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Industrialisation et transformation des destinées individuelles : les trajectoires féminines à Québec, 1852-1911

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Industrialisation et transformation des destinées

individuelles:

les trajectoires féminines à Québec,

1852-1911

Mémoire

Arianne Vignola

Maîtrise en sciences géographiques

Maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)

Québec, Canada

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Résumé

La littérature portant sur l’histoire du XIXe siècle omet souvent de parler de la place qu’ont prise les

femmes dans l’espace urbain public et même résidentiel. Outre leur rôle de mère, peu de chercheurs se sont attardés aux autres aspects entourant la vie des femmes à cette époque. Par exemple, en rapport avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, on se réfère souvent aux deux guerres mondiales du 20e siècle et à la

demande accrue de main-d’œuvre que les évènements qu’ont causée ces évènements. Toutefois, au Québec comme dans plusieurs centres industriels, les femmes étaient présentes sur le marché du travail manufacturier bien avant cette époque. Pour combler ce manque, certains géographes et historiens ont travaillé sur la situation qui prévalait à Montréal ou en Nouvelle-Angleterre. Pour la ville de Québec, encore beaucoup de chemin reste à faire avant de pouvoir tracer le portrait clair des transformations qui se sont déroulées pendant la période industrielle. Quels changements ont vécus les femmes de Québec à cette époque ? Quel portrait peut-on dresser de leurs trajectoires? Se basant sur les données des recensements de 1852 à 1911 et sur des données provenant des registres de mariages de la ville de Québec, la présente étude vise deux objectifs principaux, soit établir l’évolution structurelle des caractéristiques socio-économiques des femmes au cours de la période industrielle et également observer l’évolution et la spatialité des trajectoires des femmes de Québec.

En poursuivant ces objectifs, un constat est clair : un important changement social et économique s’est opéré dans la vie des femmes au fil de la période industrielle. Plus de femmes au travail, plus de célibataires, mais, également, un niveau de scolarité amélioré. Par contre, pour les femmes mariées, la fécondité se maintient à un niveau élevé. Différenciées selon les origines et le milieu de vie des femmes, ces caractéristiques et perspectives changeantes font l’objet du portrait de la situation féminine à Québec au cours de la période industrielle proposé dans cette étude.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... ix

Remerciements ...xiii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : La situation des femmes en milieu industriel et le contexte de la ville de Québec de 1852 à 1911 ... 7

1.1 Les femmes : le travail, le mariage et la famille en période industrielle ... 7

1.1.1 Portrait de femmes au 19e siècle ... 8

1.1.2 Le travail, l’image de l’ouvrière et les métiers de femmes ... 11

1.1.3 Place des femmes : publique ou privée ... 14

1.2 Contexte urbain : Québec au milieu du 19e siècle ... 16

Chapitre 2 : Méthodologie ... 23

2.1 Les données ... 23

2.1.1 Les recensements de 1852 à 1911 ... 24

2.1.2 Les autres sources de données : registre des mariages et annuaires municipaux ... 29

2.2 Les limites des données ... 30

2.2.1 Les limites des recensements en général ... 31

2.2.2 Les limites particulières des données ... 33

2.3 Les méthodes et traitements des données ... 35

2.3.1 Le traitement descriptif des données ... 35

2.3.2 Le jumelage et la création de cohortes ... 36

2.3.3 Le géoréférencement et la cartographie ... 38

Chapitre 3 : Québec en quatre temps : les tableaux transversaux ... 39

3.1 1852 : La ville avant l’industrie ... 45

3.2 1871 : Crise économique et restructuration urbaine ... 52

3.3 1891 : Québec à l’heure de l’industrie ... 58

3.4 1911 : Une structure urbaine industrielle établie ... 65

3.5 Récapitulatif des tableaux généraux ... 71

3.5.1 L’emploi ... 72

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Chapitre 4 : Les trajectoires de vie des femmes ... 83

4.1 Les données biographiques ... 83

4.1.1 Descriptions des cohortes ... 84

4.1.2 Évaluation des données ... 87

4.2 Scolarité des filles ... 94

4.3 De l’école au travail à 15 ans ... 98

4.4 Le travail...100

4.5 Mariage, fécondité et famille ...102

4.6 Le célibat prolongé ...106

Conclusion ...111

Chapitre 5 : Géographie des travailleuses...113

Conclusion ...121

Bibliographie ...129

Annexes ...135

Annexe 1 : Analyse approfondie du rapport de cotes des travailleuses ...135

Annexe 2 : Analyse approfondie du rapport de cotes : le célibat définitif ...137

Annexe 3 : Métiers des pères, dans les cohortes et dans la ville ...138

Annexe 4 : Représentativité des ethnies de la cohorte en comparaison avec leur poids relatif à Québec. ...139

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Liste des tableaux

Tableau 1: Fréquentation scolaire des 5 à 14 ans, de 1851 à 1901, Québec et Ontario. ... 40

Tableau 2: Classification des métiers en 7 classes selon Erikson, Goldthrope et Portecarero ... 43

Tableau 3: Faits généraux, population de Québec, 1852 ... 45

Tableau 4:Fréquentation scolaire des enfants selon l’ethnie, 1852 ... 46

Tableau 5: État matrimonial des femmes, Québec, 1852 ... 47

Tableau 6: Fécondité et taille de la famille, 1852 ... 48

Tableau 7: Les travailleuses de Québec, 1852 ... 50

Tableau 8: Faits généraux, population de Québec, 1871 ... 52

Tableau 9:Fréquentation scolaire des enfants selon l’ethnie, 1871 ... 53

Tableau 10:État matrimonial des femmes, Québec, 1871 ... 54

Tableau 11: Fécondité et taille de la famille, 1871 ... 55

Tableau 12: Les travailleuses de Québec, 1871 ... 57

Tableau 13:Faits généraux, population de Québec, 1891 ... 58

Tableau 14: Niveau d'alphabétisation des 7-14 ans, Québec, 1891 ... 59

Tableau 15: État matrimonial des femmes de Québec, 1891 ... 60

Tableau 16:Fécondité et taille de la famille, 1891 ... 62

Tableau 17:Les travailleuses de Québec, 1891 ... 63

Tableau 18:Faits généraux, population de Québec, 1911 ... 65

Tableau 19: Fréquentation scolaire des 5-14 ans, Québec, 1911 ... 66

Tableau 20: État matrimonial des femmes de Québec, 1911 ... 67

Tableau 21: Fécondité et taille de la famille, 1911 ... 68

Tableau 22:Les travailleuses de Québec, 1911 ... 70

Tableau 23: Rapport de masculinité par groupes d'âge, Québec, de 1852 à 1911 ... 71

Tableau 24: Pourcentage de femmes au travail, de 10 à 79 ans, par groupes d'âge, 1852-1911 ... 72

Tableau 25: Rapport de cotes sur le travail au féminin, de 1852 à 1911, Québec ... 74

Tableau 26: État matrimonial des femmes, par groupes d'âge, 1852-1911 ... 78

Tableau 27: Célibataires de 40 à 64 ans, Québec, 1852-1911 ... 79

Tableau 28: Rapport de cotes sur le célibat définitif, 1852 à 1911, Québec ... 80

Tableau 29: Cohorte de 1852, groupes ethnoculturels, Québec, 1852-1891 ... 85

Tableau 30: Cohorte de 1871, groupes ethnoculturels, Québec, 1871-1911 ... 86

Tableau 31: Cohorte de 1852, état matrimonial, ville de Québec, 1852-1891 ... 89

Tableau 32: Cohorte de 1871, état matrimonial, ville de Québec, 1871-1911 ... 90

Tableau 33: Comparaison entre les membres de la cohorte et les femmes de la ville, Québec, 1901 ... 92

Tableau 34: Fréquentation scolaire des filles des cohortes de 1852 et 1871, Québec, 1852-1861 / 1871-1881 ... 95

Tableau 35: Fréquentation scolaire des filles de 14 ans en 1861 et des filles de 15 ans en 1881, Québec ... 96

Tableau 36: Cohorte de 1871 : travailleuses à 15 ans, classes de métiers EGP, 1881 ... 99

Tableau 37: Occupation principale des femmes, Cohortes de 1852 et 1871, Québec ... 100

