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Keywords: Wind project, Territorial project, Social acceptability, Switzerland.

Les conflits territoriaux autour des projets de grandes infrastructures est une problématique qui fait l’objet d’une littérature abondante (Torre et al., 2010 ; Pham et Torre, 2012). Avec la mise en place des incitatifs financiers fédéraux à la réalisation d’installations d’énergie renouvelable, la Suisse connaît depuis une dizaine d’années un accroissement considérable du nombre de projets éoliens envisagés sur son territoire, et plus particulièrement sur le massif jurassien. Dans le cadre de l’Axe 1 « dimension sociale et territoriale du projet » de l’appel à communications APERAU 2018, cette communication formule une réflexion originale sur les effets de l’approche par projet de territoire dans la conduite des processus d’élaboration de ces projets de parcs éoliens et leurs effets en termes d’acceptation sociale par les différents acteurs concernés.

Alors que l’élaboration de cadres institutionnels (fédéraux et cantonaux) de régulation de l’activité éolienne s’est concrétisée sur une temporalité longue, une dynamique paradoxale apparaît au niveau des territoires d’implantation des turbines. L’hypothèse discutée dans cette communication est que la logique de projets de territoire se déploie dans les contextes de projets d'infrastructures novateurs où l’absence de cadres spécifiques de régulation administratifs et réglementaires tout autant que de pratiques éprouvées, est supplée par la construction de compromis ad hoc. A défaut de cadres normatifs sectoriels ou professionnels dédiés, les processus d’élaboration de ces projets d’infrastructures se réfèrent alors aux idéaux- types des projets de territoires. Approche progressiste, mobilisatrice, conception consensuelle de la décision collective, locale, ajustable et adaptable, égalitarisme, stabilité, avenir vu comme un ré-enchantement sont quelques-unes des caractéristiques génériques et idéalisées de la rhétorique du projet territorial (Genestier, 2001). A l’inverse, à partir du moment où le projet d’infrastructure énergétique s’inscrit dans des cadres interprétatifs et d’intervention balisés, l’idéaltype du projet territorial tend à s’effacer au profit des considérations techniques et institutionnelles qui président et encadrent de manière croissante le développement des projets d’activité éolienne. Le tâtonnement collaboratif laisse alors la place à la conduite du projet d’ingénierie énergétique.

Les résultats du projet de recherche FNS Gouvéole1 donnent ainsi à voir ces évolutions en termes de management de projet et d’acceptation locale de ces infrastructures énergétiques. Nous mobiliserons en particulier deux de nos études de cas dans cette présentation. Le premier cas étudié (cas A) est le plus ancien projet éolien de Suisse, aujourd’hui réalisé avec 16 mâts en activité. Ce projet énergétique est construit comme un projet de territoire qui ne dit pas son nom, qui ne s’énonce pas, mais dont on reconnait les grandes caractéristiques.

Dégagé de contingences régulatrices fortes, bénéficiant d’une autorisation de construire dérogatoire au droit du sol, ce parc éolien va se constituer au fil du temps, par « petits pas » et apparaître encore aujourd’hui comme une exception en raison de son fort degré d’acceptation sociale. Le second cas (cas B) se déploie sur une temporalité plus longue qui voit la logique de projet territorial (endogène et local) se fondre dans les dispositifs institutionnels de régulation de plus en plus prégnants. Près de vingt ans après son lancement, la dimension de projet territorial se réduit au seul enjeu de choix des lieux d’implantation des turbines et le projet fait l’objet d’un nouveau recours contentieux devant les tribunaux administratifs.

Ainsi les premiers projets de parcs éoliens développés dans les années 1990 au sein d’un cadre institutionnel lacunaire s’élaborent selon des processus qui empruntent largement leurs fondements aux idéaux-types de projets territoriaux : mise en place d’arènes de négociation, valorisation exogène de la ressource vent, partage de la plus-value du projet avec les usagers préexistants du territoire, mobilisation d’un acteur médiateur endogène au territoire, stabilité des acteurs impliqués, etc. sont quelques-unes des caractéristiques communes de ces projets éoliens.

