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Monnaie et finance

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Texte intégral

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Monnaie et finance:

deux applications différentes de la "loi de l'économie".

Georges Lane

Université Paris Dauphine

2 février 2006

Texte préparé pour la réunion du Séminaire J.B. Say le jeudi 9 février 2006 à l'Université Paris Dauphine (bureau A414), à partir de 10H30.

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Introduction : quelques faits étonnants.

Qui aurait songé il y a quarante ans que le franc français, redevenu alors officiellement convertible en or, ne serait plus, quarante ans plus tard, la marque de la monnaie qui circulerait légalement en France, que la Banque de France, son monopole d'émission obligatoire, aurait abandonné sa "souveraineté" au profit d'une banque non nationale créée pour l'occasion et

dénommée "Banque centrale européenne" et que l'euro, la nouvelle monnaie, serait la monnaie en quoi les impôts devraient être payés en France ? Qui se serait attendu à ce que l'Etat de France accumule des déficits budgétaires annuels de l'ordre de 300 milliards de francs (45 milliards d'euros) malgré des augmentations d'impôts de toute sorte et des privatisations d'entreprises publiques ? Qui aurait supputé que le téléphone1 deviendrait à la fois portable, objet de "grande consommation", récepteur d'émissions de télévision, et microordinateur personnel en réseau ? Que la monnaie et la finance se verraient donner des formes supplémentaires, à savoir électroniques ?2 Pour ne pas évoquer l'intelligence du système financier international par le commun des mortels ou même les autorités qui est devenue pour le moins problématique3.

Malgré cela, on assiste à une vague montante de commentateurs ou autres qui vouent aux gémonies la finance actuelle4 et réclament aux hommes de l'Etat de la réglementer5.

Ces faits historiques, inimaginables hier, apparemment sans lien les uns avec les autres, se sont donc produits dans la période 1965-2005 et le recours à, par exemple, la "rareté des choses" ou la "lutte de classes" pour s'approprier ces dernières -, faits si chers à maints économistes, n'apportent

1

On obtenait alors une ligne pour un téléphone fixe un à deux ans après la demande au monopole et, le cas échéant, pour accélérer les choses, après une demande auprès du "politique" du coin

2

Cf. Lane, 1999b. 3

Selon Greenspan (1998) :

" This afternoon I intend to address a subject that ten years ago would have been sleep inducing. Today it is a cage rattler: the structure of the international financial system. Functioning well, most participants take it for granted. Functioning poorly, it becomes a vehicle for financial contagion and a threat to the franchises of many in this room." (Greenspan, novembre 1998) 4 Par exemple, le livre de Edouard Tétreau (2005) intitulé L'analyste, au c ur de la folie financière. Selon l'éditeur:

"Quand un initié parle. Edouard Tétreau, analyste financier, a suivi les groupes de médias européens à un moment crucial de la bulle financière. Il pensait exercer un métier de raison, à base de chiffres. La folie des marchés, l'aveuglement des grands chefs d'entreprise, l'appétit de pouvoir, les pulsions les plus inquiétantes, la morgue des petits marquis régnant sur les fonds de pension : Edouard Tétreau nous fait découvrir ici l'irrationnel du théâtre d'ombres de la planète Finance. Ce livre dévastateur, cruel et drôle, nourri de scènes vues et vécues, est surtout parfaitement salutaire. Il déshabille un mythe. Mesurons-nous le danger d'abandonner aussi facilement à autrui notre épargne, nos projets et nos entreprises ? "

Un livre récompensé par un prix http://www.bnains.org/livres/romans_biographies.htm#tetreau

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Par exemple Dominique Plihon (2004) Les désordres de la finance, Le tour du sujet, Universalis. Quatrième de couverture: "L'économie mondiale est secouée par des crises financières à répétition depuis la fin des années 1980. Ces crises ont d'abord frappé les pays dits émergents sur tous les continents. À leur tour, depuis le début des années 2000, les puissances de la Triade (Japon, États-Unis, Europe) connaissent la crise boursière la plus importante depuis la grande dépression de 1929. Ces pays sont également secoués par des scandales boursiers à répétition, tandis que la criminalité financière, qui s'appuie sur les paradis fiscaux, s'inscrit au c ur de la mondialisation. Comment expliquer les dérives de la finance globalisée? Quelles sont les causes de cette instabilité financière? Celle-ci est-elle liée au processus de globalisation financière ou à ses dysfonctionnements? Est-elle à l'origine du ralentissement de la croissance dans le monde? Quelles sont les tentatives les plus pertinentes pour mettre en place de nouveaux instruments de régulation et réformer la gouvernante mondiale?"

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guère de secours pour les comprendre et a fortiori pour les expliquer6. Et, dans ces conditions, est paradoxale l'hypothèse théorique que l'être humain est certain sur la réalité où il vit et dont il est un élément ou bien celle qu'il est doté d'une incertitude déterministe (l'une des espérances morales qu'il s'est formé se réalisera nécessairement).

Les faits attestent d'abord que l'être humain ignorait l'avenir et que son esprit était donc infirme. Mais les êtres humains ont agi contre vents politiques et marées déterministes et les actions qu'ils ont choisi de mener ont eu comme résultats ces faits observables.

Ensuite, les faits traduisent une réduction de l'ignorance des êtres humains sur la réalité,

conséquence des actions menées plutôt que produit d'une fatalité ou d'un sens de l'histoire. Si on le préfère, on parlera des connaissances qu'ils ont acquises et on reconnaîtra que celles-ci varient d'un individu à un autre.

Enfin, on peut toujours faire référence aux notions d'"équilibre économique général" ou d'"équilibre macroéconomique", mais il faut reconnaître alors que les faits cités définissent un changement de conditions de ces derniers plutôt que leur simple déplacement dans le temps et l'introduction de la distinction équilibre à court terme équilibre à long terme n'apporte rien.

Comment alors simplement comprendre ce qui s'est produit à défaut de l'expliquer ? Comment en avoir un début d'intelligence ? Le texte qui suit se propose de répondre à la question dans la mesure où elle concerne la monnaie et la finance.

Ce n'est pas la science catallactique qui peut permettre d'apporter une réponse, ce n'est pas son objet. Ludwig Von Mises (1881 - 1973) a insisté sur ce point à propos du phénomène spécifique de la "monnaie papier":

"The only thing that catallactics has to establish is that the possibility of the existence of fiat money must be admitted." http://www.mises.org/humanaction/chap17sec9.asp

C'est la méthode praxéologique qui en donne la capacité. Carl Menger (1840 - 1921)7 avait certes proposé une théorie praxéologique de l'origine de la monnaie, mais il l'a élargie au point de pouvoir distinguer la méthode praxéologique de la question historique, et c'est cela qui importe:

"Carl Menger has not only provided an irrefutable praxeological theory of the origin of money. He has also recognized the import of his theory for the elucidation of fundamental principles of praxeology and its methods of research.[5][ ] The praxeological method traces all phenomena back to the actions of individuals. If conditions

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Ni la monnaie électronique, ni la finance électronique, ni l'ordinateur personnel, ni le téléphone portable n'étaient rares en 1965, ils n'existaient pas, les êtres humains les ignoraient. Le franc français était en revanche une marque bien connue de monnaie étatique séculaire, donc rare, mais des politiques l'ont fait abandonner sans lutte de classe. Qu'est devenue sa rareté ? Serait-elle devenue infinie ? L'équilibre du budget annuel de l'Etat de France était rare (comparé à ce qu'il avait été jusqu'en 1960) et il a disparu aujourd'hui. On peut se poser les questions précédentes.

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of interpersonal exchange are such that indirect exchange facilitates the transactions, and if and as far as people realize these advantages, indirect exchange and money come into being. Historical experience shows that these conditions were and are present. How, in the absence of these conditions, people could have adopted indirect exchange and money and clung to these modes of exchanging is inconceivable. The historical question

concerning the origin of indirect exchange and money is after all of no concern to praxeology." (Mises, chap.

17, pp. 406-7) http://www.mises.org/humanaction/chap17sec3.asp

C'est la méthode qui sera suivie ci-dessous, complétée au préalable par une généralisation de celle de Henri Poincaré.