Tableau 38: Métiers occupés par les travailleuses en 1871(cohorte 1852) et 1891 (cohorte 1871), Québec ... 101

Tableau 39: État matrimonial des femmes, cohortes de 1852 et 1871, Québec ... 102

Tableau 40: Cohorte de 1852 : Âge au mariage et âge médian des femmes mariées, Québec ... 103

Tableau 41: Cohorte de 1871 : Âge au mariage et âge médian des femmes mariées, Québec ... 103

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Tableau 43: État matrimonial des travailleuses des cohortes de 1852 et 1871 ...108

Tableau 44: Occupation des femmes restées célibataires, cohortes de 1852 et 1871, Québec ...108

Tableau 45: Rang de naissance des célibataires, 1881 (cohorte de 1852) et 1901 (cohorte de 1871)...109

Tableau 46: Types de ménage des «vieilles filles», cohorte de 1852, Québec ...110

Tableau 47: Types de ménages des «vieilles filles», cohorte de 1871, Québec ...110

Tableau 48:Localisation des femmes de la cohorte au travail, à 24 et 25 ans, Québec ...114

Tableau 49: Femmes de 20-24 ans déclarant un emploi, Québec, 1871 ...115

Tableau 50: Femmes de 20-24 ans déclarant un emploi, Québec, 1891 ...116

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Liste des figures

Figure 1: Prise de vue du quartier Jacques-Cartier, témoin de l'industrialisation, Québec, 19e siècle ... 4

Figure 2: Plan des rues de Québec, évolution entre 1851 et 1871 ... 18

Figure 3:Plan des rues, Québec, 1901 ... 19

Figure 4: Localisation des quartiers de Québec, 1901 ... 21

Figure 5: Nombre d'employés, secteur de la fabrication, par quartiers, 1901 ... 21

Figure 6: Ville de Québec, secteurs de recensement, 1871 ... 113

Figure 7: Modification du nombre de travailleuses par secteurs de recensement entre 1871 et 1891, Québec .. 117

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À mes grands-mamans, vous qui avez suscité mon intérêt pour les recherches féminines. J’espère que ceci vous rendra fières

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Remerciements

Comment vraiment témoigner de l’amour et de l’affection que j’ai pour tous ceux qui m’ont supportée et aidée au cours de ces deux dernières années? Commençons par le commencement : ce mémoire n’aurait pas pu être accompli sans le support financier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et du Fonds de recherche sur la société et la culture (FRQSC). Grâce à cette aide financière, et à la bourse d’entrée offerte par le CIÉQ, j’ai pu totalement me concentrer sur la réalisation de mes recherches.

Mes premières pensées s’adressent à mon directeur de recherche, Marc St-Hilaire. Marc, je tiens à te remercier pour ta confiance, ton support et ton aide incommensurable tout au long de la réalisation de ce mémoire. Tes «fameuses» questions m’auront amené à dépasser mes limites et à pousser mes réflexions toujours un peu plus loin. Je tiens à remercier mes collègues de bureau, qui ont su m’aider, m’écouter ou seulement me conforter dans mes doutes existentiels. Isabelle, Laurie et Renée merci à vous les filles! Je ne peux pas passer outre les judicieux conseils de Laurent. Laurent, comment te dire toute la reconnaissance que j’ai pour toi? À tout moment, à chacune de mes questions, tu savais m’aider et m’orienter sur les bonnes pistes. Sans toi, ce mémoire ne serait qu’une pâle copie de ce qu’il est aujourd’hui. Merci beaucoup.

Je tiens également à remercier tous les membres des comités avec lesquels j’ai travaillé au fil des ans. Les étudiants du comité étudiant du CIÉQ, ceux de l’ALEGG de même que ceux du P’tit Caaf. Travailler, échanger et organiser des événements majeurs avec vous a été pour moi un plaisir et une opportunité de travailler avec des gens talentueux et attachants. Merci aussi aux professeurs qui m’ont pris sous leurs ailes et m’ont permis de travailler sur plusieurs dossiers avec eux. Je suis également reconnaissante envers Mme Danielle Gauvreau et Mme Marie-Hélène Vandersmissen, qui ont témoigné un intérêt certain pour mes recherches et qui m’ont supportée et conseillée dans la réalisation de ce mémoire.

Enfin, j’ai une pensée toute particulière pour mes parents et ma sœur qui, malgré la distance, m’ont beaucoup soutenue et aidée, dans mes inquiétudes quotidiennes. Nicole et Yvon, je tiens également à vous remercier pour vos encouragements. À mes amis proches et ma famille élargie, je vous dis également merci, ne serait-ce que pour m’avoir encouragée et soutenue moralement dans tout mon cheminement scolaire.

Je ne pouvais terminer ces remerciements sans adresser quelques mots à la personne sans qui tout ça n’aurait jamais été réalisé. Simon, je tiens sincèrement à te témoigner toute la reconnaissance et l’affection que j’ai pour toi. Tu m’as accompagnée et réconfortée à chaque instant. Ton aide et ton soutien tout au long de mon cheminement, malgré mes crises et mes angoisses, m’ont permis de garder la tête haute et de continuer. Merci!

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Introduction

Les femmes ont tenu au fil des ans une place ambigüe dans la littérature et la conscience populaire des Québécois. Pour plusieurs, elles seraient arrivées sur le marché du travail urbain au début du 20e siècle, simultanément avec l’enrôlement des hommes dans l’armée canadienne lors de la

Première Guerre mondiale. Pour d’autres, elles se seraient imposées sur la scène publique également au début du 20e siècle, en tentant d’acquérir certains droits réservés aux hommes, tels que le droit de

vote. Mais suivant cette logique, qu’advenait-il des femmes en milieu urbain avant cette période de bouleversements ? Étaient-elles majoritairement confinées à l’espace privé de leur résidence ? On se doute bien qu’il est faux de prétendre que les femmes du 19e siècle étaient presqu’absentes de la vie

publique québécoise. Pourtant, jusqu’à récemment, peu de recherches historiques faisaient état de la place des femmes pendant le 19e siècle. Marie Lavigne et Yolande Pinard parlent de cette période

comme étant «une époque où les femmes se seraient pour ainsi dire éclipsées de la scène de l’histoire» (Lavigne et Pinard, 1977 : 13). Pour pallier ce manque, on a vu, au cours des quinze dernières années, des publications étoffées axées sur ces femmes du dix-neuvième siècle, notamment grâce aux recherches de Bettina Bradbury, Danielle Gauvreau, Denyse Baillargeon, Sherry Olson et Patricia Thornton. Ces dernières ont, principalement pour la ville de Montréal, exploité judicieusement les multiples micro-données des recensements et de l’état civil dorénavant disponibles.

Ces auteures ont noté que les transformations profondes que la société a connues entre le milieu du 19e siècle et le premier quart du 20e siècle, largement entraînées par l’industrialisation, ont eu

des impacts fondamentaux sur les conditions de vie des femmes et sur leurs rôles dans les sphères économique et sociale tant collectives que familiales. Comme l’indique Bradbury, pour Montréal, l’industrialisation bouleversa les structures établies, notamment en favorisant l’insertion des femmes au marché du travail rémunéré (Bradbury, 20111 et 1995). En fait, souvent vues comme mères de familles,

elles ont plutôt suivi des trajectoires beaucoup plus diversifiées (Gauvreau, 1991a). Également, à Montréal, on retrouve d’un côté une forte surféminité et d’un autre côté, une structure industrielle avec de grands besoins de main-d’œuvre où les employeurs sont friands de travailleuses célibataires (Bradbury, 1995). Olson et Thornton notent qu’à la même époque, les couples ont dorénavant tendance à se marier un peu plus tard et qu’un accroissement du nombre de célibataires est visible (Olson et

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Thornton, 20112). Par conséquent, on peut voir que pour Montréal, la montée industrielle a réellement

eu un impact sur le destin de plusieurs femmes. À l’instar de Montréal, la ville de Québec connait une situation semblable quoique moins documentée. On y retrouve d’un côté une forte surféminité (St-Hilaire et Marcoux, 2001), ce qui ne peut qu’affecter les destinées féminines (Olson et Thornton, 2011). D’un autre côté, l’industrialisation de Québec repose sur des secteurs à forte composante de main-d’œuvre (textiles, vêtement, chaussures) friands de travailleuses célibataires (Courville, 2001).

