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LES TRIBUNAUX FRANÇAIS FACE À LA JUSTICE EUROPÉENNE

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LES

TRIBUNAUX FRANÇAIS

FACE

À LA JUSTICE

EUROPÉENNE

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Chantal Méral

Avocat à la cour

LES

TRIBUNAUX

F R A N Ç A I S

FACE

À LA JUSTICE EUROPÉENNE

LES CLÉS

D'UN CONTRE-POUVOIR

filipacchi

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© 1997 — ÉDITIONS FILIPACCHI — Société SONODIP 151, rue Anatole-France, 92598 Levallois-Perret Cedex Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite

sans l'autorisation préalable et écrite de l'éditeur.

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A Arielle

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INTRODUCTION

Droits de l'homme : mythe ou réalité?

Le 4 novembre 1950 :

• Déclaration des droits de l'homme

• Signature de la Convention européenne de sauve- garde des droits de l'homme et des libertés fonda- mentales

Le 10 juillet 1974 :

• Ratification par la France de cette Convention Ainsi, il aura fallu près de vingt-quatre ans à la France, qui se veut initiatrice et dépositaire des droits de l'homme, qui en revendique la paternité depuis deux siècles et qui s'érige, sur la scène internationale, en censeur vertueux des auteurs de leurs violations, pour... ratifier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pourtant, ce n'est qu'en 1986 qu'apparaîtra la première condamnation de l'Etat français pour violation de la Convention européenne (arrêt Bozano contre France — 18 décembre 1986).

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A cela, plusieurs raisons : la méconnaissance du méca- nisme de mise en œuvre de la Convention européenne, les conditions voire, parfois, les difficultés de cette mise en œuvre et, surtout, la crainte du justiciable français d'atta- quer son propre pays. Peut-être y a-t-il là également une certaine forme de chauvinisme ou bien le refus, plus ou moins inconscient, d'adhérer ou d'avoir recours à une jus- tice supranationale.

Toutefois, depuis cette « première », les condamnations se sont enchaînées, dans les situations et dans les domaines les plus variés, chaque fois que les principes et les droits consacrés par la Convention européenne ont été méconnus.

Faut-il parler de la ou des libertés? La première des libertés est celle d'aller et venir à sa guise. La liberté, en opposition à la détention, est également une règle fonda- mentale. La présomption d'innocence constitue, par ail- leurs, un droit absolu. Que dire encore du droit à la vie, principe essentiel, s'il en est?

Tels sont, parmi bien d'autres, certains des droits dont la Convention européenne exige le respect. Si l'Europe et ses institutions n'ont pas séduit tous les Français, il existe au moins un domaine où ils devraient se sentir « européens » à part entière : celui de la justice. En effet, l'inquiétude de chacun est réelle et va grandissant au fur et à mesure que les errements de la justice se multiplient. La méfiance, la défiance à l'égard de celle-ci s'amplifient.

Mais la souveraineté des tribunaux français est désormais considérablement affaiblie par le droit de regard, à défaut de véritable ingérence, des organes juridictionnels euro- péens : Commission européenne des droits de l'homme, Cour européenne des droits de l'homme, Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Aujourd'hui, le justi-

1. Organe politique du Conseil de l'Europe qui a notamment en charge de veiller à la bonne exécution des arrêts rendus par la Cour européenne. Il a également la possibi- lité de constater lui-même des violations de la Convention européenne.

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ciable mécontent ou lésé par la justice de son pays peut en référer à la justice européenne.

Le protectionnisme judiciaire français est ainsi quelque peu battu en brêche.

Certes, les recours sont soumis à certaines conditions de fond et de forme, et obéissent à de strictes règles de procé- dure. Il existe donc des obstacles, des écueils. Et l'abou- tissement de ces recours ne permet évidemment pas ipso facto l'annulation de la décision critiquée. Les consé- quences pratiques des condamnations prononcées sont par- fois limitées, ou moins satisfaisantes que l'on pourrait le souhaiter. De surcroît, l'Etat français est loin de tirer réelle- ment et correctement les leçons des sanctions qui lui sont infligées. Mais même si, en amont comme en aval, des dif- ficultés subsistent, il s'agit néanmoins d'un grand pas en avant, porteur d'espoir pour notre justice.

« La Justice est une passion », disait Marcel Aymé dans sa satire de la justice intitulée la Tête des autres. Puissions- nous revenir à la raison et faire en sorte que les camouflets qui sont désormais régulièrement infligés à la justice fran- çaise redonnent à cette déclaration symbolique son véri- table sens et sa portée réelle.

Justice... un mot clé. Un mot choc.

Le 12 décembre 1996, Jacques Chirac, président de la République, annonce la création d'une commission pour réformer la justice. Conscient de l'inquiétude des Français, il présente désormais cette dernière comme une priorité nationale. Il était temps.

Trois axes de réformes sont alors envisagés par le Pré- sident. La première est celle de l'amélioration de la justice au quotidien, mais les crédits suivront-ils ? On peut s'inter- roger lorsque l'on constate que, d'année en année, la pau- vreté du budget de la justice est... reconduite.

La deuxième de ces réformes concerne le statut des magistrats du parquet. Sur ce point, Jacques Chirac a pré-

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cisé qu'il convenait d'« examiner sérieusement la possibi- lité de rendre le parquet indépendant du garde des Sceaux ». Mais si le principe, qui ressurgit régulièrement, semble acquis, sa mise en application demeure, par contre, incertaine.

J'en veux pour preuve l'escarmouche qui opposa récem- ment l'Elysée au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). En effet, celui-ci a eu l'occasion, lors de son cin- quantenaire de mars 1997, d'exprimer des réserves sur cer- taines nominations de magistrats par le pouvoir politique.

Pour faire taire ces réticences, Jacques Chirac a rappelé le rôle dont l'investissait la Constitution française :

« Au président de la République, élu par la nation au suffrage universel, revient la tâche de garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire. »

Le Président a précisé qu'il entendait « exercer pleine- ment » ce rôle. Néanmoins, le CSM émet des doutes dans la mesure où les magistrats du parquet (substituts et pro- cureurs de la République) sont désignés par la chancellerie.

Dans la conclusion du rapport annuel qu'il remet au chef de l'Etat, il souhaite que les magistrats du parquet soient nom- més de la même façon que les magistrats du siège, après avoir estimé que :

« Ces particularités nourrissent, à l'intérieur même du corps de la magistrature mais aussi dans l'opinion publique, un soupçon sur l'indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir politique et sur leur liberté d'action. »

Enfin, le troisième changement qui apparaissait néces- saire intéressait la présomption d'innocence, mais la récente « réforme » de la détention provisoire ne va pas véritablement dans ce s e n s

1. L'article 64, alinéa 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit cette garan- tie.

2. Voir le chapitre 2, « La détention provisoire ou l'art d'inverser la présomption d'innocence ».

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Notre Président se veut le pionnier des progrès de la jus- tice. Si le 12 décembre 1996 il avait évoqué ces trois gran- des réformes, il ne se limite plus désormais à celles-ci. En effet, le 6 mars 1997, Jacques Chirac va plus loin dans les projets. Il annonce alors « cinq objectifs » prioritaires.

Il s'agit de :

« La réduction des délais de jugement et du nombre des affaires restant à juger dans les cours d'appel;

« L'accélération du traitement des affaires familiales et sociales ;

« La dissuasion de la délinquance et la réinsertion dans les grands ensembles urbains, notamment pour les mineurs ;

« La simplification de l'accès au service public de la jus- tice;

« L'extension des modes de règlement qui évitent de por- ter le litige devant un juge. »

Vaste et séduisant programme, mais verra-t-il seulement le jour?

