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Avant de conclure, il convient d’aborder la dimension spatiale de la vie des femmes de la ville. Faute de données disponibles44, nous nous restreindrons à la dimension du travail. Est-ce que le lieu de

résidence des femmes est influencé par la localisation des principaux centres d’emplois? Pour le vérifier, on utilisera les deux cohortes pour comparer où habitent principalement les travailleuses de 24- 25 ans, qu’on pourra aussi voir avec l’ensemble des femmes de 20 à 24 ans déclarant un emploi, en triant les résultats selon l’ethnie (Figure 6). Les femmes de 35 ans issues de la cohorte de 1871 seront aussi étudiées par le biais du travail de Nicolas Lanouette (2006) qui a réalisé une cartographie des entreprises et industries de la ville en 1901. En liant son travail sur la ville avec les informations des travailleuses de la cohorte, on sera à même de mieux comprendre la ville et son paysage urbain.

Figure 6: Ville de Québec, secteurs de recensement, 1871

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En 1871, lorsque les femmes de la première cohorte ont 24 ans, la vingtaine de travailleuses habitent principalement les quartiers Montcalm, Saint-Jean et en partie dans Saint-Roch (tableau 48). En 1891, les 42 travailleuses se répartissent dans la ville d’une toute autre façon que leurs prédécesseurs.

Tableau 48:Localisation des femmes de la cohorte au travail, à 24 et 25 ans, Québec

1871 (Coh1852) n Travailleuses 1891 (Coh1871) n Travailleuses

Champlain 1 Champlain 1

Jacques Cartier 2 Jacques Cartier 7

St-Jean 5 St-Jean 6

St-Pierre 2 St-Louis 1

St-Roch 1 St-Pierre 1

St-Roch Nord 2 St-Roch 4

St-Roch Sud 2 St-Roch Nord 2

Montcalm 5 St-Roch Sud 18

Total 20 Montcalm 2

Total 42

Source : PHSVQ

En effet, en 1891, les travailleuses issues de la cohorte de 1871 habitent majoritairement dans les quartiers de la vallée de la rivière Saint-Charles, soit Saint-Roch Sud et Jacques-Cartier. Le quartier Montcalm ne compte que deux travailleuses et Saint-Jean est le seul quartier qui semble accueillir un nombre constant de travailleuses au fil du temps. Les quartiers Champlain, Saint-Pierre et Saint-Louis, les deux premiers en Basse-Ville et le dernier dans la ville fortifiée n’hébergent pas beaucoup de travailleuses des cohortes, et ce, pour les deux périodes étudiées.

On peut également observer la répartition de toutes les travailleuses de 20 à 24 ans à Québec en 1871 et en 1891 (tableaux 49 et 50). Les principaux quartiers où habitent les travailleuses de la cohorte et de la ville en général sont sensiblement les mêmes, mis à part quelques exceptions. Par exemple, parmi les employées membres de la cohorte de 1852, en 1871, aucune n’habite dans le quartier Saint-Louis, alors que dans la ville, en 1871, 17,1% des travailleuses y habitent. Ces femmes sont principalement des aides-familiales, car 85% des femmes du quartier Saint-Louis sont des travailleuses non manuelles non qualifiées. L’ajout des divisions selon l’appartenance culturelle apporte plusieurs éléments nouveaux, ces derniers étant presqu’imperceptibles dans les cohortes où la grande

majorité des travailleuses sont franco-catholiques. Ainsi, en 1871, les travailleuses de 20 à 24 ans qui habitent dans le quartier Champlain sont toutes des Irlandaises catholiques. Ailleurs, ces dernières se trouvent réparties dans les quartiers Montcalm, Saint-Louis et Du Palais. Dans ces deux derniers quartiers, près de 100% des Irlandaises catholiques sont des aides-familiales. Les Anglo-protestantes sont celles qui travaillent le moins parmi les trois groupes ethniques. En 1871, on les retrouve un peu éparpillées dans les divers quartiers de la ville, mais principalement dans le quartier Montcalm et Saint- Louis. Enfin, pour les Franco-catholiques, le portrait diffère : presque la totalité des travailleuses habitent dans Jacques-Cartier et dans tous les sous-quartiers de Saint-Roch.