Le travail qui suit se positionnera donc dans la même lignée des travaux portant sur la métropole et tentera de faire la lumière sur un des points d’ombre de l’histoire de la ville de Québec. Ainsi, l’étude portera sur l’évolution et la diversification des trajectoires féminines, du travail des femmes et de leur intégration à l’économie de Québec pendant la période d’industrialisation de la ville soit de la deuxième moitié du 19e siècle au début du 20e siècle. Par cette étude, un aspect de l’émancipation

féminine en milieu urbain sera étudié, à savoir si le contexte industriel pourrait avoir ouvert de nouvelles opportunités aux femmes. L’angle adopté touchera alors principalement à la géographie historique et sociale, à la géographie urbaine ainsi qu’à la géographie féministe. D’où la question : Dans quelle mesure la modification de la structure industrielle de Québec a-t-elle contribué à élargir l’éventail des destinées féminines? De fait, est-ce que le passage à une économie industrielle a favorisé une plus grande participation et intégration des femmes dans la socioéconomie urbaine québécoise?

Objectifs et hypothèse

Dans un premier temps, l’objectif général de ce mémoire est de dresser le portrait des trajectoires féminines à Québec entre 1852 et 1911, soit pendant la première phase industrielle. Ainsi, globalement, la recherche vise à observer dans quelle mesure la nouvelle structure industrielle de la ville, reposant en partie sur les nouveaux emplois dans le secteur manufacturier, a contribué à élargir l’éventail des destinées féminines3. Pour ce faire, les objectifs spécifiques viseront à établir l’évolution

structurelle des caractéristiques socio-économiques des femmes au cours de la période industrielle, particulièrement en termes de fécondité, de scolarité et d’emploi tout en observant plus précisément les

2 Traduction libre de l’auteure. Idem pour les autres passages de cet ouvrage cités dans le mémoire

3 Au fil du texte, les termes «destinée», «trajectoire», «parcours» et «biographie» sont employés en guise de synonymes.

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destinées des femmes en ciblant les principaux groupes affectés par le changement. Dans une moindre mesure, afin de voir un autre effet de l’industrialisation, une géographie des femmes et surtout des travailleuses sera expérimentée, avec l’aide de matériel cartographique déjà créé et en analysant le profil et la répartition spatiale des travailleuses dans la ville. Ainsi, un bref aperçu des possibilités qu’une géographie plus poussée pourrait donner sera présenté.

À la lumière des connaissances acquises, on peut formuler l’hypothèse que la nouvelle structure industrielle mise en place au milieu du 19e siècle a contribué à l’élargissement des destinées

féminines, notamment en permettant aux Québécoises de gagner un salaire et d’accéder à des postes qui ne leur étaient pas accessibles auparavant. Dès lors, une différenciation de l’espace féminin à Québec qui se traduit par une concentration plus importante de travailleuses serait observable dans les secteurs industriels de la Basse-Ville. La participation des Québécoises à la main-d’œuvre retardera le moment du mariage et accroîtra le nombre de célibataires, ces femmes étant principalement issues du monde ouvrier de Québec. Les effets de la plus grande participation des femmes de Québec devraient enfin être visibles dans une baisse de la fécondité et une diminution de la taille des ménages.

Période et territoire d’étude

La période et le territoire d’études doivent être abordés afin de bien poser les bases de ce mémoire. La période d’étude concernée, soit de 1852 à 1911, correspond à la période industrielle québécoise. Le choix de la période est également directement lié aux années où ont été effectués des recensements. L’analyse reposant en grande partie sur le contenu des recensements, il était plus aisé de se baser sur les années d’enquêtes pour établir la période. Au cours de cette période, plusieurs changements sociaux se sont produits et la nouvelle structure industrielle présente plusieurs particularités intéressantes à étudier. Entre autres, à cette époque, on dénote une surféminité prononcée en milieu urbain pour les tranches d’âge allant de 15 à 35 ans. Également, la structure industrielle qui s’est installée à Québec favorise à cette époque le travail des femmes dans plusieurs domaines clés de l’économie. Finalement, on peut affirmer que c’est pendant cette période que les principaux traits de la population de Québec que l’on connait maintenant se sont mise en place (composition ethnoculturelle, notamment).

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Le territoire d’étude est celui de la ville de Québec, dans ses anciennes limites, soit principalement les secteurs de Saint-Roch, Saint-Jean, Saint-Pierre, Saint-Louis, Montcalm, Jacques-Cartier et Champlain (voir figure 1). Au fil de la période étudiée, trois quartiers importants se sont rajoutés, soit Saint-Vallier, Saint-Sauveur et Limoilou. Le choix du territoire résulte d’une constatation : il n’existe à peu près rien sur l’histoire et le destin des femmes dans la ville de Québec. En effet, la très grande majorité de la littérature sur les trajectoires des femmes et des familles en milieu urbain au Québec porte sur Montréal. Aborder les trajectoires féminines à Québec résulte également d’un autre constat : la ville s’y prête bien. En effet, Québec étant la deuxième ville en importance de la province et une ville de premier ordre pour tout l’est du Canada à l’époque, l’étude est justifiée, d’autant que les données démographiques sont multiples et les sources d’information sont variées.

Figure 1: Prise de vue du quartier Jacques-Cartier, témoin de l'industrialisation, Québec, 19e siècle

Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), collections publiques

Enfin, une dernière question demeure : Pourquoi une telle étude? De prime abord, l’étude des trajectoires féminines et de l’émancipation des femmes dans la ville de Québec vise un objectif général, soit celui de contribuer à l’avancement des connaissances, car, comme mentionné précédemment, l’étude géohistorique des conditions féminines dans la ville industrielle reste, au Québec, un domaine assez peu fréquenté. De plus, la deuxième moitié du 19e siècle est une période phare pour la ville de

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Québec qui mérite d’être étudiée. Comme l’industrialisation a exigé des femmes de nombreuses adaptations comportementales, l’intérêt de cette étude est aussi de mieux comprendre les principaux processus ayant contribué à élargir les champs d’action des femmes en milieu urbain. Enfin, la méthode utilisée permettra la mise en valeur de ressources documentaires uniques et peu exploitées et entrainera également un avancement méthodologique par les techniques de jumelage d’informations nominatives tirées des vastes ressources documentaires que constituent les recensements et les registres d’état civil. En effet, travailler avec un bassin de données aussi vaste est avant tout quelque chose de rare et donc une opportunité à saisir. Les micro-données permettent une analyse possible à plusieurs échelles, la construction de séries statistiques novatrices et la possibilité d’effectuer des analyses au moyen de nouvelles techniques, comme la construction de cohortes de population.

Le mémoire qui suit se compose de cinq parties. Premièrement, la situation des femmes en période industrielle et le contexte industriel urbain de Québec à partir de 1850 jetteront les bases théoriques nécessaires à la compréhension de la situation des femmes à Québec et permettront une meilleure comparaison entre Québec et d’autres villes industrielles. Deuxièmement, la totalité des méthodes ainsi que la présentation étayée des sources utilisées seront décrites au chapitre 2. En troisième lieu, les résultats seront présentés sous plusieurs formes : d’abord, les recensements généraux seront organisés en tableaux afin de créer un vaste portrait sociodémographique de la ville à quatre moments différents et ensuite en analysant plus profondément certains thèmes, tel que la scolarité et l’employabilité (Chapitre 3). Dans un quatrième temps, en utilisant des cohortes de femmes de deux générations différentes, il sera possible d’analyser leur parcours de vie, afin de saisir, de façon plus évolutive, les différentes trajectoires de vie que le contexte industriel a favorisées (Chapitre 4). Enfin, le chapitre 5 aborde sommairement la géographie des travailleuses dans la ville afin de rejoindre l’objectif visant à inclure dans l’étude une analyse plus spatiale des femmes à Québec. Suit, en conclusion, une discussion faisant le bilan des techniques utilisées et des résultats obtenus.

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Chapitre 1 : La situation des femmes en milieu

industriel et le contexte de la ville de Québec de

1852 à 1911

Pour bien comprendre la période étudiée et le contexte de la ville, il importe de se pencher sur le cas des femmes en période industrielle et sur celui de la ville de Québec au même moment. Avant d’analyser l’intégration des femmes à la ville, il faut d’abord tracer les contours de la vie d’une femme au 19e siècle et de son milieu de vie, soit, dans notre cas, celui de la ville de Québec.

