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CHAPITRE V : LE COMMERCE ET LA TRANSFORMATION DE LAIT À N’DJAMENA

5.2 L A DESCRIPTION DES DIFFÉRENTES SOUS - FILIÈRES

5.2.1 La sous-filière « lait frais de vache »

5.2.1.1 Le circuit des collecteurs de lait

C’est le circuit par lequel le lait est acheminé le long des routes bitumées ou en terre vers la ville. En plus d’alimenter les petites entreprises de transformation laitières appelées « bars laitiers », il s’approvisionne sur un réseau de distributeurs et de femmes intermédiaires dénommées collectrices grossistes.

a)

Les collecteurs : de petits entrepreneurs dynamiques

Apparue au début des années 90, l’activité de collecte du lait va connaître un développement rapide avec la multiplication d’intervenants et l’apparition de nouvelles formes liées à la hausse de la demande. Les collecteurs de lait sont dans leur totalité des agro-éleveurs de l’ethnie arabe Choa. Le métier de collecteur est assuré par des personnes jeunes dont la moyenne d’âge se situe autour de 30 ans. Selon le type d’organisation de la collecte mis en place et le mode de transport, on distingue : les collecteurs solitaires et les collecteurs employeurs.

- les collecteurs solitaires

Ils utilisent la mobylette ou la bicyclette comme moyen de transport. Ils vont collecter le lait dans les villages et le transportent jusqu’à N’Djamena où ils le vendent directement chez un boutiquier16 ou aux collectrices grossistes de lait frais. Les collecteurs à mobylette sont appelés les « quarantiers » à cause des bidons en polyéthylène de quarante litres qu’ils utilisent pour transporter le lait ;

- les collecteurs employeurs

Cette catégorie d’acteurs est apparue au sein de la filière au début de l’année 2003. Ce sont d’anciens collecteurs solitaires qui ont évolué dans l’organisation. A la différence des solitaires, ils disposent de 2 à 3 mobylettes qu’ils mettent à la disposition de leurs agents. Ces derniers parcourent les villages de producteurs pour collecter le lait. Les bidons remplis de lait sont ensuite acheminés vers un point de rencontre fixé par l’employeur.

n’effectue pas le déplacement pour N’Djamena. Il confie les bidons remplis de lait au conducteur du taxi-brousse. Ce dernier se charge de les livrer aux collectrices grossistes et aux distributeurs sur le marché de Tacha Moussoro. Ces derniers sont informés du nombre de bidons et du prix soit par téléphone portable, soit par le conducteur du véhicule à son arrivée. C’est ce dernier qui lors du trajet retour, se verra confier l’argent issu de la vente du lait et les bidons vides destinés au collecteur resté au village.

- Les activités de collecte

Chaque collecteur dispose d’un réseau de collecte constitué de 5 à 8 villages à parcourir quotidiennement. Pour la collecte, près de 80 % sont aidés par les femmes et les enfants des producteurs résidant dans le village auxquels les unissent des liens ethniques et familiaux. Le matin, après la traite et le chauffage du lait, les productrices17 convergent en un point de collecte situé dans le village où les attend le collecteur ou son agent. Le lait est mesuré à l’aide de récipient en émail appelé coro, puis, transvasé dans le bidon de 40 l. Le collecteur ou son agent passera dans chacun des villages faisant partie de son réseau de collecte à mobylette ou en charrettes tirées par des chevaux ou des ânes pour collecter le lait dans les bidons. La totalité des collecteurs est liée aux productrices par un contrat d’achat verbal qui porte sur la régularité de l’approvisionnement, le prix et parfois le mode de paiement. Les achats se font par coro. Le paiement peut être effectué de plusieurs manières : comptant (18 % des cas), le jour suivant (47 %) ; le reste (35 %) a la possibilité de payer tantôt cash tantôt le lendemain. En parallèle, les collecteurs s’accordent facilement des prêts et des services entre eux. Ainsi, à la demande des productrices, les collecteurs achètent pour leur compte des produits alimentaires, des produits manufacturés et des aliments pour bétail dont le montant sera défalqué totalement ou progressivement au moment de la paie. Les collecteurs sont dans leur totalité liés aux boutiquiers par un contrat oral de livraison. Ce contrat porte sur la régularité de la livraison, la fidélité du client (Zaboun), le prix et le volume.

- Le transport

Le transport du lait s’effectue le long de sept principaux axes routiers reliant N’Djamena au reste du pays. Parmi ces axes, deux sont bitumés : N’Djamena-Massaguet en direction du Nord, et N’Djamena-Guelendeng vers le Sud. Le reste est constitué de routes et de pistes en terre difficilement praticables en saison des pluies.

