• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Les trajectoires de vie des femmes

4.2 Scolarité des filles

Les jeunes filles composant les cohortes ont 5 ans à leur sélection. À cet âge, un faible nombre fréquente une institution scolaire. Ainsi, en 1852, sur les 584 filles, seules 115 fréquentent l’école (20%);

39 Ceci n’est qu’une démonstration du biais. Également, ceux qui vivaient comme pensionnaires à l’extérieur de leur famille

d’origine ou encore dans un institut scolaire ou hospitalier ont été beaucoup plus difficiles à retracer et sont donc également sous représentés en 1881.

sur les 719 filles de 1871, 140 (19,5%) en font autant. D’une génération à l’autre, le pourcentage est le même. C’est le cas entre autres de Marie Boivert, qui va à l’école comme sa sœur aînée de 10 ans, ou de Margaret Lallasey et de Maria Hudson, qui vont à l’école avec leurs frères et sœurs aînés. À l’opposé, dans la famille Lafrance. Florence ne fréquente pas l’école, mais ses trois sœurs et un de ses frères aînés y vont, annonçant que Florence, lorsqu’elle sera plus âgée, suivra très probablement le même chemin. La cohorte étant ainsi faite, la prochaine mesure survient aux alentours du 14e ou 15e

anniversaire des jeunes filles40. À cet âge, selon les données présentées dans les portraits

transversaux, c’est plutôt le contraire qui survient : peu de filles sont encore sur les bancs d’école. On mentionne souvent que c’est plutôt entre 7 et 14 ans que la réelle mesure de fréquentation scolaire devrait être prise, comme cela a été présenté pour les quatre portraits globaux réalisés. Néanmoins, les chiffres obtenus restent révélateurs de nuances dignes de mention.

Si on classe les élèves selon leur ethnie, on peut voir à peu près le même constat que pour la population totale, c’est-à-dire que les filles d’origine franco-catholique sont celles qui fréquentent le moins l’école et que les filles issues de familles anglo-protestantes sont celles allant à l’école dans la plus grande proportion (tableau 34).

Tableau 34: Fréquentation scolaire des filles des cohortes de 1852 et 1871, Québec, 1852-1861 / 1871-1881

1852 À 5 ANS À 14 ANS 1871 À 5 ANS À 15 ANS

AP 23% 74% AP 41% 69%

CF 15% 41% CF 14% 36%

IC 31% 68% IC 22% 59%

Total 20% 52% Total 19,5% 42%

Source : PHSVQ

La comparaison entre les deux cohortes est pour le moins surprenante. En effet, la cohorte de 1852 a plus tendance à fréquenter l’école que celle de 1871 (52% pour les filles de 14 ans en 1861; 42% pour celles de 15 ans en 1881). Par contre, la marge entre le 14e anniversaire et le 15e

anniversaire peut-être très significative. En effet, on risque, peu importe l’année, de retrouver plus de

40 Car de 1852 à 1861, il n’y a qu’un écart de 9 ans, donc, lors de la prochaine prise d’informations, les filles de la cohorte

96

filles de 14 ans à l’école qu’à 15 ans. Comparer les deux groupes pour cet âge-là apparaît donc un peu hasardeux.

En outre, alors que pour la cohorte de 1852, près des trois-quarts des Anglo-protestantes sont toujours à l’école, en 1881, celles issues de la 2e cohorte ne sont plus que les deux tiers à le faire,

suivies de près par les Irlandaises catholiques. Pour leur part, les Franco-catholiques sont celles présentant le plus faible taux de fréquentation scolaire que ce soit à 15 ans ou à 5 ans.

