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Key words: urban project, development project, urban planning, international cooperation

Cette communication interroge la figure du « projet » dans le contexte des villes ouest-africaines, à partir d’une expérience professionnelle et de recherche, et en particulier les fondements théoriques, voire épistémologiques, des pratiques de projets, en mettant en regard le projet de développement (tel qu’on l’entend dans la sphère de la coopération et de l’aide au développement) et le projet urbain (tel qu’on l’entend dans l’espace francophone de l’urbanisme).

Le projet peut être défini la mobilisation de moyens sur une durée limitée, en vue d’atteindre des objectifs donnés.

PROJET DE DEVELOPPEMENT ET PROJET URBAIN

Premièrement, on retracera la trajectoire de ces deux modes d’actions aux histoires distinctes. Le projet de développement est le mode majeur d’action publique dans les colonies à partir du milieu du 20e siècle (Massiah and Tribillon 1988, Darbon 2008, Lavigne-Delville 2013). Cette forme particulière d’action publique s’inspire pour partie des projets industriels et pour partie des projets régionaux comme la Tennessee Valley Authority aux États-Unis; elle est le fait d’ingénieurs, souvent principalement basés en métropole ayant peu de connaissances fines des réalités locales. Si, pendant la période coloniale, l’exploitation des ressources naturelles et agricole reste une orientation forte, d’importants projets d’infrastructures sont également mis en oeuvre en milieu urbain, allant de pair avec une vision ségréguée du fonctionnement de la ville. Les États indépendants en Afrique de l’Ouest reprendront cette modalité des grands projets dans le domaine des infrastructures et du logement (Massiah and Tribillon 1988, Sory 2015), accompagnés par les institutions d’aide bilatérale et multilatérale qui se mettent en place dans les décennies 1950 et 1960.

Un tournant s’opère dans les années 1980 avec les coupures drastiques dans les finances publiques qui conduisent les institutions d’aide à un changement d’échelle et de secteur au profit de projets d’ordre social, politique et institutionnel plutôt que d’infrastructures. Par ailleurs, les projets sont mis en oeuvre par des ONG plutôt que par les administrations d’État. C’est le début d’une longue évolution vers des projets caractérisés par la mise en place d’unité de gestion de projets plus ou moins autonomes de l’administration, accompagnés d’une ingénierie institutionnelle et sociale croissante, et par des procédures de plus en plus lourdes censées contrôler la mise en oeuvre des projets. Les théories du New Public Management influencent durablement le processus de l’aide au développement, y compris dans le secteur urbain (Stren 1991). Lavigne- Delville (2013) montre une double complexification des procédures de l’aide avec la multiplication des outils de contrôle d’utilisation du financement (cadre logique en amont, programmation annuels, comité de pilotage, évaluation systématique, etc.) et des modes d’organisation valorisant le « faire faire », les appels à projets locaux, les multi-partenariats.

Parallèlement, a montée en puissance du projet urbain das les pays européens retracée par Gilles Pinson (2009) montre qu’il a est conçu comme un instrument de mobilisation sociale et de pérennisation d’un groupe de parties prenantes partageant une certaine identité d’action ou certains objectifs. De ce fait, il serait devenu un instrument du gouvernement des villes (Lascoumes and Le Galès 2005).

En conclusion de cette section, on montrera que ces deux types de projets font face à des défis similaires (incertitude, complexité des parties prenantes, des modes opératoires, etc.) eux même largement traités par les sciences de la gestion (Arab 2007, Lavigne-Delville 2013). Or, les sciences de la gestion ont été reprises de manière différenciée dans ces deux pratiques. Par exemple, alors que le projet urbain est conçu comme vecteur de mobilisation des parties prenantes, le projet de développement continue de souffrir du découplage (y compris géographique) fort entre décideurs et bénéficiaires, entre mesure du succès et effets pour les usagers finaux (Lavigne-Delville 2013). Alors que la pratique du projet urbain assume de plus en plus la dimension multiacteurs et une approche par la « gouvernance », les projets de développement restent liés de manière stricte à un cadre logique, reflet d’une volonté de contrôle de la mise en oeuvre d’un projet, typique d’une vision linéaire de l’action publique.

L’URBANISME OUEST-AFRICAIN A L'OMBRE DE L’APPROCHE PROJET

Dans un second temps, on démontrera dans quelle mesure, dans les territoires urbains ouest- africains, le projet de développement reste le mode majeur d'intervention concrète sur la ville, et les effets de cette situation. Cela a tout d’abord des conséquences communes à l’ensemble des secteurs d’action publique (Giovalucchi and Olivier de Sardan 2009, Valette, Baron et al. 2014) : substitution des projets à la politique publique, partage des territoires entre bailleurs, approche rigide ne permettant pas la prise en compte des changements et de l’incertitude, etc. Cette situation tend à déstabiliser les modalités de régulation sociétale et territoriale (Darbon 2003). Portée sur le territoire urbain, cette modalité d’action a en plus des effets directs patents, notamment : l’absence de représentation d’ensemble, notamment cartographique, des espaces urbains et en conséquence peu d’imaginaire collectif, si ce n’est de projet politique, pour les territoires. Enfin, l’approche-projet a été tout à fait intégrée par les récents échelons communaux de pouvoirs. Il en résulte un contexte de concurrence entre communes pour capter les fonds de l’aide au développement, rendant difficile le développement d’une vision à l’échelle des agglomérations urbaines (dont intercommunale).