1.1 Les femmes : le travail, le mariage et la famille en période

industrielle

La deuxième moitié du 19e siècle a engendré de multiples changements dans divers milieux

industriels. Plusieurs volets de la vie en société se sont transformés, notamment pour les femmes qui, en milieu urbain, ont vu leur situation évoluer singulièrement. Comme le mentionne Bradbury, non seulement l’expérience des transformations technologiques a été vécue autrement par les hommes et les femmes, mais également, ces dernières ont connu ces transformations différemment selon leurs classe, âge et statut familial et matrimonial (Bradbury, 2002 : 124). Un des effets de l’industrialisation sur la situation des femmes concerne le changement de rôle de celles-ci dans le contexte familial tout comme sur le marché du travail alors que les modes de production évoluaient. Certains ont interprété ces changements comme ayant été positifs pour la situation des femmes, alors qu’elles auraient connu une plus grande liberté de choix et la possibilité de gagner un salaire plus constant. À l’opposé, d’autres ont plutôt vu ces changements comme une sorte de déclin, les femmes devant s’adapter aux nouvelles règles sociales et augmenter de beaucoup leur charge de travail (Nicholas et Oxley, 1993 : 723-724). Que ces bouleversements aient été davantage positifs ou négatifs, les faits demeurent : il y eut en ville de plus en plus de femmes célibataires, plus de femmes au travail, bref, plus de femmes dans la sphère publique de la ville. En effet, l’industrialisation qui se met réellement en place au cours du 19e siècle

offre des postes rémunérés à un nombre grandissant de femmes et ces dernières, en raison des opportunités économiques, s’établissent en ville à un rythme plus fort que les hommes, créant rapidement un surnombre féminin. De ce déséquilibre des sexes est issu le taux de célibat élevé des femmes dans les villes industrielles de l’époque.

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Ce ne sont que quelques-uns des éléments illustrant les changements vécus par les femmes et témoignant de leur situation à la période industrielle. Cette section abordera de plus près les trois volets majeurs évoqués plus tôt, soit le travail rémunéré, le célibat et la place des femmes en ville.

1.1.1 Portrait de femmes au 19e siècle

Pour comprendre la situation générale des femmes au 19e siècle, une analyse de leur rôle et

des tendances matrimoniales est de mise. Le contexte industriel a offert la possibilité à un grand nombre de jeunes femmes d’entrer sur le marché du travail, modifiant certaines structures établies. Qu’en est-il réellement du portrait sociodémographique qui peut être dressé pour l’époque?

Avant de parler de vie adulte, il faut d’abord prendre en compte les éléments façonnant la vie des jeunes filles, principalement l’éducation. On estime qu’au Québec, avant 1923, la grande majorité des enfants, garçons et filles, effectuent des études d’environ six ans4 (Fahmy-Eid et Thivierge, 1983 :

206-207). De plus, en comparant les garçons et les filles à l’échelle du Québec, on peut constater que vers le début du 20e siècle, les jeunes filles ont tendance à rester un peu plus longtemps sur les bancs

d’école. Ceci pourrait sembler surprenant mais en analysant la situation on comprend trois choses : d’abord, les garçons sont davantage attirés par le travail manuel et quittent l’école plus tôt souvent pour aller aider la famille; ensuite, les jeunes filles qui restent à l’école sont principalement motivées par le brevet d’enseignement décerné à la fin du de la 7e ou la 8e année; et enfin, pour les jeunes élèves

féminines, cette éducation ne se fera jamais «au détriment de leur vocation “naturelle” [épouse et mère] dont elles sont continuellement imprégnées» (Ibid.: 207). En outre, il ne faut pas oublier qu’au cours de la période étudiée, même si elle ne contrôle pas tout le système scolaire québécois, c’est l’Église qui exerce le pouvoir le plus déterminant sur l’éducation en général. Ainsi, pour une jeune fille catholique, une des seules possibilités de poursuivre ses études au-delà de l’école élémentaire est encore de fréquenter les couvents des communautés religieuses, qui reste une option relativement marginale (Ibid. : 206). Enfin, dans l’imaginaire collectif, il semble que le rang dans la famille influencerait le temps passé à l’école, l’aînée étant souvent retirée des bancs d’école assez tôt pour aider la famille. Ceci reste à voir en milieu urbain, l’hypothèse semblant davantage s’appliquer au milieu rural.

4 Ce qui ne signifie pas pour autant que l’élève a atteint les connaissances reliées à une 6e année du primaire. La matière

allégée et les pauses d’obligation familiale (travail, aide familiale, etc.) font que les enfants acquièrent en moyenne les connaissances propres à une 4e année (Fahmy-Eid et Thivierge, 1983 : 206-207).

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En ce qui concerne la vie adulte des femmes, un des éléments associés à la période est sans contredit la généralisation du mariage. De fait, au 19e siècle, le célibat prolongé est, disons-le, une

situation assez rare. On s’imagine facilement, et souvent avec raison, que la possibilité de rencontrer une femme de 35 ans toujours célibataire est très faible. Cependant, en milieu urbain, «les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de demeurer célibataires» (Bradbury, 1995 : 63). La situation étant plus diversifiée en ville, le célibat n’est pas nécessairement le résultat d’un choix, comme le mentionne Bradbury, mais est plutôt issu du déséquilibre des sexes présent dans la majorité des villes industrielles (Ibid.). Ainsi, il se trouvait à Montréal un nombre élevé de femmes célibataires à cette époque. D’après Bradbury, de 1861 à 1891, une femme sur cinq ne se mariera pas, en comparaison à un homme sur dix (Bradbury, 1995 : 63). Par ailleurs, toujours à Montréal, en 1901, 65% des Canadiennes françaises, 84% des Irlandaises catholiques et 83% des Anglo-protestantes âgées entre 20 et 24 ans sont célibataires (Olson et Thornton, 2011). Dans les villes industrielles du nord-est américain, Ankarloo démontre que dans la deuxième moitié du 19e siècle, le célibat définitif était un état

vécu plus fortement par les femmes que par les hommes, alors que le pourcentage de femmes célibataires âgées de 35 ans et plus frôle 30% comparativement aux hommes qui restent célibataires dans une proportion de 15%. Le célibat est aussi le résultat d’autres facteurs tels que la situation économique générale de la ville à un moment donné. Les chiffres apportés par Bradbury pour Montréal montrent qu’en période d’instabilité et de déclin économique, beaucoup plus de gens repoussent le moment du mariage, plusieurs au point de ne pas se marier du tout (Bradbury, 1995 :63). À l’opposé, Suzanne Cross mentionne que même si on notait un déséquilibre des sexes à Montréal, les chances pour les jeunes femmes de la métropole de se trouver un mari étaient tout de même plus élevées qu’en milieu rural, où seulement une minorité d’hommes avait l’espoir d’obtenir une terre suffisante pour subvenir aux besoins d’une famille (Cross, 1977 : 39).

Au sujet de l’âge au mariage, une constante à travers les villes industrielles de l’époque est que les femmes commencent à se marier plus tardivement. Bradbury précise que «dans l’ensemble du Canada, il semble que l’âge au mariage se soit élevé au cours du 19e siècle» même si elle ajoute que

pour Montréal, il faut davantage étudier la situation économique et le bagage culturel des individus pour déceler une réelle évolution (Bradbury, 1995 : 67). En fait, un lien avec la situation économique des individus et du milieu en général peut encore être fait. En effet, d’abord au sujet des individus, on a remarqué, autant à Montréal qu’en Nouvelle-Angleterre où plusieurs familles franco-catholiques se sont

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installées au courant du 19e siècle, que les Canadiennes françaises sont celles qui se marient les plus

jeunes parmi les autres groupes ethnoculturels (Olson et Thornton, 2011 : 136-137; Ankarloo, 1978 :115; 122). Également, ceux qui se marient tard en milieu urbain sont souvent issus des classes aisées de la société (Ankarloo, 1978). Enfin, comme on l’a mentionné plus tôt, dans certaines villes industrielles du nord-est américain et également à Montréal, la pratique du mariage suit les tendances économiques. En Nouvelle-Angleterre, une hausse des mariages est perceptible en 1880 comparativement au taux de nuptialité très bas des années 1877-1878, où un creux économique important s’est fait sentir (Ibid.).

