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CHAPITRE V : LE COMMERCE ET LA TRANSFORMATION DE LAIT À N’DJAMENA

5.3 L ES MICRO - ENTREPRISES DE TRANSFORMATION LAITIÈRE

5.3.3 Les yaourteries

- les yaourteries artisanales : elles sont tenues par des femmes qui exercent cette activité à domicile. Elles fabriquent des sucettes de yaourt à partir du lait local. Les sucettes sucrées sont conditionnées en sachets d’environ 4,2 cl. Congelées et conservées en glacière, elles sont vendues 25 francs CFA l’unité. La vente s’effectue alors dans diverses institutions ou à la sortie des écoles. Des sucettes de yaourt en provenance de la localité camerounaise voisine de Kousseri sont commercialisées à N’Djamena. Dans ce cas, elles sont produites à base du lait en poudre ;

- les yaourteries modernes : elles sont au nombre de deux à fabriquer du yaourt en pots. Il s’agit de MAZETI Lait et TCHAD lait. Cependant, il ne nous a pas été possible d’obtenir des indications sur leur fonctionnement. Les responsables de l’entreprise se refusent à toute communication sur le sujet. Il semble toutefois qu’elles utilisent uniquement de la poudre de lait et des arômes artificiels. Les pots ainsi que la matière première sont importés du Cameroun et du Nigeria.

Enfin, il faut noter qu’il n’existe pas de mini-laiteries artisanales comercialisant des sachets de lait frais ou fermenté sucré comme il existe dans d’autres pays d’Afrique de l’ouest où cette activité semble en plein essor et s’appuie, comme pour les yaourteries modernes sur la poudre de lait importée.

Discussion et conclusion

Le secteur laitier est en plein essor en Afrique subsaharienne. Des travaux récents ont montré que depuis 20 ans, la privatisation des grandes laiteries, l'abandon des monopoles d'Etat et la dévaluation du franc CFA ont renforcé la compétitivité des filières locales (Meyer et Duteurtre 2001). On assiste de plus en plus à l’émergence et au développement des filières, basées sur la collecte quotidienne du lait. Ce phénomène est observé à la périphérie des capitales mais aussi des villes secondaires notamment au Sénégal, au Mali, au Niger et

au Tchad (Dieye et al., 2005b). L’analyse du marché de N’Djamena a montré le dynamisme et la complémentarité des circuits d’approvisionnement de la ville de N’Djamena en produits laitiers locaux : lait frais, lait caillé, lait de chamelle.

Pour répondre à une demande croissante, l’organisation de la vente se base sur le développement d’un réseau de distribution qui mobilise un nombre important d’intervenants. La sous-filière « lait frais », composée de petites entreprises laitières de collecte et de transformation est la plus dynamique. Les livraisons quotidiennes de lait ont été multipliées par six avec la mise en en place de la collecte en mobylette. Les circuits d’approvisionnement de la ville de N’Djamena sont par ailleurs caractérisés par une remarquable unicité ethnique et religieuse. L’importance du système de relations sociales dans l’émergence des marchés a été soulignée par Granovetter (2000) cité par Dieye et al., (2005b). Les relations ethniques et confessionnelles, permettent dans la filière de N’Djamena de réduire les incertitudes liées à la commercialisation du lait et en particulier celles concernant l’approvisionnement régulier et le paiement du lait.

Le développement de la filière laitière locale a été marqué par l’entrée des hommes dans le circuit du lait frais de vache. En milieu pastoral sahélien, les activités de commerce et la transformation du lait sont traditionnellement l’affaire des femmes. Mais, en Afrique, la rentabilisation marchande d’une production agricole ou pastorale a souvent eu pour conséquence que les hommes s’emparent du marché (Boutinot, 2001). C’est le cas à N’Djamena où la croissance du marché a donné naissance à des nouveaux circuits d’approvisionnement et a conduit à l’entrée des hommes dans ce commerce. Les circuits traditionnellement tenus par les femmes sont actuellement concurrencés par des organisations masculines, fondée sur une collecte à mobylette. Le passage de la gestion laitière, du champ féminin au champ masculin, pose le problème du statut social de « l’argent du lait » (Vatin, 2001). D’après Boutinot (2006), cette évolution risque d’être défavorable à la gestion familiale : alimentation et soins des enfants notamment à la charge des femmes. En outre l’engagement des acteurs masculins dans la sous-filière lait frais a fait perdre à la sous-filière du lait caillé une part de marché importante. Le privilège accordé à la vente du lait frais s’est traduit par l’abandon des pratiques de valorisation du lait et du savoir-faire associé (Bruggemean et al., 2001).

L’essor de la filière lait de chamelle autour des villes africaines est lié à certains facteurs de compétitivité qui n’entrent pas en concurrence avec le lait de bovin (Faye et al., 2004). Le lait de chamelle occupe en effet un secteur commercial particulier du fait de sa consommation par les populations originaires des zones pastorales. Vendu plus cher que les autres, il

en lait de chamelle dans les villes africaines est liée à la démographie (exode de populations en provenance des zones pastorales) et au niveau de vie des citadins (Faye et al., 2004). Le lait de chamelle est le plus souvent commercialisé par les femmes d'éleveurs arabes Oualad Rachid qui sont présents dans les environs de N'Djamena en saison sèche. Ce lait est vendu directement aux consommateurs originaires du Kanem, du BET et de Biltine car ce sont là les zones d’élevage de dromadaires par excellence au Tchad.