Le doute est permis, à tout le moins en ce qui concerne la durée des procédures, dont je constate qu'elle va plutôt dans le sens d'un allongement que dans celui d'une réduc- tion.

Du reste, je ne suis pas seule à le constater puisque Jean- Marie Coulon, président du tribunal de grande instance de Paris, l'a également fait observer dans un rapport établi au mois de décembre 1996 et qui faisait suite à une mission de réflexion que ce magistrat avait conduite, à la demande du garde des Sceaux. Dans ses conclusions, M. Coulon pré- conisait une série de propositions destinées à remédier à l'encombrement des tribunaux et à la lenteur des procé- dures.

A l'heure où, à la lumière de ce que l'on appelle sobre- ment les « affaires », le Français s'interroge sur le fonc- tionnement de sa justice, et où l'on assiste désormais régu- lièrement à des condamnations de l'Etat français par les juridictions européennes, il est indispensable de faire le

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point. Pour quelles raisons le pays, traditionnel berceau, ferment des droits de l'homme, se voit-il infliger de sévères rappels à l'ordre par les plus hautes instances européennes ? Dénoncer les dysfonctionnements, dérives et autres déra- pages du système judiciaire français, mettre en relief les motifs des condamnations, déduire les conséquences sym- boliques et pratiques desdites condamnations, tel est le pro- pos de ce livre, riche en exemples concrets et vivants, et qui s'adresse à tous ceux qui se sentent concernés par leur jus- tice.

Car, si notre justice est en péril, notre démocratie l'est également, la justice en étant l'un des bastions. Dès lors, nos libertés sont en danger. Depuis quelques années, les arcanes du monde judiciaire ont basculé dans l'incompré- hensible, voire dans l'extravagance. Face à cette situation, il existe — et c'est heureux — un contre-poids et un contre- pouvoir : la justice européenne. Seulement, bien peu de gens en connaissent les clés...

Les juridictions européennes ont été amenées à sanction- ner l'attitude coupable de la justice française dans les domaines les plus variés, qu'il s'agisse, en effet, du droit à la liberté d'expression, du droit d'accès à un tribunal, du régime des écoutes téléphoniques, du droit à la liberté syn- dicale, du droit — sous toutes ses formes — au respect de la vie privée, de la durée de la détention provisoire, du droit à un procès équitable, du droit à ce qu'il soit statué par les juridictions dans un délai raisonnable, de l'interdiction des peines, sévices et traitements dégradants et inhumains, du droit à la présomption d'innocence, du droit à l'assistance d'un avocat, du droit à la publicité des débats, du contrôle de la légalité des visites domiciliaires et des saisies effec- tuées par des agents douaniers, du contrôle de la légalité des procédures de reconduite aux frontières, de la reconnaissance juridique de la nouvelle identité d'un trans-

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sexuel, du droit à la liberté, du droit à l'égalité des armes dans un procès, du droit à la légalité des peines, etc.

C'est dire si nous sommes tous concernés. En réalité, tous les droits, libertés et principes qui sont consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont susceptibles, dans l'hypothèse où ils sont méconnus ou violés par un Etat signataire de cette Convention, de donner lieu à une condamnation de cet Etat par la Cour européenne (si toute- fois certaines conditions sont remplies). A cet égard, il importe de citer le bâtonnier Louis-Edmond Pettiti, juge à la Cour européenne des droits de l'homme, et sa définition du traité européen :

« La Convention européenne n'est pas une assurance tous risques contre l'injustice. Elle est seulement, mais c'est considérable, une construction par laquelle les Etats ont voulu assurer une garantie collective des droits fonda- mentaux, mais seulement de certains droits fondamen- taux. »

La France fait partie de ces Etats. Encore faudrait-il qu'elle veille scrupuleusement au respect de ses engage- ments internationaux... Le nombre et l'objet des condamna- tions déjà intervenues ne devrait pas manquer de la rappeler à la raison. Les réformes — ou « réformettes » — de la jus- tice se succèdent au rythme des gardes des Sceaux (et par- fois même davantage; par exemple, depuis 1981, il y a eu sept gardes des Sceaux et... neuf réformes du régime de la détention provisoire, dont la réforme Toubon, dernière en date). Pourtant, certains dysfonctionnements perdurent. Les principes idéologiques sont parfois réduits à leur plus simple expression — lorsqu'ils ne sont pas totalement réduits à néant — par leur mise en application sur le terrain.

Les différentes sentences qui ont été prononcées contre l'Etat français par les juges de Strasbourg sont la traduction de ce fossé entre théorie et pratique.

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La narration de quelques-unes des affaires qui ont valu à la France ses condamnations permettra au lecteur de se faire une opinion.

De Félix Tomasi à Saïd Remli, de Michel Kemmache à Liliane Hentrich, de Patrick Allenet de Ribemont à Mme A., des hémophiles contaminés par le virus du sida aux transsexuels en quête de la reconnaissance de leur iden- tité, sans oublier quantité d'anonymes, nombreux sont ceux qui ont eu à subir les vicissitudes de la justice française, cette « drôle de justice ».

Je vous livre leur histoire.

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L'abolition de la torture demeurerait-elle à l'état de vœu pieux ?

L'affaire Tomasi

L'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est ainsi conçu :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Pourtant, nonobstant cette disposition supranationale, malgré la Déclaration universelle des droits de l'homme, contre les termes de la Constitution française et ceux de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 26 novembre 1987 (décret du 2 mai 1989 — Journal offi- ciel du 6 mai 1989), en dépit même de l'existence du digne CPT (Comité pour la prévention de la torture), la torture existe encore bel et bien en France, et les traitements dégra- dants et inhumains y ont toujours cours.

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Félix Tomasi en sait quelque chose, puisqu'il en a fait les frais. Dans cette affaire, on nage en plein surréalisme judi- ciaire. En effet, à l'aube du XXI siècle, le 27 août 1992, la France est condamnée à l'unanimité par la Cour euro- péenne des droits de l'homme pour avoir fait subir à Félix Tomasi, durant sa garde à vue, des mauvais traitements.

Quelle affligeante illustration du fossé qui sépare un principe sacré et consacré de sa mise en œuvre. Quelle humiliation, surtout, pour notre Etat !

Cette sanction n'empêchera néanmoins pas le gouverne- ment français de continuer à s'indigner lorsque sont rappe- lées ou évoquées les méthodes utilisées ailleurs et, en parti- culier, dans les pays dits « totalitaires ». Les procédés reprochés à l'Hexagone dans le cadre de l'affaire Tomasi s'en approchent pourtant curieusement, mais la politique internationale a ses règles, qui ne coïncident pas toujours avec certaines pratiques internes de chaque Etat.

Le témoignage de Félix Tomasi vaut d'être rapporté. Cet homme est « soupçonné » de faire partie d'une organisation terroriste et d'avoir participé à un attentat en Corse en 1982. Il est arrêté le 23 mars 1983 et placé en garde à vue jusqu'au 25 mars 1983, date à laquelle il est alors inculpé et placé en détention « provisoire ». Il y demeurera cinq ans et sept mois, puisqu'il sera libéré le 22 octobre 1988 après avoir été acquitté.

Félix Tomasi se plaint d'avoir subi de graves sévices cor- porels durant les deux jours de sa garde à vue. Il dépose plainte avec constitution de partie civile contre X des chefs de violences et voies de fait commises par des fonction- naires dans l'exercice de leurs fonctions, et abus d'autorité.