A l'époque de Menger, Henri Poincaré (1854-1912) a en effet insisté dans Science et méthode sur l'"abondance des faits" à quoi est confronté le "savant"et sur l'infirmité de l'esprit de ce dernier. Son propos a consisté dans ce livre à exposer qu'à cause de l'infirmité, le "savant" devait procéder à un choix de faits8 en suivant une certaine méthode. Et c'est sur le problème que soulève le choix de la méthode que le livre s'étend.

"Ce que j ai cherché à expliquer [...], c est comment le savant doit s y prendre pour choisir entre les faits innombrables qui s offrent à sa curiosité, puisque aussi bien la naturelle infirmité de son esprit l oblige à faire un choix, bien qu un choix soit toujours un sacrifice." (Poincaré, 1927, p. )

Bien évidemment, en tant que "savant mathématicien", Poincaré avait lui-même choisi une méthode et laissait entendre que son choix avait pour fondement la règle que proposait Ernst Mach (1838-1916)9 et que celui-ci nommait l'"économie de pensée" :

" C'est à l'économie de pensée que l'on doit viser, ce n'est donc pas assez de donner des modèles à imiter [ ] On ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée, comme disait Mach " (Poincaré, 1927, pp. 24-31)10

Adopter la démarche de Poincaré permet d'avancer qu'en tant que savant, l'économiste est confronté à l'"abondance des faits" et qu'en tant qu'esprit infirme, il doit en choisir certains en suivant une certaine méthode. Mais pourquoi adopter la démarche, dira-t-on ? L'annexe 1 donne un certain nombre d'éléments en guise de réponse. Dernier élément de réponse, beaucoup de savants économistes ont choisi comme fait plus ou moins central de leur science - "la rareté des choses" sans trop expliquer pourquoi. Le choix apparaît paradoxal si on le met en parallèle avec

l'"abondance des faits" qui n'est jamais qu'un autre fait du même ordre !11 Il apparaît d'autant plus paradoxal si on généralise la démarche de Poincaré en disant que l'être humain est confronté à l'"abondance des actions" qu'il peut mener, mais étant donnée son infirmité d'esprit et de corps, il doit faire des choix en suivant une certaine méthode. Beaucoup moins paradoxal alors et même bien

8

Selon Poincaré : "L'importance d'un fait se mesure donc à son rendement, c'est-à-dire à la quantité de pensée qu'elle nous permet d'économiser " (Poincaré, 1927, p.24)

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Que Poincaré présente comme "autrichien de Vienne". 10

Je reviens ci-dessous plus en détail sur la méthode en question. 11

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connu devient le choix du fait «abondance des actions des êtres humains» qu'effectuent implicitement d'autres savants économistes et qui donne lieu au fait premier "actions des êtres humains" sur quoi ceux-ci n'hésitent pas à se concentrer. "Abondance des faits", "abondance des actions", le paradoxe a disparu... A ces choix qu'on rappellera dans la section I, on associera deux grandes entités: l'école de pensée "autrichienne" et l'ensemble "non autrichien", i.e. le regroupement des savants économistes qui n'adhèrent pas à la doctrine de l'école de pensée "autrichienne".

Les entités présentent deux grandes différences autres que leur fait central ou premier d'étude qui les font distinguer et qui ne sauraient être passées sous silence. L'une est en relation avec l'action quotidienne du savant économiste lui-même12: sa prise en considération contribue à vérifier ce que l'école "autrichienne" a la capacité de faire comprendre ou d'expliquer tandis que l'ensemble "non autrichien" s'en prive à cause d'hypothèses parasites et se contente de donner au savant économiste un rôle de "deus ex machina", voire un rôle dans le pays d'Alice, celui des Merveilles (section II).

L'autre différence s'envisage en relation avec les évolutions de la monnaie et de la finance évoquées, des évolutions non cernables par beaucoup, encore aujourd'hui, et a fortiori non maîtrisables par l'être humain, fût-il une autorité13. Après avoir montré que l'ensemble "non autrichien" dénature en définitive ce que constituent aujourd'hui la monnaie et la finance (section III), la section IV montrera que, contrairement à l'école "autrichienne", il se trouve dans l'incapacité de donner les conditions des faits observés, il ne peut pas faire remarquer qu'ils sont deux

applications différentes de la "loi de l'économie".

En conclusion, je dirai qu'il est loisible à certains, commentateurs ou autres, de vouer aux gémonies la finance actuelle et de réclamer aux hommes de l'Etat de la réglementer. Mais il est tout autant loisible à d'autres savants économistes de s'étonner de leur démarche car celle-ci procède de l'ensemble «non autrichien» et car, à ce titre, elle est incapable de fournir la moindre description des conditions de l'évolution observable à quoi ils s'opposent et qu'ils ont la prétention de vouloir maîtriser. Ils ne font qu'illustrer à leur manière le biais que dénonçait Friedrich von Hayek, il y a près de soixante-dix ans, en ces termes:

"[...] il n'est pas indispensable au fonctionnement de [certain] système [par exemple, système de prix] que quelqu'un y comprenne quelque chose. Mais il y a peu de chances que les gens le laissent fonctionner s'ils n'y comprennent rien" (Hayek, 1939b, p.17)

12

Dans quoi j'aurais tendance à voir un aspect de l'économie en général. 13

Il suffit d'observer les difficultés des comptables pour enregistrer certaines opérations pour s'en convaincre. Pour ne pas évoquer les faillites ou les malversations (Crédit Lyonnais, Enron, etc.) qui ont vu le jour en relation avec cette évolution.

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I. Quels autres faits choisir ?

Je distinguerai le choix de l'"autrichien" et, par antinomie, les choix des "non autrichiens", ce qui m'amènera à parler au passage des entités "école de pensée économique autrichienne" et "ensemble non autrichien".

I.A. L'économiste "autrichien".

a) Le fait "les actions des êtres humains.

Certains savants économistes ont choisi dans l'"abondance des faits", mais sans référence explicite à celle-ci (cf. ci-dessous), le fait "actions des êtres humains".

"Economics is not about goods and services, it is about the actions of living men. { ] The sole task of economics is analysis of the actions of men, is the analysis of processes." (Mises, 1966, chap. 16)

Et ils se sont attelés à l'étude des actions humaines ou, si on préfère, ont fait de la praxéologie14. C'est le cas de l'école de pensée économique dénommée "autrichienne" par les "historiens de la pensée" officiels. Selon Mises (1962):

"Lorsque l'on se réfère à la science économique développée à Vienne et en Autriche, on parle habituellement de l'« École autrichienne ». De nombreuses personnes se méprennent sur ce terme et imaginent qu'il existait une école d'économie autrichienne particulière à Vienne, une sorte d'institution organisée à peu près comme une faculté de droit aux États-Unis. En réalité, le terme d'« école », quand on l'utilise à propos de l'économie autrichienne, se réfère à une orientation quant à la doctrine: il s'agit d'un terme doctrinal" (Mises, 1962).

http://www.google.com/u/Mises?hl=en&q=transaction+cost

A partir du fait "actions des êtres humains » et de l'"individualisme méthodologique" comme méthode, les savants économistes "autrichiens" ont expliqué, par déduction logique, les choix de leurs actions par les êtres humains, leurs semblables, et les conséquences à attendre de ces choix. Il est à souligner qu'ils ont mené l'étude15, non pas dans un cadre d'analyse fabriqué sur mesure, où les généralités abstraites ou les axiomes pondus rivalisent en finesse les uns avec les autres, mais dans le bon gros contexte où eux-mêmes vivent et font des efforts, à savoir le contexte de la réalité, de la nature, de l'être, de l'univers, i.e. celui de l'ignorance limitée de chacun ou, si on préfère, de l'incertitude non déterministe, voire de leurs connaissances personnelles limitées.

