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Keywords: urban project, Pragmatism, Regulation, Reflexivity

Cette contribution prend appui sur les résultats d’une recherche doctorale réalisée sous convention CIFRE entre 2011 et 2014 au sein de la Ville de Saint-Etienne et qui interrogeait l’acception spécifique donnée localement au concept de projet urbain. A cette période, la collectivité se saisissait de cet objet pour engager un travail de réflexion sur les projets prévus et en cours sur son territoire. Elle l’intégrait dans sa structuration organisationnelle par la création d’une mission dédiée, chargée d’assurer la cohérence du projet urbain stéphanois à l’interface entre les services de planification et de politiques publiques, les services opérationnels et gestionnaires de la Ville mais également avec ses partenaires de l’aménagement du territoire : Saint-Etienne Métropole et l’Etablissement Public d’Aménagement de Saint -Etienne.

DE L’OPERATION COMPLEXE A LA COMBINAISON DE L’ENSEMBLE DES PROJETS A L’ECHELLE COMMUNALE : UNE ACCEPTION ENGLOBANTE DU PROJET URBAIN

Le concept de projet urbain, depuis son apparition dans les années 80 en France sous l’égide de David Mangin, Philippe Panerai, Jean Castex et Christian Devillers, associe une approche typo-morphologique de la ville et du projet et les prémices de la participation citoyenne (Ingallina, 2003). Il évoque généralement une opération d’aménagement complexe encore appelée grand projet. Et il véhicule de nouvelles formes de conception et d’idéologies sur l’urbain auxquelles sont associées les notions de processus, de prise en compte de la temporalité du projet et de son évolutivité, de partenariat, de négociation entre acteurs et de participation citoyenne. Depuis, le concept ne cesse de faire l’objet de réinterprétations et déclinaisons – jusqu’à épuisement ? - affirmant tantôt sa dimension spatiale : métropolitain, de territoire, agricole ; tantôt une thématique dominante : économie, social, paysager, écologique… En 2011 à Saint-Etienne, ce concept prend localement une acception spécifique au sein des services techniques municipaux puisqu’il est entendu dans une acception englobante comme la combinaison de l’ensemble des actions d’aménagement et de construction publiques et privées qui ont lieu sur le territoire communal. Il s’agit par le projet urbain – tel qu’entendu localement – de porter un regard sur l’ensemble des actions, petites et grandes, privées et publiques, relevant de l’aménagement de l’espace public, de l’habitat, du commerce ou encore des transports. Il prend ainsi une signification proche de celle du projet de ville dans une vision technique, très peu planificatrice mais empreinte de la préoccupation de l’observation des actions en cours. Il opère un inventaire de ce qui se crée, des projets sur lesquels la collectivité peut agir, de ce qui lui échappe, des coups partis, de ce qui résulte des dynamiques du marché privé, en résumé : de la ville en mouvement.

Cette approche du projet urbain se concrétise par la création d’un Atlas ; conçu à la fois comme un outil de connaissance et d’observation du territoire et un outil de lisibilité et de pilotage des actions communales dans un souci de réactivité aux urgences et remontées de terrain quotidiennes. Malgré la réflexion conduite à l’échelle communale, l’Atlas mobilise les outils traditionnels de représentation du projet urbain mettant en avant les formes urbaines, les alignements d’arbre et de rue, ou encore les tracés régulateurs (voie verte). Cette représentation n’opère pas l’abstraction pratiquée dans les documents de planifications mobilisant de grandes formes géométriques, des flèches ou encore des aplats de couleurs.

LE PROJET URBAIN PRAGMATIQUE ET OPERATIONNEL : UNE ACCEPTION GESTIONNAIRE

La vision du projet urbain stéphanois entre 2011 et 2014 au sein de la collectivité, ne résulte pas d’un regard stratégique porté à l’échelle communale mais d’un regard technique et opérationnel assez similaire à celui porté sur un grand projet mais transposé à une échelle plus étendue. La communication produite à cette époque sur le projet urbain illustre cette vision pragmatique puisqu’elle est focalisée sur les grands projets alors en pleine phase opérationnelle. C’est notamment à partir de cartes représentant les grands projets stéphanois – dans leurs périmètres de ZAC, CUCS ou encore d’OPAH - que les services de la ville de Saint-

Etienne font le récit du projet urbain stéphanois et non à partir de cartes d’orientations stratégiques ou encore de planification.