Les faits, finalement établis, sont si accablants qu'ils méritent d'être signalés.

Je laisse la parole à l'intéressé lui-même, qui a déclaré, le 24 juin 1983, au juge d'instruction Pancrazi :

« Les lésions qui ont été constatées lors des expertises

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établies pour la première par le Dr Rovere et pour la seconde par les Drs Rocca et Ansaldi m'ont été faites par le commissaire (D.), son adjoint (A.) et par une partie des autres inspecteurs de la police judiciaire. J'ai été battu pen- dant quarante heures d'affilée. Je n'ai pas eu un instant de repos. On m'a laissé sans manger et sans boire. Un inspec- teur, que je saurais reconnaître, m'a mis un pistolet chargé sur la tempe et sur la bouche, pour me faire parler. On m'a craché plusieurs fois au visage. On m'a laissé déshabillé pendant une partie de la nuit, dans un bureau, avec portes- fenêtres ouvertes. Je rappelle que nous étions au mois de mars.

« J'ai passé la totalité de la garde à vue debout, les mains derrière le dos avec des menottes aux poignets. On me tapait la tête contre le mur, on me donnait des "manchettes"

dans le ventre, des gifles et des coups de pied sans arrêt.

Quand je tombais à terre, on me donnait des coups de pied ou des gifles pour me faire relever.

« On m'a également menacé de mort, le commissaire (D.) et l'inspecteur (A.) m'ont dit que si je me sortais de cette affaire, ils me tueraient. Ils ont dit qu'il y avait eu un attentat à Lumio où il y avait un blessé et qu'il arriverait la même chose à mes parents, qu'ils plastiqueraient pour les tuer. »

A la suite de la plainte qu'il avait déposée, des expertises ont été ordonnées. Quatre médecins ont reçu pour mission d'examiner Félix Tomasi après sa garde à vue. Différentes lésions ont été constatées...

Le Dr Bereni, médecin de l'administration pénitentiaire, déposera un rapport d'expertise dans lequel il évoquera :

« Les radiographies du massif temporal gauche montrent un épaississement du conduit auditif externe avec rupture du tympan et présence d'un hématome rétrotympanique.

Les radiographies sans incidence spéciale (Hitz) du massif facial montrent au niveau de l'articulé dentaire du maxil- laire supérieur gauche l'absence de la première molaire. »

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De leur côté, les Drs Rocca et Ansaldi ont noté, après examen thoraco-abdominal, certaines curiosités :

« Quelques excoriations cutanées de quelques mm de diamètre, situées au niveau de l'hypochondre droit, de l'épigastre, basithoraciques droits et parasternales gauches, proches de la xiphoïde. »

Les membres supérieurs de Félix Tomasi présentaient d'autres dommages corporels :

« Il existe au niveau du bras gauche, sur la face postéro- interne, dans la partie moyenne du bras, une ecchymose longue de 8 cm, large de 4 cm, de forme ovalaire.

« Cette ecchymose est de couleur jaunâtre en son centre et verdâtre en périphérie.

« Il existe par ailleurs deux points ecchymotiques au voi- sinage de la première ecchymose, de forme arrondie, d'environ 4 mm de diamètre, de couleur également ver- dâtre. »

La Commission européenne des droits de l'homme, sai- sie par Félix Tomasi d'une requête fondée notamment sur les traitements inhumains et dégradants qu'il avait subis, a déclarée celle-ci recevable et a adopté le 11 décembre 1990 un rapport aux termes duquel elle concluait effectivement à une violation de l'article 3 de la Convention européenne.

La Commission européenne des droits de l'homme a déféré l'affaire à la Cour européenne. Devant ces juridictions, la défense de Tomasi était assurée par les éminents avocats Me Henri Leclerc et M Vincent Stagnara.

Par arrêt rendu le 27 août 1992, Strasbourg a condamné, à l'unanimité, l'Etat français... après avoir noté « que les certificats et rapports médicaux, établis en toute indépen- dance par des praticiens, attestent de l'intensité et de la multiplicité des coups portés à M. Tomasi » et qu'il y avait là « deux éléments assez sérieux pour conférer à ce traite- ment un caractère inhumain et dégradant ». La France — ou plutôt les Français, puisque la note à payer se répercute

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inévitablement sur le contribuable ! — a été condamnée à verser au requérant un million de francs.

Cette somme a été attribuée à Félix Tomasi, à hauteur de 700 000 F, au titre de la réparation du tort moral et matériel qu'il avait subi. Les 300 000 F restants étaient destinés à compenser le montant des frais et dépens qu'il avait dû assumer pour faire assurer sa défense et faire valoir ses droits.

La Cour européenne des droits de l'homme ne badine pas avec les tortionnaires. Elle s'est montrée généreuse. Effec- tivement, le montant de l'indemnisation octroyée au plai- gnant s'avère élevé par rapport aux dédommagements généralement accordés par les juges de Strasbourg.

Néanmoins, cette somme pourra paraître insuffisante au regard des très lourds préjudices causés à Félix Tomasi. En effet, ce dernier a accompli une détention, dite « provi- soire », de cinq ans et sept mois, détention aussi longue qu'inutile puisqu'il a finalement été acquitté. En outre, il a été roué de coups, gravement humilié et insulté, et la procé- dure pénale a été interminable.

Dans ses décisions, la Cour européenne a rappelé expres- sément la protection due à l'intégrité physique de la per- sonne. Cette précision n'apparaît pas inutile face à ce que l'on appelle pudiquement les « bavures policières » — mais qui ne sont autres, en définitive, que des traitements inhu- mains et dégradants — et qui, chaque fois qu'elles se pro- duisent, suscitent une inquiétude grandissante d'autant plus légitime que les plaintes liées à ce type de procédés sont fréquemment classées sans suite, lorsqu'elles ne sont pas tout simplement « mises au placard ».

Il est vrai que, devant les instances européennes, le gou- vernement français avait cyniquement soutenu que dans l'affaire Tomasi le « minimum de gravité » n'avait pas été atteint, et que l'on ne se trouvait donc pas en présence de traitements susceptibles d'être qualifiés d'« inhumains ».

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On demeure sans voix face à cette outrecuidance, à moins qu'un commentaire ne s'impose toutefois. Serait-ce à dire que, aux yeux du gouvernement français, le régime de la garde à vue autoriserait un « SMIC » (seuil minimum d'insultes et de coups)? Le débat sur cette angoissante question reste ouvert.

Souhaitons qu'il soit clarifié. Souhaitons surtout que les gardes à vue ne donnent plus lieu à de tels débordements.

A cet égard, l'Union des jeunes avocats (UJA) du bar- reau de Paris s'était livrée, il y a quelques années, à une remarquable étude sur les conditions dans lesquelles était effectuée la garde à vue dans l'ensemble des commissariats de police de Paris.

L'UJA avait ainsi procédé à un classement de ces dif- férents commissariats en leur décernant des « étoiles », à l'image de celles attribuées aux restaurants par le Guide Michelin.

Le résultat était surprenant. On apprenait, en effet, que certains commissariats transformaient la garde à vue en une mesure totalement avilissante pour la dignité de celui qui la subissait (privation de nourriture, de sommeil et parfois même sévices corporels).

Dans le même ordre d'idées, le dépôt du parquet du tri- bunal de grande instance de Paris, où étaient entassés pêle- mêle les étrangers en situation irrégulière, a dû fermer ses portes au cours de l'année 1995 pour cause d'insalubrité.

