d’étudier ici concerne la réciprocité, c’est-à-dire accepter de coopérer à la condition que l’autre Etat fasse la même chose. En principe, cette idée ne s’applique pas dans le cadre de l’Union européenne, en raison des normes communes que les Etats membres partagent. Au niveau de l’incrimination, la question se pose aussi. Les Etats refusent parfois de prêter leur concours à la répression mise en œuvre par un autre Etat, à la seule condition que, selon leur droit national, le comportement soit également constitutif d’une infraction pénale. Par exemple, en mars dernier, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 26 septembre 2016 par le tribunal de grande instance de Paris refusant la demande du Sénégal de confiscation de deux biens immobiliers dans le 16e arrondissement de Paris et d’un compte bancaire appartenant à l’ancien ministre sénégalais Karim Wade et de l’homme d’affaires Ibrahim Aboukhalil, en raison de l’absence d’équivalent en droit français de l’infraction d’enrichissement illicite475.

La législation française résiduelle. En France, en l'absence de convention

internationale en stipulant autrement476, les articles 694-11 à 694-13 du Code de procédure pénale sont applicables aux demandes d'entraide émanant des autorités étrangères compétentes, tendant à la saisie, en vue de leur confiscation ultérieure, des biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, ayant servi ou qui étaient destinés à commettre l'infraction ou qui paraissent être le produit direct ou indirect de l'infraction ainsi que de tout bien dont la valeur correspond au produit de cette infraction.477 Il est bien prévu qu’une demande de confiscation sera rejetée si elle est affectée par différents obstacles tenant soit aux faits à l’origine de la demande, aux biens pour lesquels la confiscation est recherchée, à la décision étrangère formulant la demande ou à des décisions antérieures prises en France478. Et en cas de refus d'autoriser l'exécution de la décision de confiscation prononcée par la juridiction étrangère, les conséquences sont lourdes, puisque le refus emporte de plein droit, aux frais du Trésor, la mainlevée des saisies ordonnées. Il en est de même lorsque les poursuites engagées à l'étranger ont

475

J. TILOUINE, « Affaire Wade  : la justice française déboute l’Etat du Sénégal », Le Monde, Paris, 2018 (article du 14 mars 2018).

476

O. BEAUVALLET, « Synthèse - Entraide pénale internationale », (2018) JurisClasseur Procédure pénale-100 Lexis Nexis 360, par. 29.

477 CPP, art. 694-10. 478

pris fin479. Malgré le fait que cela n’encourage pas les saisies pour une confiscation demandée par une autorité judiciaire étrangère, ces motifs de refus sont toutefois justifiés au regard des exigences procédurales.

Particularité canadienne en matière de confiscation. En règle générale,

concernant une demande d’entraide judiciaire, la double criminalité n’est pas exigée lorsqu’un État sollicite l’entraide du Canada, à moins que le traité conclu avec l’État requérant ne le stipule. Toutefois, il faut souligner qu’en ce qui concerne les demandes d’exécution d’ordonnances de saisie et de confiscation, le droit canadien exige toujours la double criminalité480.

§3-Lacunes du droit de la Grande Europe.

Exemples en matière de reconnaissance des condamnations. Deux

conventions, du Conseil de l’Europe, ont représenté les lacunes du droit pénal international. D’abord, la convention du 30 novembre 1964481 avait souhaité instaurer un système de reconnaissance des condamnations. Même si les Etats aboutissent à un texte, ils invoquaient finalement la souveraineté, pour refuser de l’intégrer à leur corpus juridique. De très nombreuses réserves avaient été émises. La convention du 28 mai 1970 sur la valeur internationale des jugements répressifs482, malgré son titre prometteur, n’a même pas été signée par la France. Parmi les seules vingt-trois ratifications, à l’heure actuelle, la Belgique, qui ne l’a ratifiée qu’en 2010, a le mérite d’être l’un des seuls Etats membres à avoir intégré dans son ordre juridique la définition technique de la reconnaissance mutuelle des décisions pénales.