Cette approche du projet apparaît également focalisée sur l’articulation de ses maîtrises d’ouvrage, sur ses enjeux de gouvernance et du qui fait quoi sur chaque périmètre d’intervention. Les cartes évoquées ci-avant, indiquent systématiquement le nom des grands projets et leur maîtrise d’ouvrage alternant entre la Ville de Saint-Etienne (VSE) avec les projets de renouvellement urbain sous convention ANRU notamment et les projets sous maîtrise d’ouvrage de l’EPASE. L’Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne, créé en 2007, est dédié à l’accélération de l’aménagement, du renouvellement urbain et du développement économique de Saint-Etienne, suite à la déclaration du territoire stéphanois en Opération d’Intérêt National (OIN). L'EPASE assure ainsi la maîtrise d’ouvrage de cinq grands projets opérationnels dans une configuration de forte proximité et d’imbrication autour du centre-ville stéphanois avec les grands projets sous maîtrise d’ouvrage de la Ville de Saint- Etienne. Configuration que nous qualifié au cours de cette recherche de configuration de grands projets en mosaïque.

La transposition du concept de projet urbain opérée ici, illustre une vision très utilitaire de ce projet consistant à détenir une base de données à jour des opérations (les grands projets mais aussi les projets qui se développent autour en diffus) dans leur forme et avancement afin de réagir. Elle évoque plutôt le besoin d’outils de pilotage et de suivi des actions d’aménagement entre institutions publiques sur le territoire stéphanois. A travers le projet urbain, se révèlent des enjeux d’articulation entre maîtrises d’ouvrage et de dépassement d’effets de fragmentation et de concurrence entre projets et acteurs. Cette approche locale du projet de la Ville de Saint-Etienne focalisée sur l’opérationnel faisait s’interroger Gilles Pinson en 2008 en ces termes : « Que Saint-Etienne ait des projets, nul ne semble le contester aujourd’hui… Savoir si Saint-Etienne a une stratégie est une autre paire de manches » (Pinson, 2008, p. 153). Une décennie plus tard, la question reste entière : cet assemblage de grands projets compose-t-il un projet de ville ? Illustre-t-il une vision du devenir du territoire ?

LE PROJET URBAIN COMME SYSTEME COMPLEXE CENTRE SUR LES INTERACTIONS ENTRE OPERATIONS : UNE ACCEPTION DYNAMIQUE

Le projet urbain stéphanois dans sa transposition du concept induit une vision dynamique de la ville en mouvement, mais également une vision à l’interface entre planification et opérationnel. Cette transposition est teintée d’une préoccupation forte pour l’articulation d’échelle de projet de la parcelle à l’agglomération, et pour l’intégration des remontées de terrain et des opportunités qui se présentent sur l’ensemble du territoire. A travers cette conception, le projet urbain apparaît comme le lieu où se rencontrent/se frottent ces dynamiques ascendantes et descendantes, opérationnelles et planificatrices. Les entretiens réalisés dans le cadre de la recherche doctorale, montrent que la notion de cohérence du projet urbain est mobilisée en association avec les notions de vision globale, d’articulation des projets et des politiques publiques. A l’inverse, elle apparaît mobilisée en opposition aux dynamiques de fragmentation et de concurrence rencontrées sur le territoire à travers les projets opérationnels (concurrence entre programmes immobiliers ciblant des segments de logements identiques, course aux financements dans un contexte économique contraint, tracés des infrastructures de transports en commun, etc.). Ce sont ces relations que la mobilisation de notion de cohérence interroge et notamment en dehors de la relation descendante de la vision aux opérations en passant par la stratégie. Il s’agit d’identifier comment ces éléments dialoguent et ce notamment au cours du temps. Comment intégrer les opportunités au fil des années nécessaires à la concrétisation des stratégies urbaines et à la mise en œuvre des grands projets ? A quel moment les changements de contexte (nouvelles dynamiques économiques, nouveaux acteurs, phénomènes climatiques ou environnementaux) remettent-ils en question la vision prospective du territoire lorsque le processus descendant a déjà été conduit, de la vision aux stratégies puis aux opérations ? Et particulièrement lorsque les opérations et acteurs sont fortement engagés et notamment financièrement ? La quête de cohérence du projet urbain stéphanois illustre cette recherche d’ajustements entre vision prospective du territoire, stratégies urbaines et opérations

d’aménagement. La cohérence du projet urbain est ainsi mobilisée pour dépasser la fragmentation et la concurrence entre projets et institutions publiques, et pour entrer dans une phase de régulation des actions et projets. Elle induit une pensée dynamique du projet urbain comme un système complexe dans lequel les différents éléments se contredisent, entrent en synergie, interagissent. Cette pensée du projet par les ajustements fait écho à l’appréhension de la complexité par Edgar Morin visant à ne favoriser ni une attention sur l’ensemble de l’objet d’analyse, ni sur ses fragments. Jacques Rey définit ainsi le projet urbain comme une manière contemporaine d’intervenir sur la ville, non sur sa totalité mais sur ses fragments (Rey, 1998) et évoque en ce sens la relation des fragments à l’ensemble et de l’ensemble aux fragments. L’approche du projet urbain adoptée à Saint-Etienne traduit à notre sens cette préoccupation d’articulation et d’ajustement entre les objets et rejoint ainsi l’urbanisme réflexif évoqué par François Ascher « il ne s’agit plus simplement de mobiliser des connaissances préalablement à certaines actions, mais d’examiner en permanence les choix possibles et de les réexaminer en fonction de ce qu’ils ont commencé à produire. La réflexivité, c’est la réflexion avant, pendant, après » (Ascher, 2004_1, p. 24). Cette posture de réflexivité apparaît comme une nouvelle clef de lecture de l’aménagement du territoire dont nous identifions plusieurs indicateurs dans les pratiques actuelles via l’hybridation des outils règlementaires, la généralisation de l’expérimentation (Dumont, 2013) ou encore le développement d’une posture d’interface entre planification et opérationnel.