14

Depuis que le mot avait été inventé à la fin du XIXè siècle par Espinas. Faut-il souligner à destination du lecteur français que Mises rappelle dans l'Action humaine que "The term praxeology was first used in 1890 by Espinas. Cf. his article "les Origines de la technologie," Revue philosophique, XVth year, XXX, 114-115, and his book published in Paris, in 1897, with the same title." (Mises, 1966, p.3n)

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Tout comme ils sont en mesure, chacun, de vérifier l'explication pr leur propre choix d'actions successives dans la durée - en particulier, leur choix d'être économiste -

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b) Conséquence de l'infirmité du corps de l'être humain : une action à la fois.

Si l'"abondance des faits" a conduit Poincaré à mettre l'accent sur l'infirmité de l'esprit du savant et le choix de faits à quoi ce dernier doit nécessairement se livrer, à ma connaissance, l'économiste "autrichien" ne s'est jamais référé explicitement au fait "abondance des actions" qui s'offrent à chaque être humain. Néanmoins, on ne peut qu'admettre que le fait "les actions des êtres humains" en soit une déduction inconsciente - "stylisée", mais directe.

En conséquence, et d'une part, il n'a pas eu à insister sur l'infirmité de l'esprit et du corps de l'être humain et surtout sur les deux conséquences à en tirer, à savoir que ce dernier a la capacité de ne mener qu'une action et une seule à la fois - l'être humain n'a pas le don d'ubiquité - et qu'il doit donc choisir une action16. Néanmoins il a pris en considération le fait "une action à la fois" à chaque instant ou dans l'élément de temps de référence - donc sacrifice ou insatisfaction individuelle -17. Le cas échéant, il a considéré aussi le fait "une succession d'actions dans l'avenir".

D'autre part, l'"autrichien" n'a pas insisté non plus sur sa situation personnelle, celle de l'être humain qu'il est et qui a choisi d'être savant économiste. Il est pourtant le premier à avoir choisi dans l'"abondance des actions" qu'il avait la capacité spirituelle et physique de mener une action spécifique, celle de "savant économiste" à cause de son infirmité d'esprit et de corps. Et il a été alors le premier à combiner le choix de cette action à celui d'autres pour survivre "il faut bien dormir de temps à autre et manger et " -. Il convient de reconnaître en passant qu'implicitement ses actions se retrouvent dans les actions des êtres humains qu'il étudie.

c) "On ne fait rien à partir de rien", mais l'être humain possède en propriété un patrimoine qu'il a la capacité de modifier.

En revanche, le savant économiste "autrichien" a insisté primo sur le fait qui préside à cette infirmité d'esprit et de corps de l'être humain et sur quoi, en définitive, Poincaré n'a pas insisté, à savoir que l'être humain ignore la réalité où il vit et dont il est un élément.18. L'être humain l'ignore en partie ou, si on préfère, de façon limitée. Mais il faut prendre garde au biais qui résulte de la rhétorique. Par métonymie, certains parlent de son "ignorance limitée", voire rationnelle19, de la

16

Certes Rothbard insiste sur le fait que "La vraie science de l'homme part de sa liberté de penser et d'agir". 17

Il est à remarquer en passant qu'étant donnée l'hypothèse 3), l'économiste autrichien est en mesure d'étudier l'action de recherche et de découverte de la science économique elle-même, de la science en général, de la réduction de l'ignorance ou, si on préfère, de cerner l'action de l'invention (même si, en se plaçant dans un cadre d'analyse "non autrichien", Arrow en 1962 s'y attache et si, en 1969, Demsetz répond à sa tentative).

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En revanche, Bastiat (1850) y avait insisté en écrivant que l'ignorance préexiste à la science J'ai tendance à penser que, pour Poincaré, c'était une évidence à ne pas souligner.

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Selon Congleton par exemple :

"Rational ignorance is the thin line separating natural ignorance and knowledge. In order to choose to remain ignorant of a phenomena, one must first realize that the phenomena exists. In order to remain ignorant once a phenomena is known to exist, or to potentially exist, one must choose to remain entirely uninformed about the details of that phenomena. Interpreted in statistical

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réalité, puis ils avancent que la réalité lui pose des problèmes ou qu'elle lui fait courir des risques. Ce qui les amène à voir dans l'ignorance limitée, rationnelle ou non, un phénomène discret20. Tout cela est bien malheureux.

Secundo, l'"autrichien" s'est étendu sur le fait "on ne fait rien à partir de rien" en soulignant que

tout être humain possède un patrimoine en propriété21 qu'on peut d'ailleurs prendre ou non comme indicateur de la situation où il se trouve22-. D'un côté, ou bien ce patrimoine ne le satisfait pas ou bien il en imagine un autre dont il préférerait disposer. De l'autre, et bien qu'il l'ignore en partie malgré le droit de propriété, ce patrimoine lui donne la capacité de penser et d'agir23 et les actions qu'il mène le transforment en permanence. Et cela a conduit certains autrichiens à introduire la notion oh combien discutable de "rareté des choses". Il est plus important de souligner qu'il a la capacité de modifier son patrimoine et qu'en conséquence, il a la capacité d'agir.

I.B. Les économistes "non autrichiens".

Les autres savants économistes ont en commun d'avoir préféré choisir dans l'"abondance des faits" un fait autre que "les actions des êtres humains".

a) Bref panorama de faits choisis

Par exemple, certains d'entre eux ont sélectionné le fait "conséquences des actions humaines", c'est le cas de Pareto (1848-1923) qui a écrit explicitement :

"La science dont nous entreprenons l'étude est une science naturelle, comme la psychologie, la physiologie, la chimie, etc." (Pareto, 1896-7, p.2, §1)

"Notre étude a pour objet les phénomènes qui résultent des actions que font les hommes pour se procurer les choses dont ils tirent la satisfaction de leurs besoins ou leurs désirs" (Pareto, p.3, §3)

terms, rational ignorance implies that an individual knows that a variable or dimension exists but decides not to collect any data or sample that particular variable or dimension relevant or not." (Congleton, 1999)

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Selon Congleton :

" Ignorance, in the sense used in this paper, is a discrete phenomena. Ignorance occurs when one is totally uninformed about some fact, phenomena, conditioning variable, or characteristic. In some areas of deterministic phenomena, ignorance and knowledge are clearly binary, 0-1, states--one may know a fact or not. In other areas, ignorance and knowledge appear to be a continuum. One may or may not know that particular phenomena exists or not, and, once known, one may know or understand the phenomena with more or less precision. The initial ignorance-knowledge threshold remains binary. Either one knows the phenomena exists or is possible, or one does not. Once that threshold is reached, an individual potentially enters the continuous range which is the subject of statistical analysis. The latter is principle focus of work on imperfect information within the modern search and signaling literatures derived from Stigler (1961). Once known, an individual may make more or less accurate estimates of the characteristics or conditional distribution of a particular stochastic phenomena. However, before knowledge of a phenomena is acquired or discovered, there is subjectively "nothing" for the individual to estimate." (Congleton, 1999)

21

Le droit de propriété contribue implicitement à la réduction de l'ignorance limitée de l'être humain. 22

A commencer par le temps qui le sépare de sa mort. Mais il ne connaît pas « complètement » ce patrimoine, il l'ignore en partie, ce qui ne l'empêche pas d'agir

23

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D'autres ont choisi le fait " rareté des choses"24. Mais, comme on l'a déjà fait remarquer, mis en parallèle avec l'"abondance des faits", caractéristique prêtée à la nature, ce choix peut sembler paradoxal. Comment peut-il y avoir "rareté des choses" et "abondance des faits" ? N'y aurait-il pas des chaînons manquants ? Qui se trompe ? Y aurait-il un problème de sémantique ? Je laisse de côté le débat.