Cette mesure est intervenue après qu'un magistrat coura- geux, François Sottet, eut souhaité attirer l'attention des autorités responsables sur les conditions dans lesquelles étaient « retenus » (ou détenus ?) ces étrangers. Un trans- port sur les lieux était envisagé, qui ne put se réaliser car la préfecture de police en refusa l'accès aux avocats.

Après la remise en liberté de plusieurs étrangers, le dépôt fut... fermé. J'ajoute qu'auparavant deux rapports du Comité pour la prévention de la torture avaient considéré

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que les conditions de rétention n'étaient pas conformes à l'article 3 de la Convention européenne qui prévoit l'inter- diction des peines ou des traitements inhumains ou dégra- dants.

Décidément, l'affaire Tomasi n'est pas unique en son genre.

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Le procureur général exprime clairement les bienfaits de la loi nouvelle. Souhaitons que la justice française se plie désormais aux exigences de celle-ci...

Le doute reste néanmoins permis lorsque l'on prend connaissance des statistiques fournies par le garde des Sceaux à une question qui lui a été posée par Michel Cha- rasse, ancien ministre, le 22 août 1996.

En effet, M. Charasse demandait au ministre de la Justice de lui faire savoir, en ce qui concernait les années 1993, 1994, et 1995 (donc postérieurement à la loi du 10 juillet 1991 préconisant le caractère exceptionnel du recours aux enregistrements et interceptions de conversations télépho- niques), « le nombre d'écoutes téléphoniques opérées sur l'ordre de l'autorité judiciaire ».

La réponse du garde des Sceaux se passe de commen- taires. Je vous la livre donc telle quelle :

« Le garde des Sceaux a l'honneur de porter à la connais- sance de l'honorable parlementaire que les écoutes télé- phoniques ordonnées par les juges d'instruction ont été au nombre de 10 413 pour l'année 1993, de 11 453 pour l'année 1994 et de 11 299 pour l'année 1995. Ces chiffres résultent des statistiques de l'exploitant France Télécom. » C'est sans doute la raison pour laquelle, en présence d'aussi nombreuses mises sur écoute, le ministre de la Jus- tice a dû négocier des tarifs avec France Télécom...

Le contribuable apprendra avec intérêt, ainsi que l'a fait observer le procureur général Albarède, que « la masse budgétaire correspondant à ces frais de justice très parti- culiers a connu, en trois ou quatre ans, une croissance expo- nentielle ».

Décidément, la loi du 10 juillet 1991 ne semble pas avoir une grande portée. On ne serait donc pas surpris que les juges de Strasbourg aient à nouveau à intervenir dans ce

domaine.

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A moins que le journaliste Edwy Plenel ou l'actrice Carole Bouquet, qui ont eu à souffrir de ces procédés, ne les aient déjà saisis. Sans compter les multiples affaires d'« écoutes téléphoniques » qui défrayent actuellement la chronique, dont une vient récemment de donner lieu à une décision de la Cour de cassation qui n'est pas passée ina- perçue dans les milieux professionnels. Elle concernait Gil- bert Ménage. Que dire et que penser des écoutes télé- phoniques mises en place par l'Elysée sous l'ancien gouvernement et qui sont à nouveau à l'ordre du jour?...

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OBSERVATIONS. REFLEXIONS ET PERSPECTIVES

La justice européenne

La justice européenne fait figure de contre-pouvoir, de contrepoids face à l'arbitraire de certains juges ou à l'ini- quité de certaines décisions rendues par la justice française.

Désormais, les tribunaux français doivent compter avec elle.

Mais, au-delà des condamnations déjà prononcées et qui viennent d'être relatées, de nombreuses questions se posent.

Quels sont les obstacles et les écueils que peut rencontrer le justiciable qui envisage de recourir aux juridictions euro- péennes ?

Quelles sont les conséquences des décisions rendues par celles-ci ?

Quelles en sont l'étendue et la portée ? Quelles en sont les limites?

Quelles leçons la France doit-elle en retenir, quelles conclusions peut-elle en tirer ?

Mais le souhaite-t-elle seulement ?

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Enfin, quels sont les espoirs que nous offre le recours à la justice de Strasbourg ?

Autant d'interrogations auxquelles on doit s'efforcer de répondre.

Il est, certes, incontestable que la justice européenne n'a pas bonne presse dans l'Hexagone. Les magistrats français, auparavant totalement souverains, n'ont généralement pas vu d'un bon œil l'atteinte à leur suprématie que constituait le droit de regard de Strasbourg sur leurs décisions. Ils ont encore moins apprécié le pouvoir de contrôle exercé par ses juges.

En réalité, les condamnations prononcées à l'encontre de la France sont diversement appréciées au sein de la magis- trature française. Certains s'en irritent, s'en offusquent, même. D'autres y sont indifférents. D'autres encore, les plus nombreux, s'en réjouissent car ils considèrent, à juste titre, que ces sanctions se traduiront concrètement par d'indéniables progrès et auront des répercussions positives sur la bonne marche de notre justice.

Mais il existe également un courant, fût-il minoritaire, quelque peu rétrograde et protectionniste, manifestement réfractaire à l'idée même d'une justice supranationale. On rencontre parfois une certaine résistance, voire un agace- ment, lorsque l'on évoque — ou invoque — dans les pré- toires quelques-unes des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Ces réactions, parfois épidermiques, ne doivent pas faire perdre de vue les avancées considérables que constituent la Convention européenne, sa ratification — même tardive — par la France, ainsi que l'application et l'interprétation qui en sont faites par les juges de Strasbourg.

Une justice supranationale n'est évidemment pas le remède à tous les maux. Elle n'est pas davantage « une assurance tous risques » contre les dérapages et les dys-

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fonctionnements du système judiciaire français. D'autant que ceux-ci sont nombreux. Ainsi que l'observait Françoise Giroud après avoir visionné un documentaire sur la justice diffusé par Arte : « Comment ça marche, la justice, quand ça ne marche pas. (...) C'est cela, la justice1 ? »

Lors de l'assemblée générale annuelle de la Conférence des bâtonniers qui s'est tenue le 24 janvier 1997, M Chris- tophe Ricour, président de cette conférence, s'est adressé ainsi à Jacques Toubon, garde des Sceaux :

« Après que, depuis de nombreuses années, ceux qui concourent au fonctionnement de la justice aient prêché dans un quasi-désert pour alerter nos concitoyens sur la dégradation matérielle de son fonctionnement, (...) après que, depuis autant de temps, un grand nombre d'entre nous aient dénoncé avec vigueur les conséquences humaines, parfois dramatiques, susceptibles d'être provoquées par ces dysfonctionnements (...) le débat sur le fonctionnement de la justice semble avoir pris depuis quelques mois, je pour- rais même dire depuis quelques jours, une nature et une ampleur particulières. »

Et M Ricour rappelait que :

« La Cour européenne des droits de l'homme ne cesse de le répéter dans ses arrêts : la justice ne doit pas seulement être juste, elle doit encore le paraître. »

Il ajoutait :

« L'Etat de droit n'est pas l'Etat du droit.

« Ce n'est pas non plus le seul droit de l'Etat. »

Quels espoirs le justiciable français peut-il mettre dans la justice européenne?

En premier lieu, il faut savoir qu'il existe des obstacles et des écueils. Porter sa réclamation devant les juridictions

1. «La télévision par Françoise Giroud» (le Nouvel Observateur, édition du 27 mars au 2 avril 1997).