En réalité, ces conventions ne sont jamais appliquées483.

§4-L’idée d’un modèle commun : avantages et inconvénients. Une harmonisation, voire

une unification est envisagée et souhaitée, concernant la confiscation, malgré le caractère

479 CPP, art. 694-13. 480

CANADA et MINISTERE DE LA JUSTICE, Demandes d’entraide judiciaire auprès du Canada - guide pratique, 2013, en ligne : <https://central.bac-lac.gc.ca/.item?id=J2-388-2013- fra&op=pdf&app=Library> (consulté le 7 juillet 2018).

481 CONSEIL DE L’EUROPE, Convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition, (1964) Série des traités européens - n° 51.

482 CONSEIL DE L’EUROPE, Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs, (1970) Série des traités européens - n° 70, La Haye.

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G. TAUPIAC-NOUVEL, Droit pénal européen, cours de master 2, Toulouse, France, septembre 2018.

particulièrement national du droit pénal484. Est-elle possible entre des pays éloignés culturellement et géographiquement, en droit de la peine ? Quels sont les avantages et les inconvénients de l’idée d’un modèle commun ?

L’exemple du blanchiment d’argent. Les efforts déployés par le GAFI ont aussi

conduit à des accords bilatéraux d’entraide entre États membres et non membres aux fins du gel et de la confiscation de profits tirés du trafic de stupéfiants. Le GAFI favorise aussi l’échange de renseignements sur le blanchiment d’argent. Ses activités s’accordent avec l’idée qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent partout dans le monde, étant donné que les trafiquants continueront de rechercher le maillon le plus faible des systèmes financiers. Toutefois, ces groupes font preuve d’une grande capacité d’adaptation qui leur permet de continuer à mener leurs activités. Pour ce qui est de la lutte contre le blanchiment d’argent, de fortes indications provenant de plusieurs pays tendent à démontrer que, malgré de nombreuses condamnations récentes aux États-Unis, une infime proportion seulement des déclarations de transactions monétaires importantes ou suspectes mènent à des enquêtes485. De plus, il existe de nombreux obstacles à la coopération sur le plan international.

En réalité, cet argument milite en faveur d’un rapprochement des législations. Les organisations criminelles recherchent souvent activement les pays où les peines sont les plus douces, mais surtout, où la procédure pénale protège par exemple le secret des affaires et leur permet d’éviter toute poursuite pénale.

Différences liées à la culture juridique. L’idée d’une harmonisation semble

souhaitable. C’est sa mise en œuvre qui pose de nombreuses difficultés à l’heure actuelle. L’enjeu du vocabulaire, pointé du doigt par certains auteurs486, n’est qu’un exemple, ou plutôt qu’un effet des différences culturelles des différentes traditions juridiques existantes487. Le Canada, pays de common law et de droit civil, a su se construire malgré

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Avant-propos, NATIONS UNIES, Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et protocoles s’y rapportant, (2000) OFFICE DES NATIONS UNIES CONTRE LA DROGUE ET LE CRIME, Palerme, p. iv.

485 CANADA, MINISTERE DE LA JUSTICE et Thomas GABOR, Évaluation de l’efficacité des stratégies de lutte contre le crime organisé  : analyse documentaire, DIVISION DE LA RECHERCHE ET DE LA STATISTIQUE, Canada, 2003, p. 69.

486 R. CHARNOCK et T. LEBARBE, Langue du droit: mots, documents et raisonnements, Grenoble, Ellug, Université Stendhal, 2008.