Comme s'ils voulaient contourner l'obstacle, des troisièmes qui se posaient ces questions ont plongé le fait "rareté des choses" dans les faits plus généraux qu'ils ont dénommé respectivement "équilibre économique général"25 ou "équilibre macroéconomique". Mais ces faits existent-ils ? Tant que le déterminisme régnait en mathématique ou en physique (cf. annexe 1), on pouvait le (faire) croire à défaut de le démontrer et l'affirmer en procédant par analogie (cf. Cachanovsky (1988) à propos de Koopmans (1954) ou bien Negishi (1960)). Mais maintenant, et justement à cause de Poincaré, le doute sur le sujet est le moindre mal, le déterminisme, en tant que principe universel, a été réfuté. Pour sa part, le déterminisme mathématique a été transformé en une

"propriété mathématique" dénommée "théorème d'existence et d'unicité" ! (cf. Lurçat, 2003, p. 100). Et des savants économistes «non autrichiens» se sont engouffré dans le tunnel ainsi ouvert et n'ont pas hésité à avancer l'existence et l'unicité de l'"équilibre économique général" ou l'"équilibre macroéconomique"26 !

Bien évidemment, d'autres savants économistes "non autrichiens" ont choisi, chacun de leur côté, d'autres faits ("le capital", "l'inégalité des revenus", etc.)27 La liste est longue, mais peu importe. Tous ces savants économistes s'inscrivent dans des écoles de pensée économique différentes de l'école "autrichienne" dont on dénommera l'ensemble, certes hétérogène, par antinomie et pour simplifier le langage, "non autrichien" et chacun d'eux, savant économiste « non autrichien".

b) L'éventail des hypothèses d'ignorance limitée, d'incertitude déterministe et de certitude.

En relation avec les faits choisis qui définissent l'ensemble "non autrichien", surgit une question car à ces faits plus ou moins hypothétiques, le savant économiste "non autrichien" juxtapose en

24

Comme si les choses n'étaient pas l'une des conséquences des actions humaines, à commencer par l'action de recherche et de découverte.

25

Selon Keynes :

"C'est lui [Hume] qui introduisit chez les économistes la coutume de donner à la position d'équilibre plus d'importance qu'aux situations constamment changeantes qui y conduisent. Toutefois il restait assez mercantilistes pour ne pas ignorer qu'en fait nous vivons dans ces situations transitoires" (Keynes, 1969, p.356n)

Mais l'équilibre économique général existe-t-il ? Selon Mises:

"Economics [ ] Its goal is not to dwell upon imaginary constructions such as equilibrium. These constructions are only tools of reasoning." (Mises, 1966, chap.16)

26

Et cela qu'on se place dans le cadre du calcul des variations et de la méthode des multiplicateurs de Lagrange ou dans celui de la théorie des ensembles du groupe Bourbaki (Debreu, Arrow etc.).

27

Bien évidemment, ces derniers faits ont des zones de recouvrement et aussi avec les faits choisis par les autrichiens, je laisse de côté la question.

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général -aujourd'hui, s'il est rigoureux28 - le choix de l'une ou l'autre des "hypothèses" mutuellement exclusives suivantes :

* H.1) l'être humain est certain sur le monde, la réalité, l'univers, l'être où il vit et dont il est élément, * H.2) il a une incertitude déterministe sur celui-ci,

* H.3) il a une incertitude non déterministe, une ignorance limitée, il l'ignore en partie29.

Et il a tendance à privilégier, explicitement ou non, l'hypothèse H.1) ou H.2). Certains expliqueront d'ailleurs la tendance en faisant intervenir un goût pour l'emploi des mathématiques (algèbre,

géométrie, topologie, etc.) en science économique et par l'incapacité de celles-là à traiter l'ignorance limitée de l'être humain. D'autres se référeront à Kenneth J. Arrow quand il a écrit :

" the uncertainties about economics are rooted in our need for a better understanding of the economics of uncertainty ; our lack of economic knowledge is, in good part, our difficulty in modelling the ignorance of the agent" (Arrow,1974, p.1)30.

II. Importance méthodologique méconnue de l'éventail d'hypothèses "ignorance limitée, incertitude déterministe et certitude".

Plus que le choix en définitive arbitraire de l'hypothèse H.1), H.2) ou H.3), l'éventail lui-même soulève une interrogation qui, comme on va le montrer brièvement, devrait retenir toute l'attention et à quoi il conviendrait de répondre.

Et si on compare alors l'école de pensée "autrichienne" et l'ensemble "non autrichien" à partir de la réponse à cette interrogation, on arrive au constat que l'"autrichienne" permet de comprendre voire expliquer l'action du savant économiste lui-même31 tandis que le "non autrichien" n'a que la capacité

28

Cela n'a pas toujours été le cas, cf. Coase (1937):

"Economic theory has suffered in the past from a failure to state clearly its assumptions. Economists in building up a theory have often omitted to examine the foundations on which it was erected. The examination is, however, essential not only [ ] but also [ ]" (Coase, 1937, op.cit., p.389).

29

Certains diront que si l'ignorance ou l'incertitude non déterministe dans laquelle on prend toute décision ne limite pas celle-ci, en revanche, nous limite l'imagination "d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours". Nous laissons de côté la question. Il reste que, par exemple, H. Simon (prix Nobel 1978) soutient que notre capacité à comparer les alternatives et à faire des choix est limitée par les processus cognitifs eux-mêmes. Il en est ainsi parce que les décisions sont prises à partir d'un ensemble d'alternatives locales, souvent spécifiques, mais aussi de façon séquentielle. L'impossibilité pour un cerveau de capter l'ensemble des

informations nécessaires à une prise de décision " rationnelle" a pour conséquence que l'ensemble des alternatives considérées est limité. Par ailleurs, la nature séquentielle des choix introduit un problème d'"agenda": certaines décisions induisent des phénomènes irréversibles et excluent quasiment de l'ensemble des choix un grand nombre d'alternatives. Or, les psychologues montrent que l'instinct ou l'émotion impose très souvent un ordre de priorité dans les décisions. Et les erreurs attendues avec incertitude, et évaluées coûteuses, peuvent décourager l'être humain de mener une action. On dira que cela dépend en particulier de l'aversion de la personne pour le risque - pour l'incertitude - de Bastiat (1850) à Jeleva (2000) en passant par Schmeidler (1989).

Quant à Hayek, dans La constitution de la liberté, il n'hésite pas à écrire

"Nulle part la liberté n'est plus nécessaire que là où notre ignorance est la plus grande aux frontières de la connaissance, autrement dit là où personne ne peut prédire ce qu'on va trouver un peu plus loin devant soi" (Hayek, 1994, p.391) 30

Cf. Arrow (1974). 31

(11)

11

de lui donner un rôle de "deus ex machina", voire de le faire vivre au pays d'"Alice", celui des

"Merveilles".

II.A. Les raisons de l'interrogation sur l'éventail d'hypothèses.

a) L'éventail d'hypothèses est une condition nécessaire des raisonnements non autrichiens La première raison de s'interroger sur l'existence de l'éventail des hypothèses est que son introduction explicite dans la science économique est à la fois récente et une condition nécessaire pour que le savant économiste "non autrichien" commence à raisonner, les seuls faits, généralités abstraites ou axiomes qu'il a choisis ne se suffisant pas à eux-mêmes. Par exemple, dans un contexte de certitude (H.1), la "rareté des choses" est concevable, mais dans un contexte d'incertitude

déterministe (H.2) ou d'ignorance limitée (H.3), il en est différemment: que peut-elle bien signifier ? La monnaie électronique, la finance électronique, le microordinateur personnel, le téléphone portable n'étaient pas rares en 1965, le seraient-ils devenus aujourd'hui ? Autre exemple, il peut s'agir du fait "équilibre économique" en certitude, en incertitude déterministe ou en incertitude non déterministe32.

b) L'éventail d'hypothèses est sans objet pour le raisonnement autrichien.

Seconde raison de l'interrogation, le savant économiste "autrichien" ne peut quant à lui

qu'ignorer l'éventail des hypothèses parce que celui-ci est sans objet pour son raisonnement. Il n'en a donc pas besoin car son choix de faits est consubstantiel à l'hypothèse H.3), l'ignorance limitée caractérise sa condition.

