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Chapitre 1 : La situation des femmes en milieu industriel et le contexte de la ville de Québec de 1852 à 1911

1.2 Contexte urbain : Québec au milieu du 19 e siècle

Avant de continuer sur les destinées des femmes de Québec, il importe de comprendre le contexte de la ville. À partir du milieu du 19e siècle, la ville, qui avait connu une bonne première moitié

de siècle du point de vue économique, subit plusieurs transformations profondes qui affectent fortement ses bases matérielles et, par conséquent, sa société.

En 1852, l’économie de la ville est basée sur quatre piliers, soit le commerce, principalement du bois, la construction navale, le transport et l’administration. La ville possède un statut prestigieux, étant l’hôte d’une garnison britannique, de même que le siège du parlement colonial durant quelques temps entre 1860 et 1865. Les chantiers navals, autour de la rivière Saint-Charles, fonctionnent bien et les contrats ne manquent pas (Courville, 2001). Pourtant, dès 1860, et plus fortement tout au long de cette décennie, la situation économique s’effrite. D’abord, en raison des avancées technologiques qui ont cours ailleurs qu’à Québec, les deux piliers économiques principaux de la ville, soit la construction navale et le commerce du bois, tournent au ralenti. Le bois est désavantagé devant la métallurgie qui se développe pour soutenir la machine industrielle qui s’installe de plus en plus fortement en Occident. Les contrats navals deviennent de plus en plus rares et Québec peine à rattraper le rythme imposé par Montréal, de plus en plus influente dans le monde du commerce national et supranational. Montréal possède des avantages que Québec n’a plus : l’amélioration du chenal du fleuve Saint-Laurent vers Montréal au cours de la décennie de 1850, permettant à des navires plus considérables de rejoindre la métropole; Montréal est connecté à un réseau de plus en plus dense de voies ferrées, avantage que Québec ne connaît pas avant 1879; enfin, Montréal est plus près des nouveaux centres d’influence continentaux qui sont situés sur le pourtour des Grands Lacs et en Nouvelle-Angleterre (Courville, 2001; Lanouette, 2006). Ces éléments offrent à Montréal une situation géographique améliorée, entre l’océan et l’intérieur du continent, qui engendre une augmentation de l’activité portuaire et stimule fortement d’autres activités économiques, le tout au détriment de Québec (Blanchard, 1935; Lanouette, 2006). Comble de malheur, du côté administratif, Québec se voit dépourvu de sa garnison britannique en 1871 et perd définitivement le siège du parlement en 1865 alors qu’il est déplacé à Ottawa (Bytown) (Lanouette, 2006). Ces changements structuraux, tous survenus en un peu moins d’une décennie, contribuent à accentuer le déclin économique et la perte d’influence continentale de Québec, entraînant la ville et sa population vers une crise économique et sociale qui laissera ses traces jusqu’aux années

1890 (Lanouette, 2006 :27). En réalité, la déprise économique des secteurs commerciaux principaux engendre de nombreuses pertes d’emplois, plusieurs départs et une stagnation économique et démographique.

Ainsi, au pire de la crise, la croissance urbaine stagne. L’expansion de la ville s’arrête, ce qui fait en sorte qu’entre 1852 et 1871, les plans de rue de la ville sont relativement semblables, où seulement le quartier Saint-Sauveur se développe un peu (figure 2). De même, entre 1871 et 1901, une très faible expansion urbaine est perceptible. Le réseau des rues se densifie, mais ne s’étend pas au- delà des limites déjà occupées (figure 3).

À la même époque, comme l’ont souligné St-Hilaire et Marcoux, en lien avec la décroissance économique de la ville, la croissance de la population stagne. Ainsi, entre 1861 et 1901, la population de Québec n’augmente que de 4‰, la plus faible croissance de toutes les villes canadiennes principales à cette époque (St-Hilaire, Richard, Marcoux, 2014 : 324). Au même moment, Montréal connait plutôt une croissance plus de 25‰, (St-Hilaire et Marcoux, 2001 : 172). Ainsi, le poids relatif de la ville de Québec s’affaiblit grandement : alors que la population représentait 22% de toute la population urbaine de la province en 1871, elle ne représente plus que 10% de celle-ci en 1901 (Linteau et al., 1989). Cet important ralentissement démographique est causé par la somme des tous les évènements politiques et économiques mentionnés plus tôt qui ont poussé de nombreuses personnes à émigrer (Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2006). En raison de son statut économique chancelant, la ville exerce alors une très faible attraction, voire rétention sur la population. En effet, près de 80% des hommes habitant la ville en 1871 auraient quitté Québec entre 1871 et 1901. (St-Hilaire et Marcoux, 2001 : 174; Marcoux, Harton et St-Hilaire, 2006 : 74).