En 1891, le quartier Saint-Roch Sud se démarque du reste de la ville quant à son nombre de travailleuses de 20 à 24 ans, tout comme cela était le cas parmi les femmes au travail de la cohorte Sinon, Saint-Louis n’accueille plus autant de femmes au travail qu’il ne le faisait en 1871. Comme le quartier Saint-Louis n’offre principalement que cet emploi et que le métier de domestique n’est plus aussi important à Québec à la fin du siècle, la diminution du nombre de métiers domestiques fait baisser le nombre de travailleuses à cet endroit45.

Tableau 49: Femmes de 20-24 ans déclarant un emploi, Québec, 1871

QUARTIER AP CF IC Total général %

Banlieue Centre 1 14 15 30 2,9 Banlieue Sud 1 6 14 21 2 Champlain 0 0 26 26 2,5 Jacques Cartier 1 109 7 117 11,3 Montcalm 21 67 55 143 13,8 Du Palais 10 66 28 104 10 St-Jean 4 172 9 185 17,8 St-Louis 28 79 71 178 17,1 St-Pierre 5 43 16 64 6,2 St-Roch 0 63 3 66 6,4 St-Roch Nord 1 21 3 25 2,4 St-Roch Sud 1 73 5 79 7,6 Total général 73 713 252 1038 100 Source : PHSVQ, Recensement 1871

45 On a pu le remarqué dans le chapitre 4, où le métier d’aide-familiale disparaissait des métiers pratiqués à l’âge de 25 ans

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Tableau 50: Femmes de 20-24 ans déclarant un emploi, Québec, 1891

QUARTIER AP CF IC Total général %

Banlieue Centre 5 9 6 20 1,6 Banlieue Sud 0 3 4 7 0,5* Champlain 1 9 35 45 3,5 Jacques-Cartier 8 160 5 173 13,5 Montcalm 17 109 40 166 12,9 Palais 6 66 13 85 6,6* Saint-Jean 6 179 5 190 14,8 Saint-Louis 20 49 37 106 8,3* Saint-Pierre 0 45 15 60 4,7 Saint-Roch 0 162 2 164 12,8* Saint-Roch Nord 2 40 1 43 3,4 Saint-Roch Sud 0 224 0 224 17,5* Total général 65 1055 163 1283 100

*Différence significative entre la proportion de 1871 et de 1891, à un seuil de signification de α=0,0546

Source : PHSVQ, Recensement 1891

En observant chaque groupe ethnique, on constate d’abord que l’on trouve beaucoup moins d’Irlandaises au travail en 1891 qu’en 1871, autre illustration de leur départ de la ville. Les Anglo- protestantes sont toujours les moins présentes sur le marché du travail, étant encore principalement concentrées dans les quartiers Saint-Louis et Montcalm. En 1891, les Franco-catholiques dominent à tous les niveaux, éclipsant les autres groupes ethniques dans tous les quartiers ou presque. Elles sont le seul groupe ethnique présent dans le quartier Saint-Roch Sud, qui pourtant est le quartier qui accueille le plus de travailleuses, toutes ethnies confondues.

Afin de mieux illustrer le déplacement des travailleuses de 20 à 24 ans dans la ville, entre 1871 et 1891, la carte suivante (Figure 7) présente les secteurs de recensement de la ville, en y indiquant quels sont les endroits ayant connu une hausse ou une baisse du nombre de travailleuses.

46 Seul deux quartiers ont obtenu un résultat significatif lors du test de différence, car les effectifs assez petits des quartiers

Figure 7: Modification du nombre de travailleuses par secteurs de recensement entre 1871 et 1891, Québec

Globalement, les quartiers de la Haute-Ville (Saint-Louis, Montcalm, Banlieue et Saint-Jean) et de la Basse-Ville (Du Palais et Saint-Pierre) ont perdu des travailleuses entre 1871 et 1891, notamment le quartier Saint-Louis, Du Palais et Banlieue Sud, où la baisse est statistiquement significative. À l’inverse, tous les secteurs de la vallée de la Rivière Saint-Charles, avec en tête le secteur de Saint- Roch Sud et celui de Saint-Roch, ont connu une hausse du nombre de travailleuses, témoignant du déplacement du centre de gravité des emplois dans la ville au cours de la même période. Cette figure témoigne donc de deux faits importants qui dominent la spatialité des travailleuses au cours de la deuxième moitié du 19e siècle et auxquels nous faisons fréquemment référence : la chute de la

domesticité à Québec, phénomène qui était davantage visible en Haute-Ville, et l’employabilité accrue des femmes dans les industries et commerces de la Vallée de la Rivière Saint-Charles vers la fin du 19e

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L’étude des femmes de la seconde cohorte toujours au travail à 35 ans permet de voir si le travail des femmes de la cohorte est similaire aux travailleuses de la ville à cet âge (Tableau 51).