Comme lui, mais à sa façon, l'être humain dont il étudie les actions ignore en partie le monde où il vit, la réalité économique à venir, donc il éprouve une insatisfaction individuelle ou il imagine une situation où il préférerait se trouver, donc il agit pour changer sa situation. C'est la logique de base qu'avance par exemple par Mises étant donné que:

"The uncertainty of the future is already implied in the very notion of action. That man acts and that the future is uncertain are by no means two independent matters. They are only two different modes of establishing one thing . If man knew the future, he would not have to choose and would not act. He would be like an automaton, reacting to stimuli without any will of his own. [ ] Future needs and valuations, the reaction of men to changes in conditions, future scientific and technological knowledge, future ideologies and policies can never be foretold with more than a greater or smaller degree of probability. Every action refers to an unknown future. It is in this sense always a risky speculation" (Mises, Human Action, VI.1)

"To explain a phenomenon theoretically means to trace back its appearance to the operation of general rules which are already comprised in the theoretical system." (Mises, 1966, p.17).

32

(12)

12

II.B. Une certaine supercherie.

En bonne logique, l'hypothèse 1) ou 2) excluent donc de procéder à l'étude des d'actions des êtres humains. En certitude, l'être humain n'agirait pas. En incertitude déterministe, agirait-il ? Certains savants économistes « non autrichiens » le font croire dans le cadre de ce qu'il dénomme depuis le milieu de la décennie 1940 la "théorie des jeux"

a) L'imitation.

Malgré cela, et en passant, il est à remarquer que des "non autrichiens" ont parfois procédé à l'étude des offres ou demandes individuelles, types d'action de l'être humain, en partant d'une

imitation de la démarche que quelques savants avaient suivie aux XVIIè-XVIIIè siècles pour

expliquer les actions répétitives de la Nature et qui avait permis à ceux-ci d'obtenir les résultats. Ils avaient alors supposé omnisciente la Nature dont ils étudiaient les actions répétitives

dénommées encore "phénomènes naturels" - et leur démarche a débouché sur le développement de ce qu'on a dénommé "mécanique classique ou rationnelle" jusqu'à la fin du XIXè siècle.

Par imitation ou, si on préfère, par analogie, ces savants économistes "non autrichiens" ont supposé, dans un premier temps, omniscients, puis, dans un second, dotés d'une incertitude

déterministe les êtres humains dont ils étudiaient les résultats des actions répétitives production ou consommation -. C'est la théorie microéconomique du consommateur, du producteur, etc. avec l'emploi de la méthode des multiplicateurs de Lagrange33 pour "calculer les solutions du modèle".

Néanmoins (cf. ci-dessous), ils commettent une première erreur : la méthode des multiplicateurs de Lagrange ne peut qu'être appliquée à des phénomènes conservatifs alors que l'action humaine est dissipative. Mais qu'à cela ne tienne, d'autres "non autrichiens" s'affranchissent du recours à cette méthode de Lagrange en abandonnant le "calcul des variations" dont elle procède pour se plonger dans les "mathématiques du groupe Bourbaki" émergé dans la décennie 1930 (que Gérard Debreu, par exemple, a résumé en 1959 dans son ouvrage intitulé Théorie de la valeur en 21 pages).

Seconde erreur, les sciences physiques renferment aujourd'hui différentes mécaniques et rien ne justifie que le savant économiste continue à se ruer sur la malheureuse "mécanique rationnelle".

33

On rappellera en passant que Vilfredo Pareto (1896-7) était réservé à propos de l'emploi de la méthode Il écrivait néanmoins que les équations jouent dans l'étude de l'équilibre économique un rôle analogue à celui des équations de Lagrange dans l'étude de l'équilibre mécanique (§59) ou encore que l'équilibre d'un système économique présente des analogies frappantes avec l'équilibre d'un système mécanique (§592).

(13)

13

b) L'étude des actions des êtres humains ne saurait exclure les actions mêmes du savant économiste qui la mène.

Il reste que, dans cette perspective, et contrairement aux savants économistes "autrichiens", les "non autrichiens" ne sauraient retrouver les résultats de leurs propres actions dans leur raisonnement. Le fait34 est qu'en excluant l'hypothèse 3), ils excluent les actions de savant économiste que chacun a choisi de mener dans la vie quotidienne, dans l'ignorance limitée de l'avenir où il se trouve35. En d'autres termes, par le refus de cette hypothèse 3), ils ne sauraient s'identifier à ces êtres humains avec les résultats des actions desquels ou avec les actions desquels "ils jouent" dans le meilleur des cas.

Certes, logiquement, la science ne saurait avoir la prétention d'englober la Nature, la partie ne saurait contenir le tout :

" Vouloir faire tenir la nature dans la science, ce serait vouloir faire entrer le tout dans la partie." (Poincaré, 1927)

Mais, logiquement, l'étude des résultats des actions des êtres humains ne saurait exclure les actions des êtres humains et l'étude des actions des êtres humains ne saurait exclure l'action les actions même(s) de l'être humain qui la développe, i.e. l'action du savant économiste, chercheur et

découvreur potentiel, - et les autres actions successives qu'il a choisies d'y juxtaposer pour survivre -. Il y a ce qu'on sait exister et ce qu'on ignore. Exclure ce qu'on sait exister n'est pas nécessairement synonyme de simplifier, par exemple:

"En retranchant du domaine propre de l'expérience tout ce qui, à un degré quelconque, implique de l'unité, on aboutit à faire des éléments donnés une inconnue éternellement inimaginable, indéfinissable, inconcevable : ce qui revient à en nier l'existence » (Boutroux, 1921, p. 47)

Pourquoi bannir le fait que des êtres humains ont choisi dans l'"abondance des actions" qui s'offraient à eux l'action "mener une action scientifique" et qu'à ce titre ils sont d'ailleurs réputés "savants"? En passant, ce fait prouve s'il en est besoin - l'autre fait qu'ils ne mènent, chacun, qu'une action à la fois dans l'élément de temps et plusieurs actions dans la durée.

Bref, pourquoi en définitive se bannissent-ils de l'étude ? Pourquoi laisser de côté que pour vivre, pour survivre dans la durée, le savant doit aussi mener des actions successives autres? Il a pourtant la capacité de choisir de mener une succession d'actions, dans la durée à venir étant donné le choix d'un horizon de décision. La capacité résulte du patrimoine qu'il possède étant entendu que posséder celui-ci est une action nécessaire pour survivre. L'action de possession donne la capacité de mener d'autres actions, une par une, d'y juxtaposer une action autre.

34

Fait implicitement choisi. 35

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Pour qu'il soit savant "observable", il faut que l'être humain ait choisi conjointement de mener - dans un certain ordre - son action scientifique et d'autres actions qu'il y juxtapose36. Pour avoir fait le choix d'être savant "économiste", l'être humain s'est engagé dans une action particulière étant données d'autres actions qu'il a choisies de mener dans la durée. Et, soit dit en passant, on ne peut qu'admettre que l'ensemble d'actions successives qu'il a choisi contribue à améliorer sa situation : il ne l'aurait pas choisi sinon Et on peut toujours le lui demander pour en être sûr 37

Dans cette perspective, n'y a-t-il pas une supercherie à vouloir étudier les résultats des actions des êtres humains, la rareté des choses, l'équilibre économique général ou macroéconomique, après avoir exclu de considérer leurs actions en tant que telles ou, parmi celles-ci, la suite d'actions de soi-même, savant économiste "non autrichien" qui mène l'étude ?

II.C. Le savant économiste: preuve, deus ex machina ou Alice au pays des Merveilles. En résumé, l'hypothèse 3) permet au savant économiste "autrichien" de se retrouver dans les explications des actions des êtres humains qu'il donne et de "vérifier ainsi, par son simple cas," sans expérience de laboratoire construite arbitrairement, ce qu'il avance. Ses actions choisies deviennent preuve du raisonnement.

A l'opposé, avec l'exclusion des actions des êtres humains en général et, en particulier, des actions mêmes qu'a choisies de mener le savant économiste "non autrichien", les hypothèses 1) ou 2) transforment ce dernier en deus ex machina38 De fait, on peut aussi penser que c'est lui qui a voulu acquérir ce "grade" dans son rêve de maîtriser la réalité, qu'elle soit selon son c ur, et qu'il a imaginé peut-être le devenir en faisant ces hypothèses qui le sortiraient de la "machine".