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européennes n'est pas aussi aisé qu'il y paraît à première vue. En effet, le justiciable français malheureux doit aupa- ravant avoir « épuisé les voies de recours internes ». En d'autres termes, il doit avoir utilisé toutes les possibilités de recours prévues par le droit français. Compte tenu de la len- teur légendaire de Dame Justice, c'est donc un véritable

« parcours du combattant » que ce plaideur doit effectuer.

En outre, il lui appartient d'invoquer, à toutes les étapes de ce circuit interne, c'est-à-dire devant toutes les juridic- tions saisies (tribunal d'instance, de grande instance, tribu- nal administratif, cour d'appel, Cour de cassation...) les vio- lations de la Convention européenne dont il entend se plaindre, et ce sous peine que sa requête soit déclarée irre- cevable par la Commission européenne des droits de l'homme.

Il est donc recommandé de ne pas attendre de se trouver devant les juges de Strasbourg pour formuler ses griefs et pour exposer le support juridique de ceux-ci, à savoir les manquements au traité européen. Au demeurant, une telle exigence se conçoit et se justifie fort bien. Elle trouve sa raison et sa légitimité dans le fait qu'avant de mettre en accusation la justice française devant la justice européenne, encore faut-il que la première ait été en mesure de connaître l'objet des erreurs qui lui sont attribuées, des fautes qu'on lui prête et des reproches qui lui sont faits, peut-être à tort.

C'est aussi l'occasion offerte aux autorités judiciaires françaises de remédier, s'il en est temps, à ces manque- ments. Dans le cas contraire, ce serait leur faire un « procès d'intention », ce qui n'est pas le propos.

Ainsi, l'« épuisement des voies de recours internes»

s'entend non seulement de l'utilisation matérielle des recours, mais également de la formulation intellectuelle des arguments nécessairement soulevés dans le cadre de ces mêmes recours.

Il est donc vivement conseillé au justiciable mécontent

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d'énoncer et d'exprimer ses griefs le plus tôt possible, au stade de la procédure interne, afin d'éviter une éventuelle déconvenue.

Enfin, la requête initiale doit être déposée auprès de la Commission européenne des droits de l'homme dans les six mois suivant la dernière décision intervenue sur le plan français. Là encore, cette obligation est prévue, sous peine d'irrecevabilité et de forclusion1.

En conséquence, prudence et vigilance s'imposent à tous ceux qui, ayant subi les vicissitudes de la justice française, envisageraient d'en référer à la justice européenne.

On aura ainsi constaté que les plaideurs qui sont sortis victorieux devant les instances européennes s'étaient plaints très rapidement sur le terrain français. On observe notamment que Fahrat S a ï d i qui avait réclamé, dès son placement en garde à vue, une confrontation avec ses accusateurs sur le fondement des dispositions de l'article 6, par. 1 de la Convention européenne, s'est vu opposer un refus à cette demande.

De la même façon, Frédéric Foucher avait sollicité, dès le début de la procédure dirigée à son encontre, l'accès à son dossier en invoquant, lui aussi, les dispositions du même texte.

Toujours dans le même sens, les victimes d'écoutes télé- phoniques clandestines s'en étaient immédiatement ouvertes auprès des autorités judiciaires, en réclamant le bénéfice de l'article 8 du traité européen.

Mohamed N a s r i objet d'une téméraire procédure d'expulsion, avait également aussitôt invoqué l'application de ces dispositions.

1. La forclusion d'une demande est acquise lorsque celle-ci est formulée hors du délai prévu par la loi pour agir. La demande est donc irrecevable.

2. Cf. chapitre 10, « Procès truqués, procès tronqués ou un procès sans témoins, un procès sans pièces ».

3 Idem.

4. Cf. chapitre 13, « France, terre d'asile ou terre d'expulsion? »

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Quant à R e m l i victime de propos racistes, il avait dénoncé dès le début de son procès devant la cour d'assises le caractère inéquitable de celui-ci, au regard des prescrip- tions de l'article 6, par. 1 de la Convention européenne.

De son côté, Félix Tomasi qui avait eu à subir de graves sévices corporels durant sa garde à vue, avait immé- diatement porté plainte et n'avait pas tardé à se prévaloir de l'article 3 de la Convention européenne, qui interdit les

« traitements inhumains et dégradants ».

Tous ont eu gain de cause. Preuve que ceux qui veulent voir leur requête prospérer et aboutir à Strasbourg doivent se conformer à ces conditions de forme qui sont impéra- tives et qui résultent de la Convention européenne elle- même (article 26).

En second lieu, les condamnations prononcées par les organes juridictionnels européens n'ont pas toujours la por- tée et l'étendue que le requérant serait raisonnablement en droit d'en attendre.

Leurs conséquences sont effectivement fréquemment limitées. Certes, la condamnation officielle et symbolique de l'Etat français n'a pas de prix. C'est un rappel à l'ordre, parfois en des termes si sévères que l'on a pu parler de véri- table « camouflet » infligé à la patrie des droits de l'homme.

Mais, au-delà de cet aspect idéologique, les consé- quences d'ordre pratique sont souvent singulièrement res- treintes, tant au niveau matériel que moral, ainsi que sur le plan de la réparation elle-même.

Il est incontestable qu'une véritable réparation consiste- rait dans la cessation de la violation dénoncée. Une sorte de

« remise en état ». Il s'agirait de revenir à une situation identique à celle qui existait avant que ne survienne un

pi

1. Cf. chapitre 8, « Racisme, mode d'emploi, vu à travers un procès d'assises ».

2. Cf. chapitre 1, «L'abolition de la torture demeurerait-elle à l'état de vœu eux? ».

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manquement à la Convention européenne. Mais une telle remise en état n'est parfois plus envisageable. Ainsi, dans le cas classique d'une détention provisoire anormalement longue, on ne peut, à l'évidence, revenir en arrière. Et les séquelles sont immenses, surtout lorsque l'on est

« entassé » à sept dans une cellule, comme l'a été René- Gilles Bolzan à la maison d'arrêt de Gradignan. Nul ne sort indemne d'une détention, encore moins lorsque celle-ci s'est prolongée, pour s'avérer ensuite injustifiée. Tel a été le cas pour Jean Chouraqui, détenu durant plusieurs années puis relaxé, et qui vient d'être dédommagé par la commis- sion d'indemnisation de la Cour de cassation à hauteur de 600 000 F. Il en est de même pour Richard Roman, détenu quatre années puis acquitté par la cour d'assises du départe- ment de l'Isère. La commission d'indemnisation de la Cour de cassation lui a « généreusement » accordé 100 000 F.

Enfin, les dommages sont également considérables lorsqu'une procédure judiciaire a excédé le délai raison- nable consacré par la Convention. Le préjudice, si préjudice il y a eu, est désormais irréversible.

On pourrait raisonner à l'infini sur ce type de situations : comment remédier à une mesure d'expulsion déclarée irré- gulière par les juges de Strasbourg mais d'ores et déjà mise à exécution par les autorités françaises ? Comment indem- niser un hémophile contaminé lorsqu'il est décédé ? Com- ment considérer qu'une garde à vue s'est déroulée normale- ment lorsqu'elle a été ponctuée de coups et blessures ?