La fécondité constitue un autre aspect de la situation globale des femmes au 19e siècle,

souvent associé à la situation économique du milieu. Pour Montréal, Olson et Thornton ont d’abord remarqué qu’au cours d’une génération, soit entre 1860 et 1890, le déclin de la proportion des femmes mariées a entrainé une chute significative de la natalité. En effet, une baisse de la fécondité, allant de 2% à 20% selon le groupe culturel (franco-catholique, anglo-protestant ou irlandaise catholique) a été observée et cette chute pourrait être le résultat combiné des effets du célibat accentué, du report du mariage et du veuvage (Olson et Thornton, 2011; 137-139). Les auteurs mentionnent que ces faits sont la preuve d’une plus grande autonomie, ou d’un plus grand contrôle des naissances (Ibid.). Également, pour Gauvreau et Gossage (2000), le déclin de la fécondité au Québec se fait au même rythme que celui de l’industrialisation. St-Hilaire et Marcoux font le même constat pour Québec, alors que : «le recul de la natalité au cours de la 2e moitié du 19e siècle témoigne assurément d’une diminution de la

fécondité des femmes de la ville» (St-Hilaire et Marcoux, 2001; 173). Toutefois, une différence notoire subsiste entre Québec et la majorité des villes industrielles canadiennes : même si l’indice de la fécondité diminue en temps industriel, la fécondité à Québec est restée plus forte qu’ailleurs tout au long de la période industrielle (Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2006 : 73). En outre, de façon surprenante, on trouve à Québec une fécondité féminine 50% plus élevée qu’à Montréal (Ibid.). Ceci dit, des changements en matière de fécondité et d’état matrimonial se tramaient en milieu industriel québécois. Pour ce qui est des raisons de cette baisse de fécondité, Hareven et Vinovskis (1978 :5-6) soulèvent plusieurs doutent quant aux effets de l’urbanisation et de l’industrialisation, aux États-Unis pour le moins. Ainsi, même si l’industrialisation a forcément engendré des changements de comportements et de pratiques (notamment quant au mariage) l’explication du taux de fécondité se trouverait plutôt au sein des caractéristiques de chaque ménage, particulièrement en ce qui concerne

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l’ethnie, la scolarité et l’occupation du chef de famille (Ibid.). Ainsi, pour cinq villes du Massachusetts, l’ethnie est le facteur le plus déterminant pour expliquer la fécondité, si on compare ce facteur à d’autres comme le métier du chef de ménage, la scolarité de la femme et la taille du milieu habité (nombre d’habitants) (Hareven et Vinovskis, 1978 :12). Au Québec, Gauvreau et Gossage arrivent au même constat, indiquant que le taux de fécondité s’ajuste à «une combinaison de forces économiques et culturelles agissant de manière complexe sur les aspirations et les projets de fécondité, dans une période où ceux-ci sont en profonde transformation» (Gauvreau et Gossage, 2000 : 64).

1.1.2 Le travail, l’image de l’ouvrière et les métiers de femmes

Comme le mentionne Denyse Baillargeon, le discours social portant sur l’industrialisation du Québec au 19e siècle omet trop souvent de parler de la présence des femmes dans les rangs des

travailleurs. Ce discours a plutôt tendance à cantonner les femmes au domaine familial et à associer les hommes au rôle de pourvoyeur financier des besoins familiaux (Baillargeon, 2012 : 67-68). Pourtant, les chiffres sont là pour témoigner du contraire : pour le Québec en général, à la fin du 19e siècle, les

ouvrières, principalement présentes dans les usines de chaussures, de tabac et de textile, représentent 30 à 60% des salariés alors que dans le domaine de la couture, les femmes représentent près de 80% de la main-d’œuvre (Baillargeon, 2012 : 69). À Québec, entre 1871 et 1911, le nombre de femmes employées dans le secteur manufacturier est passé de 1 362 à 2 944 et le nombre de cols blancs, soit des employés dans le secteur administratif, est passé de 191 à 1 412 (Vallières et al., 2008 :1366). Le même phénomène est évidemment visible à Montréal : sur une période de 20 ans, entre 1881 et 1901, le nombre de femmes à entrer sur le marché du travail a été supérieur au nombre d’hommes tandis que la proportion de femmes dans le secteur industriel a grimpé à 30% (Olson et Thornton, 2011; Linteau et

al., 1989 : 248). En outre, en 1901, les femmes à Québec représentaient 28% de la main d’œuvre

(Courville, 2001 : 205). Évidemment, les patrons étaient favorables à l’embauche de femmes dans certains domaines, car ces dernières ne gagnaient que la moitié du salaire d’un homme et les tâches demandées étaient, selon les dirigeants, «appropriées» aux femmes, venant ainsi combler les besoins des employeurs en main-d’œuvre bon marché (Baillargeon, 2012 : 69). La demande accrue en main d’œuvre féminine vient ainsi expliquer le déséquilibre démographique. En effet, en prenant l’exemple du Québec, en 1871, à Montréal comme à Québec, il y a toujours plus de femmes que d’hommes dans

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tous les groupes d’âge, spécialement celui des 15-30 ans où on retrouve environ 140 femmes pour 100 hommes (Baillargeon, 2012 : 68).

Globalement, dans la vie d’une jeune femme, le travail rémunéré commence vers l’âge de 14 ou 15 ans et se termine la grande majorité du temps au moment du mariage, entre 21 et 26 ans, l’âge au mariage variant énormément, notamment selon les ambitions et obligations familiales de même que selon l’appartenance ethnoculturelle (franco-catholique, irlandaise catholique ou anglo-protestante) (Bradbury, 2002 ; Olson et Thornton, 2012). Toutefois, ce ne sont pas seulement les jeunes femmes célibataires qui occupent des emplois. À Montréal, comme dans plusieurs autres villes industrielles en plein changement, les femmes mariées, jeunes et moins jeunes, occupent parfois un emploi, malgré qu’il ne soit pas toujours déclaré formellement lors des recensements (Bradbury, 2002 : 125 ; Tilly et Scott, 1987).

Ceci amène au prochain point, soit celui des métiers occupés par les femmes durant la période étudiée. De manière générale, l’une des images les plus répandues des femmes travaillant pendant l’ère industrielle est celle de l’ouvrière de manufacture. Tilly et Scott parlent même du «prototype de la salariée» (Tilly et Scott, 1987 : 83). Toutefois, cette association est légèrement trompeuse : certes, au cours de la période d’industrialisation, plusieurs emplois en manufacture ont été créés et offerts aux femmes, mais ces emplois n’ont pas été les seules formes d’activités rémunérées effectuées par les femmes, ni même les plus dominantes dans la majorité des villes (Tilly et Scott, 1987 : 84). «L’impact de l’industrialisation sur l’emploi des femmes fut plus varié et moins spectaculaire que l’image classique des ouvrières de filature ne le laisse entendre» (Ibid.). Ainsi, le milieu des services, principalement les métiers de domestique et de ménagère, occupe, durant toute la période étudiée, le secteur employant le plus de femmes dans la majorité des villes industrielles, autant en Amérique du Nord qu’en France ou en Angleterre (Bradbury, 2002). A contrario, Denyse Baillargeon suggère plutôt qu’au début du 20e

siècle, c’est le secteur industriel qui emploie le plus de femmes à Montréal, car près de 40% des femmes déclarant un emploi y travaillent, alors que les services personnels, principalement des domestiques, emploient 32% des femmes (Baillargeon, 2012 : 96-97). Selon ces chiffres, Montréal ferait toutefois cavalier seul, car dans les autres centres manufacturiers, les femmes sont demeurées majoritairement domestiques.

