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Les tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle : une piste de solution pour l’amélioration de l’accès à la justice des victimes

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Academic year: 2021

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Les tribunaux spécialisés en matière de violence

sexuelle : une piste de solution pour l’amélioration de

l’accès à la justice des victimes

Mémoire

Maude Cloutier

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

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Les tribunaux spécialisés en matière de violence

sexuelle : une piste de solution pour l’amélioration de

l’accès à la justice des victimes

Mémoire

Maude Cloutier

Sous la direction de :

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Résumé

Le système de justice criminelle québécois, malgré toutes les réformes dont il a fait l’objet, continue d’être la cible de nombreuses critiques de la part des victimes d’agression sexuelle en termes d’accès à la justice. L’attrition, l’influence des mythes et stéréotypes et la victimisation secondaire sont autant d’obstacles rencontrés par les victimes qui souhaitent accéder aux tribunaux et y obtenir justice. Une analyse de droit comparé avec l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande, où des critiques similaires sont formulées, montre que ces problèmes d’accès à la justice sont communs dans les systèmes de droit criminel de type accusatoire. Les similitudes dans les règles substantives, procédurales et de preuve de ces trois systèmes rendent pertinente la recherche de solutions de justice pour les victimes québécoises au sein de ces systèmes étrangers. En Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande, des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle ont été mis en place afin de s’attaquer au « déficit de justice » des victimes. Une analyse des composantes essentielles de chacun des modèles et des résultats des évaluations dont ils ont fait l’objet permet de conclure qu’ils ont eu des répercussions importantes dans leur juridiction respective : augmentation des taux de condamnation, amélioration de la qualité des témoignages, diminution des délais, de la victimisation secondaire et de l’impact des mythes et stéréotypes, amélioration de la connaissance des juges sur les réalités des victimes, etc. Ils représentent donc une initiative prometteuse pour l’amélioration de l’accès à la justice des victimes québécoises d’agression sexuelle. Ces évaluations mettent toutefois en lumière les écueils des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle qui sont susceptibles de compromettre ce potentiel et que les acteurs du système devront considérer avant de décider de procéder à leur implantation et de choisir le modèle à adopter.

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Abstract

Despite all the reforms it has undergone, Quebec’s criminal justice continues to be the subject of much criticism from victims of sexual assault in terms of access to justice. Attrition, influence of myths and stereotypes and secondary victimization are significant obstacles faced by victims seeking to access courts and obtain justice. A comparative law analysis with South Africa and New Zealand, subject of similar critiques, shows that these issues of access to justice are common in adversarial-type criminal law systems. Because of the similarities in the substantive, procedural and evidentiary rules of these three systems, the search for justice solutions for Quebecers victims within these foreign systems is relevant. In South Africa and New Zealand, specialized sexual violence courts have been set up to address the "justice deficit" of victims. An analysis of the essential components of each of the models and of the results of the evaluations to which they were subjected leads to the conclusion that they have had a positive impact in their respective jurisdiction: increase in conviction rates, improvement in the quality of testimony, reduction of delays, secondary victimization and the impact of myths and stereotypes, improvement of judges' knowledge of the reality of victims, etc. They therefore represent a promising initiative to improve access to justice for Quebecers victims of sexual assault. These evaluations highlight the pitfalls of specialized sexual violence courts that may compromise this potential and that must be considered before the implementation of such courts.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures, tableaux, illustrations ... vi

Liste des figures ... vi

Liste des tableaux... vii

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... viii

Liste des sigles ... viii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Partie 1 : L’accès à la justice dans les systèmes accusatoires : une comparaison entre le Canada, l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande ... 14

1.1 Des systèmes de justice criminelle aux caractéristiques communes ... 14

1.1.1. Une tradition de common law caractérisée par le respect des droits de l’accusé ... 14

1.1.2 Des infractions sexuelles neutres caractérisées par l’absence de consentement... 19

1.1.3 Des règles de preuve et des mesures de protection des victimes similaires ... 33

1.1.4 Une organisation judiciaire et des procédures criminelles caractéristiques ... 48

1.2 Des critiques communes concernant la réponse offerte par les systèmes de justice criminelle à la violence sexuelle ... 74

1.2.1 La difficulté d’obtenir une condamnation ... 75

1.2.2 L’influence des mythes et stéréotypes sur les processus décisionnels ... 87

1.2.3 Le processus de justice criminelle : source de victimisation secondaire ... 99

Partie 2 : Les tribunaux spécialisés comme moyen de favoriser l’accès à la justice des victimes québécoises d’agressions sexuelles ... 109

2.1 Différents modèles de tribunaux spécialisés en réponse aux critiques formulées ... 109

2.1.1 Une cour entière et autonome en Afrique du Sud ... 109

2.1.2 Des listes de gestion spécialisées misant sur une gestion proactive des dossiers en Nouvelle-Zélande ... 125

2.2 Le potentiel des tribunaux spécialisés dans l’amélioration de l’accès à la justice des victimes québécoises ... 135

2.2.1 Une réponse à l’ensemble des critiques émises à l’encontre du système de justice criminelle québécois ... 135

(6)

2.2.3 Des contraintes constitutionnelles limitant les perspectives d’implantation ... 149

Conclusion ... 157

Table de la législation ... 160

Table des jugements... 163

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Liste des figures, tableaux, illustrations

Liste des figures

(8)

Liste des tableaux

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

Liste des sigles

C.cr. Code criminel

CCDL Charte canadienne des droits et libertés CPA2011 Criminal Procedure Act 2011

CPA 51 of 1977 Criminal Procedure Act 51 of 1977

CPR2012 Criminal Procedure Rules 2012

CPR2013 Crown Prosecution Regulations 2013 DCA2016 District Court Act 2016

LC1867 Loi constitutionnelle de 1867

LTJ Loi sur les tribunaux judiciaires

MATTSO Ministerial Advisory Task Team on the Adjudication of Sexual Offences Matters

NPA National Prosecuting Authority

SAPS South African Police Service

SCA2016 Senior Courts Act 2016

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Remerciements

Pour mener à terme ce projet de mémoire de maîtrise, j’ai été accompagnée par une juriste chevronnée et pertinente, qui est également une humaine généreuse, disponible et à l’écoute. Mes premiers remerciements vont donc à ma formidable directrice de maîtrise qui m’a fourni l’accompagnement et le support nécessaire, tout en sachant me laisser la liberté dont j’avais besoin. Je la remercie pour le temps qu’elle m’a accordé, pour ses conseils avisés et sa supervision éclairée. Je tiens également à lui témoigner toute ma gratitude pour les nombreuses opportunités qu’elle a mises sur mon chemin pendant mon parcours universitaire et pour sa confiance constamment renouvelée.

Je remercie également le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le Fonds de Recherche du Québec - Société et culture, la Faculté de droit de l’Université Laval et le fonds de la Bourse Élizabeth Corte pour leur soutien financier, une aide inestimable.

Je dois également exprimer mes plus sincères remerciements à certains collègues juristes pour leur conseil et leur écoute. Je remercie l’honorable juge Lorne Giroux, mon maître de stage, pour nos échanges éclairants en tout début de processus. Je remercie également mes amis et anciens collègues de la Cour d’appel, particulièrement Me Maël Tardif et Me Olivier T. Raymond, pour leurs réponses toujours à point à mes questions pratiques. Je remercie aussi mes grands amis Charles Breton-Desmeules et Guillaume Renauld qui parcouraient le même chemin que moi et avec qui j’ai partagé mes difficultés comme mes succès.

