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chez le non artiste, les organes ne s’émeuvent que par l’intervention d’une sollicitation extérieure467

Cependant, même si l’homme ordinaire n’a pas la même sensibilité que l’artiste, il est

prédisposé à l’acquérir. Outre l’imagination, « ce sens admirable qui peut nous tenir lieu de

tous les autres »

468

, et le sentiment, le cœur de l’art est l’esprit raisonnant. Le discernement est

ancré chez les Anciens, mais en dépit de l’admiration que Novalis éprouve envers ces

derniers

469

, il affirme que les œuvres des Modernes peuvent également être intelligentes et

esthétiques, comme le Wilhelm Meister de Goethe, « tout entier un produit d´art, une œuvre

d´intelligence »

470

.

L’homme a autant besoin de l’art pour vivre que de l´air pour respirer ou du sommeil

pour se ressourcer. Afin que l’art prenne pleinement part à la vie humaine, Novalis aspire à la

romantisation du monde. Grâce à cet idéal, « le sens originel sera retrouvé. Romantiser n´est

rien d´autre qu´une élévation en puissance qualitative »

471

. La romantisation passe par la

poétisation, par l´amélioration du moi et de la vie quotidienne : l´artiste sublime l´ordinaire, le

rend merveilleux et unique. « Seul un artiste est capable de deviner le sens de la vie »

472

, car il

comprend la nature et doit faire de sa vie une œuvre d’art. En ce sens, l’art est supérieur au

créateur, puisqu´il devient un univers à lui seul. Il est la projection du Moi de l’artiste. Ce

dernier a alors le pouvoir de s´identifier à ce qu´il voit et de devenir cet objet : « Le véritable

[artiste] est omniscient – il est un monde réel en petit »

473

. Cette relation mimétique entre le

créateur et l’œuvre conduit l’artiste à se redécouvrir, démarche introspective qu’emprunte

chaque personnage hoffmannien.

Pour passer de l´introspection à l´extériorisation et former une unité avec l´œuvre

d´art, l´artiste a recours à la philosophie, à une source poétisée

474

. Volontaire et inconscient,

sain pour l’âme humaine et son équilibre, l’art est aux yeux de Novalis l’expression de ce que

467

Ibid., p. 76-77 : « […] Der Künstler hat den Keim des selbstbildenden Lebens in seinen Organen belebt – die Reizbarkeit derselben für den Geist erhöht, und ist mithin imstande, Ideen nach Belieben – ohne äussre Sollizitation – durch sie heraus zu strömen – sie als Werkzeug zu beliebigen Modifikationen der wirklichen Welt zu gebrauchen – dahingegen sie beim Nicht-Künstler nur durch Hinzutritt einer äussren Sollizitation aussprechen ».

468

Ibid., p. 124-125 : « Die Einbildungskraft ist der wunderbare Sinn, der uns alle Sinne ersetzen kann ». 469

Richard Samuel (Hrsg.) : Novalis. Schriften. Das philosophische Werk I, op. cit., p. 642 : « Keine moderne Nation hat den Kunstverstand in so hohem Grad gehabt, als die Alten ».

470

Ibid., p. 641 : « […] ganz ein Kunstproduct – ein Werck des Verstandes ». 471

Novalis : Fragments, Fragmente, op. cit., p. 56-57 : « So findet man den ursprünglichen Sinn wieder. Romantisieren ist nichts als eine qualitative Potenzierung ».

472

Ibid., p. 64-65 : « Nur ein Künstler kann den Sinn des Lebens erraten ». 473

Ibid., p. 86-87 : « Der echte [Künstler] ist allwissend – er ist eine wirkliche Welt im kleinen ». 474

l’homme ordinaire refoule et de ce que l’artiste magnifie. C’est la combinaison de tous les arts

qui produit le génie total :

D’une certaine manière, le peintre a déjà l´œil en son pouvoir, le musicien a l´oreille,

le poète a la force de l´imagination, la sensibilité et l´organe de la langue, – ou plutôt

ce sont déjà plusieurs organes ensemble que l´artiste a en son pouvoir, et dont il réunit

les actions dans l´organe du langage ou qu´il ramène sur sa main. […] Le génie n´est

pas autre chose que l´esprit de cette utilisation efficace des organes. […] L´esprit doit

devenir le génie en totalité

475

.

Novalis est favorable à cette combinaison artistique tout en éprouvant le besoin de

séparer les arts, comme Friedrich et August Wilhelm Schlegel. En revanche, il souligne

qu’« il ne faudrait jamais voir une œuvre d´art plastique sans musique, ni écouter une œuvre

musicale ailleurs que dans des salles bien décorées »

476

. Un art en appelle donc un autre, et

c´est dans l´union de tous les arts que l´on peut en apprécier un isolément. Ils constituent une

cohérence esthétique et tendent vers l´universel. Toute forme exclusive de l’art détruit donc

l’art et le génie absolu semble résider dans une unification artistique.