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En général, comme mentionné précédemment, la grande part des femmes sur le marché du travail pendant la période industrielle sont célibataires et jeunes. Ce sont principalement ces dernières qui occupent les emplois en usine ou dans des entreprises de plusieurs employés. Elles sont aussi domestiques ou couturières. Toutefois, dans le cas du métier de domestique ou de couturière, même si ces métiers sont occupés par les femmes à tout moment de leur vie, il est intéressant de noter que ce sont les deux métiers principaux occupés par les femmes mariées et les veuves, notamment à Montréal (Bradbury, 2002 : 126). En effet, qu’elles soient couturières à domicile ou aides-familiales, les femmes mariées qui travaillaient ont principalement occupé des postes dans les secteurs d’emploi traditionnels et ce, de façon irrégulière ou temporaire, entrecoupée de périodes sans emploi, par exemple lors de grossesse ou de demande accrue de travail à la maison (Tilly et Scott, 1987 : Bradbury, 1995 et 2002). En somme, les métiers occupés par les femmes varient d’une ville à l’autre, dépendamment des fonctions des villes. Également, les femmes ont tendance à occuper des emplois dans les secteurs de l’économie qui reproduisent leurs tâches domestiques.

En résumé, il est vrai que les femmes ont investi le marché du travail rémunéré à l’époque industrielle d’une manière qui n’avait jamais été vue auparavant. Comme l’écrit Linteau : «L’industrialisation offre la possibilité à un grand nombre de jeunes filles et de femmes mariées de travailler hors du foyer ou encore de quitter la campagne pour s’installer à la ville» (Linteau, 1989 :245). Cependant, les métiers occupés par les femmes n’étaient pas aussi nombreux que l’on peut le croire et leur présence parmi la masse de travailleurs était souvent temporaire. De plus, les principaux métiers des femmes étaient rarement semblables à ceux des hommes et leurs environnements de travail respectifs étaient fréquemment divisés dans le secteur industriel (Domosh et Seager, 2001). «Tant dans l’ensemble du Québec qu’à Montréal, un nombre restreint d’industries embauchent des femmes : industrie du vêtement, usine de textile, manufacture de chaussures, de tabac et de caoutchouc» (Collectif CLIO, 1992 :218). Enfin, on peut aussi retenir que les femmes mariées, de même que les femmes veuves, n’ont pas occupé les mêmes postes que les femmes célibataires, du moins, la plupart du temps.

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1.1.3 Place des femmes : publique ou privée

De façon générale, le discours dominant qualifie l’univers masculin du 19e siècle de «public» et

l’univers féminin de «privé». Selon Lavigne et Pinard, ce discours a eu pour effet «d’imposer une image unique des femmes, masquant ainsi les véritables rapports sociaux» (Lavigne et Pinard, 1977 : 27). S’il est difficile de dresser un portrait clair du rôle des femmes dans la société industrielle, on ne peut qu’affirmer que la femme a pris une place plus importante dans la sphère publique et économique tout au long du siècle.

Toutefois, plusieurs domaines présentent des zones d’ombre, notamment le poids économique de la femme dans le ménage ou la réelle indépendance des femmes. D’ailleurs, le caractère multiforme des activités féminines, en ville comme en campagne, rend difficile la déclaration d’un «métier principal» pour ces femmes comme le requièrent les feuillets du recensement (Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2006 : 74). On peut toutefois soupçonner qu’un bon nombre de femmes déclarées comme «inactives» ont tout de même eu un rôle économique très important. Il reste que la perception de la place de la femme à l’époque était celle de la ménagère à la maison. Comme le mentionne Baillargeon, «la société industrielle considère qu’elles [les femmes] doivent se consacrer entièrement au soin du ménage et des enfants» et qu’au 19e siècle, la présence de «filles célibataires dans les usines est régulièrement

dénoncée» (Baillargeon, 2012 : 70-71). Le concept des sphères publiques et privées exclut visiblement les femmes de la sphère publique, prétextant que leur place est à la maison (Domosh et Seager, 2001).

Certes, il ne faut pas non plus mettre de côté le rôle de la femme au sein du ménage. La femme a maintenu, tout au long de l’époque industrielle, un rôle primordial, ce dont rend notamment compte le paradigme de l’économie familiale. Selon ce concept, l’équilibre du noyau familial est assuré par les femmes qui gèrent quotidiennement les ressources tant matérielles qu’humaines. La femme, mère de famille, prend les décisions nécessaires au maintien du niveau de vie dans le ménage et tient un rôle fondamental dans l’unité familiale (Bradbury, 1995; Harton, 2008). Ce modèle, voulant que l’organisation et la structure de la famille soient issues de la division sexuelle du travail, était bien présent dans la société québécoise du 19e et 20e siècle (Bradbury, 1995). Le paradigme de l’économie

familiale aide ainsi à «mieux comprendre le travail des femmes et les modèles de reproduction» (Bradbury, 1995 : 17). De plus, même si en théorie, on plaçait la femme dans la sphère résidentielle,

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pour bien des ménages urbains, le salaire de la femme était indispensable à la survie de la famille. Plusieurs femmes, même mariées, ont donc occupé des postes rémunérés.

En terminant, il faut mentionner que même si les femmes ont pris de plus en plus de place dans certains secteurs délimités de la sphère économique, leur statut juridique n’a pas pour autant évolué de façon concrète. À prime abord, il faut se rappeler que «dans les villes, la condition des femmes dépend d’abord du statut social de leur mari ou de leur père» (Linteau et al., 1989 :245). Au milieu du 19e siècle,

les femmes avaient un statut juridique inférieur, qu’elles soient mariées ou non. Linteau rappelle que «dans la seconde moitié du 19e siècle, au Québec comme dans l’ensemble des sociétés occidentales,

la femme est essentiellement perçue comme un être faible, voire inférieur» (Linteau et al., 1989 : 245). Alors qu’une femme célibataire était perçue comme étant incomplète, pour les femmes mariées, la situation n’était guère mieux (Ibid.). En effet, pour la grande majorité des cas, les biens de l’épouse ne lui appartenaient plus au moment du mariage. Toute propriété ou droit sur ces biens revenait d’emblée au mari, à moins d’un contrat clair (Bradbury, 2011 :61). En somme, comme le dit si bien Bettina Bradbury : «le mariage est donc une institution complexe qui avantage les hommes» (Bradbury, 1995 : 63). Pour les célibataires, la situation est un peu plus complexe. Selon le Code Civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.), l'article 246 prévoit a contrario qu'un individu devient majeur à 21 ans, sans égard au sexe. L'article 324 C.c.B.-C. prévoit quant à lui directement que la majorité s'obtient à 21 ans et que le majeur est capable de tous les actes de la vie civile. Dès lors, selon le Code Civil, la femme majeure célibataire possède les mêmes droits civils qu'un homme majeur célibataire, et c'est davantage le fait d'être mariée qui la rend incapable. Par contre, malgré ces faits théoriques, en réalité, dans l’espace public, la femme célibataire apparait plutôt comme étant un être incomplet et déviant.

À la lumière de toutes ces informations, on ne peut que constater la place complexe et variée qu’ont occupée les femmes durant la période industrielle, dans la deuxième moitié du 19e siècle. Afin de

mieux comprendre leur situation à Québec, il convient de se pencher sur le contexte économique et social de la ville au milieu du siècle.

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16

1.2 Contexte urbain : Québec au milieu du 19

e

siècle

Avant de continuer sur les destinées des femmes de Québec, il importe de comprendre le contexte de la ville. À partir du milieu du 19e siècle, la ville, qui avait connu une bonne première moitié

de siècle du point de vue économique, subit plusieurs transformations profondes qui affectent fortement ses bases matérielles et, par conséquent, sa société.