En réalité, faute de voir réparer véritablement les consé- quences gravement dommageables des violations commises sur sa personne, le justiciable lésé doit se contenter des indemnisations compensatrices que l'Etat français est condamné à lui verser. Mais celles-ci sont généralement faibles, surtout au regard des préjudices subis. Il faut toute- fois se garder d'émettre des critiques à mauvais escient contre ces décisions. En effet, les impératifs diplomatiques

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et leurs nécessaires incidences font qu'il est parfois malaisé d'employer la « manière forte » en prononçant des condam- nations trop lourdes, si lourdes qu'elles pourraient aboutir à... effaroucher les Etats signataires de la Convention euro- péenne, voire à dissuader les futurs signataires d'adhérer à ce traité.

L'aspect symbolique doit continuer à primer, car ce n'est que par cette voie que se feront les véritables et durables changements. Il serait maladroit de pénaliser à outrance les Etats, ce qui se traduirait inévitablement par le retrait de certains pays. Cela constituerait naturellement le contraire du but à atteindre.

Néanmoins, si l'intérêt général a ses raisons, les intérêts particuliers qui ont été bafoués demandent à être réparés.

D'où l'octroi d'indemnités au titre de ce que la Convention européenne qualifie, en son article 50, de « satisfaction équitable ». Les sommes ainsi allouées, même lorsqu'elles sont modestes, devraient inciter les Etats condamnés à mettre leur justice en harmonie avec les termes de la Convention européenne.

C'est l'objectif à atteindre, à tout le moins à moyen terme.

Mais les juges de Strasbourg ne sont pas, pour autant, timorés. Loin s'en faut. Ils ont fait preuve, à certaines occa- sions, d'une particulière fermeté lorsqu'il s'est agi de sanc- tionner certaines dérives et certaines pratiques éminemment contestables.

A cet égard, il suffit de relever le montant de quelques- unes des condamnations financières que la Cour euro- péenne des droits de l'homme a prononcées contre l'Etat français : 1 000 000 F en faveur de Félix Tomasi, 1 000 000 F au profit de Liliane Hentrich — non compris ses frais et dépens — 2 000 000 F pour Patrick Allenet de Ribemont, là encore en plus de ses frais et dépens.

De tels montants témoignent, si besoin était, que, si les

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juges européens modulent leurs condamnations en fonction des circonstances de la cause, ils savent aussi donner un

« coup de semonce » lorsqu'ils l'estiment opportun. En l'occurrence, les peines et traitements inhumains et dégra- dants, ainsi que les atteintes au droit de propriété et à la pré- somption d'innocence ont été sévèrement réprimés.

D'autres plaideurs ont été moins chanceux. Remli, Saïdi, le docteur A., Nasri, le docteur D., le transsexuel B. et bien d'autres se sont vu attribuer de faibles indemnisations. Par- fois, aucune réparation financière ne leur a été accordée.

Dans ce cas, les magistrats de Strasbourg ont considéré que le constat de violation constituait en soi une « satisfaction équitable » suffisante pour réparer le préjudice matériel et moral occasionné au demandeur par le manquement constaté.

C'est, du reste, la thèse systématiquement développée à Strasbourg par les agents du gouvernement français, les- quels considèrent qu'il convient de s'en tenir à ce seul constat, à l'exclusion de toute autre réparation.

Mais on ne peut admettre la généralisation d'une telle argumentation à toutes les situations soumises à l'examen de la justice européenne.

Sans méconnaître — bien au contraire — la valeur haute- ment symbolique d'une condamnation publiquement pro- noncée par les sages de Strasbourg, surtout lorsqu'elle concerne le pays de la Révolution française, on doit néan- moins convenir qu'elle n'est pas suffisante pour effacer, et encore moins pour annuler les conséquences de certaines violations.

Abdelhamid Hakkar a été condamné à la réclusion cri- minelle à perpétuité. Il n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat. Saïd Remli s'est vu infliger une peine d'empri- sonnement à vie; il a été jugé par une juridiction dont l'un des membres s'était vanté d'être raciste. Fahrat Saïdi a écopé dix ans de prison; il n'a jamais pu être confronté

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avec les témoins de l'accusation. M. et Mme Mantovanelli ont perdu tout espoir de connaître un jour les conditions du décès « accidentel » en milieu hospitalier de leur fille Joce- lyne; ils n'ont pas été admis à participer à l'expertise ordonnée en vue de déterminer les causes de cet étrange décès. Frédéric Foucher a été jugé et reconnu coupable, sans avoir pu obtenir communication de son dossier pénal.

Jean Kruslin a été puni de la réclusion criminelle à perpé- tuité, peine absorbant une condamnation, déjà lourde, de quinze ans de réclusion criminelle ; ces sentences sont inter- venues sur la base d'écoutes téléphoniques illicites, et même totalement clandestines pour l'une des deux procé- dures dont il faisait l'objet...

On perçoit donc bien la limite des sanctions que les juges de Strasbourg sont habilités à prononcer. Les décisions de la Cour européenne ont force obligatoire et force exé- cutoire. Elles s'imposent, en tant que telles, aux Etats ainsi condamnés. Il en est de même des résolutions adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Toutefois, ces arrêts par lesquels des violations de la Convention euro- péenne ont été constatées n'ont ni pour objet, ni pour conséquence d'annuler les jugements rendus par les juridic- tions nationales. Il n'entre, en effet, ni dans les attribu- tions, ni dans les pouvoirs des magistrats européens de s'immiscer dans les affaires internes des pays adhérents. Le principe de la non-ingérence ainsi que celui de la souverai- neté nationale s'opposent à l'évidence à une telle immix- tion.

Afin de combler ces lacunes, une étude a été préparée par un comité d'experts, sous l'autorité du Comité directeur des droits de l'homme. Elle avait pour objet l'amélioration des procédures de protection des droits de l'homme, et l'instau- ration d'une procédure de révision au niveau national pour faciliter la conformité avec les décisions de Strasbourg.

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Cette étude a été établie au mois de janvier 1992 et sa publication a été autorisée.

Le rapport est particulièrement clair. Il met parfaitement en relief la faiblesse du système qui consiste à constater une ou plusieurs violations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fonda- mentales, à condamner l'Etat qui s'est rendu coupable de ce ou de ces manquements, mais sans pour autant être en mesure d'obtenir l'entière réparation du préjudice subi.

Ainsi, les éminents experts soulignent nettement que :

« Dans certains cas, le paiement d'une indemnité ne peut constituer qu'une réparation partielle. Il ne peut suffire notamment dans le cas où la décision de la juridiction nationale — contraire à la Convention — continue à pro- duire ses effets, par exemple lorsqu'en raison d'une condamnation pénale le requérant se trouve encore en pri- son. »

Le comité ajoute que :

« Dans le cas d'une violation des articles 5 et 6, le besoin de révision se fait sentir d'une façon particulièrement nette

— par exemple lorsqu'il est établi qu'une personne a été irrégulièrement privée de sa liberté, ou que l'accusé n'a pas disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense ou n'a pas pu choisir un défenseur. »

Abdelhamid Hakkar et Pham Hoang pourraient aisément tirer argument de ces propos tenus par des personnes haute- ment compétentes dont l'autorité et la notoriété ne sont plus à démontrer.

Ces mêmes experts estiment qu'il serait préférable, plu- tôt que de se voir allouer une indemnité, que la personne victime d'une violation de la Convention européenne

« obtienne une décision d'un tribunal national en sa faveur après que l'un des organes de Strasbourg ait constaté une violation car sa condamnation initiale ne pourrait pas autre- ment être suspendue, annulée ou infirmée ». On s'ache-

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minerait alors vers une application de « normes euro- péennes » en matière de droits de l'homme, ce qui est effectivement le but à atteindre.

