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L’art véritable du portrait consisterait à résumer en un seul moment l’Idée de l’homme dispersée dans les mouvements et les moments isolés de sa vie, et à faire en sorte que

le portrait, étant anobli d’un côté par l’art, soit de l’autre plus semblable à l’homme,

c’est-à-dire à son Idée

406

.

Le portrait ne fixe pas l’être dans une action particulière, il rend la représentation

absolue et l’immortalise dans ce qu’elle a de plus symbolique. C´est à ce moment précis que

la musique intervient. Si l’art fusionne avec l´artiste qui le pratique, quelle va être la forme

artistique la plus adéquate ? Schelling est catégorique sur ce point : « […] il serait plus

judicieux de représenter un musicien dans l´exercice de son art, plutôt qu´un poète la plume à

la main, parce que le talent musical isole et se confond davantage avec l´être de celui qui le

possède »

407

. Le musicien existe par sa seule œuvre, alors que le poète, comme le peintre, crée

parce qu´il est. La musique est un art où l´être est ressenti, intériorisé, c’est un art de la fusion

doué d´un pouvoir de réflexion et d’abstraction mêlé d’une profonde sensibilité.

Dans la peinture, l’homme est représenté sans être ressenti : l’objet existe et ne se

forme donc pas sous les yeux du spectateur. L´oreille, en musique, fait appel aux sentiments.

L’œil, en peinture, juge une œuvre d’art dans un espace. Cela vaut aussi pour la plastique.

404

Ibid., p. 164 : « Die Zeichnung ist der Rhythmus in der Malerei […] Nur durch die Zeichnung ist die Malerei überhaupt Kunst, so wie sie nur durch die Farbe Malerei ist », [EF2, p. 206-207], {520} § 87.

405

Ibid., p. 191 : « [Das Portrait] [ist] eine […] Schilderung die, indem sie die Natur nachahmt, zugleich Dolmetscherin ihrer Bedeutung wird, das Innere der Gestalt herauskehrt und sichtbar macht », [EF2, p. 229], {547} § 87.

406

Ibid., p. 191 : « Die wahre Kunst des Portraits würde darin bestehen, die auf die einzelnen Bewegungen und Momente des Lebens zerstreute Idee des Menschen in Einen Moment zusammen zu fassen, und auf diese Weise zu machen, daß das Portrait, in dem es von der einen Seite durch Kunst veredelt ist, von der andern dem Menschen, d.h. der Idee des Menschen, ähnlicher sei, als er sich selbst in den einzelnen Momenten », [EF2, p. 229], {547} § 87

407

Ibid., p. 192 : « Z.B. einen Tonkünstler in der Handlung seiner Kunst vorzustellen, würde darum vorzüglicher seyn, als einen Dichter etwa mit der Feder in der Hand, weil das musikalische Talent isolirender und mit dem Wesen dessen, der es besitzt, am meisten verwebt ist », [EF2, p. 229-230], {548} § 87.

« La peinture dans la plastique est le bas-relief »

408

, lui-même apparenté à

l´architecture. Il présente « le plus souvent des objets dont la nature autorise la position de

profil […] [et] prend la liberté de représenter [des] objets divisés, donc d´indiquer simplement

le tout par le détail »

409

.

La peinture, comme le bas-relief, a « son fondement dans la nature »

410

et ne se limite

pas à l´espace que l´œuvre d´art occupe. Cette dernière a une existence hors d´elle et l´espace

qui l´entoure est, lui aussi, déterminant. Le tableau représente par ailleurs un ou plusieurs

objets qui appartiennent également à un espace, celui de la toile. Dans l’art pictural, il n´existe

donc pas de limitation spatiale, ce qui vaut peut-être aussi pour le bas-relief, qui n’est pas un

Tout, mais seulement une partie de ce Tout. Cette caractéristique n´est pas la même pour la

sculpture qui occupe et constitue à elle seule un espace et peut exister indépendamment et en

dehors de ce qui l´entoure. Elle n´est pas autant que la peinture « assujettie à la régularité

géométrique »

411

: « la peinture [est] limitée à un point de vue fini. La plastique vise une

vérité universelle, donc infinie »

412

. La sculpture respecte davantage les règles de la

proportion que celles de la perspective, fondamentales en peinture. Elle représente un univers

à elle seule alors que la peinture est un univers au sein d´un autre. L’objet doit être

appréhendé comme tel. En peinture, l’artiste le place dans un espace et le met ainsi en relation

avec un arrière-plan

413

. La démarche schellingienne consistant à mettre en regard sculpture et

peinture malgré leurs différences fondamentales dans la représentation visuelle se rapproche

de celle d’Hoffmann et de sa volonté de faire correspondre les arts entre eux. Cela concerne

d’ailleurs aussi la musique et l’architecture. Cette dernière est la musique des arts plastiques,

étant donné qu’elle possède à la fois le rythme, l’harmonie et la mélodie

414

.

Le rythme architectural correspond à la quantité et à la répartition des mêmes éléments

architecturaux dans l´espace. Il en représente la partie « réale », c´est-à-dire raisonnable. Il est

donc synonyme d´austérité (sans connotation négative) et de rigueur, il est la partie masculine

de l´architecture.