Tableau 43 : Répartition (en %) du type de moyen de transport par zone de collecte

Mobylette Taxi-brousse Bicyclette Pied Âne

Zone Nord 17,2 18,3 7,1 20,2

Zone Est 8,2 0 5,4 9,8 1,8

Zone Sud 11,1 0 0,6 0,2

Total 36,5 18,3 13,1 30,3 1,8

Figure 4 : Répartition des flux selon le moyen de transport utilisé

Taxi-brous s e 51% Mobylette 39% Bicyclette 6% Pied 4% Âne 0,2%

Sur chaque route, il existe un point de convergence du lait à l’entrée de la ville. Les points d’entrée sont : Goudji, Zaraf et Djougoulié au Nord, Gaoui, Siguété et Gassi à l’Est et Walia au Sud (carte 2). Les moyens utilisés sont par ordre d’importance numérique : à mobylette (37 %), à pied (30 %), en taxi-brousse (18 %), à bicyclette (13 %) et à dos d’âne (2 %).

Deux enquêtes conduites à deux ans d’intervalle (2005 et 2007) ont montré une progression de 20 % de la fréquence d’utilisation du taxi-brousse comme moyen de transport par rapport à la mobylette et au vélo. Il existe une corrélation étroite entre le moyen de transport et l’origine géographique du lait (Tableau 43).

Le choix du moyen de transport dépend aussi de la distance à parcourir. Jusqu’à une distance pouvant atteindre 8 à 10 km, le lait produit dans des élevages situés à la périphérie proche de la ville est acheminé par les productrices18 à pied. La proximité de la ville permet la vente directe. Entre 10 et 25 km, le lait est transporté sur des bicyclettes par de petits collecteurs résidant dans les villages proches de la ville et parfois à dos d’âne. La mobylette ou la moto est utilisée lorsque la distance à parcourir dépasse 25 km. Au delà d'une certaine distance (40 à 45 km), le transport est réalisé en taxi-brousse.

- Les flux

Ils se repartissent inégalement suivant un certain nombre de considérations :

les points de convergence : les flux les plus importants passent par Goudji (67 %) puis Walia (14 %). Ils correspondent aux points de passage du lait collecté respectivement dans la partie nord et sud du bassin d’approvisionnement. Les cinq autres points de passage à savoir Gaoui, Gassi, Siguété, Djougoulié et Zaraf contribuent pour moins de 20 % à l’approvisionnement. Ils sont situés au carrefour des pistes difficilement praticables. Ils sont empruntés par les collecteurs à bicyclette, des productrices à pied ou à dos d’âne.

le moyen de transport : le taxi-brousse et la mobylette acheminent la quasi-totalité du lait frais commercialisé à N’Djamena (Figure 4).

la zone de collecte : l’essentiel des approvisionnements quotidiens (70 %) en lait de la ville de N’Djamena provient de la partie Nord du bassin en raison de la praticabilité des routes qui autorise le transport en taxi-brousse, et de l’histoire ancienne de cette zone avec les laiteries. Les parties Est et Sud du bassin contribuent à des proportions respectives de 16 % et 14 %. La première dispose certes d’un potentiel de production important mais l’absence de voies carrossables en toute saison limite considérablement les possibilités de collecte et de transport. La seconde renferme peu d’élevages et de nombreux villages situés entre le Chari19 et le Logone sont enclavés assez longtemps en saison des pluies.

Tableau 44 : Quantités moyennes selon le moyen de transport et la saison (litres) Saison

Moyen Fraîche Chaude Pluvieuse

Taxi-brousse 239,1 a ± 115,4 (n= 83) 221,6 a ± 214,4 (n=65) 232,1a ± 71,7 (n=112)

18Ce terme est utilisé pour désigner les épouses des éleveurs

Mobylette 86,2 a ± 30,6 (n=159) 87,8 a ± 32,4 (n=164) 88,7a ± 34,5 (n=195)

Bicyclette 42,1 a ± 18,6 (n=54) 31,2 b ± 22,5 (n=66) 41,0 ± 29,3 (n=66)

Les valeurs suivies des mêmes lettres ne sont pas statistiquement différentes suivant une même colonne. Celles suivies des lettres a ou b sont significativement distinctes à P<0,05 suivant une même ligne.

Tableau 45 : Les approvisionnements saisonniers de N’Djamena en lait frais.