Mais l'Etat français n'en est pas là. Il « rechigne », il

« renâcle », il se fait « tirer l'oreille » pour appliquer et pour respecter ces normes. Il joue les vertus outragées et semble véritablement courroucé, offensé, voire offusqué lorsqu'une condamnation venant de Strasbourg le met à l'index. Ce qui ne l'empêche pas d'adopter un tout autre visage sur la scène internationale lorsqu'il s'agit de condamner les pratiques « contraires aux droits de l'homme » auxquelles certains pays se livrent. Il est, à l'évidence, plus facile de s'ériger en censeur vertueux que de « balayer devant sa porte ».

Et pourtant, la France a conscience de ses errements. Elle est notamment convaincue de la lenteur de sa justice. Au demeurant, chaque condamnation prononcée à ce titre par les magistrats de Strasbourg donne lieu à l'établissement, par le ministère de la Justice, d'une circulaire appelant à la vigilance les procureurs de la République et les procureurs généraux.

Et lors des « Journées de la justice » qui se sont dérou- lées les 22 et 23 mars 1997, M. Toubon s'est déclaré très intéressé par les procédures de justice « à grande vitesse »...

La longueur des détentions provisoires semble être égale- ment rappelée à l'attention des responsables.

Mais, en pratique, on ne constate aucune amélioration.

Même les malheureux hémophiles contaminés par le virus du sida n'ont pas eu droit à l'exception d'une procédure d'indemnisation accélérée. Certes, ils sont désormais dédommagés, mais lentement, beaucoup trop lentement.

La justice française est parfois exempte de toute morale.

Quoi qu'il en soit, il faudra bien que la France retienne les leçons qu'elle reçoit des juridictions européennes.

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Dans l'hypothèse d'un manquement à l'article 6 de la Convention européenne, qui consacre le principe d'un pro- cès « équitable », seule l'instauration d'un nouveau procès est susceptible de remédier au préjudice causé. C'est ainsi, et seulement ainsi, que l'Etat français démontrera sa bonne foi et sa bonne volonté.

« En cas de constatation d'une violation de la Conven- tion, on peut voir dans la possibilité d'engager une procé- dure de révision le moyen le plus approprié pour favoriser la mise en œuvre de l'obligation de respecter la Convention européenne des droits de l'homme. (...) Il n'y a aucun obs- tacle insurmontable au niveau national à l'introduction de la possibilité de révision (voir, par exemple, ce qui se passe là où la révision est autorisée : Luxembourg, Norvège, et certains cantons suisses) », rappelle le comité d'experts, qui insiste également sur l'engagement des Etats contractants de « servir l'ordre public européen ».

Le gouvernement de la République française va-t-il enfin se décider à retenir et appliquer les leçons en matière de droits de l'homme qui lui sont infligées par la justice euro- péenne ?

Cela serait souhaitable, surtout s'agissant de toutes les situations dans lesquelles une réparation financière s'avère insatisfaisante et en aucun cas susceptible de faire cesser une violation qui subsiste, au-delà de la condamnation pro- venant de Strasbourg.

De surcroît, un autre élément milite en faveur de l'instau- ration, dans certains cas, d'une procédure de révision quasi automatique aux lieu et place d'indemnisations financières.

Car, en définitive, c'est le contribuable français qui sup- porte le coût des erreurs commises par sa justice. C'est sur lui que pèse le poids financier des condamnations de l'Etat, puisque leur montant est immanquablement répercuté sur lui. Comme l'est également le coût élevé (notamment pour les frais de déplacement qu'elle génère) de la défense que

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la France fait assurer à Strasbourg. A cet effet, on constate, à la lecture des arrêts de la Cour européenne, que le gouver- nement français est systématiquement représenté à Stras- bourg au minimum par trois de ses fonctionnaires, géné- ralement par quatre de ceux-ci, et parfois même cinq ou s i x Bien qu'un seul de ces agents de l'Etat soit autorisé à plaider, ils se présentent néanmoins en grand renfort à Strasbourg, comme pour donner raison au dicton selon lequel « l'union fait la force ». Mais les magistrats euro- péens ne se laissent pas impressionner par cette défense...

impressionnante de par son nombre !

En tout état de cause, il est surprenant de constater que la France s'octroie plusieurs défenseurs, alors que ce même Etat a pu refuser à Abdelhamid Hakkar et à Pham Hoang l'assistance... d'un seul avocat ! Qui peut le plus peut pour- tant le moins...

Mais on doit à la vérité de souligner que la France a par- fois su déduire les conséquences des rappels à l'ordre qui lui sont infligés par la justice européenne. Je songe notam- ment aux transactions qui interviennent de plus en plus fré- quemment en matière d'indemnisation des malheureuses victimes du sang contaminé. Il s'agit là d'une innovation considérable, surtout au regard de leur courte espérance de vie.

Je pense également à l'introduction d'une législation, particulièrement stricte, dans le domaine sensible des écoutes, interceptions et enregistrements de conversations téléphoniques. De surcroît, cette loi promulguée le 10 juil- let 1991 est intervenue très rapidement après les deux condamnations prononcées par la Cour européenne des

d r o i t s d e l ' h o m m e d a n s l e s a f f a i r e s H u v i g e t K r u s l i n

1. Dans les affaires Funke, Crémieux et Miailhe et dans les affaires Huvig et Kruslin.

2. Cf. chapitre 16, « Les écoutes téléphoniques au pays de la liberté ».

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Je constate aussi que la France a fait droit aux demandes répétées du président de la Commission européenne de sur- seoir à l'exécution de la décision d'expulsion de Mohamed N a s r i En fin de compte, après l'arrêt rendu le 13 juillet 1995 par la Cour européenne, les autorités françaises ont renoncé à renvoyer cet homme dans son pays d'origine.

De même, dans l'affaire Jamil — et après que celui-ci eut porté sa réclamation devant les juges de Strasbourg — l'administration des douanes a renoncé à la mesure de contrainte par corps ainsi qu'à la quasi-intégralité de l'amende dont elle était bénéficiaire.

Ce sont autant de preuves que, lorsqu'il en a la volonté, l'Etat français est parfaitement apte à retenir les leçons de Strasbourg. Souhaitons qu'il persiste dans ces bonnes dis- positions. De grands pas restent à franchir, des progrès sont à accomplir, notamment en matière de respect des droits de la défense.

Alors, la justice européenne : les clés d'un contre-pou- voir?

Certes, mais peut-être aussi les clés d'un nouvel espoir : celui que les décisions supranationales conduisent progres- sivement à mettre fin aux trop nombreux dysfonctionne- ments et errements des tribunaux français.

Afin de se mettre en conformité avec les décisions de Strasbourg, le législateur sera vraisemblablement amené à intervenir dans les années à venir, tant sur des questions de fond que sur des questions de forme et de procédure.

A cet égard, on peut évoquer notamment la définition d'un véritable statut des transsexuels, l'adoption d'un statut déterminant avec clarté et précision la situation des étran- gers, la réglementation du régime des preuves, de celui des expertises, la réforme — sérieuse — de la détention provi-

1. Cf. chapitre 13, « France, terre d'asile ou terre d'expulsion? ».

2. Cf. chapitre 12, « Le principe de la légalité des délits et des peines ou l'art de manier et de "remanier" les lois ».

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soire, la réglementation afférente à la durée des procédures, l'aménagement rigoureux de toutes les dispositions rela- tives aux règles du procès équitable et, en particulier, l'ins- tauration d'une véritable « égalité des armes » entre l'accusation et la défense en matière pénale, etc.