408

Ibid., p. 243 : « Die Malerei in der Plastik ist das Basrelief », [EF2, p. 272], {599} § 119. 409

Ibid., p. 244 : « meistens solche Gegenstände […], die ihrer Natur nach die Stellung im Profil erlauben […] [und] nimmt sich die Freiheit solche Gegenstände getheilt vorzustellen, das Ganze also durch das Einzelne bloß anzudeuten », [EF2, p. 274], {600} § 120.

410

Ibid., p. 244 : « Das Basrelief hat den Grund in der Natur », [EF2, p. 273], {600} § 120. 411

Ibid., p. 263 : « Die Malerei ist der geometrischen Regelmäßigkeit noch unterworfen », [EF2, p. 289], {619} § 126.

412

Ibid., p. 263 : « Die Malerei [ist] auf einen endlichen Gesichtspunkt beschränkt. Die Plastik geht auf eine allseitige, demnach unendliche Wahrheit », [EF2, p. 289], {619} § 126.

413

Ibid., p. 265 : « stellt also wirklich das absolut Ideale auch zugleich als das absolute Reale dar », [EF2, p. 291], {621} § 129.

414

La partie féminine, qui renvoie aux courbes du corps humain, est l´harmonie, « la

partie dominante de l´architecture »

415

. Les proportions et la beauté organique, allégorique est

la partie idéale de cette forme d´art :

Elle est en effet idéale et allégorique […] ; comme musique dans l´espace, elle se

rapproche de la peinture comme forme artistique idéale, et à l´intérieur de celle-ci du

genre qui vise de préférence l´harmonie […], le paysage

416

.

Quant à la mélodie, elle est la « combinaison du rythme avec l´harmonie »

417

que

Schelling compare en architecture à l’ordre corinthien

418

observable, par exemple, sur les

bas-reliefs. L´art corinthien s´attache à représenter des motifs décoratifs. Ceux-ci sont travaillés,

sculptés et trouvent leur modèle dans la nature. Cet art est donc organique et imite, par

exemple, l´élégance de plantes ornementales. Il est le symbole de la pureté visuelle et de la

virginité :

La fusion maximale des termes opposés dans l´ordre corinthien, du droit avec le rond,

du rectiligne avec l´arqué, du simple avec l´orné, lui donne précisément cette plénitude

mélodique par laquelle il se distingue des autres

419

.

La musique, art temporel, est à la fois éternelle, éphémère et en devenir, elle n’a pas de

matérialité. Elle est, pourrait-on dire, intellectualisée. L´architecture est, en revanche,

concrète, spatiale et soumise à une fixité relative, c’est une « musique figée »

420

dont le

rythme et l’harmonie créent une mélodie que l’on peut visualiser. La vue d’un chef-d’œuvre

architectural équivaut à une composition musicale que l’œil saisit et ressent. L’architecture

constitue, par conséquent, une musique à la fois plastique et spatiale. Cette constatation très

originale est primordiale pour l’étude ultérieure des Frères de Saint-Sérapion, et notamment

pour l´analyse du « Conseiller Krespel » dont le talent musical va de pair avec son talent

d´architecte. Si l´architecture n´est pas en mouvement, contrairement à la musique, elle est

aussi soumise aux règles rigoureuses de la géométrie et de la symétrie. Une construction (une

charpente, un châssis, par exemple) ne peut être réalisée qu´après des calculs détaillés.

Comme la musique, elle allie l´imagination, la fantaisie et la rigueur. L’imagination relève du

415

Ibid., p. 239 : « der herrschende Theil der Architektur », [EF2, p. 269], {595} § 117. 416

Ibid., p. 239 : « Denn sie ist […] ideal und allegorisch, und nähert sich als Musik im Raum wieder der Malerei als der idealen Kunstform, und in dieser derjenigen Gattung, welche vorzugsweise auf Harmonie […] geht, – der Landschaft », [EF2, p. 269], {595} § 117.

417

Ibid., p. 241 : « […] Verbindung des Rhythmischen mit dem Harmonischen », [EF2, p. 271], {597} § 118. 418

Illustration de ce genre d´architecture en annexe. 419

Ibid., p. 242 : « Die größte Vereinigung des Entgegengesetzten in der korinthischen Ordnung, des Geraden mit dem Runden, des Glatten mit dem Gebogenen, des Einfältigen mit dem Gezierten gibt ihr eben jene melodische Fülle, durch welche sie sich vor den anderen auszeichnet », [EF2, p. 272], {598} § 118.

420

domaine de l´être, de l´intuition, du superflu et la rigueur de celui de la forme, de la raison, de

l´utile et du nécessaire.

Au sein même de la conception schellingienne de l’architecture et dans son rapport

avec la musique, nous retrouvons l’omniprésence de la nature et du macrocosme. Liée aux

arts, la nature est le motif romantique par excellence et la source première de l’inspiration

artistique.

Si les frères Schlegel ont une vision esthétisante globalement philosophique et critique