La rédaction d’un mémoire de maîtrise est une entreprise qui occupe non seulement celle qui le rédige, mais également tous ses proches. Je prends donc un peu du temps qui nous a manqué pour leur témoigner toute ma reconnaissance. Merci à mes quatre parents Hélène, Marc, Danielle et Yves pour leur aide constante, leur écoute bienveillante, leurs encouragements intarissables et leur fierté rassurante. Merci à Camille, Joseph, Anatole et Charlotte, source inépuisable de divertissement, d’amitié et d’amour. Merci enfin « aux filles », d’avoir compris que mon bébé à moi, c’était mon mémoire.

Mes derniers remerciements vont à mon tendre époux, Rodolphe, qui a accepté avec douceur et compréhension la charge mentale, les soupers qui s’écourtent et les fins de semaine qui s’envolent. Merci d’avoir su me procurer un environnement stable et sain. Merci d’avoir écouté mes frustrations avec une telle patience et célébré mes réussites avec une telle passion.

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Introduction

En 1983, le droit criminel canadien concernant les crimes sexuels connaissait une réforme importante1, fortement inspirée par le mouvement féministe qui avait mis en lumière le caractère sexiste des infractions de viol et d’attentat à la pudeur2. En effet, avant cette réforme, l’infraction de viol visait à protéger la capacité reproductive de la femme plutôt que son intégrité physique. On conceptualisait cette infraction comme une offense envers le père ou le mari plutôt qu’envers la victime elle-même. Par ailleurs, on définissait le viol par la pénétration, c’est-à-dire par le prisme de la « sexualité masculine ». De plus, par l’exception maritale, la loi excluait la responsabilité pénale du mari pour son comportement sexuel envers sa femme, consacrant un droit général d’accès au corps de la femme. Quant au crime d’attentat à la pudeur, il était puni moins sévèrement lorsqu’il était perpétré contre une femme que contre un homme3. Or, en remplaçant ces infractions par celle d’agression sexuelle et en abrogeant l’exception maritale, la réforme venait consacrer un nouveau paradigme selon lequel les infractions sexuelles sont une atteinte à l’intégrité physique, plutôt qu’une atteinte aux mœurs et aux valeurs traditionnelles conservatrices4.

Complétée par une intervention législative en 19925, cette réforme abrogeait également plusieurs règles de preuve issues de la common law et dénoncées par les féministes, parce que fondées sur des préjugés sexistes qui entretenaient la méfiance à l’égard des femmes et surtout à l’égard de celles sexuellement actives. La réforme supprimait donc l’exigence de la plainte spontanée et l’exigence de corroboration et limitait la preuve du passé sexuel de la plaignante6. Cette réforme et les développements qui l’ont suivie « s’inscrivai[ent] dans la mouvance d’une certaine reconnaissance des droits des victimes devant les instances criminelles, particulièrement de leur droit à l’égalité et à la vie privée »7.

Si cette réforme témoigne de l’influence des mouvements féministes dans le processus légal, les participantes n’ont pas manqué d’en souligner les limites. En effet, malgré ces interventions législatives, les chercheures

1 Loi modifiant le Code criminel en matière d’infractions sexuelles et d’autres infractions contre la personne et apportant les

modifications corrélatives à d’autres lois, S.C. 1980-81-82-83, c. 125, entrée en vigueur le 4 janvier 1983.

2 Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, Yvon Blais,

2017, p. 6, 7 et 10 à 15; Kwong-Leung Tang, « Rape Law Reform in Canada: The Success and Limits of Legislation », (1998) 42(3) International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology 258.

3 J. Desrosiers et G. Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, préc., note 2, p. 6, 7 et 10 à 15; K.-L. Tang,

préc., note 2.

4 J. Desrosiers et G. Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, préc., note 2, p. 28-32; Commission de

réforme du droit du Canada, Rapport sur les infractions sexuelles, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1978.

5 Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), LC. 1992, c. 38.

6 J. Desrosiers et G. Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, préc., note 2, p. 15-28, 30 et 31; Beverly

McLachlin, « Crime and Women. Feminine Equality and the Criminal Law », (1991) 25 University of British Columbia Law

Review 1, aux pp. 20-22.

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féministes ont continué à relever l’insatisfaction des victimes8 d’agressions sexuelles confrontées au système de justice criminelle : ces infractions étaient toujours sous-rapportées et peu poursuivies, des biais continuaient de teinter la notion de consentement, la portée des dispositions visant à protéger les droits des victimes (« rape shield law ») était restreinte par les tribunaux, etc9. Depuis, les chercheures ont documenté les difficultés vécues par les victimes à l’occasion de leurs interactions avec le système de justice criminelle et ont révélé un véritable problème d’accès à la justice fondé principalement sur ce qu’on peut résumer comme une question d’« attitude »10.

Les difficultés d’accès à la justice identifiées par les chercheures féministes qui se sont penchées sur le traitement des crimes sexuels par le système de droit canadien sont multiples. Selon leurs recherches, les victimes peinent d’abord à accéder aux tribunaux. Plusieurs ne dénonceront pas l’agression subie notamment en raison de la victimisation secondaire qu’elles craignent de subir aux différentes étapes du processus, de l’anticipation de l’expérience difficile que représentera leur participation au procès et d’une perception d’un faible taux de condamnation de ces crimes11. Même lorsque les victimes dénoncent leur agresseur, un nombre important de dossiers ne font jamais l’objet d’un procès12. Par ailleurs, lorsque les victimes accèdent aux

8 Dans le présent texte, les termes « victime » et « plaignante » seront employés. Le terme « plaignante » servira

généralement lorsqu’il est question de discussions plus techniques sur le système de justice criminelle, car c’est l’expression en vigueur dans le milieu et consacrée dans le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46. Par contre, le terme « victime » sera généralement préféré pour parler de la réalité des femmes victimes d’agression sexuelle, puisque le terme « plaignante » implique une mise en doute de la parole des victimes : elles ne seront victimes que lorsque le système les aura déclarées comme telles. En reconnaissance de l’effet « revictimisant » que peut avoir ce terme, nous privilégierons le terme « victime ». Par ailleurs, ces termes seront accordés au féminin, afin de mettre en lumière le caractère genré de la violence sexuelle. Soulignons enfin que l’utilisation du terme « victime », commun dans les analyses portant sur le système de justice criminelle, ne vise pas à nier l’expérience et la réalité des « survivantes ».

9 Holly Johnson, « Limits of a Criminal Justice Response: Trends in Police and Court Processing of Sexual Assault », dans

Elizabeth A. Sheehy (dir.), Sexual Assault in Canada: Law, Legal Practice and Women’s Activism, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2012, p. 614; K.-L. Tang, préc., note 2; Julian V. Roberts et Renate M. Mohr, Confronting Sexual

Assault: A Decade of Legal and Social Change, Toronto, University of Toronto Press, 1994; Don Stuart, « Sexual Assault:

Substantive Issues Before and After Bill C-49 », (1992-1993) 35(2) Criminal Law Quarterly 241; Liat Levanon, « Sexual History Evidence in Cases of Sexual Assault: A Critical Re-Evaluation », (2012) 62 Univ of Toronto LJ 609; Martha Shaffer, « The Impact of the Charter on the Law of Sexual Assault: Plus Ça Change, Plus C'est La Même Chose », (2012), 57 SCLR (2d) 337; Julian V. Roberts et Robert J. Gebotys, (1992) « Reforming rape laws: Effects of legislative change in Canada ». (1992) 16 Law Hum Behav 555.

10 Expression inspirée de Jennifer Temkin et Barbaré Krahé, Sexual Assault and the Justice Gap : A Question of Attitude,

Portland et Oxford, Hart Publishing, 2008, également utilisée par H. Johnson, préc., note 9.