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Le Canada est un pays « bijuridique » et les deux langues – le français et l’anglais, sont l’une des composantes de ce bijuridisme. Les efforts considérables faits en la matière ont permis aux magistrats la création d'un véritable bilinguisme. Voir : http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc- csj/harmonization/hlf-hfl/f1-b1/bf1g.html (consulté le 17 mars 2018).

ces difficultés de langages et de traditions juridiques. L’harmonisation oblige en effet à préciser les concepts, et conduit parfois aussi à des compromis, en fonction des enjeux institutionnels et politiques. Le rôle des juges y est pour beaucoup. Au Québec, les juges formés dans la tradition de common law qui possèdent les qualités requises pour entendre des affaires relevant du droit civil a suscité la controverse. Certaines personnes ont même proposé la création d'une cour suprême particulière pour le Québec ou d'une section de droit civil au sein de la Cour suprême actuelle. Cette idée a été abandonnée. Se dessine en fait une certaine convergence entre les traditions de droit civil et de common law au Canada. L'honorable juge Michel Bastarache, de la Cour suprême du Canada, explique que cette harmonisation en développement, ce bijuridisme canadien est une force, lorsqu’il est intégré dans un ensemble cohérent. Il explique que :

« Même s'ils ont des origines communes, les deux systèmes se sont sans cesse éloignés l'un de l'autre depuis le début. Ce phénomène peut s'expliquer par des contacts fréquents avec d'autres systèmes juridiques, l'augmentation du nombre de sources de droit international, la mobilité des personnes, l'influence des médias, la production de travaux de référence au pays et le recours de plus en plus fréquent à la législation, même dans les provinces de common law, afin que le droit s'adapte rapidement aux changements sociaux […].

Il ne fait aucun doute que, comme nos systèmes juridiques continueront de s'épanouir en fonction des changements et des besoins de la société, il sera toujours nécessaire de les harmoniser en un ensemble cohérent. Nous devons tous reconnaître le caractère unique du bijuridisme du Canada. Ce bijuridisme fait partie intégrante de notre héritage juridique et de notre identité et constitue réellement un aspect important de la grandeur de notre pays. »488

Cette remarque est pertinente, décrivant bien que, malgré les différences de cultures juridiques, il est possible de créer un ensemble cohérent qui s’améliore au fil des années, avec la pratique. En matière de confiscation, les nombreux instruments internationaux ont modernisé la peine de confiscation, l’intégrant aux législations internes de la majorité des pays souhaitant lutter efficacement contre le crime.

Face au développement de confiscations pénales toujours plus efficaces, n’existe- t-il pas un risque d’éloignement de la peine au regard des objectifs classiques prévus par la législation ? L’étude de la mise en œuvre de la peine de confiscation démontre qu’il arrive qu’elle déroge aux principes classiques du droit de la peine. Cela semble être lié à

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M. BASTARACHE, Le bijuridisme au Canada, Ministère de la Justice, déjeuner-causerie sur le bijuridisme et le pouvoir judiciaire, Ottawa, 4 février 2000, p. 1, en ligne : <http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/harmonization/hlf-hfl/f1-b1/bf1g.html>.

la recherche d’une peine dissuasive, qui coûterait le moins cher à l’Etat. Et, comme vu précédemment en introduction, cette peine moderne de confiscation n’exige pas du juge la prise en compte, au stade du prononcé de la peine, des mêmes intérêts ou objectifs que pour l’amende, ou la peine d’emprisonnement, ce qui semble faciliter sa mise en œuvre. Toutefois, il arrive que la pratique prouve le contraire. La confiscation n’est peut-être pas si efficace, économiquement intéressante ou facile à mettre en œuvre.

Chapitre 2 : la conformité de la confiscation pénale aux

objectifs classiques et modernes en matière de droit de la peine.

Description. Le juge qui prononce la peine de confiscation doit se référer au droit

classique de la peine, afin de savoir quels objectifs sont à respecter. Toutefois, en raison de la nature particulière de certaines dispositions en matière de confiscation, qui semblent viser davantage un bien en lien avec l’infraction que l’auteur de celle-ci, le juge peut voir son travail modifié (Section 1ère). En fait, cela est notamment lié aux objectifs modernes imposés par les gouvernements aux acteurs judiciaires, dans un souci de performance à moindre coût (Section 2).