Cette conception des premiers romantiques marque le pas vers le concept d’« artiste

universel ». Si l’artiste domine un sens en particulier, en fonction de l’art et de son génie

artistique, son but ultime est l’accès au « génie total », c’est-à-dire à la maîtrise de tous les

sens. Cette forme de génie consiste à connaître l’ensemble des arts tout en ayant un domaine

de prédilection. Seul l’esprit qui saura reconnaître le particulier, l’individualité artistique au

sein même d’une totalité, aura accès à ce génie. L’artiste est celui qui détient une pensée

esthétique globalisante. Il n´est pas dilettante, mais représente une union parfaite entre

individualité et universalité.

L’artiste, qui incarne l’union entre l’esprit et la sensibilité, est libre et capable de

modifier le monde réel grâce à son esprit et à son imagination : « […] l´imagination […] est la

faculté de formation du relief »

477

et « l´art de devenir tout-puissant, c´est l´art de réaliser

notre volonté totalement. Nous devons prendre en notre pouvoir notre corps et notre âme »

478

.

475

Ibid., p. 81 : « Der Maler hat schon das Auge – der Musiker das Ohr – der Poet die Einbildungskraft – das Sprachorgan und die Empfindung – oder vielmehr schon mehrere Organe zugleich – deren Wirkung er vereinigt auf das Sprachorgan oder auf die Hand hinleitet […] – in seiner Gewalt – […] Genie ist nichts als Geist in diesem tätigen Gebrauch der Organe […] der Geist soll aber total Genie werden ».

476

Richard Samuel (Hrsg.) : Novalis. Schriften. Das philosophische Werk I, op. cit., p. 537 : « Man sollte plastische Kunstwercke nie ohne Musik sehn – musikalische Kunstwercke hingegen nur in schön dekorirten Sälen hören ».

477

Novalis : Fragments, Fragmente, op. cit., p. 166-167 : « […] Phantasie […] ist das Vermögen des Plastisierens ».

478

Ibid., p. 84-85 : « Kunst allmächtig zu werden – Kunst unsern Willen total zu realisieren. Wir müssen den Körper wie die Seele in unsre Gewalt bekommen ».

Le « génie total » reconnaît les parallélismes entre la sculpture et la musique, la

peinture et la musique, la poésie et la musique, même si la poésie se suffit à elle-même. Dans

le domaine du théâtre, Novalis souligne qu’« un bon acteur est en fait un instrument poétique

et plastique »

479

: pour exceller, le comédien doit donc réfléchir sur sa propre condition. Cet

art est, par conséquent, introspectif et évolue avec le temps. Il en va autrement de la sculpture

qui est figée, contrairement à la musique, qui reste fluide.

Une sculpture possède, en effet, un caractère inaltérable et non modifiable. La

musique crée davantage des images mentales qui ne se fixent pas, mais varient selon la

sensibilité, l´humeur, l´état d´âme de l´auditeur. Cependant, elles peuvent prendre forme et se

rapprocher de la plastique. La peinture et la musique, quant à elles, se différencient dans

l´utilisation des sens. L’une est un art visuel et l’autre un art auditif. Toutefois, Novalis les

rapproche en nommant les couleurs les « consonnes de la lumière »

480

. La musique est ainsi

synonyme d’harmonie et de génie.

« Tous les arts et toutes les sciences reposent sur des harmonies partielles »

481

: sans

elles, les arts ne pourraient prétendre à l’universel. Novalis comprend donc le terme d’art au

sens large : l’art est l´acte de se dépasser soi-même pour atteindre la reconnaissance

individuelle. Les arts sont formés par l’éthique et la philosophie, donc par des sciences. En

revanche, tant de flexibilité n´exclut pas que les sciences quasi exactes par définition soient

également liées aux arts, ce qui rejoint la théorie de Schelling :

dans la musique, [la mathématique] se manifeste formellement comme une révélation,

comme un idéalisme créateur. […] Toute jouissance est musicale, mathématique par

conséquent

482

,

et, après être « devenue philosophie », « chaque science devient poésie »

483

, donc art.

Créer relève alors à la fois d’un don artistique et d’une science. La vérité artistique de

la poésie réside dans une alliance, dans l´«junité » de l´âme et du sentiment. La poésie

embrasse beaucoup de domaines artistiques et peut se combiner avec beaucoup d’autres arts

comme la peinture, la musique ou la danse – Novalis souligne que danse et musique

correspondent, puisque « la danse est si étroitement alliée à la musique qu´elle est pour ainsi

dire son autre moitié »

484

. De plus, dans la versification, le rythme correspond à la forme, à la

479

Ibid., p. 78-79 : « Ein guter Schauspieler ist in der Tat ein plastisches und musikalisches Instrument ». 480

Ibid., p. 100-101 : « die Lichtkonsonanten ». 481

Ibid., p. 60-61 : « Alle Künste und alle Wissenschaften beruhn auf partiellen Harmonien ». 482

Ibid., p. 216-217 : « In der Musik erscheint sie förmlich als Offenbarung – als schaffender Idealismus. […] Aller Genuss ist musikalisch, mithin mathematisch ».

483

Ibid., p. 194-195 : « Jede Wissenschaft wird Poesie – nachdem sie Philosophie geworden ist ». 484

plastique. La poésie est un art de la transition entre rigueur et sensibilité, entre plasticité et