11 Selon Statistiques Canada, seulement 5% des agressions sexuelles ont été dénoncées au Canada en 2014 et

uniquement 12% des agressions sexuelles déclarées à la police se sont soldées par une condamnation entre 2009 et 2014. Voir Centre canadien de la statistique juridique, « Les agressions sexuelles autodéclarées au Canada, 2014 », Juristat, 2017, p. 18 et Centre canadien de la statistique juridique, « De l’arrestation à la déclaration de culpabilité : décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014 », Juristat, 2017, p. 3.

12 « Dans l’ensemble, moins de la moitié (41 %) des affaires d’agression sexuelle déclarées par la police ont mené au dépôt

d’une accusation, comparativement à la moitié (50 %) des affaires de voies de fait », voir Centre canadien de la statistique juridique, « Les agressions sexuelles déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014 : un profil statistique », Juristat, 2017, p. 3. Voir également Centre canadien de la statistique juridique, « De l’arrestation à la déclaration de culpabilité : décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014 », préc.,

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tribunaux, elles peinent à obtenir justice : pour plusieurs leur passage devant le juge se révèlera si traumatisant qu’elles n’obtiendront jamais le sentiment de justice recherché, d’autres ne verront jamais leur agresseur condamné13.

Pour répondre à ces critiques, plusieurs initiatives ont vu le jour à l’intérieur du système: unités spécialisées dans les services policiers et les services de poursuite, comités de révision des plaintes jugées non fondées, collaboration avec les services aux victimes, mesures facilitant le passage des victimes à la cour, etc. Pourtant, comme en témoignent les divers mouvements de dénonciation publique des dernières années, le système de justice criminelle semble toujours en décalage avec la réalité des violences sexuelles et les besoins de victimes14. Dans ce contexte, l’implantation de tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle a été envisagée par des acteurs politiques québécois comme solution pour répondre aux ratés du système à l’égard des victimes d’agression sexuelle15. Le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale annonçait même récemment qu’il recommanderait l’implantation de tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle16. Or, aucune étude québécoise ne s’est intéressée à initiative. C’est ce besoin que vient combler le présent projet de recherche.

Devant les limites des réformes et des initiatives canadiennes et constatant l’inadéquation persistante du système de justice criminelle avec la réalité des violences sexuelles, nous proposons de nous intéresser à une des initiatives mises en place à l’étranger : les tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle. S’inscrivant dans la lignée des travaux féministes sur l’incapacité du système de justice criminelle à appréhender correctement le crime d’agression sexuelle et le déficit de justice17 qui en résulte pour les victimes, ce projet de recherche propose d’évaluer cette solution à travers le cadre théorique de l’accès à la justice. Par une analyse

note 11, p. 3 : « Au cours de la période de six ans allant de 2009 à 2014, […] moins de la moitié (43 %) des affaires d’agression sexuelle ont donné lieu à une mise en accusation [et] la moitié (49 %) des affaires ayant donné lieu à une mise en accusation ont été portées devant les tribunaux ».

13 « Au cours de la période de six ans allant de 2009 à 2014, […]un peu plus de la moitié (55 %) des affaires portées devant

les tribunaux ont mené à une déclaration de culpabilité », voir également Centre canadien de la statistique juridique, « De l’arrestation à la déclaration de culpabilité : décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014 », préc., note 11, p. 3.

14 Voir notamment Johanne Lapierre, « Dénoncer des agressions sur les médias sociaux, ce mouvement qui persiste »,

Radio Canada, 27 octobre 2016, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/811069/mouvement-denonciation-agressions-web-reseaux-sociaux; Jessica Nadeau, « #MeToo, cet éveil collectif », Le Devoir, 6 octobre 2018, en ligne :

https://www.ledevoir.com/societe/538511/une-vague-qui-a-fait-chanceler-l-impunite-et-la-culture-du-viol.

15 Hugo Pilon-Larose, « Le PQ veut créer un tribunal pour les violences sexuelles et conjugales », 9 mars 2018, en ligne :

< https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201803/09/01-5156674-le-pq-veut-creer-un-tribunal-pour-les-violences-sexuelles-et-conjugales.php>; La Presse canadienne, « Agressions sexuelles : Québec solidaire ne dit pas non à un tribunal spécialisé », 6 janvier 2019, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1145251/tribunal-specialise-agressions-sexuelles-quebec-solidaire>.

16 Jocelyne Richer, « Victimes d’agressions sexuelles: vers la création d’un tribunal spécialisé », 19 octobre 2020, en ligne :

https://lactualite.com/actualites/victimes-dagressions-sexuelles-vers-la-creation-dun-tribunal-specialise/.

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détaillée et comparative des modèles de tribunaux spécialisés de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande, nous documenterons l’apport potentiel de ces tribunaux dans l’amélioration de la justice pour les victimes québécoises d’agression sexuelle.

L’accès à la justice est un cadre théorique18 particulièrement pertinent pour expliquer les difficultés rencontrées par les victimes d’agressions sexuelles dans leur parcours vers et à l’intérieur du système de justice criminelle et pour évaluer le potentiel d’une initiative comme les tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle pour y remédier : « An access to justice focus emphasizes the need to carefully consider the law and its impact, particularly on the disadvantaged. It requires attentiveness to the consequences produced by law with respect to various understandings of the public good »19. Une analyse du traitement offert aux victimes par le système de justice criminelle fondée sur le cadre théorique de l’accès à la justice permet de situer les difficultés des victimes à deux niveaux, conformément aux deux enjeux majeurs et complémentaires de l’accès à la justice : l’accès aux tribunaux, d’une part, et la production d’un résultat juste, d’autre part20.

L’enjeu de l’accès aux tribunaux est souvent conceptualisé en termes de barrières dressées entre la justice et le justiciable : barrières physiques, objectives, subjectives, sociales et psychologiques21. Un meilleur accès à la

18 L’accès à la justice est un cadre théorique, voir Roderick A. MacDonald, « Accessibilité pour qui? Selon quelles

conceptions de la justice? », (1992) 33 C. de D. 457, à la p. 461. Sur l’utilisation de l’accès à la justice comme perspective, voir Roderick A. MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », dans Julia Bass, William A. Bogart, Frederick H. Zemans (dir.), Access to Justice for a new Century : The Way Forward, Toronto, The Law Society of Upper Canada, 2005, p. 107 : « The operative assumption [of this paper] has been that there is something important to be learned by examining many aspects of the legal system through the lens of access to justice. […] Like all perspectives, it offers a way of examining an issue, of articulating and valuing certain goals and processes, and of ordering a range of possible responses. That said, of course, I do happen to believe that the images brought into focus by the “access to justice” lens – a lack of recognition and respect, disparities in social power, disengagement and disenchantment – are those to which all jurists, and indeed, all citizens, should be paying especial attention ».

19 William A. Bogart, Frederick Zemans et Julia Bass, « Introduction », dans Julia Bass, William A. Bogart, Frederick H.

Zemans (dir.), Access to Justice for a new Century : The Way Forward, Toronto, The Law Society of Upper Canada, 2005, à la p. 3.