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Figure 2: Plan des rues de Québec, évolution entre 1851 et 1871

Figure 3:Plan des rues, Québec, 1901

Source : Lanouette, 2006, p. 44.

Alors, comment expliquer que la ville ne s’est pas concrètement «vidée»? Ce sont en fait les Canadiens français, notamment des nouveaux arrivants du milieu rural, qui ont évité une «dépopulation» de la ville (Ibid. : 172). Ce qui se passe sur le plan démographique s’est plutôt apparenté à un renouvellement de la population. Ainsi, comme le mentionnent St-Hilaire et Marcoux, «l’évolution de la natalité et de la mortalité, les départs massifs et les arrivées presqu’aussi nombreuses ont modifié les traits de la population à un point tel que l’on peut pratiquement parler de renouvellement entre 1871 et 1901» (St-Hilaire et Marcoux, 2001 : 176). Ainsi, devant tant de départs, autant de la part des Britanniques que des Franco-Catholiques et face à une immigration principalement franco- catholique issue des campagnes environnantes, la ville connait au cours de la deuxième moitié du 19e

siècle un remodelage ethnique assez impressionnant, laissant une quasi-homogénéisation canadienne- française (89% de la population est franco-catholique en 1911) (Ibid. : 174; St-Hilaire, Richard, Marcoux, 2014 : 324).

D’un autre côté, le déclin des industries principales de la ville au milieu du 19e siècle entraîne

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fonctionnement hérité des révolutions industrielles anglaises et américaines. En fait, Québec, ayant besoin de diversifier son économie, mise sur sa bonne situation sur les réseaux fluvial et ferroviaire pour s’imposer sur les marchés de l'est de la province et des provinces de l’Atlantique à partir de 1880 (Courville, 2001). C’est ainsi que, où se trouvaient les anciens chantiers navals, soit à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, plusieurs manufactures se sont établies peu à peu. L’industrie manufacturière engendre alors, à partir de 1871, une croissance de productivité et une concentration de la main d’œuvre (Blanchard, 1935). Comme Vallières le mentionne, cette phase d’industrialisation s’est d’abord appuyée sur deux secteurs principaux, soit ceux de la cordonnerie et de la tannerie (Vallières et al., 2008). À ces derniers est venu s’ajouter toute une gamme d’entreprises diverses telles les manufactures de vêtements, de tabac et de meubles (Laflamme, 2001). Il n’en demeure pas moins qu’à Québec, le secteur le plus important est celui de la chaussure. Déjà en 1871, il emploie autant de gens que l’industrie navale en employait en 1851 (Courville, 2001 : 204). Présentes un peu partout dans la Basse-ville et les faubourgs, ces manufactures détonnent principalement d’avec les entreprises précédemment en place en raison de leur taille, atteignant fréquemment plus de 70 employés (Ibid.).

Cette croissance industrielle n’a pas eu le même impact sur tout le territoire de la ville (voir figures 4 et 5 ). La répartition inégale des manufactures est aisément notable. En effet, c’est dans les quartiers de Saint-Roch, Jacques-Cartier et Saint-Sauveur, soit la zone souvent appelée Québec-Est, que la plus forte concentration d’industries s’est faite. Comme le dénote Lanouette, les manufactures ont remplacé les chantiers navals le long de la rivière Saint-Charles (Lanouette, 2008). De fait, la vallée de la rivière Saint-Charles où se situaient les principaux chantiers maritimes et où s’est installé le siège de l’industrie manufacturière, connait une croissance de population de plus de 10 000 habitants en trente ans, soit de 1871 à 1901 (Lanouette, 2006 : 54). Les deux paroisses de Saint-Roch et Saint- Sauveur regroupaient en 1901 près de 60% de la population (St-Hilaire et Drouin, 2001; 228).

Figure 4: Localisation des quartiers de Québec, 1901

Source : Lanouette, 2006 :104

Figure 5: Nombre d'employés, secteur de la fabrication, par quartiers, 1901

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Comme on peut le constater, l’économie urbaine reprendra de la vigueur au fil des décennies, mais jamais assez pour rattraper Montréal, qui, à la même époque, confirme son statut de métropole du Québec. C’est dans ce contexte économique un peu difficile que l’étude qui suit prendra place, avec comme trame de fond l’analyse de l’évolution structurelle des caractéristiques socio-économiques des femmes, en ce qui a trait aux comportements matrimoniaux et à la fécondité, de même qu’à la scolarité et à l’emploi.