CONCLUSION

A travers cet exemple, que reste-t-il du concept de projet urbain aujourd’hui ? Au sein de la collectivité stéphanoise, le projet urbain prend une acception englobante : celle de projet d’aménagement à l’échelle de la Ville et à l’interface entre la planification et l’opérationnel. Il est mobilisé comme point de contact ou lieu de cristallisation entre remontées de terrain et logiques planificatrices. Si l’héritage du concept originel se retrouve dans l’approche conduite à travers les outils mobilisés et à travers la perception et la prise en compte des objets bâtis, il ressort de cette transposition du concept une approche du projet très utilitaire, gestionnaire et surtout opportuniste.

Cette mobilisation du projet urbain apparaît à un point d’étape spécifique de l’aménagement du territoire stéphanois où la mise en dialogue des partenaires devient incontournable puisque convergent sur l’année 2014, plusieurs grands rendez-vous tels que l’élaboration du Projet Stratégique Opérationnel de l'EPASE (renouvellement de ses actions), la perspective d’un ANRU 2 et la préparation du futur Contrat de Projets Etat-Région. Il réside donc un intérêt commun à dépasser les concurrences entre projets et institutions en cours depuis plusieurs années, dans une logique opportuniste pour le territoire au regard des crédits nationaux mobilisables. Cette recherche interroge les modalités concrètes d’animation du processus permanent de projet et de l’agrégat d’acteurs parties prenantes (Zepf, 2004) dans la mesure où elle met en lumière le caractère opportuniste de la mobilisation du concept de projet urbain dans une logique de guichet face aux appels à projets nationaux. Suite à cette étape de mise à plat des projets, les acteurs renouvèleront-ils leurs collaborations au fur et à mesure des évolutions de contexte pour produire régulièrement les ajustements nécessaires ? Où faudra-t-il un nouveau temps de cristallisation des concurrences entre projets et d’opportunités pour envisager un travail d’envergure et réajuster les actions ?

Le projet urbain peut-être perçu comme une première étape d’animation de l’agrégat d’acteurs dans les années 80 s’ouvrant à la participation citoyenne puis aux partenariats publics-privés dans les années 2000. Le cas stéphanois exploré ici, montre que les modalités concrètes d’animation du processus permanent de projet interrogent toujours les acteurs. Elle s’est traduite à la Ville de Saint-Etienne par une logique opportuniste, pragmatique et gestionnaire.

Tandis qu’une seconde phase s’ouvre actuellement par l’émergence des nouveaux métiers du numérique (smart-city, BIM…) ou encore de l’énergie (rénovation énergétique, circuits courts, énergies renouvelables…) qui renouvellent les processus de projet et posent de manière encore plus saillante cette question d’animation entre acteurs.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ASCHER François. Les nouveaux principes de l’urbanisme. Editions de l’aube, collection poche essai, 2004, 110 p.

DUMONT Marc. L’aménagement urbain face à l’expérimentation – Actions publiques, dynamiques sociales. Habilitation à Diriger des Recherches, Université Rennes II, 2013, 120 p. INGALLINA Patrizia. Le projet urbain. Presses Universitaires de France, 2003,128 p.

MORIN Edgar. Introduction à la pensée complexe. Editeur Seuil, Collection Points essais, 2005, 158 p.

PINSON Gilles. Des projets au projet : une stratégie encore à construire. In : BONNEVILLE Marc. Saint-Étienne : mutations – lieux, enjeux, acteurs. Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2008, pp. 153-155.

REY Jacques. Une nouvelle manière de faire la ville ? In : TOUSSAINT Jean- Yves.,

ZIMMERMANN Monique (dir.). Projet urbain : ménager les gens, aménager la ville. Mardaga, 1998, pp. 35-47.

ZEPF Marcus. Eléments de définition de la raison pratique de l’aménagement urbain : vers un continuum entre agrégation d’acteurs et processus permanent. Habilitation à Diriger des Recherches, Université Lyon II, 2004, 128 p.

La place du projet : les controverses sociotechniques entre l’espace et l’action

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