20 Mauro Cappelletti et Bryant Garth, « Access to Justice as a Focus for Research », (1981) 1 Windsor Yearbook of Access

to Justice ix, à la p. xiv : « […] the access-to-justice movement, as we have suggested, contains several potentially disparate

elements. There is a string concern on the one hand with “access” for those who cannot avail themselves lawyers, courts and court-like machinery. […] On the other hand, we may choose to focus more on the justice that results from improved access ». Voir également, Mauro Cappelletti et Bryant Garth, Access to justice, t. 1, vol. 1, Alphen-sur-le-Rhin, Sijthoff & Noordhoff, 1978, p. 6 : le système doit être également accessible à tous et doit mener à des résultats justes; Marc Galanter, « Access to Justice as a Moving Frontier », dans Julia Bass, William A. Bogart, Frederick H. Zemans (dir.), Access to

Justice for a new Century : The Way Forward, Toronto, The Law Society of Upper Canada, 2005, p. 153; R. A. MacDonald,

« Accessibilité pour qui? Selon quelles conceptions de la justice? », préc., note 18; Patricia Hughes et Mary-Jane Mossman,

Repenser l’accès à la justice pénale au Canada. Un examen critique des besoins, des réponses et des initiatives de justice réparatrice, Division de la recherche et de la statistique, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, mars 2001, p. v, 1 et

2.

21 R. A. MacDonald, « Accessibilité pour qui? Selon quelles conceptions de la justice? », préc., note 18, à la p. 461; R. A.

MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », préc., note 18, p. 26-31; M. Galanter, préc., note 20, p. 153; Mauro Cappelletti et Bryant Garth, « Access to Justice as a Focus for Research », préc., note 20, à la p. xiv; Roderick A. MacDonald, « Access to Justice and Law Reform », (1990) 10 Windsor Yearbook of Access to Justice 287, aux pp. 299 à 302; Patricia Hughes, « Law Commissions and Access to Justice : What Justice Should we be Talking

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justice requiert l’élimination de ces barrières. Le concept de barrières subjectives est particulièrement utile pour étudier la réalité des victimes d’agressions sexuelles : « Social systems and institutions in democracies are meant to meet the needs of the majority. In Canada, these majority users historically have been white, male, middle-aged, middle-and-upper-class, English- or French-speaking, citizens. Every step away from that socio-demographic profile is a step away from access »22. Les barrières psychologiques constituent également un élément d’analyse utile pour rendre compte notamment des enjeux entourant la dénonciation ou la participation active de la victime au processus de justice criminelle :

Typically this occurs because of particular acts of violence committed against them : adults who were sexually or physically abused as children; spouses and partners who have been physically, sexually and emotionally abused; those who are shunned or ostracized by neighbourgs; those who have been harassed in the workplace. In each case the effect of violence is to diminish or to destroy a person’s capacity to take charge of his or her life. […] This dramatically increases social vulnerability which, in turn, increases lack of access.23

Ces deux types de barrières constitueraient les obstacles les plus importants à l’accès à la justice24. Par ailleurs, « en matière pénale, l’accès à la justice pose un enjeu particulier pour les victimes qui n’ont pas un accès direct au processus judiciaire »25. Les processus d’enquête et d’accusation pourront être considérés comme des barrières supplémentaires à l’intérieur de ce cadre d’analyse. Ainsi, pour évaluer le potentiel des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle dans l’amélioration de l’accès à la justice des victimes, l’analyse fondée sur le cadre théorique de l’accès à la justice devra donc d’abord s’intéresser à la mesure dans laquelle ils peuvent contribuer à l’élimination des barrières qui empêchent les victimes d’accéder aux tribunaux. Le deuxième enjeu majeur sur lequel se penchent les penseurs de l’accès à la justice est la pluralité des conceptions de la « justice » et la capacité des tribunaux traditionnels à produire, dans ce contexte, un résultat « juste ». L’auteur Roderick A. MacDonald présente ainsi les préoccupations liées à cet enjeu :

Many such groups actually do not want better access to the institutions of “white man’s justice” – notably lawyers and courts. They want their own legal advisers and their own dispute resolutions, so that they can better express their needs. Most obviously this concern is refleted in the re-vindications of Aboriginal peoples. But other groups have expressed similar views : youth, the elderly, persons with disabilities, cultural communities, the poor, and many groups representing

About? », (2008) 46 Osgoode Hall L.J. 773, aux pp. 778-780. Voir également M. Cappelletti et B. Garth, Access to justice, préc., note 20, p. 10, 21, 51 et 125, où les auteurs définissent l’approche de l’accès à la justice comme devant s’étendre au-delà de l’accès à la représentation qui avait caractérisé les décennies précédant leur ouvrage. L’approche de l’accès à la justice doit plutôt tenter de s’attaquer à toutes les « barrières à l’accès » d’une manière plus globale et articulée. En matière de crimes sexuels précisément voir H. Johnson, préc., note 9, aux pp. 622-626.

22 R. A. MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », préc., note 18, p. 28. 23 Id., p. 31.

24 R. A. MacDonald, « Accessibilité pour qui? Selon quelles conceptions de la justice? », préc., note 18, aux pp. 461 et 478;

R. A. MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », préc., note 18, p. 86.

25 Rachel Chagnon, « Les femmes et la justice au Canada : quelle justice? », (2016) 12 Nouveaux Cahiers du socialisme

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women. It is a significant challenge to the legal system that so many people do not “want in”, but rather want their own institutions and processes.26

Il ajoute : « Accepting that different segments of the Canadian population bring different conceptions of justice to the table, even if they still do broadly line up with the values reflected in documents like the Charter of Rights and Freedoms, is a first step to achieving a more substantively accessible system of justice that will generate greater confidence in and fidelity to law »27. Ces préoccupations sur la « justice » sont complémentaires à celles du premier enjeu et absolument essentielles puisqu’elles rappellent que l’élimination des barrières d’accès aux tribunaux ne suffit pas à garantir l’accès à la justice : « To date, the dominant image for thinking about access to justice has been that of “barriers” : justice exists somewhere – in legal representation, in the court-house – and that the goal is to identify and remove obstacles to accessing the institutions that are the guarantors of that justice »28. Selon les penseurs de l’accès à la justice, ce deuxième enjeu doit être compris en termes de « processus juste » : « [a] process that is efficient and expeditious, but […] leaves them with a sense of not having been treated fairly, is not a process that enhances access to justice »29, ainsi qu’en termes de « résultat juste » : « l’accessibilité à la justice devra s’évaluer plus en fait de résultats qu’en fonction de la beauté de la logique juridique et de la cohérence de ses structures »30.

Conformément à ce qui précède, le traitement inadapté des victimes et les faibles taux de condamnation représentent des difficultés liées à la justice qui est rendue par les tribunaux lorsqu’elles y accèdent : le processus est souvent traumatisant et le résultat insatisfaisant. C’est notamment l’écart qui existe entre cette « justice » et celle que les tribunaux ont à leur offrir qui les poussent à chercher des solutions en marge du système de justice criminelle31. Ainsi, pour améliorer l’accès à la justice des victimes, il faudra que les tribunaux

26 R. A. MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », préc., note 18, p. 87. L’autrice

Rachel Chagnon résume ainsi l’argument : « […] la justice des hommes n’est pas toujours celle des femmes », voir R. Chagnon, préc., note 25, à la p. 114.

27 R. A. MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », préc., note 18, p. 87. Voir dans

le même sens R. A. MacDonald, « Accessibilité pour qui? Selon quelles conceptions de la justice? », préc., note 18, aux pp. 479 et 480 : « Le Groupe de travail [sur l’accessibilité à la justice du Québec] a été frappé par la diversité des conceptions de la justice qui circulent parmi les différents groupes de la société québécoise. Après avoir entendu plusieurs groupes qui sont actuellement sous-représentés dans le système juridique, il s’est demandé si l’universalité du système de justice était suffisante pour garantir une justice accessible à tous. En effet, certains de ces groupes ne revendiquent pas une meilleure représentation par avocat en tant que telle. Plutôt que de vouloir engager pour parler en leur nom des professionnels qui ne sont pas issus de leur milieu, ils cherchent un façon plus adéquate de parler pour eux-mêmes par l’entremise d’un des leurs. […] Sensibiliser les juristes aux problèmes particuliers de ces groupes [notamment] des femmes […] répondre aux différentes conceptions du juste […] telles sont les clefs pour leur donner une plus grande confiance envers le droit et les institutions juridiques ».