Si le législateur a, dans un futur immédiat, un rôle consi- dérable à jouer, le rôle du juge sera aussi prépondérant.

C'est à lui, en effet, qu'appartient le soin de veiller au strict respect des textes, afin précisément d'éviter de nouvelles condamnations à la France. Il peut dans sa souveraineté soulever d'office certaines irrégularités qu'il constate, par- fois même il doit le faire, lorsque celles-ci constituent la méconnaissance de règles d'ordre public. Surtout, il lui faut se départir de toute défiance envers les organes juridiction- nels de Strasbourg et cesser de s'offenser lorsque la défense invoque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans le cas contraire, les règles du jeu continueraient inévitablement d'être faussées.

Et Jacques Chirac lui-même a pris soin de rappeler que :

« Il n'y a pas d'Etat de droit, de vertu républicaine, sans une bonne justice. »

Le Président a ajouté :

« Nos concitoyens sont plus que jamais attentifs à l'Etat de droit, car ce qui est en cause dans ce domaine, (...) c'est la démocratie. »

Mais, dans un avenir proche, la justice européenne aura également un rôle fondamental à jouer. Certains droits pourtant consacrés par la Convention européenne — sous une forme directe ou indirecte — demeurent encore à l'état de « balbutiement ».

J'évoquerai en particulier le droit au logement, dont le principe est rappelé par de multiples dispositions régle- mentaires, législatives, constitutionnelles, ainsi que par la Convention européenne elle-même.

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Néanmoins, ce droit — pourtant essentiel, et qui constitue l'un des composants du droit au respect de la vie privée — reste lettre morte. Aucune mise en application ne peut être requise sans se heurter à un refus catégorique des autorités françaises.

J'en veux pour exemple une récente décision du tribunal administratif de Paris, qui a refusé d'accorder le sursis à une mesure d'expulsion, alors que cette demande était faite dans l'attente que le relogement de la personne expulsée,

— qui incombe à l'Etat et aux collectivités locales — soit assuré. Le tribunal administratif de Paris est allé jusqu'à refuser tout crédit à l'avis émis par le Conseil constitution- nel, qui rappelait à son tour le principe du droit au loge- ment, lequel avait déjà été mis en relief par Mme Cochard, président honoraire du tribunal de grande instance de Paris.

A l'heure actuelle, et malgré une conjoncture écono- mique particulièrement difficile, il est encore procédé, en France, à des expulsions de personnes dont le relogement dans des conditions décentes n'est pas assuré. Le droit au logement est ainsi bafoué. Il est souhaitable que les juridic- tions européennes puissent, tôt ou tard, se prononcer sur cette épineuse question.

De même, les droits de l'enfant sont aujourd'hui mis à rude épreuve, et ce malgré l'existence de certaines conven- tions ratifiées par la France (Convention européenne de Luxembourg, Convention de La Haye) et destinées à proté- ger les enfants, en particulier contre les déplacements illi- cites dont ils sont l'objet dans le cadre de procédures de divorce dans lesquelles ils servent en quelque sorte d'« otages ».

Le droit à la vie familiale, dont la Convention euro- péenne exige le respect, englobe nécessairement le droit, pour tout parent, même divorcé, d'avoir des contacts régu- liers avec son enfant et de participer à son éducation.

Or, on assiste de plus en plus fréquemment à la méconnaissance de ce droit. Là encore, la justice euro-

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péenne devra se pencher sur ce problème, dans la mesure où les droits de l'enfant et, par voie de conséquence, ceux de ses parents font partie intégrante du principe du respect de la vie familiale. Or, l'éclatement actuel de la cellule familiale remet inévitablement en cause ce principe, lequel apparaît comme sérieusement battu en brèche.

Enfin, un autre droit semble s'égarer. Il revêt pourtant une importance considérable. Il s'agit du droit de se soigner comme on l'entend. A cet égard, les failles se multiplient.

Nombreux sont pourtant les médecins et les patients qui revendiquent la liberté de choix dans ce domaine. Les médecins dissidents s'exposent aux sanctions des ordres des médecins, sanctions allant jusqu'à la radiation du tableau, c'est-à-dire jusqu'à l'interdiction d'exercer la pro- fession de médecin.

Les Drs Alain S. et Marc V. en ont fait la triste expé- rience. Quant aux patients qui ne suivent pas la voie tradi- tionnelle, ils n'ont guère de chances d'obtenir le rem- boursement de leurs soins. Ces situations sont inacceptables au regard des principes les plus fondamentaux.

D'autres victimes, d'autres recours devraient aboutir non seulement à la confirmation de droits déjà reconnus, mais également à la consécration de nouveaux droits. Tels sont les espoirs que l'on peut fonder dans la justice européenne.

Et puis, on peut espérer que la législation française s'aligne un jour sur la loi fédérale suisse relative à la procé- dure pénale, dont les dispositions de l'article 229, ch. 4 (nouveau) prévoient que :

« La révision d'un jugement exécutoire rendu par les Assises fédérales, par la Chambre criminelle ou par la Cour pénale peut être demandée :

« 4. Lorsque la Cour européenne des droits de l'homme ou le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a admis le bien-fondé d'une requête indivi- duelle pour la violation de la Convention de sauve-

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garde des droits de l'homme et des libertés fonda- mentales, du 4 novembre 1950, ou de ses protocoles et que la réparation ne peut être obtenue que par la voie de la révision; dans ce cas, la demande doit être introduite dans les quatre-vingt-dix jours à compter de la notification de la décision des auto- rités européennes par l'Office fédéral de la justice. » Finalement, l'exemple de discipline, de civisme et, sur- tout, de respect des décisions européennes sera venu de la Suisse, pays limitrophe de la France. Un exemple à mé- diter...

En conclusion, le mot de la fin doit être laissé à M Henri Leclerc, avocat et président de la Ligue des droits de l'homme, réélu à ces fonctions au mois de mars 1997.

Cet ardent défenseur des droits de l'homme s'est ainsi exprimé :

« (...) ce n'est ni par la violence des armes, ni par la dicta- ture de l'économie que nous ferons progresser le monde vers un ordre international plus juste, mais par l'émergence et la reconnaissance d'un droit international universel et par son prolongement nécessaire et naturel : une justice univer- s e l l e »

... Une justice universelle dont la justice européenne de Strasbourg (Commission européenne des droits de l'homme, Cour européenne des droits de l'homme et Comité des ministres du Conseil de l'Europe) constitue l'un des piliers les plus fondamentaux.

Mais tous les espoirs sont permis. En effet, l'Etat fran- çais vient d'éditer, en 1997 et dans le cadre de la Journée du Timbre, un timbre à l'effigie de Marianne, laquelle est porteuse d'un recueil intitulé... DROITS DE L'HOMME.

Heureusement que le ridicule ne tue pas ! Pauvre France...

I. Extrait de l'ouvrage de M Henri Leclerc Un combat pour la justice, éditions La Découverte.

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REMERCIEMENTS

L'auteur tient à exprimer ses remerciements aux per- sonnes qui ont, directement ou indirectement, contribué à la réalisation de cet ouvrage :

Roland Agret, Vincent Berger, Alain Cornic,

Ismène et Guy de Dampierre, Dominique Dehaeze,

Brigitte et Gérard Lemaire, Nicole Lombard,

Martine Ricoir-Maillet,

Bernard, Monique et Christophe Soyer.

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