Tableau 51: Localisation des travailleuses de 35 ans, cohorte de 1871, Québec

1901 Total général St-Vallier 4 St-Sauveur 4 Jacques-Cartier 3 Saint-Roch 2 Saint-Jean 2 Montcalm 2 Saint-Pierre 1 Total 18 Source : PHSVQ

D’abord, treize des dix-huit travailleuses de la cohorte habitent dans la zone de la vallée de la rivière Saint-Charles et seulement une travailleuse réside dans le quartier Saint-Pierre, ce qui est un résultat non surprenant, connaissant la nature plus «masculine» des emplois offerts dans ce secteur de la ville, principalement dans le domaine portuaire et celui de l’impression (Lanouette, 2006 : 105). Bien sûr, ces chiffres n’offrent qu’une petite fenêtre d’interprétation quant au lieu de résidence des femmes. Pour mieux comprendre la répartition des travailleuses, il faut se tourner vers des sources secondaires, notamment le travail de Lanouette qui est assez complet concernant les travailleuses en 1901. On peut d’abord voir la répartition des employées selon la classe de métier EGP (Figure 8). Dans son classement, Lanouette utilise un quotient de localisation où les valeurs positives (1,1 et plus) signifient une surreprésentation.

Figure 8: Quotient de localisation, femmes en emploi de 15 à 64 ans, 1901

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Cette localisation des travailleuses est très parlante. En effet, en analysant la classe des travailleuses non manuelles non spécialisées (aides-familiales), on peut voir que ces femmes sont fortement surreprésentées dans le secteur de la Haute-Ville. Sans refaire l’histoire des classes sociales dans la ville, on peut mentionner que la grande majorité des demeures où étaient engagées les domestiques étaient situées en Haute-Ville, dans les quartiers de Montcalm, de Saint-Louis et de la citadelle. Comme le résume Lanouette : « la répartition de cette catégorie épouse en bonne partie celles des catégories des services et des gens d'affaires chez les hommes (domesticité)» (Lanouette, 2006 : 126). Également, pour les travailleuses manuelles non qualifiées, classe qui contient les employées de manufacture, on les retrouve dans les quartiers St-Vallier et St-Sauveur. Pour les travailleuses manuelles qualifiées, principalement les couturières, on les retrouve davantage dans Saint-Roch, Saint-Sauveur et Saint-Jean. Comme le mentionne Lanouette, ces travailleuses sont sous- représentées dans la plupart des quartiers de la Haute-Ville (Lanouette, 2006 : 127). Pour la classe des services, ces emplois suivent principalement la localisation des hôpitaux et des institutions, les femmes ayant un emploi dans la classe des services étant majoritairement des infirmières, des institutrices et des religieuses. Enfin, pour les entrepreneures et les commerçantes, où on trouve un très grand nombre de modistes et de chapelières, leur lieu de résidence est mieux réparti dans la ville où on ne retrouve aucune structure nette de localisation.

La surreprésentation des travailleuses manuelles de manufactures dans Saint-Sauveur et Saint-Vallier concorde avec la présence de plus de 70% des entreprises de fabrication dans ce secteur (Lanouette, 2006 : 103). Pour Lanouette, cette répartition des travailleuses manuelles reflète «une tendance à se localiser à la périphérie de la ville et près des zones industrielles de Québec» (Ibid.: 126). En fait, au fil de l’évolution économique et de la création d’usines et d’entreprises de toutes sortes, on peut réellement suivre le déplacement des travailleuses dans la ville (voir annexe 5), comme on a pu le voir avec les deux cohortes au même moment dans leur vie. Par ailleurs, le vaste district de Québec-Est (Saint-Roch, Saint-Sauveur, Saint-Vallier, Jacques-Cartier) regroupe 7 422 des 9 604 emplois dans le domaine de la fabrication (77%) (Ibid. : 105). En reprenant les chiffres de la cohorte en 1901, il appert logique que le trois quart des travailleuses habitent dans le secteur de la rivière Saint-Charles si on se fie à la répartition des entreprises qui s’y trouvent. La répartition des lieux de résidence suit ainsi le portrait général de la répartition des lieux d’emplois dans la ville.

