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En ce qui concerne les « Idées », les thèmes principaux sont moins étendus et

regroupent la philosophie, l’esthétique et la religion au niveau éthique et moral. Il est

davantage question du caractère religieux de l’art et de l’artiste en tant que Créateur terrestre.

L’analyse est davantage orientée vers l’univers des artistes que sur leurs œuvres elles-mêmes.

Pour ce faire, Friedrich Schlegel adopte la méthode de Wackenroder qui consiste à

69

Immanuel Kant : Kritik der reinen Vernunft, in : Werke in zwölf Bänden, hrsg. von Wilhelm Weischedel. Frankfurt am Main, Fischer, 1968, Bd. 3, p. 190 : « Das Bild ist ein Produkt des empirischen Vermögens der produktiven Einbildungskraft ».

70

Friedrich Schlegel : Kritische Schriften. op. cit., p. 47 : « Ein Fragment muß gleich einem kleinen Kunstwerke von der umgebenden Welt ganz abgesondert und in sich selbst vollendet sein wie ein Igel », [EF, p. 261]. 71

resacraliser une œuvre d’art, ce qu’Hoffmann ne fait pas, étant donné qu’il privilégie la sphère

de l’étrangeté et de la magie et place parfois ses personnages dans la tradition d’un Prométhée

désireux d’égaler Dieu ou dans celle d’un être blasphématoire.

- Anciens et Modernes

Étudier les Anciens représente une véritable quête de soi. Ils sont aux sources de la

littérature et renforcent le lien social et la sensibilité littéraire, ils sont « le noyau, le centre de

la poésie »

72

. La poésie romantique schlegelienne repose sur un fond d’historicité qui unit

modernité et antiquité

73

. Le « triple accord » Dante, Shakespeare et Goethe est le symbole par

excellence de la poésie moderne dans tout ce qu´elle possède d´exceptionnel et de noble :

Friedrich Schlegel met en valeur « le poème prophétique de Dante », « l´universalité de

Shakespeare […] comme point central de l´art romantique » et « la pure poésie poétique de

Goethe » : « la plus parfaite poésie de la poésie »

74

. Ces trois auteurs constituent, pourrait-on

dire, une trinité au sens le plus divin du terme, ce qu’Hoffmann reconnaît volontiers. En outre,

n’étant pourtant en rien grécomane, l’écrivain refuse de négliger l’importance de l’Antiquité.

Toutefois, il ne se limite pas aux influences des Anciens, mais cherche à les allier à celles des

Modernes pour tendre vers un idéal absolu et universel de l’art.

La démarche de Schlegel pour mettre en valeur les Anciens et leur savoir s’apparente

au « connais-toi toi-même » socratique. C´est, en effet, en les étudiant que l’individu puise ses

inspirations et apprend à se connaître réellement. L’art devient une maïeutique par laquelle

l’homme accède seul à la connaissance. La toile devient alors une aide, un intermédiaire entre

l’individu et l’esprit de ce dernier. La question des Anciens et des Modernes intéresse de très

près Friedrich Schlegel

75

. Ces écrits renvoient principalement à des auteurs comme Homère,

César, Cicéron, Suétone, Horace, Tacite, Aristophane et Platon

76

. L’auteur souligne la

génialité de l´époque antique : « Tout ce qui est antique est génial. L´Antiquité entière forme

72

Ibid., p. 98 : « Kern […] der Poesie », [EF, p. 236]. 73

Le fait d’attacher autant d’importance aux Anciens qu’aux Modernes et de considérer digne toute forme artistique est très différent de l’état d’esprit classique.

74

Friedrich Schlegel : Kritische und theoretische Schriften, op. cit., p. 95 : « der große Dreiklang », « Dantes prophetisches Gedicht », « Shakespeares Universalität ist wie der Mittelpunkt der romantischen Kunst », « Goethes rein poetische Poesie ist die vollständigste Poesie der Poesie », [EF, p. 171].

75

Les fragments principaux en relation avec les Anciens sont les fragments 45, 143 à 168, 239 à 248 et 315 à 323. Les numéros appliqués aux fragments sont ceux de l’édition française.

76

Homère (F145), César (F146), Cicéron (F146, F152, F168), Suétone (F166), Les Satires d´Horace (F146), Tacite (F150, F166), Aristophane (F154, F156, F240, F244) et Platon (F165).

un génie […] absolument grand, unique et indépassable »

77

. Le génie antique se retrouve

particulièrement dans le genre de la satire dont Schlegel met en relief le caractère universel.