En 1852, l’économie de la ville est basée sur quatre piliers, soit le commerce, principalement du bois, la construction navale, le transport et l’administration. La ville possède un statut prestigieux, étant l’hôte d’une garnison britannique, de même que le siège du parlement colonial durant quelques temps entre 1860 et 1865. Les chantiers navals, autour de la rivière Saint-Charles, fonctionnent bien et les contrats ne manquent pas (Courville, 2001). Pourtant, dès 1860, et plus fortement tout au long de cette décennie, la situation économique s’effrite. D’abord, en raison des avancées technologiques qui ont cours ailleurs qu’à Québec, les deux piliers économiques principaux de la ville, soit la construction navale et le commerce du bois, tournent au ralenti. Le bois est désavantagé devant la métallurgie qui se développe pour soutenir la machine industrielle qui s’installe de plus en plus fortement en Occident. Les contrats navals deviennent de plus en plus rares et Québec peine à rattraper le rythme imposé par Montréal, de plus en plus influente dans le monde du commerce national et supranational. Montréal possède des avantages que Québec n’a plus : l’amélioration du chenal du fleuve Saint-Laurent vers Montréal au cours de la décennie de 1850, permettant à des navires plus considérables de rejoindre la métropole; Montréal est connecté à un réseau de plus en plus dense de voies ferrées, avantage que Québec ne connaît pas avant 1879; enfin, Montréal est plus près des nouveaux centres d’influence continentaux qui sont situés sur le pourtour des Grands Lacs et en Nouvelle-Angleterre (Courville, 2001; Lanouette, 2006). Ces éléments offrent à Montréal une situation géographique améliorée, entre l’océan et l’intérieur du continent, qui engendre une augmentation de l’activité portuaire et stimule fortement d’autres activités économiques, le tout au détriment de Québec (Blanchard, 1935; Lanouette, 2006). Comble de malheur, du côté administratif, Québec se voit dépourvu de sa garnison britannique en 1871 et perd définitivement le siège du parlement en 1865 alors qu’il est déplacé à Ottawa (Bytown) (Lanouette, 2006). Ces changements structuraux, tous survenus en un peu moins d’une décennie, contribuent à accentuer le déclin économique et la perte d’influence continentale de Québec, entraînant la ville et sa population vers une crise économique et sociale qui laissera ses traces jusqu’aux années

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1890 (Lanouette, 2006 :27). En réalité, la déprise économique des secteurs commerciaux principaux engendre de nombreuses pertes d’emplois, plusieurs départs et une stagnation économique et démographique.

Ainsi, au pire de la crise, la croissance urbaine stagne. L’expansion de la ville s’arrête, ce qui fait en sorte qu’entre 1852 et 1871, les plans de rue de la ville sont relativement semblables, où seulement le quartier Saint-Sauveur se développe un peu (figure 2). De même, entre 1871 et 1901, une très faible expansion urbaine est perceptible. Le réseau des rues se densifie, mais ne s’étend pas au-delà des limites déjà occupées (figure 3).

À la même époque, comme l’ont souligné St-Hilaire et Marcoux, en lien avec la décroissance économique de la ville, la croissance de la population stagne. Ainsi, entre 1861 et 1901, la population de Québec n’augmente que de 4‰, la plus faible croissance de toutes les villes canadiennes principales à cette époque (St-Hilaire, Richard, Marcoux, 2014 : 324). Au même moment, Montréal connait plutôt une croissance plus de 25‰, (St-Hilaire et Marcoux, 2001 : 172). Ainsi, le poids relatif de la ville de Québec s’affaiblit grandement : alors que la population représentait 22% de toute la population urbaine de la province en 1871, elle ne représente plus que 10% de celle-ci en 1901 (Linteau et al., 1989). Cet important ralentissement démographique est causé par la somme des tous les évènements politiques et économiques mentionnés plus tôt qui ont poussé de nombreuses personnes à émigrer (Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2006). En raison de son statut économique chancelant, la ville exerce alors une très faible attraction, voire rétention sur la population. En effet, près de 80% des hommes habitant la ville en 1871 auraient quitté Québec entre 1871 et 1901. (St-Hilaire et Marcoux, 2001 : 174; Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2006 : 74).

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Figure 2: Plan des rues de Québec, évolution entre 1851 et 1871

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Figure 3:Plan des rues, Québec, 1901

Source : Lanouette, 2006, p. 44.

Alors, comment expliquer que la ville ne s’est pas concrètement «vidée»? Ce sont en fait les Canadiens français, notamment des nouveaux arrivants du milieu rural, qui ont évité une «dépopulation» de la ville (Ibid. : 172). Ce qui se passe sur le plan démographique s’est plutôt apparenté à un renouvellement de la population. Ainsi, comme le mentionnent St-Hilaire et Marcoux, «l’évolution de la natalité et de la mortalité, les départs massifs et les arrivées presqu’aussi nombreuses ont modifié les traits de la population à un point tel que l’on peut pratiquement parler de renouvellement entre 1871 et 1901» (St-Hilaire et Marcoux, 2001 : 176). Ainsi, devant tant de départs, autant de la part des Britanniques que des Franco-Catholiques et face à une immigration principalement franco-catholique issue des campagnes environnantes, la ville connait au cours de la deuxième moitié du 19e

siècle un remodelage ethnique assez impressionnant, laissant une quasi-homogénéisation canadienne-française (89% de la population est franco-catholique en 1911) (Ibid. : 174; St-Hilaire, Richard, Marcoux, 2014 : 324).

D’un autre côté, le déclin des industries principales de la ville au milieu du 19e siècle entraîne

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fonctionnement hérité des révolutions industrielles anglaises et américaines. En fait, Québec, ayant besoin de diversifier son économie, mise sur sa bonne situation sur les réseaux fluvial et ferroviaire pour s’imposer sur les marchés de l'est de la province et des provinces de l’Atlantique à partir de 1880 (Courville, 2001). C’est ainsi que, où se trouvaient les anciens chantiers navals, soit à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, plusieurs manufactures se sont établies peu à peu. L’industrie manufacturière engendre alors, à partir de 1871, une croissance de productivité et une concentration de la main d’œuvre (Blanchard, 1935). Comme Vallières le mentionne, cette phase d’industrialisation s’est d’abord appuyée sur deux secteurs principaux, soit ceux de la cordonnerie et de la tannerie (Vallières et al., 2008). À ces derniers est venu s’ajouter toute une gamme d’entreprises diverses telles les manufactures de vêtements, de tabac et de meubles (Laflamme, 2001). Il n’en demeure pas moins qu’à Québec, le secteur le plus important est celui de la chaussure. Déjà en 1871, il emploie autant de gens que l’industrie navale en employait en 1851 (Courville, 2001 : 204). Présentes un peu partout dans la Basse-ville et les faubourgs, ces manufactures détonnent principalement d’avec les entreprises précédemment en place en raison de leur taille, atteignant fréquemment plus de 70 employés (Ibid.).

Cette croissance industrielle n’a pas eu le même impact sur tout le territoire de la ville (voir figures 4 et 5 ). La répartition inégale des manufactures est aisément notable. En effet, c’est dans les quartiers de Saint-Roch, Jacques-Cartier et Saint-Sauveur, soit la zone souvent appelée Québec-Est, que la plus forte concentration d’industries s’est faite. Comme le dénote Lanouette, les manufactures ont remplacé les chantiers navals le long de la rivière Saint-Charles (Lanouette, 2008). De fait, la vallée de la rivière Saint-Charles où se situaient les principaux chantiers maritimes et où s’est installé le siège de l’industrie manufacturière, connait une croissance de population de plus de 10 000 habitants en trente ans, soit de 1871 à 1901 (Lanouette, 2006 : 54). Les deux paroisses de Roch et Saint-Sauveur regroupaient en 1901 près de 60% de la population (St-Hilaire et Drouin, 2001; 228).

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Figure 4: Localisation des quartiers de Québec, 1901

Source : Lanouette, 2006 :104

Figure 5: Nombre d'employés, secteur de la fabrication, par quartiers, 1901

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Comme on peut le constater, l’économie urbaine reprendra de la vigueur au fil des décennies, mais jamais assez pour rattraper Montréal, qui, à la même époque, confirme son statut de métropole du Québec. C’est dans ce contexte économique un peu difficile que l’étude qui suit prendra place, avec comme trame de fond l’analyse de l’évolution structurelle des caractéristiques socio-économiques des femmes, en ce qui a trait aux comportements matrimoniaux et à la fécondité, de même qu’à la scolarité et à l’emploi.

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Chapitre 2 : Méthodologie

«Il faudrait s’attarder à la biographie de chacune de ces femmes pour comprendre leur itinéraire personnel et expliquer pourquoi elles ont réussi à faire œuvre de pionnières dans le contexte d’une vie publique alors dominée par les hommes» (Harvey, 2008 : 38).

Suivant cette idée, cette partie présente les sources utilisées et le traitement qu’elles ont subi afin d’atteindre les objectifs de la recherche. Étant variées et très denses, les données seront d’abord décrites; suit la présentation des limites de l’étude et des données en général, notamment en ce qui a trait à l’étude des femmes à partir de données censitaires historiques. Enfin, les méthodes utilisées seront présentées et expliquées.