Conclusion

Comment assimiler la masse d’informations qui viennent d’être présentées ? Comment juger de la portée de l’influence industrielle sur les destinées féminines à Québec ? La comparaison avec les travaux sur d’autres milieux urbains reste la méthode la plus pertinente. Dès lors, la comparaison avec Montréal est celle qui est la plus naturelle, sinon la plus simple. En se basant sur le travail de Sherry Olson et Patricia Thornton, il appert que Montréal connait une période industrielle très dynamique. Ainsi, l’industrialisation rapide de Montréal jette les bases pour favoriser l’émergence de nouvelles pratiques, notamment pour les couples qui voient, dans le fait d’avoir moins d’enfants, une possibilité pour eux d’accéder à une meilleure éducation (Olson et Thornton, 2011 :131). À Québec, quoique de nouvelles dynamiques s’installent, la croissance est plus lente qu’à Montréal, cette dernière connaissant une croissance économique et démographique exponentielle, comparativement à Québec au cours de la même période, soit du milieu du 19e siècle au début du 20e siècle (St-Hilaire et Marcoux, 2001).

Du côté des similarités, on peut d’abord noter que «la ville qu’habitent les femmes n’est pas celle que connaissent les hommes» (Bradbury, 1995 :45) et ce, notamment sur le plan des emplois occupés. Comme à Montréal, les métiers en manufacture légère vont prendre de plus en plus de place parmi les emplois des femmes à Québec. La même chose est visible dans les villes de la Nouvelle- Angleterre qui ont connu le même type d’industrialisation, notamment à Lawrence et Salem au Massachusetts (Ankarloo, 1978). Également, on l’a quantifié, le rapport de masculinité présentant une surféminité marquée à Québec est également visible à Montréal et dans certaines villes de l’Ontario, nommément Toronto, Kingston et Hamilton (Ward, 1990). Dans ces villes du sud de l’Ontario, Ward parle d’un désavantage flagrant pour les femmes célibataires pour ce qui est des chances de trouver un mari. Dans la deuxième moitié du 19e siècle, là aussi, les femmes en âge de se marier sont toujours

plus nombreuses 10 à 15% que les hommes du même âge de (Ward, 1990 :56). Pour Ward, tout comme pour Ankarloo ou Olson et Thornton, le rapport de masculinité défavorisant les femmes en milieu urbain est principalement causé par la structure industrielle en place, soit la même qui s’installe à Québec au cours de la période. Comme on l’a remarqué à Québec, Ward mentionne toutefois que l’impact des rapports de masculinité défavorables pour les femmes ne semble pas affecter l’âge au mariage de ces dernières. Toutes choses étant égales par ailleurs, on devrait voir, dans une société où les femmes sont plus présentes sur le marché du travail que les hommes, des âges au mariage élevés

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pour les femmes et de plus en plus bas pour les hommes (Ward, 1990 :57). Pourtant, dans les cohortes de Québec, les femmes, peu importe leur appartenance ethnoculturelle, se marient au même âge, d’une génération à l’autre. Le seul point qui pourrait aller dans le sens de l’affirmation de Ward se trouve dans le taux de mariages précoces à Québec, qui diminue toujours, au fil de la période industrielle. On se rappellera toutefois que ce dernier ne diminue pas uniformément parmi les groupes ethniques, les Franco-catholiques accusant un certain retard face aux autres groupes.

Olson et Thornton abordent également le cas des célibataires. On peut comparer la situation des célibataires à Montréal avec celle de Québec. À Montréal, en 1881 tout comme en 1901, on notait de forts taux de célibat pour les femmes de 20-24 ans. En effet, de 60% à 78% des jeunes femmes étaient célibataires en 1881, dépendamment de leur ethnie. Pour Québec, en 1891, on a vu que 73% des femmes de 20 à 24 ans sont célibataires, toutes les ethnies regroupées. Pour 1901 à Montréal, le pourcentage augmente à 65% de Franco-catholiques célibataires et à 83-84% pour les Anglo- protestantes et les Irlandaises catholiques (Olson et Thornton, 2011 :166). À Québec, sensiblement à la même période, soit en 1911, 74% des femmes du même âge ont le même état matrimonial. Cette similarité entre les deux villes s’explique, comme on l’a dit, par la structure industrielle qui favorise, dans certains secteurs, l’embauche massive des femmes. De plus, la justification de la hausse du taux de célibat pourrait également être expliquée par un changement de perception de la part des jeunes générations. Au final, la ville a augmenté son caractère attractif auprès des jeunes célibataires, elle qui depuis longtemps attirait déjà les femmes seules, célibataires ou veuves, car elles pouvaient y vivre plus aisément. Olson et Thornton notent que pour les hommes et femmes de Montréal, être célibataire semblait être une option de plus en plus attirante alors que le nombre de célibataires augmente continuellement et que les modes de résidence se diversifient (Olson et Thornton, 2011; 169). Certes, cette dernière affirmation est peut-être une des raisons de la hausse du taux de célibat, mais, d’après les autres éléments soulevés au cours des dernières pages, ce ne serait pas le facteur décisif et principal expliquant le célibat.