En vérité, les hypothèses 1) ou 2) ont un effet méthodologique encore plus important, pour ne pas écrire dévastateur, qui ne saute pas aux yeux au premier abord et sur quoi nous ne saurions trop insister: elles transforment le monde qu'étudie le savant économiste "non autrichien" en le pays où

Alice connaît des aventures, celui des Merveilles,39 pour ne pas parler du "théâtre classique français du XVIIè siècle", en particulier celui de Jean Racine inspiré par le jansénisme de Port Royal et les écrits de Saint Augustin (cf. annexe 1). Mais les merveilles en question - les "coups de théâtre " -,

36

Rothbard (1991) est muet sur ce point. Comme Mises, son axiome est l'action, mais pas l'action unique qu'il choisit de mener à chaque instant parmi les actions possibles.

37

Autre question : a-t-il choisi avec ou sans méthode dans l'abondance des actions? 38

Ce qui ne devrait pas être pour la raison donnée dans la note 12. De sorte que, comme le constatait Poincaré, on constate très souvent:

" chaque thèse de sociologie propose une méthode nouvelle que d ailleurs le nouveau docteur se garde bien d appliquer, de sorte que la sociologie est la science qui possède le plus de méthodes et le moins de résultats" (Poincaré, 1927)

Tout cela pour ne pas évoquer la boutade selon laquelle si vous posez une question à trois économistes, vous aurez trois réponses. 39

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dénommées le cas échéant "sobrement" "chocs exogènes", sont en définitive moins merveilleuses que les merveilles du monde réel. Et, à titre d'illustrations, attachons-nous maintenant aux faits historiques choisis en introduction.

De façon moins saillante que cette exclusion des actions du savant économiste "non autrichien" du monde qu'il étudie, de façon moins évidente que sa transformation de simple mortel en deus ex

machina ou héroïne d'un roman, l'hypothèse 1) ou 2) exclut l'étude de phénomènes observables

autres comme, par exemple, la monnaie ou la finance. Tels qu'ils sont présentés à partir des hypothèses 1) ou 2), les phénomènes monétaire ou financier donnent l'impression à qui s'y

intéressent qu'ils sont des résultats exclusifs de l'action individuelle et qu'ils n'ont pas des principes propres autonomes indépendants de celle-ci.

Les deux sections qui suivent ont pour objet de remettre les idées en place. Dans la section III, on se propose de montrer que les hypothèses H.1) ou H.2) dénaturent le fait que la monnaie et la finance sont des applications de la loi de réduction du coût de l'action d'échange. Après quoi

(section IV), on verra que l'une ou l'autre hypothèse contribuent à obstruer la voie de la connaissance de ce qui se trouve être le principe des phénomènes de la monnaie, de la finance et de l'économie, à savoir l'application permanente de la loi de l'économie à la réalité, au monde où il vit.

III. La dénaturation de certaines applications de la loi de réduction du coût de l'action d'échange.

La monnaie et la finance ont été, à l'origine, des inventions résultats des actions des êtres humains. Elles ont pris depuis lors, chacune, des formes "substance" qui ont varié au cours des siècles. En vérité, dire cela est insuffisant si on veut définir exactement les natures respectives de l'une et de l'autre.

Pour être complet, il convient de préciser, d'une part, qu'elles procèdent d'accords d'association ou de coopération des êtres humains entre eux et, d'autre part, que non seulement les accords ont survécu aux êtres humains qui les avaient initiés en les convenant, mais encore qu'ils ont donné lieu à des organisations a priori inimaginables à l'origine et différentes de l'organisation initiale, elles ont varié au cours des âges. Bref, la monnaie et la finance ont aussi pris diverses formes "organisation".

Et ce n'est pas fini comme en témoignent les faits cités, avec la monnaie et la finance électroniques.

Quoique résultats des actions des êtres humains, la monnaie et la finance sont des phénomènes analogues au phénomène économique constitué par les actions humaines qu'étudient les savants

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économistes "autrichiens" - et tout autant originaux que ce dernier : en vérité, "la créature échappe à son créateur", nous voici dans Pygmalion40. A cet égard, rien ne justifie aujourd'hui de voir dans la monnaie et la finance des aspects de l'"économie", tout pousse au contraire à les mettre sur un même plan méthodologique, à les envisager comme la même réalité envisagée de trois points de vue différents, comme trois applications d'une même loi, comme trois principes :

"Les lois générales qui règlent la marche des choses se nomment des principes, du moment qu'il s'agit de leur application ; c'est-à-dire du moment qu'on s'en sert pour juger les circonstances qui s'offrent, et pour servir de règle à ses actions. La connaissance des principes donne seule cette marche assurée qui se dirige constamment et avec succès vers un bon but." (Say, 1826, p.16)

III.A. La monnaie, première application.

"Money has not been generated by law. In its origin, it is a social, and not state-institution"

Carl Menger, 1892, p.255 Beaucoup d'économistes, adeptes de la théorie de l'équilibre économique général ou de la théorie macroéconomique, voient dans la monnaie41 un objet complexe comme en témoigne leur définition préférée en termes de "moyen d'échange/paiement, réserve de valeur et unité de compte" émis par la banque centrale en contrepartie des actifs financiers que celle-ci a achetés sur le marché.

En toute rigueur, aujourd'hui, étant donné l'état actuel de développement atteint par la science économique, cette définition est, au pire, une erreur économique (analogue à ce que Poincaré dit du mot "chaleur", cf. note 34), au mieux, une façon de prendre ce que désigne le mot par le petit bout de

la lorgnette (analogue à ce qu'il dit du mot "électricité", cf. note 34). Et s'il en est ainsi, c'est parce

que, jusqu'à la décennie 1960, une majorité de savants économistes ont écarté la notion de coût de transaction (cf. Lane, 2005).

40

Pour la petite histoire, première version, Pygmalion, ce roi de Chypre fera faire une statue d'ivoire représentant son idéal de beauté et en tombera amoureux. Aphrodite, prenant pitié de lui, insufflera la vie à l'objet qui portera le nom de Galatée. Pygmalion l'épousera et lui donnera une fille, Paphos, qui sera la mère ou la femme de Cinyras. Selon certains auteurs, leur fille sera Métharmé qui Ainsi,Pygmalion put épouser sa statue et Aphrodite honora leur mariage de sa présence. Dans un époque récente la statue reçut le nom de Galatée. épousera Cinyras.

Seconde version : Pygmalion sculpteur (ou roi) légendaire de Chypre, misogyne ou selon une autre version, indigné par la

prostitution sacrée d'Amathonte, se voua à un célibat absolu ce qui lui permettait en même temps de se consacrer tout entièrement à la sculpture. Parmi toutes ses oeuvres, la statue à laquelle il consacrait tout son génie représentait une femme. Jour après jour, il travaillait à cette statue d'ivoire et sous ses doigts habiles elle devenait de plus en plus belle. Cette passion singulière ne demeura pas longtemps ignorée de la déesse de l'Amour et Aphrodite, pour se venger, le rendit éperdument amoureux de sa statue. Mais devant les tourments du malheureux sculpteur qui passait ses journées et ses nuits à contempler sa statue, et ses ferventes prières, elle décida de lui donner vie.

41

J'ai tendance à réserver au mot "monnaie" ce que Poincaré a dit séparément des mots "chaleur" et "électricité". S'agissant du mot "chaleur" :

"[ ] l homme inconnu qui a inventé le mot chaleur a voué bien des générations à l erreur. On a traité la chaleur comme une substance, simplement parce qu elle était désignée par un substantif, et on l a crue indestructible." (Poincaré, 1905) S'agissant du mot "électricité" :

"[ ] celui qui a inventé le mot électricité a eu le bonheur immérité de doter implicitement la physique d une loi nouvelle, celle de la conservation de l électricité, qui, par un pur hasard, s est trouvée exacte, du moins jusqu à présent." (ibid.)