28 R. A. MacDonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions », préc., note 18, p. 26 et 27. Selon

Roderick A. MacDonald, le concept de barrière ignore plusieurs enjeux importants, mais permet tout de même de fournir une vision d’ensemble du problème d’accès à la justice.

29 Id., p. 105.

30 R. A. MacDonald, « Accessibilité pour qui? Selon quelles conceptions de la justice? », préc., note 18, à la p. 479. 31 P. Hughes et M.-J. Mossman, préc., note 20, p. xii, xiii, 64, 75 et ss, 98 et 99.

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spécialisés en matière de crimes sexuels présentent des garanties permettant de conclure qu’ils parviendront à répondre de manière appropriée et équitable aux victimes d’agressions sexuelles tant dans leurs processus que dans la justice qu’ils rendent. À cet égard, les penseurs de l’accès à la justice nous apprennent que le caractère juste du résultat est intimement lié à la capacité du système à combler les besoins de ses participants, dont les victimes32, ainsi qu’à des considérations d’égalité33.

Ainsi, en plus du cadre théorique de l’accès à la justice, ce projet de recherche est mené dans une perspective féministe inspirée des théories féministes du droit. Cette approche théorique permet d’aborder le traitement des infractions sexuelles du point de vue de l’expérience de la victime, le plus souvent des femmes, dans le processus de justice criminelle. Ainsi, une étude de la réponse offerte par le système de justice criminelle aux victimes permettra de faire ressortir le problème d’adéquation entre ce système et la réalité de la violence sexuelle, en raison des besoins particuliers des victimes et des enjeux d’égalité qu’elles entraînent. Dans ce contexte, précisons d’emblée que la portée de ce projet de recherche se limite à l’apport potentiel de ces tribunaux spécialisés en matière d’accès à la justice pour les victimes adultes. Le déficit de justice des victimes enfants et le potentiel des tribunaux spécialisés pour l’éliminer ne seront donc pas abordés, puisqu’une telle recherche exigerait la prise en considération des réalités propres à ce type de victimes.

Les théories féministes du droit sont définies ainsi par l’autrice Marie-Claire Belleau :

De façon très sommaire, les théories féministes consistent en une critique du postulat de la neutralité sexuelle du système et du raisonnement juridique en même temps qu'elles servent des objectifs politiques activistes. Elles posent un regard et portent une action sexuée sur le droit et ses institutions en analysant leurs présupposés et leurs conséquences sur la réalité de ce que vivent les femmes.34

Elles sont fondées sur l’acquis fondamental selon lequel le statut des femmes se caractérise par leur position d’infériorité politique, sociale et économique par rapport à celle des hommes35. Elles partagent certains présupposés et certaines aspirations, sur lesquels s’appuie également le présent projet de recherche, et qui sont résumés ainsi par l’autrice Nancy Levit et l’auteur Robert R. M. Verchick :

First, feminists recognize that the world has been shaped by men, who for this reason possess larger shares of power and privilege. All feminist legal scholars emphasize the rather obvious (but

32 Id., p. 41 : « Par ailleurs, si nous sommes sérieux dans notre recherche de justice et non simplement d'un meilleur accès

à la justice, il peut être important de mettre à l'épreuve quelques-unes de ces affirmations à l'aide d'études empiriques sur

les « besoins ». ».

33 R. Chagnon, préc., note 25, à la p. 114 : l’accès à la justice implique aussi « l’accès à un système de justice neutre et

non sexiste ». Voir également Constance Backhouse, « What is Access to Justice? », dans Julia Bass, William A. Bogart, Frederick H. Zemans (dir.), Access to Justice for a new Century : The Way Forward, Toronto, The Law Society of Upper Canada, 2005; P. Hughes et M.-J. Mossman, préc., note 20, p. 28 et 29.

34 Marie-Claire Belleau, « Les théories féministes : droit et différence sexuelle », (2001) RTD Civ. 1, à la p. 1. 35 Id., à la p. 1 et 2.

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unspoken) point that nearly all public laws in the history of existing civilization were written by men. […] Second, all feminists believe that women and men should have political, social, and economic equality. But while feminists agree on the goal of equality, they disagree about its meaning and about how to achieve it.36

Les chercheures des théories féministes du droit considèrent qu’une analyse du fonctionnement des tribunaux permet de constater les effets persistants du patriarcat37, compris comme une « formation sociale où les hommes détiennent le pouvoir »38. Elles considèrent que les femmes sont traitées de manière inéquitable à l’intérieur du système canadien de justice criminelle, qui intègre une « vision stéréotypée des rapports hommes femmes ou [refuse] de tenir compte des impacts sociaux spécifiques que subissent les femmes »39. Ce serait d’ailleurs dans les affaires d’agressions sexuelles « que les effets persistants du patriarcat se font sentir et que la distorsion causée par les stéréotypes de sexe pose les plus gros problèmes d’accès à une réelle justice pour les femmes. […] Perçue à travers ce mythe de la victime idéale entretenu par le système judiciaire, la victime réelle peine à se faire entendre »40.

Comme les travaux des féministes contemporaines, ce projet de recherche résiste à la catégorisation dans l’un ou l’autre des courants des théories féministes, qui présentent tous certaines limites41. Nous empruntons plutôt aux différents courants des théories féministes et d’abord dans celui du féminisme de la différence :

Plutôt que d'universaliser les droits des hommes aux femmes, les féministes de la différence privilégient l'adaptation des institutions juridiques, conçues comme fondamentalement masculines, aux caractéristiques traditionnellement associées au genre féminin. […] Il s'agit alors de reformuler les bases des institutions juridiques non plus dans l'objectif de faire abstraction des différences et d'atteindre la neutralité par l'adéquation de la femme à l'homme, mais davantage en intégrant et en valorisant les qualités et les valeurs féminines. […] Cette prise de position favorise un modèle d'incorporation, c'est-à-dire une approche qui incorpore les traits traditionnellement associés aux femmes au modèle masculin dominant. Il s'agit de changer la norme dite « masculine » en modifiant les institutions pour accommoder les femmes.42

36 Nancy Levit et Robert R. M Verchick, Feminist Legal Theory : A primer, 2e éd., New York, New York University Press,

2006, p. 12.

37 R. Chagnon, préc., note 25, à la p. 116.

38 Helena Hirata, Françoise Laborie, Hélène Le Doaré et Danièle Senotier, Dictionnaire critique du féminisme, 2e éd.

Augmentée, Paris, PUF, 2000, p. 154.

39 R. Chagnon, préc., note 25, à la p. 116, citant B. McLachlin, préc., note 6, à la p. 22. 40 R. Chagnon, préc., note 25, à la p. 116 et 117.

41 M.-C. Belleau, préc., note 34, à la p. 24.

42 Id., à la p. 6. Voir également N. Levit et R. R. M. Verchick, préc., note 36, à la p. 16 : Cultural feminist argue that men

and women should not be treated the same where they are relevantly different and that women should not be required to assimilate to male norms. They urge instead a concept of legal equality in which laws accommodate the biological and cultural differences between men and women », et à la p. 17 : « Advocates of special treatment urged a model that focuses on differences between the sexes, whether rooted in culture or biology : differences in reproductive functions, caretaking responsibilities, and even emotions and perceptions, such as the way women perceive rape […] ».