Saison Moyenne Ecart-type

Sèche fraîche 12 268 2 385

Sèche chaude 10 825 1 251

Pluvieuse 14 835 2 204

Moyenne annuelle 12 643 2 510

Tableau 46 : Variation saisonnière des prix en francs CFA du litre de lait en 2008.

Saison pluvieuse Saison sèche fraîche Saison sèche chaude

Prix au producteur 175 225 250

Prix au collecteur 250 350 375

Prix au consommateur 650 650 700

Tableau 47 : Coût de commercialisation, marge et excédent bruts au collecteur (en francs CFA).

Saison pluvieuse Saison sèche

Quantité (litres) 120 60

Recettes 30 000 18 000

Charges 22 850 13 850

Marge brute/jour 7 150 4 150

Excédent brut/litre 59,6 69,2

De plus en saison sèche les éleveurs se déplacent en profondeur dans la plaine inondable du Logone rendant la collecte délicate à cause de l’inexistence de voie de communication reliant les lieux d’accueil à l’axe principal.

- Les quantités

Deux facteurs déterminent les livraisons quotidiennes de lait : le moyen de transport et la saison de l’année. Il existe une très grande variabilité dans les quantités de lait transportées quotidiennement suivant le moyen de transport. Un taxi brousse transporte en moyenne 3 fois plus de lait qu’une mobylette et 6 fois plus qu’une bicyclette. Cependant les taxis-brousse sont destinés prioritairement au transport de passagers. Les bidons de lait sont

chargés dans les véhicules en nombre limité pour ne pas les gêner. Quant à la saison, elle n’a pas eu d’influence (P>0,05) sur les quantités moyennes transportées à mobylette ou en taxi-brousse (Tableau 44). Quelle que soit la saison, les charges moyennes restent les mêmes : 2 bidons de 40 l pour la mobylette et 6 bidons pour un taxi-brousse. En revanche lorsque le moyen de transport est la bicyclette, les quantités sont significativement plus faibles (P<0,05) en saison sèche chaude que pendant les saisons sèche fraîche et pluvieuse. Les producteurs auraient tendance à vendre moins de lait aux collecteurs à vélo qui souvent ne fonctionnent que pendant la saison pluvieuse, période où le lait est abondant. Des comptages effectués en 2006 au niveau des points de convergence nous ont permis d’estimer la quantité de lait acheminée quotidiennement sur N’Djamena (Tableau 45). Cette quantité varie avec la saison de l’année : l’offre en saison pluvieuse est plus importante que pendant les saisons sèches fraîche et chaude.

- Prix et marges au collecteur à mobylette

Le prix du lait frais est sensible aux variations saisonnières de la production laitière (Tableau 46). Le prix d’achat au producteur varie de 175 à 250 francs CFA le litre suivant les saisons. Par contre les écarts entre les prix au producteur et au collecteur sont relativement stables. Les excédents bruts par litre de lait comercialisé sont intéressants au niveau des collecteurs (Tableau 47), ceci s’explique par l’importance des risques de dénaturation du lait et par le coût du transport. En effet, le lait frais est transporté à la température ambiante dans des bidons en polyéthylène. Il arrive donc parfois que le lait ait tourné pendant le transport.

b) Les collectrices grossistes de Goudji

Ce circuit a été créé au début des années 1990 par des femmes de l’ethnie Gorane. A l’époque, quelques familles goranes installées dans la réserve boisée de Goudji produisaient et commercialisaient du lait à partir d’un petit troupeau de vaches en lactation entretenues sur place.

Pour satisfaire la demande en augmentation, elles interceptaient les collecteurs à mobylette pour leur acheter le lait afin de compléter leur propre production. Elles ont été expulsées en 1993 avec leurs vaches car le terrain appartenait à l’Etat. C’est à ce moment qu’un groupe de femmes arabes est intervenu pour reprendre à son compte cette activité. On a dénombré 6 grossistes au moment de l’enquête mais leur nombre peut atteindre 10 en saison de haute production.

Elles sont toutes mariées avec en moyenne 6 enfants en charge. L’exercice de ce commerce leur permet des revenus nécessaires pour faire face à leurs besoins familiaux d’alimentation. Elles reçoivent le lait livré sur le marché par des collecteurs solitaires ou employeurs.