Pour relativiser un peu, on peut observer la fréquentation scolaire pour l’ensemble de la ville chez les filles de 14 ans en 1861 et de 15 ans en 1881 (tableau 35). On peut voir que pour chaque groupe ethnique, les pourcentages sont un peu plus faibles que parmi les membres de la cohorte. Au total, en 1861, près de 49% de toutes les filles de la ville de Québec âgées de 14 ans sont à l’école, ce qui se rapproche un peu plus du total pour notre cohorte (52%). En 1881, 33% des filles de 15 ans sont toujours à l’école, mais cela varie selon l’ethnie :

Tableau 35: Fréquentation scolaire des filles de 14 ans en 1861 et des filles de 15 ans en 1881, Québec

Filles de 14 ans 1861 Filles de 15 ans 1881

AP 61% AP 61%

CF 47% CF 28%

IC 47% IC 40%

Moyenne 49% Moyenne 33%

Source : PHSVQ

Ainsi, la présence d'étudiantes dans la cohorte est plus forte que dans la population totale, ce qui est plus clair en 1881 pour les filles de 15 ans qu’en 1861 pour les 14 ans. On peut peut-être expliquer la différence entre la cohorte et l’ensemble de la population en tenant compte du fait que les membres que l'on a pu retrouver d'un recensement à l'autre dans la cohorte sont principalement ceux qui resteront dans la ville pour un long moment, comme le rappelle St-Hilaire, Richard et Marcoux (2014). Par ailleurs, ces parents urbains ont sûrement démontré un intérêt certain pour l’éducation et ont eu la possibilité de faire instruire leurs enfants, en raison de la plus grande accessibilité des écoles urbaines. Peut-être aussi que certains ont vu dans l’éducation une meilleure façon pour leurs enfants, de participer, plus tard, à une économie qui était en voie de tertiarisation.

Les données biographiques permettent de voir si, à l’âge adulte, les membres des cohortes devenus parents ont été plus enclins à envoyer leurs enfants à l’école. De nos jours, plusieurs études menées dans une multitude de milieux démontrent que le cheminement scolaire des enfants est influencé par celui des parents (Statistique Canada, 2009; Turcotte, 2011). Pour les membres de la génération de 1852, 71%41 de leurs enfants de 5 à 14 ans fréquentaient l’école en 1881, alors qu’eux-

mêmes étaient âgés entre 34 et 40 ans. Si on prend comme référence l’année 1871, 65% des enfants de 5 à 14 ans sont à l’école. Pour la seconde cohorte, devenus parents de 35-40 en 1901, leurs enfants sont à l’école dans une proportion de 70%, soit un résultat presqu’identique à celui de la génération précédente. En 1911, pour la même cohorte, cette proportion passe à 83%, ce qui est très élevé. À titre de comparaison, pour toute la ville en 1911, la moyenne des enfants à l’école est de 75%. Ainsi, on peut penser que le niveau d’éducation des parents a aussi eu une influence sur la fréquentation scolaire des enfants à l’époque que nous étudions, le niveau de scolarité des membres étant supérieur à la moyenne et celui de leurs enfants aussi.

Pour clore cette section sur l’éducation des filles, il faut rappeler que durant cette période et après, on a décrit le système d’éducation comme étant différencié selon les sexes. Il existe tout au long du 18e et 19e siècle de très grandes réticences à voir les filles suivre le même parcours scolaire que les

garçons (Solar, 1985 :278). Ainsi, même si le taux de scolarité des filles augmente tout au long de la deuxième moitié du 19e siècle, rares sont les filles qui ont atteint une éducation semblable à celles des

garçons. Alors que la fille prend souvent le chemin de l’école ménagère et rarement celui de l’école normale, les collèges classiques, industriels ou encore les universités leurs étaient interdits (Clio, 1982 : 180). Une fille étudiera l’économie domestique et familiale alors qu’un garçon apprendra l’économie sociale et les sciences pures. Enfin, pour Solar, l’école est faite pour et par les hommes. De 1850 à 1900, on a dépensé de 6 à 10 fois plus dans l’éducation des garçons que dans celle des filles à la commission scolaire de Montréal (Solar, 1985 : 279). Dans un tel contexte, l’assiduité des filles des cohortes et de leurs enfants à l’école apparaît encore plus spectaculaire.

41 Les individus ayant comme rôle celui d’enfant et ayant entre 5 et 14 ans (pour garder les mêmes balises que dans la

98