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Projet FNS Gouvéole « Gouvernance territoriale de l’activité éolienne », subside 100017_150258,

Un tournant apparaît à partir de 2009 avec la mise en place du mécanisme de la Rétribution à prix coûtant du courant injecté. Cet outil fédéral engendre une multiplication des projets éoliens qui, s’ils sont sélectionnés, bénéficient d’une garantie de prix de revente des kilowatts produits sur le marché de l’électricité. Cette incitation financière se traduit, par exemple, pour le Canton de Vaud par l’apparition simultanée de près d’une soixantaine de projets de parcs éoliens qui tentent alors, en l’absence de dispositifs de régulation cantonale, d’obtenir l’accord des communes concernées. Interpellée par cette prolifération de projets, l’autorité cantonale lance une procédure de planification directrice et d’autorisation de turbinage de cette ressource vent qui mettra près de trois ans à se concrétiser. Au final, ce sont dix neufs projets qui sont inscrits au plan directeur cantonal. Pourtant, près de sept ans plus tard, aucune éolienne n’est encore installée dans le canton.

Dans une approche comparative basée sur l’analyse approfondie de nos deux parcs éoliens, nos résultats permettent de formaliser quatre caractéristiques principales des projets territoriaux qui expliquent le degré d’acceptabilité sociale de ces projets énergétiques.

Le premier facteur explicatif tient à l’existence d’un acteur médiateur au rôle d’interface et de traducteur entre des univers cognitifs et sociaux différenciés qui se confrontent autour de la territorialisation du projet éolien. Notre cas A présente une dynamique de développement endogène partant du local. Face à la réticence initiale des agriculteurs présents sur le site projeté, l’énergéticien a su identifier et mobiliser un paysan du plateau jurassien pour construire une arène de négociation et de discussion spécifique avec les acteurs locaux. Cette scène d’interaction permet ainsi de traduire réciproquement les enjeux territoriaux des acteurs exploitants pour le promoteur et les objectifs de développement énergétique pour les propriétaires exploitants. À l’inverse, alors même que la même préoccupation de remise en cause des usages préexistants du territoire s’exprime localement, les promoteurs du projet B ne construisent aucune scène de négociation avec les acteurs porteurs de ces craintes. Ils élaborent, au contraire, le projet dans un entre-soi technique où la dimension sociale et territoriale ne fait l’objet d’aucune considération particulière. Alors que le cas B traduit une conception de projet centrée sur l’enjeu technique de l’exploitation éolienne, le cas A met en exergue une dynamique de territorialisation marquée de la part de son promoteur.

Le deuxième facteur tient au particularisme des projets éoliens dans les années 1990. En l’absence de cadres de régulation dédiés à l’activité éolienne, celle-ci ne fait l’objet d’aucune procédure particulière et mobilise les instruments usuels du droit des sols. Le cas A se déploie en-dehors de toute planification directrice et bénéficie, de par son caractère expérimental, d’une dérogation à l’interdiction fédérale de construire en-dehors de la zone à bâtir. Il ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune opposition formelle lors de sa mise à l’enquête publique. Au contraire, le cas B est élaboré essentiellement à travers la procédure d’affectation des sols et de permis de construire.

Plusieurs fois annulées par les tribunaux administratifs, les autorisations de projets souffrent de l’institutionnalisation progressive de la politique éolienne. Cette dernière se structure en effet par itérations successives entre projets locaux et décisions législatives et administratives tant fédérales que cantonales. Les demandes d’autorisation du projet B se trouvent donc toujours en défaut au regard de ces dispositions institutionnelles en constitution. Ces incertitudes juridiques constituent des ressources précieuses pour les opposants.

Le troisième facteur d’acceptabilité sociale du projet tient à la création et au partage de la plus- value, y compris des compensations environnementales. En ce sens, le projet B apparaît essentiellement aux yeux des acteurs locaux comme la mainmise d’un acteur exogène au territoire sur la ressource vent. L’exploitation de ce gisement est organisée en intégrant au minimum les effets négatifs qu’engendre cette activité sur les autres usages préexistants du territoire (notamment paysagers, de conservation de la biodiversité, de loisirs, agricoles, touristiques, résidentiels ou encore sylvicoles).