Également, Olson et Thornton proposent, pour analyser les changements de trajectoires dans la vie des Montréalais ce qu’elles ont appelé les transitions de vie. À Montréal, ces auteures ont décelé une nouvelle étape dans la vie de plusieurs Montréalaises, entre la fin des études et le mariage; celle

du travail rémunéré. Cette étape a été marquée par une relative indépendance pour plusieurs femmes, n’habitant plus avec leurs parents et n’étant pas non plus mariées (Olson et Thornton, 2011 : 200). Somme toute, à Montréal, on remarque une plus forte présence des femmes entre 18 et 20 ans sur le marché du travail, croissance qui s’est effectuée à un rythme similaire à celui du nombre de femmes célibataires et à celui du report du mariage à un âge plus tardif (Olson et Thornton, 2011 : 201). Bien sûr, ce fait n’a pas été vécu par toutes les Montréalaises, mais la tendance s’est tout de même accentuée avec le temps. À Québec, quoique le groupe des 15-19 ans se fera de plus en plus présent sur le marché du travail et qu’il s’avère que plusieurs jeunes femmes ont intégré le marché du travail entre la fin de leurs études et le moment du mariage (souvent synonyme de la fin d’un emploi déclaré dans la majorité des cas comme on l’a vu), la relative indépendance à laquelle font référence Olson et Thornton n’a pas pu être vérifiée. On peut tout de même avancer que le modèle montréalais peut s’appliquer à Québec.

Dans un autre ordre d’idées, on peut se tourner du côté de la fécondité, comme l’ont fait Marcoux, Harton et St-Hilaire (2006). À Québec, comparativement à Montréal, la fécondité reste élevée, comme on a pu le voir également dans les cohortes étudiées. La structure de l’emploi pour les hommes et la composition ethnique de la ville principalement canadienne-française ont favorisé une plus grande fécondité pour les femmes de Québec, comparativement à ce qui a prévalu à Montréal ou dans les milieux urbains industrialisés du sud de l’Ontario et de la Nouvelle-Angleterre (Marcoux, Harton et St- Hilaire, 2006 ; Ward, 1990 ; Modell et Hareven, 1978). En effet, on peut penser que les résultats toujours très élevés du rapport de fécondité à Québec sont fortement influencés par la dominance franco-catholique de la ville. Sachant qu’à Montréal, les changements matrimoniaux et familiaux ont d’abord été visibles dans les groupes anglo-protestants et irlandais catholiques pour ensuite influencer les comportements des Franco-catholiques (Olson et Thornton, 2011), on peut penser que le rythme toujours élevé des naissances à Québec, même en pleine période industrielle, est attribuable à la dominance franco-catholique et à l’absence de l’influence des autres groupes sur leurs comportements et habitudes.

Cela étant, il faut noter que, peu importe ce qui se passe dans d’autres villes industrielles à la même époque, la comparaison sera toujours hasardeuse. D’abord, parce que les différents groupes

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ethniques et socioéconomiques d’un milieu ont pu avoir et suivre leurs propres modèles de valeurs concernant les étapes de la vie (scolarité, mariage, emploi)47. Ensuite parce que l’incertitude entourant

certaines circonstances, le manque d’implication des autorités en santé et en éducation et le niveau de dépendance des mécanismes familiaux, comme celui de l’économie familiale, a produit une large variété de situations en termes de «périodes de transitions» au sein d’une même population (Modell et Hareven, 1978 :246).

L’hypothèse de départ de ce mémoire voulait que l’industrialisation de Québec instaurerait des modifications profondes dans le parcours de vie des femmes de la ville. Un plus grand nombre d’entre