2.1 Les données

Afin de réaliser une étude de ce genre, abordant la géographie féminine, sociale et historique, une étude géographique fine à l’échelle des ménages est nécessaire. Pour ce faire, dans le cas de la ville de Québec, trois sources de données principales sont utilisées : les recensements de 1852 à 1911, saisis sur support informatique dans le cadre du projet Population et Histoire Sociale de la Ville de

Québec (PHSVQ) co-dirigés par Richard Marcoux et Marc St-Hilaire, les annuaires municipaux

nécessaires pour la géolocalisation des cohortes étudiées et les actes de mariage enregistrés à Québec entre 1850 et 1910 fournis par le projet BALSAC, fichier de population créé à l’Université du Québec à Chicoutimi et propriété de quatre universités québécoises dont l’Université Laval. Comme ce travail s’inscrit dans la lignée des projets du PHSVQ, il repose principalement sur l’intégration, le jumelage et le géoréférencement des bases de données de la population québécoise, lesquelles méthodes seront expliquées dans la section 2.3.

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2.1.1 Les recensements de 1852 à 1911

L’utilisation des recensements constitue la base de cette recherche. Les données descriptives des sept recensements effectués entre 1851-1852 et 1911 seront utilisées, mais les recensements de 1852, 1871, 1891 et 1911 seront davantage exploités afin de construire quatre tableaux descriptifs à vingt ans d’intervalle. Les recensements sont des sources documentaires exhaustives, consignant les informations relatives décrivant, pour la ville de Québec, entre 44 000 et 78 000 individus5. Les données

descriptives fournies par les recensements ont été largement utilisées au cours des dernières années et ont ainsi été amplement critiquées et justifiées. Malgré la qualité variable des recensements (Dillon et Joubert, 2012; Curtis, 2000), leur apport aux sciences sociales et humaines est indéniable et dans l’ensemble, ces données sont les plus complètes qu’il soit possible d’avoir afin d’effectuer une analyse historique évolutive.

Pour notre étude, les données censitaires de la ville de Québec sont disponibles grâce au programme de recherche Population et histoire sociale de la ville de Québec (PHSVQ) qui a, au cours des dernières années et avec l’aide de son équipe de chercheurs, permis d’acquérir, de saisir sur support informatique, de documenter et de géoréférencer une partie des données des recensements.

Au Canada, le recensement de la population est une activité qui date des débuts de la colonisation française, notamment avec le mandat de recensement donné à l’intendant Jean Talon en 1666. À la base, le recensement comporte toujours des visées sociales et politiques. Par exemple, alors qu’en 1710, une des options visées par le dénombrement était de connaitre le nombre d’armes possédées par les ménages, en 1765, une attention particulière était portée sur les Acadiens et les religions pratiquées (Statistique Canada, 2013). Comme Wargon le mentionne, la disponibilité de l’information relative à la population datant de plus de 300 ans vient confirmer l’importance de l’histoire de la démographie au Canada (Wargon, 2001 : 25). En outre, le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord possédant un registre des naissances détaillé s’étalant sur plus de quatre siècles, principalement en raison des travaux de l’Église catholique en Nouvelle-France (Wargon, 2001 : 20). Les diverses lois promulguées de 1847 à 1851 établiront des règles de contrôle plus précises et une démarche uniforme quant à la collecte de données déjà présente dans la colonie britannique mais

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somme toute effectuée de façon irrégulière (Ibid : 20). Au fil des ans, l’opération de dénombrement de la population s’est raffinée et de plus en plus d’informations sont recueillies (Harton, 2008).

Globalement, au cours de la période étudiée, soit du milieu du 19e siècle au début du 20e siècle,

la collecte de données s’est faite via les énumérateurs, sous la supervision d’officiers et de commissaires et les données compilées ont ensuite été publiées par le ministère de l’Agriculture6

(Wargon, 2001). Selon les directives données aux énumérateurs, ceux-ci devaient recenser toutes les personnes légalement domiciliées au Canada, parfois même si celles-ci étaient absentes au moment du passage du recenseur (Laflamme, 2007). En outre, dans tout le processus de collecte de données, peu importe l’année du recensement, la qualité du travail dépend toujours des recenseurs, d’où la nécessité de fournir des instructions claires à ces derniers.

Comme quatre recensements parmi les sept utilisés seront davantage exploités, une brève présentation des particularités de chacun est nécessaire.

Le recensement 1851-1852

Le premier recensement utilisé a été mandaté en 1851 mais a été effectué, pour la région englobant la ville de Québec, à l’hiver 1852. Il compile 43 992 individus pour la ville de Québec, répartis dans deux districts et concerne les neuf quartiers centraux (Laflamme et Gagné, 2001). Ce recensement a constitué la première tentative fructueuse de collecte de données depuis plus d’une décennie (Curtis, 20007). Une des particularités de ce recensement repose sur la collecte de données :

en milieu urbain, les énumérateurs, qui normalement auraient sillonné la ville de porte en porte et auraient noté eux-mêmes les renseignements des ménages, ont plutôt reçu la consigne de distribuer au début du mois de janvier 1852 les formulaires à chaque ménage de leur district pour ensuite les recueillir environ deux semaines plus tard (Ibid., 2000 : 100). D’entrée de jeu, cette façon de procéder laisse planer un doute quant à la validité et l’exactitude des données, certaines consignes ayant pu être

6 Le ministère de l’Agriculture était le responsable principal des recensements, principalement en raison de son emprise et

son importance dans un Canada naissant où la ruralité dominait. Le recensement agricole avait une importance majeure, mais plusieurs autres domaines étaient détaillés dans le recensement général (industrie, population, commerce, etc.). L’administration des recensements sera transférée au ministère du Commerce en 1912.

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prises à la légère par les résidents. On cite également l’analphabétisme de plusieurs résidents et les corrections apportées ultérieurement par les énumérateurs sur les formulaires recueillis comme critiques à une telle façon de faire (Curtis, 2000).

Le recensement de 1871

Le recensement de 1871, le premier recensement officiel du Canada depuis l’Acte d’Amérique

du Nord Britannique de 1867, a été beaucoup plus étoffé que ses précédents. Composé de neuf cahiers

de recensements, comparativement au deux cahiers de celui de 1852, le recensement de 1871 a été beaucoup mieux organisé que ceux de 1852 et 1861, notamment grâce à l’apport de Joseph Charles Tâché, ministre et responsable du recensement de 1871 (Bibliothèque et Archives Canada, 2011). La ville de Québec est cette fois divisée en trois districts et treize sous-districts et compte un peu plus de 61 000 résidents. Mis au travail au printemps 1871 et adoptant la formule de collecte de données par porte à porte, les 35 énumérateurs de Québec ont cette fois reçu un livret détaillé d’instructions, comparativement aux instructions de 1852, déficientes et largement critiquées (Drouin et Laflamme, 1999; Curtis, 2000).

Le recensement de 1891

En avril 1891, 63 338 personnes ont été recensées par 40 énumérateurs dans la ville de Québec (Anctil et Gagné, 2003). La ville, toujours découpée selon treize sous-districts, fut redécoupée en 40 divisions, afin de faciliter le travail des énumérateurs. Comme à chaque édition du recensement, les questions varient quelque peu. En 1891, l’ajout notable concerne la relation au chef et la prise d’informations plus rigoureuse sur la profession des femmes (Gagné, 2004). Toutefois, l’absence de question portant sur l’origine des résidents de même que le manque de rigueur dans la collecte de l’information concernant la fréquentation scolaire sont à critiquer. Ainsi, bien qu’il s’agisse du troisième recensement canadien officiel depuis l’A.A.N.B, il appert que quelques critères ont été davantage bâclés ou moins surveillés, faisant de ce recensement un document moins complet que celui de 1871 ou de 1901. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

Figure

Figure 1: Prise de vue du quartier Jacques-Cartier, témoin de l'industrialisation, Québec, 19 e  siècle
Figure 2: Plan des rues de Québec, évolution entre 1851 et 1871
Figure 3:Plan des rues, Québec, 1901
Tableau 2: Classification des métiers en 7 classes selon Erikson, Goldthrope et Portecarero
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