L’apparition des « bars laitiers » à N’Djamena est récente. Les résultats des enquêtes menées en 2002, qui avaient conclu à une forte croissance de ce secteur (Duteurtre et al., 2005), ont été confirmés. Sous l’effet de la demande, le nombre de « bars laitiers » de N’Djamena a été multiplié par trois en moins de 10 années. Cet essor repose sur le dynamisme des collecteurs laitiers qui, en plus de réaliser le transport et la distribution du produit, proposent aussi aux boutiques potentiellement intéressées dans ce commerce des contrats de livraison "à l'essai", et contribuent ainsi à l'extension du marché du lait local (Duteurtre et al., 2005). Le développement de la collecte se trouve donc induit par le développement des « bars laitiers ».

L’essor des bars laitiers repose en outre sur le succès du rayeb et lait réfrigéré qualifiés de « lait pur de vache ». Ainsi donc, la plupart des consommateurs préfèrent le lait de vache local. Or, les élevages présents dans les environs de N'Djamena sont mixtes, c’est-à-dire qu'ils sont basés sur l'élevage conjoint de plusieurs espèces : bovins + petits ruminants, dromadaires + petits ruminants, etc. Les femmes productrices sont parfois amenées à mélanger les laits de plusieurs espèces présentes dans le troupeau familial. Ces pratiques de mélange sont importantes (Bourzat et al., 2001) et sèment le doute chez les consommateurs sur la qualité du « lait pur de vache ».

Il semble donc important de réfléchir aux moyens d'améliorer la qualité du lait de brousse livré aux bars laitiers qui le servent frais ou le transforment en rayeb. Un des problèmes réels pour développer la filière laitière au Tchad est l’impossibilité d’utiliser le refroidissement du lait pour des raisons techniques et économiques. Selon la distance, l’état des routes et le moyen de transport, le lait peut être exposé pendant plusieurs heures à des températures ambiantes supérieures à 30°C. Dans ces conditions, le lait devient acide et impropre à la transformation en moins de deux heures. La stabilité du lait peut être améliorée par l’activation du système du système lactopéroxydase (s.LP) par le peroxyde d’hydrogène dans le cas d’une application ciblée (Degre, 2001 ; Lambert et Lhoste, 2004 ; Ndambi et al., 2008). Une étude menée dans la zone périrubaine de N’Djamena a montré l’intérêt de traiter les laits moyennement contaminés pour un coût de 0,52 francs CFA par litre (Loiseau et al., 2001). Mais le recours au traitement s.LP ne permet pas de se passer des règles

impératives d’hygiène. De gros efforts restent à accomplir tant au niveau de la production qu’au niveau des récipients utilisés pour le transport. Dans ce domaine, le rôle des politiques ou des projets peut être multiforme : formation des producteurs et des collecteurs à l'hygiène de la traite et du transport, formation des boutiquiers, … Il pourrait être intéressant de valoriser certaines procédures de contrôle ou de soutien à la qualité par une marque particulière sur le produit : Label ? Marque commerciale ? Emballage ? Un label existe ("lait pur de vache"), qui pourrait servir de base à des actions de promotion de la qualité comme le suggèrent Duteutre et Koussou (2002).

L’activité des fromagers repose essentiellement sur un savoir-faire artisanal. L’accès à un tel savoir-faire constitue donc une barrière à l’entrée importante qui freine le développement de cette activité. Le développement des marchés du rayeb et du fromage est lié à l’évolution des caractéristiques de la demande. Mais la diversification des habitudes alimentaires est un processus lent qui dépend de multiples facteurs parmi lesquels le niveau de vie des populations et l’évolution des modèles sociaux (Duteurtre et al., 2002 ; Elwert-Kretschmer, 2001).

En Afrique sahélienne, les micro et petites entreprises artisanales de collecte et de transformation apparaissent comme un moyen de dynamiser la filière laitière locale et de lutter contre la pauvreté rurale (Corniaux et al., 2005b ; Dieye et al., 2005b). En effet, elles valorisent le lait local, créent de l’emploi et des revenus. Cependant, à N’Djamena, l’essor de ces entreprises apparaît très fortement limité d’une part par la saisonnalité de la production laitière qui fait que le lait manque pendant les périodes de forte demande et d’autre part par le déficit en électricité.

A cela s’ajoute l’absence de cadre de concertation pour orienter les politiques et les projets vers une meilleure prise en compte des besoins des micro et petites entreprises laitières (Duteurtre et al., 2005).

Si la souplesse et les faibles coûts de fonctionnement sont les atouts pour l’adaptation de ces entreprises laitières aux changements politiques et aux spécificités de la demande locale, ils limitent considérablement leurs capacités à étendre leur marché et à développer de nouveaux produits plus standardisés. A moyen terme, les petites entreprises de transformation laitières pourraient être victimes de leur succès et se retrouver dans de situations de concurrence sur un marché de plus en plus saturé à l’exemple de Kolda et de Saint-Louis au Sénégal (Corniaux et al., 2005b ; Dieye et al., 2005b). Aussi ne serait-il pas temps comme le suggèrent Corniaux et al (2005b) de réhabiliter le modèle industriel en envisageant un développement de la filière locale qui s’appuie à la fois sur les laiteries artisanales et industrielles ?

Chapitre VI : Le bassin d’approvisionnement et la production