Au contraire, le projet A est construit avec le souci de rétribuer de manière équitable l’ensemble des acteurs territoriaux impactés par cette nouvelle activité. Par exemple, le paysan médiateur va négocier une répartition spatiale des mâts éoliens permettant à chaque exploitant agricole de percevoir une rétribution financière de la part du promoteur. Par ailleurs, l’énergéticien va proposer et structurer le développement d’une exploitation touristique autour du site éolien en confiant sa réalisation aux agriculteurs exploitants. Le parc éolien a ainsi accueilli annuellement plus de 50'000 visiteurs, ce qui constitue un revenu complémentaire substantiel pour ces agriculteurs de montagne.

Le quatrième facteur d’acceptabilité sociale est la stabilité des systèmes actoriels impliqués. Soucieux de construire une relation de confiance avec les acteurs locaux, le promoteur du cas A organise des rencontres régulières avec les agriculteurs du plateau dans un cadre festif et ceci depuis 1992. Par ailleurs, depuis cette date, le développement et l’exploitation du parc éolien font intervenir ces mêmes acteurs locaux. La permanence des personnes impliquées sur le long terme facilite la régulation des éventuels problèmes dans un cadre d’interconnaissance tout en consolidant les retours d’expériences. A l’inverse, le cas B voit se succéder trois promoteurs différents dont l’attache territoriale est de plus en plus diffuse. Le projet B met en lumière une cristallisation de la défiance entre acteurs dans une dynamique cumulative. A cela s’ajoute le renforcement du noyau des opposants locaux par le développement croissant de leurs partenariats avec les grandes ONG environnementales nationales. Cette hybridation des oppositions favorise les recours juridiques contre le projet et génère ainsi une conflictualité persistante.

En conclusion, cette communication met en évidence quelques-uns des effets d’une approche de projet de territoire sur les dynamiques relationnelles entre acteurs impliqués dans des situations généralement conflictuelles autour de projets de grandes infrastructures. En l’absence de cadres institutionnels spécifiques, c’est la logique du compromis territorial entre acteurs qui semble prédominer, comme dans le cas A. L’élaboration de ces solutions ad hoc est facilitée notamment par la dimension expérimentale du projet éolien qui s’élabore et se revendique comme une « bonne pratique ». Bien que celui-ci ne sera finalement jamais reproduit, il bénéficie encore vingt ans plus tard d’une reconnaissance d’exemplarité tant par les partisans du développement éolien que par ses opposants les plus farouches. Depuis 2009, en tentant de répondre aux exigences croissantes de l’institutionnalisation progressive et renforcée des politiques éoliennes, les promoteurs de projets énergétiques marginalisent les dimensions sociales et territoriales du projet. En ce sens, les acteurs locaux se sentant de plus en plus exclus par des projets de parcs toujours plus nombreux, ils développent des stratégies d’opposition plus robustes (Dupuy et Halpern, 2009). Dans ce contexte, le procéduralisme croissant des projets éoliens s’accompagne ainsi de mobilisations sociales et de recours contentieux devenus systématiques engagés par des opposants qui se professionnalisent dans leurs actions.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Commaille, J., & Jobert, B., 1998, Les métamorphoses de la régulation politique (L.G.D.J, Vol. 24). Paris.

Dupuy, C., & Halpern, C., 2009, « Les politiques publiques face à leurs protestataires », Revue française de science politique, 59(4), p. 701.

Genestier, Philippe. 2001. « Des projets en paroles et en images. La rhétorique du projet face à la crise du vouloir-politique ». Espaces et Sociétés, vol. 105-106, p. 101-126.

Pham, H. V., & Torre, A., 2012, « La décision publique à l’épreuve des conflits », Revue D’économie Industrielle, (2), pp. 93–126.

Torre, A., Melot, R., Bossuet, L., Cadoret, A., Caron, A., Darly, S., Jeanneaux, P., Kirat, T., Pham, H. V., 2010, « Comment évaluer et mesurer la conflictualité liée aux usages de l’espace ? Eléments de méthode et de repérage », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, (Volume 10 Numéro 1). doi.org/10.4000/vertigo.9590, consulté le 22 janvier 2016.

A s s o c ia ti o n p o u r la P ro m o ti o n d e l ’E n s e ig n e m e n t e t d e l a R e c h e rc h e e n A m é n a g e m e n t e t e n U rb a n is m e

AXE 2

(co-resp. Marc Dumont, Annette Groux)

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