Chacune d’elles est associée à 2 ou 3 d’entre eux. Ils sont liés par un contrat tacite : un collecteur livre à une seule et même grossiste. Les quantités livrées varient quotidiennement et surtout avec la saison de l’année. Les volumes commercialisés sont plus importants en saison pluvieuse où ils atteignent et dépassent parfois 400 l par collectrice grossiste. Contrairement aux femmes goranes qui payaient cash, les femmes arabes elles n’effectuent le paiement qu’après la vente du lait. Elles bénéficient de la confiance des collecteurs auxquels elles sont unies par des liens ethniques et confessionnels, parfois familiaux. En général les collectrices perçoivent 250 francs CFA par bidon de 40 l vendu. La vente du lait s’effectue principalement en gros (bidon de 40 l) mais aussi au détail (coro de 2 l, bouteille de 1,5 l). La vente en gros s’adresse aux distributeurs à mobylette. Elles vendent par coro aux talanié citadines et aux revendeuses installées à leur côté. Pour la vente directe aux consommateurs, le lait est conditionné dans des bouteilles de récupération d’eau minérale de 1,5 l. La moitié du lait acheminé à N’Djamena transite par le marché de Tacha Moussoro.

c) Les distributeurs

Cette catégorie d’intervenants est apparue en même temps que les collecteurs-employeurs. Elle est constituée d’anciens collecteurs résidant dans les quartiers périphériques de N’Djamena (Goudji, Diguel, Madjorio, Siguété,…) et ayant mis fin à la collecte du lait en brousse. Ils ont créé à partir de 2003 un nouveau circuit de distribution. Ils se rendent chaque matin sur le marché de Tacha-Moussoro, au même endroit que les collectrices de lait frais. Ils sont associés à 1 ou 2 collecteurs. Ils récupèrent les bidons de lait soit directement expédiés par un collecteur employeur, soit au niveau des grossistes. Ils utilisent comme moyen de transport la mobylette, la moto, la bicyclette et parfois le pousse-pousse. Le nombre de bidons récupéré est variable selon la saison : 1 en saison sèche chaude ; 2,5 en saison sèche fraîche et 4 en saison pluvieuse. Le prix suit cette variation saisonnière de la quantité commercialisée. L’écart entre le prix d’achat d’un bidon au collecteur ou à la grossiste et le prix de vente au « boutiquier » est de 1000 francs CFA, ceci quelle que soit la saison.

Flux importants Flux moyens Flux faibles

Le paiement au collecteur s’effectue au comptant car le plus souvent c’est le chauffeur livreur qui doit ramener l’argent au collecteur employeur resté au village. Les bidons de lait sont ensuite transportés sur la mobylette pour être livrés aux boutiquiers avec qui ils sont liés par un contrat de livraison. Ils récupèrent 43 % du lait débarqué au marché de Tacha Moussoro situé à la sortie Nord de la ville qu’ils distribuent aux bars laitiers (Figure 6).

Le marché de Tacha Moussoro : un lieu d’échanges de lait et d’informations

Agro-éleveurs arabes Choa Transhumants Oualad Rachid, peul

Talanié rurale Collecteur à mobylette, vélo Collecteur en taxi-brousse

Collectrice-Grossiste Distributeur Bars laitiers Fromagerie Consommateurs Talanié citadine

C’est l’unique place de marché pour la vente du lait frais en gros et au détail. C’est aussi une plate forme d’échanges d’informations entre les acteurs de la filière : collecteurs solitaires, collecteurs employeurs, distributeurs, talanié, consommateurs. Le marché de Tacha Moussoro joue le rôle de marché d’éclatement des flux acheminés par taxi-brousse. Il reçoit en moyenne 6450 ± 2720 l de lait/j dont la plus grosse part est récupérée par les distributeurs à mobylette pour des livraisons aux bars laitiers (Figure 5). Les revendeuses sur place et les talanié se partagent le reste.

Figure 5 : Destination du lait débarqué au marché de Goudji

Vente sur place 12%

Distributeurs 80% Talanié

8%

La création de ce marché de gros et son évolution illustre encore une fois le dynamisme des acteurs de la filière et particulièrement celui des collecteurs qui ont été les premiers à comprendre la nécessité d’une plaque tournante pour les échanges de lait et d’informations. Malheureusement, le marché installé dans une réserve boisée a fait l’objet de plusieurs mesures d’expulsion de la part de la municipalité. Une nouvelle place de marché a été attribuée aux vendeuses de lait par la municipalité. Elle est située dans le quartier de Goudji à la sortie de la ville. L’attribution de cette place de marché a été faite à la demande du Projet laitier de N’Djamena qui y a construit un hangar. Malheureusement il est resté inoccupé. Les collectrices grossistes refusent de s’y rendre jugeant son emplacement peu stratégique pour la vente du lait en raison de son éloignement du centre ville qui renchérirait le prix du lait au consommateur. En plus le marché est situé dans un quartier périphérique, domaine traditionnel de vente du lait par les talanié rurales.