(17)

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a) Réduction du coût de l'échange

En effet, il faut rappeler que, depuis la fin du XIXè siècle42, la théorie économique a laissé entendre à défaut de l'expliquer rigoureusement comme c'est le cas aujourd'hui - que la monnaie concrétisait d'abord une réduction réussie du coût de l'échange43 des droits de propriété sur les choses entre les êtres humains, rien d'autres. C'est ainsi qu'elle était une grande découverte des êtres humains vivant en société de droit, elle résultait de leur coopération et de leur coordination.

b) Dans un contexte sans durée, échange et transaction.

L'analyse de la découverte a permis aux théoriciens de mieux cerner ce qu'est l'échange entre êtres humains au point de rendre la monnaie indépendante de la durée vécue par chaque partie de l'échange. Elle les a amenés à faire abstraction du "temps qui passe" pour fixer les idées la concernant. Elle les a conduits à introduire les notions d'échange direct et d'échange indirect et d'expliquer la transition de l'échange direct à l'échange indirect ou, plus exactement, la transition d'un coût de l'échange direct qu'ils évaluaient élevé à un coût de l'échange indirect non seulement beaucoup moins élevé, mais encore en diminution à espérer.

A contribué à la diminution le fait que les processus de transaction entre les parties contractantes dans les échanges indirects débouchent sur des taux d'échange contre monnaie - sur des prix des choses en monnaie -. Implicitement, il y a eu transition du coût de la transaction sur le taux d'échange direct à un coût de la transaction sur le taux d'échange contre monnaie, sur le prix en monnaie, inférieur.

D'une certaine façon, en plus de tous les développements à quoi l'expression anglaise de

"transaction cost" a donné lieu en anglais, il y a un développement spécifique de la notion en relation avec la notion française de "transaction" (cf. Bastiat, 1850), synonyme de marchandage, qui est rendu aujourd'hui en anglais par le mot "bargaining" (Demsetz, 1968, Cross, 1965). De fait, le coût de transaction, traduction en français de "transaction cost", inclut le coût de l'échange et le coût de la transaction sur le taux d'échange, sur le prix en monnaie. C'est le coût de l'action d'échange, direct ou indirect.

c) Formes "substance" ou formes "organisation" de la monnaie.

Rétrospectivement, on peut dire que la monnaie a réalisé la diminution du coût de l'action d'échange espérée avec incertitude par les êtres humains et n'en finit pas de la réaliser. Elle s'est

42

Menger, 1892. 43

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inscrite le long de deux grandes lignes parallèles, une ligne "substance" et une ligne "organisation". Et la citation de Menger en exergue de cette section en rend compte.

Si on suit la ligne «substance», on observe que la monnaie est passée de formes "marchandise" en anglais, saleable44 - à des formes "non marchandise"45 (coupure de billet de banque, chèque, etc.)

qui s'y sont juxtaposées avant de les supplanter en presque totalité -.

Suivant la ligne «organisation», la monnaie est passée d'un système qui relevait, d'un côté, d'ateliers monétaires46 qui frappaient localement d'une marque la "marchandise monnaie" et, de l'autre, d'êtres humains qui avaient potentiellement le choix immédiat entre détenir la marchandise pour des raisons d'échange et la détenir pour d'autres raisons ("raisons industrielles"), à des systèmes de nature bancaire locale qui ont offert des « choses papier », substituts de la "marchandise

monnaie" marquée ou non47, et où les êtres humains n'avaient plus le choix précédent de la fondre par exemple -, pour atteindre des systèmes de «réseaux électroniques», - encore de nature bancaire locale pour l'instant, mais pour combien de temps ? -.

Il reste qu'on voit à présent l'apparition de la "monnaie électronique", "e-money", qui est à cheval sur les deux lignes et contribue à les rapprocher.

d) Une erreur de Keynes.

Bref, la monnaie, c'est fondamentalement une paire (substance, organisation), l'une ou l'autre composante étant susceptible d'évoluer de son côté. Et l'évolution de la paire a concrétisé la

diminution du coût de l'échange indirect jusqu'à aujourd'hui. A cet égard, la monnaie est en théorie un principe application d'une espèce de "loi de la réduction du coût de l'action d'échange" dans un contexte d'analyse où le théoricien a le droit scientifique de faire abstraction de la durée. Et si Keynes a écrit au moins une grande énormité facilement remarquable, c'est bien quand il a écrit que:

"L'importance de la monnaie découle essentiellement du fait qu'elle constitue un lien entre le présent et l'avenir". (Keynes, 1969, p.309)

Il confond, pour des raisons qu'on explicitera dans la section suivante, la comparaison théorique d'une "offre non spot" d'une chose (offre observable sur un marché organisé) et d'une "offre spot" de la même chose (offre tout autant observable sur un marché organisé) avec la liaison contractuelle - convenue en pratique entre deux êtres humains - d'un échange non spot et d'un échange spot de sens

44

Pour reprendre la traduction en américain de Menger (1992) ; mais "vendible" si on fait référence aux mots employés par Mises. 45

au sens où l'être humain ne tire pas d'utilité marginale de la chose échangeable qui est un support. 46

Pour ne pas monter trop loin dans le passé. 47

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contraire de la chose en question contre une autre richesse qu'on ne précise pas. Bref, il mélange

monnaie et finance.48

La monnaie a, peut-être, un "taux d'intérêt théorique" au sens de la comparaison keynésienne (cf. Keynes, 1969 pp.238 et sq.), mais le taux d'intérêt est d'abord le résultat du processus de transaction sur l'intérêt (intérêt fixe ou variable, périodique ou non, etc.) à quoi donne lieu la liaison

contractuelle convenue par le prêteur et l'emprunteur, i.e. cette forme particulière de la finance.

III.B. La finance, seconde application.

"Futures exchanges may have been a technological breakthrough of the nineteenth century, but swaps are the breakthrough of the twentieth century" Merton Miller, 1997, p.104

"Over the past decade, we have witnessed an acceleration of this process of change, not only in the real economy but in finance as well, with innovations that have swept through the banking, mortgage finance, and securities industries.

These innovations have brought with them new products and services, and, of necessity, evolution in the approaches required of both managers and regulators. "

Alan Greenspan, 2000 Pendant longtemps et à la différence de la monnaie, les économistes de la théorie de l'équilibre économique général ou de la théorie macroéconomique se sont désintéressés de la finance49. Ils s'y intéressaient seulement, et un peu, quand l'international - l'étranger - était en jeu au travers de ce qu'ils dénommaient les «mouvements de capitaux» et la «balance des capitaux». Pourquoi d'ailleurs "capitaux" et non pas "créances" ?

a) Réduction du coût de l'échange temporel

Depuis la seconde moitié du XXè siècle50, la théorie économique explique que la finance concrétise, comme la monnaie, une réduction réussie du coût de l'échange51. Mais l'échange en question est différent de celui au départ de la monnaie puisqu'il s'agit de l'échange temporel

d'épargnes ou de choses en propriété entre des êtres humains52. La finance apparaît ainsi comme une autre grande invention des êtres humains vivant en société de droit. Et elle résulte elle aussi de leur association et de leur coopération, i.e. de leur organisation. D'une certaine façon, échange temporel et échange financier sont synonymes, "échange temporel" est de l'ordre du vocabulaire littéraire, "échange financier" de l'ordre du vocabulaire économique scientifique.

48

Rappelons que, par exemple, pour Keynes (1937):

"For 'finance" is essentially a revolving fund. It employs no savings. [ ] In the main the flow of new finance required by current ex-ante investment is provided by the finance released by current ex-post investment." (Keynes, 1937, p.666)

49

Exemple par excellence, Keynes. En 1937, ce qu'il dénommait "finance" a suscité des débats (cf. par exemple, Robertson, 1938). 50

Explication théorique dans les décennies 1960-70 par, entre autres, Gurley et Shaw. 51

Que l'être humain évaluait dans un passé moins lointain. 52

Soit un échange à terme, non spot, i.e. différé dans le temps, soit un échange alliant un échange spot et un échange non spot, soit un échange plus ou moins complexe.