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Ainsi, pour les féministes de la différence, le sexisme réside dans le traitement que le système juridique réserve aux femmes; ce système perpétue le sexisme. Pour y mettre fin, il importe que ce système reconnaisse les expériences et perspectives particulières des femmes43.

Ce courant justifie une certaine transformation du système en se fondant sur la réalité particulière des femmes victimes d’agressions sexuelles. Il permet effectivement de postuler que les victimes d’agressions sexuelles se retrouvent dans une position différente des autres victimes de crimes en raison de la nature même de ce crime et des conséquences qu’il entraîne pour les femmes. Dans ce contexte, le système juridique patriarcal est inadapté aux crimes genrés et à la réalité des femmes victimes et peine à leur rendre justice. Une analyse de l’accès à la justice pour les victimes d’agressions sexuelles fondée sur la perspective du féminisme de la différence implique de porter un regard sur la réponse qu’offre le système de justice criminelle aux femmes victimes et sur celle que pourraient leur offrir les tribunaux spécialisés en matière sexuelle, dans le but de rendre le traitement de ces affaires plus conformes à leurs besoins et à leur réalité.

Il est évident que cette perspective comporte des limites qui influenceront les conclusions de cette analyse. Le courant du féminisme de la différence a souvent été accusé de « rédui[re] les femmes à une catégorie, à partir de laquelle [il] généralis[e] non seulement l’expérience mais aussi l’histoire des femmes, sans tenir compte des vécus distincts. [Il tend] à généraliser les traits et les situations des « femmes » en se fondant sur la position de la femme hétérosexuelle, bourgeoise et blanche »44. La mobilisation d’études en sciences sociales documentant l’expérience et les besoins des femmes victimes d’agressions sexuelles dans le processus de justice criminelle nous permettra d’éviter d’adopter une position trop essentialisante ou stéréotypée et de fonder notre analyse sur leurs expériences et leurs besoins tels qu’elles les racontent. Par contre, les résultats de notre recherche pourraient omettre de rendre compte de certaines réalités propres à des catégories de femmes minoritaires, comme les femmes racisées, marginalisées ou défavorisées, et il faudra le considérer dans leur utilisation45. Notre projet de recherche s’inscrit également, dans une certaine mesure, dans le courant du féminisme radical, non pas en ce qui concerne les moyens d’action qu’il prône46, mais plutôt dans sa conception du sexisme. Les

43 N. Levit et R. R. M. Verchick, préc., note 36, p. 15. 44 M.-C. Belleau, préc., note 34, à la p. 7.

45 « […] le défaut de tenir compte de l'intersectionnalité entraîne une délimitation du champ d'investigation de recherche

sur une lutte identitaire qui rend compte des limites réelles de la recherche et de ses exclusions. Une telle recherche conduit à des conclusions liées à un groupe identitaire limité et renforce la discrimination par rapport à d'autres identités mais, surtout, rend invisible une partie de ses propres membres. D'un autre côté, les tentatives d'inclure les nombreuses dimensions de l'identité dans une seule enquête entraînent l'étude d'un objet très pointu dont les conclusions inclusives, truffées de détails et de faits complexes, résistent à la généralisation. », voir M.-C. Belleau, préc., note 34, à la p. 17.

46 Pour ces féministes, « seule une révolution permettrait aux femmes de s'affranchir de l'identité sexuelle imposée par le

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féministes radicales insistent sur la différence de pouvoir entre les hommes et les femmes47. Selon elles, le sexisme réside dans cet écart de pouvoir fondé sur l’exploitation sexuelle de la femme par l’homme :

[..] les féministes radicales proposent une nouvelle théorie totalisante de la société sexiste. Cette approche est fondée sur une structure conceptuelle marxiste reposant sur l'idée que la classe « homme » domine la classe « femme » par un lien de domination unilatéral fondé principalement sur l'exploitation sexuelle. Ce féminisme se dit radical en ce qu'il recherche une explication totalisante, un concept unique et suffisant pour exposer l'essence du sexisme.48

Selon elles, l’agression sexuelle « institutionnalise la sexualité de la suprématie masculine qui fusionne l'érotisation de la domination et de la subordination avec la construction sociale du masculin et du féminin »49. L’agression sexuelle est sans contredit un crime genré : la violence sexuelle impliquant davantage des victimes femmes et des auteurs hommes50. Ainsi, nous considèrerons le crime d’agression sexuelle comme un « acte de violence et de domination contre les corps des femmes »51. Par ailleurs, selon les féministes radicales, le système juridique est complice de la construction des femmes comme objet sexuel et êtres inférieurs et dépendants. Sa réponse inadéquate aux violences faites aux femmes est une des manières par lesquelles il contribue à l’oppression des femmes52. Ainsi, le déséquilibre de pouvoir qu’implique le crime d’agression sexuelle s’inscrit dans les dynamiques d’une société patriarcale et se reproduit – tout en étant renforcé – dans le traitement des agressions sexuelles par le système de justice criminelle et ses acteurs53.

47 N. Levit et R. R. M. Verchick, préc., note 36, p. 20. 48 M.-C. Belleau, préc., note 34, à la p. 11.

49 Id., à la p. 13.

50 « La majorité (87 %) des victimes étaient de sexe féminin, en particulier des jeunes femmes et des filles […] et la grande

majorité (98 %) des auteurs présumés inculpés d’agression sexuelle étaient de sexe masculin », voir Centre canadien de la statistique juridique, « De l’arrestation à la déclaration de culpabilité : décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014 », préc., note 11, p. 3.

51 J. Desrosiers et G. Beausoleil-Allard, préc., note 2, p. 6. 52 N. Levit et R. R. M. Verchick, préc., note 36, p. 20 et 21.

53 Id., p. 21 : « Equality theories were ill equipped to address these experiences [of rape], since they ‘failed to address the

patriarchal structures of power that led to and perpetuate them.” Patriarchy means the rule or “power to the fathers”. It is a system of social and political practices in which men subordinate and exploit women. The subordination occurs through complex patterns of force, social pressures, and traditions, rituals and customs. This domination does not just occurs in individual relationships, but is supported by the major institution in society ». Plus largement voir C. Backhouse, préc., note 33, qui affirme notamment, à la p. 119: « the foundations of our nation were forged upon layers and layers of deeply rooted discrimination » et à la p. 121 et 122 : « The overwhelming political and legal dominance of white able-bodied, economically privileged, apparently heterosexual men – historically and continuing today – has grave implications for access to justice. Politicians, lawyers and judges whose lives contains little personal experience of racism, sexism, disability, poverty or homophobia are at risk of failing to understand the realities of those who face such problems day in and day out. I do not mean to suggest that privileged individuals are incapable of learning about those whose lives differ from theirs. However, I do think that this is a complex and difficult task that requires commitment, time, resources and constant attention. In fact, many do not succeed. Those who fail shape our laws, our legal arguments, our law practices, and the decisions of our tribunals and courts in way that maintain and bolster the historical inequities ».

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Enfin, le féminisme identitaire influence notre conception de l’accès à la justice, dans la mesure où il sous-tend la nécessité de condamner « le rôle du système juridique dans la perpétuation des stéréotypes négatifs du féminin »54, qui ont un impact important dans le traitement des affaires d’agressions sexuelles.

Cette perspective politique, induite par la mobilisation des théories féministes, est nécessaire à une véritable compréhension de l’accès à la justice55. Jumeler une perspective féministe et le cadre théorique de l’accès à la justice permet de s’intéresser au sexisme du système comme un obstacle qui « crée une justice à deux vitesses dans laquelle les femmes sont le plus souvent perdantes »56.