Ainsi, l’urbanisme ouest africain semble plutôt tiraillé entre d’une part une approche par projets de développement, encore portée sur les infrastructures et intervenant de manière ponctuelle sur le territoire, et d’autre part une approche par la régularisation juridique des espaces périphériques, notamment à travers la procédure de lotissement. Entre le cadre logique (du projet de développement) et l’approche juridico-géométrique (du lotissement), il reste peu de place pour l’identité territoriale, la vision politique, l’approche transversale; en somme pour le projet urbain. VERS UNE EVOLUTION DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR URBAIN ?

Dans un dernier mouvement, on interrogera les initiatives récentes d’acteurs internationaux pour reconnecter les projets de développement du secteur urbain, à l’urbanisme de projet.

Trois inflexions sont identifiées et seront examinées. La première consiste en une orientation vers l’aide-programme (approche programmatique avec des montants et des durées plus importantes que l’approche projet), voire l’aide budgétaire (directement reversée dans les budget de l’État) et l’approche territoriale du développement (European Commission 2016).

La seconde inflexion consiste en une revalorisation de la planification stratégique, incluant un projet de territoire. Cities Alliance, appuyé par UN-Habitat, porte en particulier cette vision, avec le financement au début des années 2000 d’un ensemble de City Development Strategies (CDS) à l'échelle métropolitaine. Cette démarche de planification vient donner les moyens d’une approche territoriale du développement urbain, avec la production de données chiffrées, de cartes, mais également d’ateliers de coproduction d’une vision dépassant les limites administratives communales (voir par exemple CDS 2011).

La troisième inflexion concerne la timide montée en puissance des exercices de « charrette » de planification (portée par UN-Habitat) ou d’ateliers ou workshops (portés par exemple par l’association Les Ateliers de maitrise d’oeuvre urbaine de Cergy-Pontoise).

À partir d’expériences professionnelles concrètes au Bénin (préparation de projets de développement, ateliers) et au Burkina Faso (recherche appliquée), ainsi que d’entretiens avec des acteurs internationaux porteurs de ces inflexions (Direction générale du développement de la Commission Européenne -DEVCO, UN-Habitat, Cities Alliance), on s’interrogera sur leur portée réelle et potentielle.

En conclusion, il s’agira de mettre en évidence les ponts à jeter entre les dynamiques réflexives en urbanisme et en développement, ces derniers étant considérés à la fois comme pratique professionnelle et champ de recherche.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Arab, N. (2007). "Activité de projet et aménagement urbain : les sciences de gestion à l'épreuve de l'urbanisme." Management & Avenir 2(12): 147-164.

CDS (2011). Élaboration de la Strategie de Développement Urbain de l’Agglomeration de Cotonou (CDS-COTONOU), République du Bénin, Cities Alliance, Programme des Nations Unies pour le Développement, Partenariat pour le Développement Municipal, Agence Française de Développement, ONU-Habitat: 157.

Darbon, D. (2003). "Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelle." Revue Française d'administration publique 1(105-106): 135-152.

Darbon, D. (2008). "Réformer un inexistant désiré ou supprimer un inopportun incontournable ? Le service public confronté à l’État et aux sociétés projetées en Afrique." Téléscope Hiver 2007-2008: 98-112.

European Commission (2016). Supporting decentralisation, local governance and local development through a territorial approach. Reference Document. Brussels, Luxembourg, Directorate-General for International Cooperation and Development. European Commission. No 23.

Giovalucchi, F. and J.-P. Olivier de Sardan (2009). "Planification, gestion et politique dans l'aide au développement : le cadre logique, outil et miroir des développeurs." Revue Tiers Monde 2(198): 383-406.

Lascoumes, P. and P. Le Galès (2005). Gouverner par les instruments. Paris, Presses de Sciences Po.

Lavigne-Delville, P. (2013). "Affronter l'incertitude. Les projets de développement à contre-courant de la « révolution du management de projet »." Revue Tiers Monde 3(211): 153-168.

Massiah, G. and J.-F. Tribillon (1988). Villes en développement. Paris, Éditions La Découverte. Pinson, G. (2009). Gouverner la ville par projet : urbanisme et gouvernance des villes européennes. Paris, Presses de Sciences Po.

Sory, I. (2015). "Comment loger les couches sociales à faible revenu en milieu urbain burkinabé? L’introuvable politique de « logements sociaux » à Ouagadougou." Revue des Hautes Terres 5(1- 2).

Stren, R. (1991). "Old wine in new bottles? An overview of Africa's urban problems and the "urban management" approach to dealing with them." Environment and Urbanization 3(1): 9-22. Valette, H., C. Baron, F. Enten, P. Lavigne Delville and A. Tsitsikalis, Eds. (2014). Une action publique éclatée? Production et institutionnalisation de l’action publique dans les secteurs de l’eau potable et du foncier (APPI). Burkina Faso, Niger, Bénin, GRET.

Urbanisme et processus permanents :

le projet urbain à l’épreuve de l’incertitude

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