(20)

20

L'invention a permis aux théoriciens de situer dans la durée l'échange de choses entre êtres humains. Grâce à la durée, ils sont parvenus à introduire les notions d'échange "ici et maintenant"

échange spot , d'échange à terme, "demain, ici ou ailleurs" échange non spot et d'échanges liés

de sens contraires échange (non) spot lié à échange non spot -. Et ils peuvent expliquer désormais

la transition de l'échange forcément spot dans un monde sans finance à l'opportunité d'échanges

temporels, ou, plus exactement, la transition d'un coût de l'échange temporel a fortiori évalué trop

élevé ce qui empêchait les êtres humains d'y avoir recours - à un coût non seulement beaucoup moins élevé qui a permis l'émergence de l'échange financier mais encore en diminution à espérer.

b) Formes "substance" ou formes "organisation" de la finance.

Rétrospectivement, on peut dire que, comme cela s'est produit avec la monnaie, la finance a donné réalité à la diminution de coût à espérer par les êtres humains, et celle-ci n'en finit pas de se réaliser et s'est faite suivant les deux mêmes grandes lignes parallèles de la forme "substance" et de la forme "organisation". Et les citations de Miller et de Greenspan en exergue de cette section en rendent compte.

Si on suit la ligne «substance», on observe que la finance est passée de la forme,

rétrospectivement complexe, "créance" ou "reconnaissance de dette"53, à des formes tantôt très simples du type "engagement d'achat à terme" ou "engagement de vente à terme" à certaines conditions54, de fait "non spot"-, tantôt plus complexes - surtout depuis ces dernières années avec, par exemple, les "dérivés de crédit" -.

En suivant la ligne «organisation», on constate que la finance est passée de contrats "locaux" de gré à gré (en anglais, OTC pour "over the counter") - cachant une organisation juridique particulière - ou d'intermédiaires locaux dits "financiers" proposant les contrats précédents, à des intermédiaires, bancaires ou non, proposant des «contrats standardisés» tout cela se juxtaposant pour atteindre des "marchés organisés" "entreprises de marché", "bourses de commerce ou de valeurs" ("future exchange" en anglais) qui se sont juxtaposés -.

Il reste que, ces dernières années, les formes ont connu une évolution remarquable55 et que les deux lignes ont donné l'impression de se rapprocher (avec, en particulier, l'apparition de la "finance électronique", "e-finance" ou des fonds de placement dits "spéculatifs" "hedge funds" -).

53

En relation avec le contrat de prêt/emprunt de richesse (monnaie ou autre) qui est la liaison d'un échange spot et d'un échange non spot de sens contraire, à certaines conditions convenues par les parties contractantes, dont celle de l'intérêt que l'emprunteur versera au prêteur.

54

Chers à Keynes en relation avec les contrats d'échange à terme, non spot,, envisagés surtout du point de vue des offreurs de richesses, monnaie ou autres.

55

Cf par exemple l'intitulé d'un exposé de Greenspan en 2003, "Global Finance: Is It Slowing?". Et cela a même conduit certains, par la suite, à voir dans l'économie une mécanique et non pas dans la mécanique une économie même si Poincaré - ou à établir des théories économiques par analogie avec des théories mécaniques, ce qui est pour le moins curieux

(21)

21

c) Finance et monnaie.

Bref, comme la monnaie, la finance se définit comme une paire (substance, organisation), l'une ou l'autre composante étant susceptible d'évolution propre. Et l'évolution de la paire traduit la diminution du coût de l'échange temporel jusqu'à aujourd'hui inclus. Et ce n'est pas fini.

En théorie, la finance est donc, comme la monnaie, un principe application de la "loi de la réduction du coût de l'action d'échange", mais à la différence de la monnaie, sa condition est un contexte d'analyse où le théoricien ne fait pas abstraction de l'avenir ou de la durée future, où il suppose explicitement que les êtres humains se forment des espérances morales sur l'avenir - comme lui-même d'ailleurs - et mènent des actions à la lumière de ces espérances morales. Pas de durée attendue, pas de finance, mais le cas échéant de la monnaie pour les raisons données. La monnaie a pour ancre l'échange56 atemporel de choses en propriété et la finance l'échange temporel57 d'épargne en propriété (sous forme de choses ou de monnaie(s) locale(s)).

IV. La loi de l'économie.

En vérité, l'hypothèse 1) ou 2) contribuent à obstruer la voie de la découverte de ce que se trouvent être les principes de la monnaie, de la finance, voire de l'économie, à savoir l'application permanente de la "loi de l'économie" à la réalité, à commencer par ce qu'il faut entendre par la "loi de la réduction du coût de l'action d'échange" à quoi on a fait référence. L'annexe 2 rappelle que celle-ci est un aspect de ce qui avait été dénommé dans le passé, de façon plus générale, la "loi de l'économie" et dont l'application imaginée par certains savants à l'action de la Nature a permis l'émergence et l'essor de ce qu'on a dénommé la "mécanique"58, puis les "mécaniques".

IV.A. Quiproquo sur son rôle en sciences physiques.

Plusieurs raisons expliquent le rappel en annexe 2 de l'application de la loi de l'économie à l'action de la nature depuis les XVIIè et XVIIIè siècles.

a) Les conditions d'application de la méthode de Lagrange n'ont pas retenu l'attention des savants économistes.

Primo, beaucoup d'économistes "non autrichiens" ne se soucient pas des conditions d'application

de la méthode des multiplicateurs de Lagrange qu'ils emploient (par exemple Don Patinkin (1972)

56

Echange incluant une transaction débouchant sur un prix en monnaie de la chose échangée contre monnaie. 57

Lequel prend en considération l'ignorance limitée de chacun. 58

(22)

22

ou J.C. Milleron (1975)), ni du caractère en définitive très particulier59 de ces conditions60. L'important semble souvent pour eux que l'hypothèse de la rareté des choses et la méthode "s'entendent comme larrons en foire".

Ils oublient, ignorent ou méconnaissent que les phénomènes naturels que la méthode permet de traiter doivent être des phénomènes réversibles, que le modèle économique doit être conservatif, alors que les phénomènes les plus nombreux dans la nature seraient des phénomènes irréversibles, le modèle dissipatif. Preuve simple : l'action humaine n'est pas un phénomène réversible, l'être humain n'est pas un système conservatif. Les échanges de choses en propriété ne sont pas des actions

réversibles car il y a des coûts de transaction. Bien sûr, si on met de côté les coûts de transaction comme l'ont fait les savants économistes de la théorie de l'équilibre économique général jusqu'à la décennie 1960, ils deviennent réversibles. Les offres et les demandes individuelles, solutions des modèles de la théorie microéconomique du consommateur ou du producteur, ne sont pas des phénomènes traitables par la méthode de Lagrange. On peut bien sûr cacher cela en faisant abstraction des actions pour s'intéresser aux seuls résultats ou en supposant que les coûts de

transaction sont nuls -. Mais, que penser de la démarche ? Pour l'"autrichien", il est difficile d'y voir une simplification ?

b) La méthode commune des mécaniques physiques.

Secundo, le rappel que propose l'annexe 2 a été fait pour débusquer le dénominateur commun des

sciences physiques en question quand, pour progresser par analogie, les savants économistes s'y réfèrent. Il apparaît que le dénominateur n'est pas une loi originale de celles-là, sans analogue en science économique, mais bien le contraire puisqu'il s'agit tout simplement de la "loi de l'économie" exprimée sous la dénomination de " principe de moindre action".

c) La curieuse méfiance des savants économistes à propos de la méthode première de leur discipline.

Tertio, l'annexe 2 a été écrite pour faire remarquer que tout s'est passé comme si des savants

économistes avaient eu finalement peu confiance dans la méthode première de leur discipline, à savoir l'étude des actions des êtres humains dans l'ignorance limitée61 où ils se trouvent, à partir de l'application de la "loi de l'économie". Que faut-il entendre par "loi" au sens scientifique du mot ? Relisons Poincaré :

59

Et non pas général comme certains l'avancent implicitement sous prétexte de mathématiques. 60

Cf. mon texte intitulé "Le mythe de l'effet revenu" de février 1999 discuté à une réunion du séminaire JB Say qui vise à prolonger celui de Pascal Salin (1996) sur le même thème et le texte de Foley et Smith (2002).

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