Par ailleurs, les chercheures féministes57 ont développé des outils conceptuels pour traduire ou expliquer le déficit de justice propre aux affaires d’agressions sexuelles. C’est donc à partir des concepts opérationnels phares que sont le phénomène d’attrition, la victimisation secondaire et le « real rape » model que nous étudierons le potentiel en matière d’accès à la justice de ce type de tribunaux spécialisés. L’attrition est le phénomène de mise à l’écart graduelle des dossiers d’agressions sexuelles de la dénonciation jusqu’à la condamnation, qui se fonde principalement sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire des différents acteurs58. Il permettra de mettre en lumière les barrières les plus importantes à l’accès aux tribunaux pour ensuite évaluer le potentiel des tribunaux spécialisés dans l’élimination de ces barrières. De même, nous utiliserons le concept de victimisation secondaire, qui réfère au traitement inapproprié que réserve le système aux victimes d’agressions sexuelles par la responsabilisation des femmes à l’égard de leur victimisation59. Ce concept permettra de montrer que l’accès aux tribunaux n’est pas garant d’une justice appropriée, tant dans le processus que dans le résultat. Les tribunaux spécialisés en matière de crimes sexuels, pour améliorer l’accès à la justice des victimes, devraient fournir des garanties qui permettent de conclure qu’ils élimineront les occurrences de victimisation secondaire. Enfin, le modèle du « vrai viol » (« real rape »), construit à partir des mythes et stéréotypes concernant la femme et la violence sexuelle partagés par une société, permet de conceptualiser l’ensemble des stéréotypes mobilisés, consciemment ou non, pour évaluer le mérite d’un dossier ou d’une victime60. Ce modèle joue un rôle important à l’égard du déficit de justice, en participant au phénomène de l’attrition, à celui de la victimisation secondaire et à la production de résultats injustes. Ces trois concepts sont

54 M.-C. Belleau, préc., note 34, à la p. 13.

55 M. Cappelletti et B. Garth, « Access to Justice as a Focus of Research », préc., note 20, à la p. xvi : « A real understanding

of access to justice, however, cannot avoid some political perspective ».

56 R. Chagnon, préc., note 25, à la p. 111.

57 Voir notamment J. Temkin et B. Krahé, préc., note 10; H. Johnson, préc., note 9.

58 H. Johnson, préc., note 9, p. 626; David Brown, « Recurring themes in contemporary criminal justice developments and

debates”, dans Julia Tolmie et Warren Brookbanks (dir.), Criminal Justice in New Zealand, Wellington, LexisNexis NZ Limited, 2007, p. 8-14.

59 Elizabeth Comack et Tracey Peter, « How the Criminal Justice System Responds to Sexual Assault Survivors: The

Slippage between Responsibilization and Blaming the Victim », (2005) 17 Can. J. Women & L. 283.

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particulièrement utiles pour montrer le problème d’« attitude » du système, qui crée un déficit de justice, et ils sont incontournables pour évaluer le mérite potentiel des tribunaux spécialisés en matière de crimes sexuels. Ainsi, à l’aide de ces outils, nous tenterons tout au long de ce mémoire de déterminer si les tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle fournissent un cadre plus susceptible de favoriser l’accès à la justice des femmes adultes victimes d’agressions sexuelles que les tribunaux traditionnels québécois. Nous formulons l’hypothèse que ce sera effectivement le cas, parce que contrairement aux tribunaux traditionnels, ils présentent des garanties à l’élimination des barrières, à la prise en considération des enjeux d’égalité et à la production de résultats justes. Ces garanties sont la formation des acteurs pour neutraliser l’influence des stéréotypes compris dans le modèle du « vrai viol », ainsi que leur approche centrée sur la victime pour réduire sa victimisation secondaire et combler ses besoins.

Puisqu’aucun modèle de tribunal spécialisé en matière de crimes sexuels n’existe au Québec, nous devrons, pour parvenir à trancher cette question, procéder à une étude de droit comparé entre le Québec, l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. Ces deux pays de comparaison ont été choisis parce qu’ils proposent des expériences intéressantes dans le domaine. De plus, malgré qu’ils aient des contextes historique et social différents, ils proviennent de la même tradition juridique que le système de justice criminelle québécois. Ceci en fait des points de comparaison pertinents pour l’identification de solutions de justice adaptables à notre système. C’est cette intention d’emprunt aux systèmes de comparaison qui justifie l’approche de droit comparé choisie. Cette étude comparée en est une de type documentaire. Elle repose sur l’identification, pour chacune juridiction, des textes législatifs, des arrêts et des ouvrages de base portant sur le droit substantif, les règles de preuve et la procédure en matière criminelle. Ce corpus est complété par des ouvrages spécialisés, des articles scientifiques et des documents d’organismes gouvernementaux portant précisément sur le traitement particulier des crimes à caractère sexuel et sur les tribunaux spécialisés en cette matière, qui ont été repérés dans les bases de données pertinentes et sur les sites internet des ministères de la justice de chaque juridiction. Dans la première partie de ce mémoire, nous montrerons que les systèmes de justice criminelle de ces trois États partagent des fondements et des règles substantives, de preuve et de procédures similaires (1.1) et qu’ils font l’objet des mêmes critiques en matière d’accès à la justice en ce qui concerne le traitement de la violence sexuelle (1.2), ce qui démontrera l’utilité d’analyser leurs solutions de justice dans un but d’importation. Dans la seconde partie de ce mémoire, nous présenterons les modèles de tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle existant dans les systèmes de justice criminelle de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande et évaluerons leur capacité à répondre aux critiques des victimes et à améliorer leur accès à la justice (2.1). Pour ce faire, nous mobiliserons les études produites par les chercheurs d’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande à l’égard des tribunaux spécialisés de leur système respectif, que nous analyserons à l’aide des outils

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conceptuels de l’attrition, du modèle du « vrai viol » et de la victimisation secondaire. Fort de ces expériences, nous montrerons ensuite que l’implantation de tribunaux spécialisés en matière sexuelle au Québec pourrait avoir un apport important dans l’amélioration de l’accès à la justice des victimes d’agression sexuelle si leur élaboration tient compte des écueils révélés par les modèles étrangers (2.2).

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Partie 1 :

L’accès à la justice dans les systèmes

accusatoires : une comparaison entre le Canada,

l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande

Les systèmes de justice criminelle du Canada, de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande présentent des similitudes marquées, partagées par les systèmes de type accusatoire (1.1.). De ce fait, les critiques qui leur sont adressées par les victimes sont sensiblement les mêmes (1.2). Ainsi, ces similitudes prouvent utile la recherche de solutions au déficit de justice des victimes québécoises au sein de ces systèmes étrangers, dans la mesure où ils sont susceptibles de fournir une solution facilement importable et adaptable au système de justice québécois.

1.1 Des systèmes de justice criminelle aux caractéristiques

communes

Tirant leur origine du droit anglais, les systèmes de justice criminelle du Canada, de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande présentent plusieurs similitudes en ce qui concerne leurs fondements et les mesures de protection des droits des accusés (1.1.1), leurs règles substantives (1.1.2), leurs règles de preuve (1.1.3), l’organisation de leurs tribunaux ainsi que leurs processus (1.1.4). Cette section présente ces éléments pour chaque système de droit et met en lumière ces similitudes.