Chez les romantiques, cet aspect se présente sous la forme de « persiflage » et peut se

rapprocher de celui d´Aristophane qui est « l´Olympe de la comédie »

78

. À son tour,

Hoffmann transformera, à son tour, les traits comiques en traits grotesques. Pour ce faire, il

fait référence au carnaval et aux traditions de la commedia dell’arte. Cette sorte de satire se

nomme l’« ironie romantique »

79

, et si « l´essence de l´art comique réside toujours dans

l´esprit enthousiaste et dans la forme classique »

80

, il n’est pas souhaitable de dénigrer les

Modernes. En effet, l’ironie romantique est d’abord une forme détournée d’autocritique, elle

vise à souligner certains excès ; elle consiste à avoir conscience de ce que l’on est, avant de

pouvoir juger le monde

81

, et à prendre de la distance entre l´idéal artistique et le réel. L’artiste

doit aller au-delà de la réalité à laquelle il est confronté et transformer sa vie en œuvre d’art.

Friedrich Schlegel met l´accent sur l´importance de l´Antiquité, sans pour autant

acquiescer à l´idée de Winckelmann qui consiste à lire « tous les Anciens comme s´il

s´agissait d´un même auteur » et à « concentr[er] son énergie entière sur l´étude des Grecs »

82

.

L’ensemble des œuvres de ces créateurs pourrait être comparé à un arbre : l’art est le tronc et

les différents genres artistiques en sont les branches. Cette métaphore arboricole

s’apparenterait parfaitement à la démarche hoffmannienne qui lie la multiplicité des récits et

des thématiques à l’œuvre, c’est-à-dire à un Tout que les veillées orchestrent, rythment et

structurent et qui, formant une unité ancrée dans la réalité terrestre, aspire à devenir universel.

L’art, selon Friedrich Schlegel, doit aussi tendre vers l´unité et l´universalité. Cet idéal

romantique est indissociable de l´équation poète = créateur. Dans les « Idées », les artistes

sont des êtres supérieurs et nobles qui ne doivent leur génie qu´à eux-mêmes et à leur

sensibilité, ils « sont aux hommes ce que les hommes sont aux autres créatures terrestres »

83

.

77

Friedrich Schlegel : Kritische und theoretische Schriften, op. cit., p. 107 : « Alles Antike ist genialisch. Das ganze Altertum ist ein Genius, […] absolut groß, einzig und unerreichbar », [EF, p. 171]. Dans les notes, l´attribution de ce fragment de Friedrich Schlegel est mise en doute. Cependant, le fragment ne va pas à l´encontre de la philosophie schlégelienne.

78

Ibid., p. 96 : « Olymp der Komödie », [EF, p. 156]. 79

L’ironie est une attitude rhétorique, une stratégie argumentative (un style ironique, par exemple) alors que la satire est un genre littéraire qui critique des travers (mœurs, usages…) par le biais d’un discours, d’un écrit. 80

Ibid., p. 106 : « Das Wesen der komischen Kunst aber bleibt immer der enthusiastische Geist und die klassische Form », [EF, p. 171].

81

Friedrich Schlegel : Fragments, op. cit., note 394. 82

Friedrich Schlegel : Kritische Fragmente, op. cit., p. 43 : « der alle Alten gleichsam wie Einen Autor las », « seine gesamte Kraft auf die Griechen konzentrierte », [EF, p. 155].

83

Ibid., p. 93 : « Was die Menschen unter den anderen Bildungen der Erde, das sind die Künstler unter den Menschen », [EF, p. 228].

Ils appartiennent ainsi à la sphère divine, étant donné que l’on n’atteint « jamais le sommet de

l’art et la profondeur de la science, sans quelque chose de divin »

84

.

L´artiste n’est pas seulement le médiateur entre les individus, mais également entre

Dieu et les hommes. Son action va au-delà de la sociabilité, il mène une vie supérieure et

spirituelle. Aussi possède-t-il un don pour l’universalité. Il est alors unique comme son œuvre

d´art et a « son centre en lui-même »

85

. Il est réfléchi, complet et empreint de génialité. Le

génie appartient à l’acte de création et c’est la « reconstruction du monde par la subjectivité

[qui] est le point central de la théorie schlegelienne de l´ironie »

86

, une ironie qui « est la

conscience claire […] du Chaos infini et complet »

87

duquel « un monde peut surgir »

88

. Chez

Hoffmann, ce monde en désordre représente l’âme que l’artiste offre au récepteur et qui

permet de faire valoir l´imagination, la créativité et le génie dans le champ esthétique.

- L’esthétique de l’art

Friedrich Schlegel lie avant tout l´art à la philosophie, même s´il lui arrive avec « les