1.1.1. Une tradition de common law caractérisée par le respect des droits de

l’accusé

Chaque système de droit criminel étudié a des influences particulières en raison de l’histoire unique du Canada, de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande. Par contre, tirant tous leurs origines en partie du droit anglais, les systèmes de justice criminelle de ces anciennes colonies britanniques appartiennent à la tradition juridique de la common law et présentent les éléments caractéristiques des systèmes de type accusatoire, par opposition aux systèmes de type inquisitoire de la tradition de droit civil61 :

In general, this can be described as a model under which the parties to a dispute bring the matter to court, define the issues to be determined, and identify and present the relevant evidence to the court. The judge is a neutral arbiter who oversees the fairness of the process and decides the 61 Martin Vauclair et Tristant Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 26e éd., Montréal, Éditions Yvon

Blais, 2019, p. 5 à 13; Jonathan Burchell, Principles of Criminal Law, 4e éd., réimpression révisée, Cape Town, Juta, 2014,

p. 8 et 9; New Zealand Law Commission, The Justice Response to Victims of Sexual Violence - Criminal Trials and

Alternative Processes, rapport 136, Wellington, 2015, en ligne : <https://www.lawcom.govt.nz/sites/default/files/projectAvailableFormats/NZLC-R136-The-Justice-Response-to-Victims-of-Sexual-Violence.pdf>, p. 48; Peter Sankoff, « Chapter 8 – Constituents in the trial process : the evolution of the common law criminal trial in New Zealand”, dans Julia Tolmie et Warren J Brookbanks, Criminal Justice in New Zealand, LexisNexis NZ Limited, Wellington, 2007, p. 193.

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verdict (or directs the jury to decide the verdict) on the basis of the evidence presented by each party and tested under cross-examination by the opposing party. In contrast, in an inquisitorial model of criminal justice (which is the dominant model in European jurisdictions including France, Germany, and the Netherlands) the judge plays a much more active role. The judge may interview witnesses before trial; direct further lines of investigation; decide which witnesses should be called at trial; and does most of the questioning.62

Peter Sankoff identifie trois éléments qui sont les piliers de ces procès accusatoires, et qui malgré certaines variations63 « retain considerable influence in the criminal trial process, and play a large part in determining how criminal matter are resolved » :

First, it functions through an adversarial process which “involves the [prosecution and defence] being placed in opposition to each other, with an impartial [Judge] who determines a ‘winner’”. Secondly, criminal activity is treated not as harm against individual victims, but is viewed as constituting a harm against the state. Consequently, criminal prosecutions are brought and maintained by representatives of the state […]. Finally, at least where the harm involved is deemed to be of a serious nature, an accused defendant is entitled to be tried by a group of 12 of his or her peers, in other words, by a jury.64

Dans le cadre des systèmes de droit accusatoires, des protections importantes sont généralement accordées aux personnes accusées, en reconnaissance de l’inégalité des forces de l’État qui poursuit et de l’accusé qui doit se défendre. En effet, dans les trois systèmes de droit étudiés, on retrouve des dispositions à valeur constitutionnelles qui garantissent des droits aux auteurs présumés d’infractions ou aux personnes accusées. Ces dispositions sont contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés65 (« CCDL ») au Canada, dans le Bill of Rights contenu dans la Constitution du pays en Afrique du Sud66 et dans le New Zealand Bill of Rights Act 1990 en Nouvelle-Zélande67. Les garanties et protections qu’on y retrouve sont sensiblement les mêmes, malgré des libellés parfois différents, et couvrent l’ensemble du processus criminel. À l’étape de l’enquête policière, l’auteur présumé sera protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies déraisonnables ou

62 New Zealand Law Commission, préc., note 61, p. 48.

63 Par exemple, il souligne que des mesures de protection des victimes et des témoins sont venues atténuer la caractère

adversarial des procès, que les juges ont adopté un rôle de plus en plus interventionniste au nom de l’efficacité des procédures, que le rôle des victimes s’est accru dans certains processus comme la détermination de la peine, alors que celui des jurys tend à diminuer. Notons notamment, que l’Afrique du Sud, qui a hérité en 1827 du système de procès devant jury britannique, a aboli ces procès en 1969 en raison de la composition complexe de la société sud-africaine. Voir Abolition

of Juries Act 34 of 1969.

64 P. Sankoff, préc., note 61, aux p. 193 et 194.

65 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le

Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

66 Bill of Rights, chapitre 2 de la Constitution of the Republic of South Africa, Act 108 of 1996.

67 Pour une analyse détaillée du New Zealand Bill of Rights Act 1990, voir Scott Optican, « Chapter 7 – Criminal

procedure », dans Julia Tolmie et Warren J Brookbanks, Criminal Justice in New Zealand, LexisNexis NZ Limited, Wellington, 2007, p. 153.

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abusives68, ainsi que contre les arrestations et les détentions arbitraires69. On lui garantira le droit de remettre en question la légalité de son arrestation ou de sa détention devant un tribunal et d’être libéré en cas d’illégalité70. La personne arrêtée ou détenue se voit garantir différents droits à l’étape de l’arrestation ou de la détention, notamment :

• le droit d’être informée par la police des motifs de son arrestation71;

• le droit au silence, le droit à l’assistance d’un avocat et le droit d’en être informée lors de l’arrestation72; • le droit d’être accusée rapidement d’une infraction ou d’être libérée73;

• le droit d’être amenée devant un juge pour être remise en liberté le plus tôt possible74.

La personne accusée d’une infraction se voit également garantir plusieurs droits en vertu de ces lois constitutionnelles :

• le droit d’être informée rapidement des accusations contre elle75;

• le droit d’être remise en liberté, à moins qu’un motif justifie sa détention76; • le droit à une défense pleine et entière77;

• le droit de consulter et d’être représentée par un avocat78.

68 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 8; Bill of Rights, préc., note 66, art. 14; New Zealand Bill of

Rights Act 1990, art. 21.

69 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 9; Bill of Rights, préc., note 66, art. 12(1)(a); New Zealand

Bill of Rights Act 1990, art. 22.

70 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65], art. 10c); Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(2)(d); New Zealand

Bill of Rights Act 1990, art. 23(1)(c).

71 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 10a); Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(2)(a); New Zealand

Bill of Rights Act 1990, art. 23(1)(a).

72 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 10b); Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(1)(a), (b) et (c) et

35(2)(b) et (c); New Zealand Bill of Rights Act 1990, art. 23(1)(b) et (4).

73 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 7; Bill of Rights, préc., note 66, art. 12(1)(b) (le droit « not to

be detained without trial »); New Zealand Bill of Rights Act 1990, art. 23(2).

74 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 7; Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(1)(d); New Zealand

Bill of Rights Act 1990, art. 23(3).

75 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 11a); Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(1)(e) et 35(3)(a);

New Zealand Bill of Rights Act 1990, art. 24(a).

76 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 11e); Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(1)(f); New Zealand

Bill of Rights Act 1990, art. 24(b).

77 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 65, art. 7 et R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262; Bill of Rights, préc.,

note 66, art. 35(3)(b); New Zealand Bill of Rights Act 1990, art. 24(d) [right to adequate time and facilities to prepare a defence].

78 Bill of Rights, préc., note 66, art. 35(3)(f) et (g); Criminal Procedure Act 51 of 1977, art. 73; New Zealand Bill of Rights

Act 1990, art. 24(c). Notons que la Charte canadienne des droits et libertés ne prévoit pas expressément un droit

constitutionnel à la représentation ou à l’assistance d’un avocat au procès. Par contre, ce droit découlerait de l’article 7 et 11d) CCDL, voir R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190, 217.

Figure

Tableau 1 – Étapes clés des processus criminels du Canada, de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande 369
Graphique 1 : Les affaires retenues aux différentes étapes du système de justice criminelle canadien 515 En Afrique du Sud, une étude nationale a été conduite sur l’attrition observable dans un échantillon de dossiers  de viol et de tentative de viol dévoi

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