• Aucun résultat trouvé

Wiktor Osiatynski, le « consensus universel »

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 32-36)

B. Des droits de l'Homme pour tous?

2. Quelques pistes pour un « nouvel » universalisme

2.3 La piste « réaliste » ou concrète

2.3.1 Wiktor Osiatynski, le « consensus universel »

Le caractère extrêmement concret de cette théorie s'illustre dans cette distinction entre deux types d'universalité. Osiatynski distingue l'universalité des droits de l'Homme (en tant que règles minimales positives visant à régler la vie de la communauté internationale), de l'universalité de la philosophie des droits de l'Homme112. « (...) We should disconnect two ideas – namely, the notion of the universality of human rights and the concept of the universality of the philosophy of human rights. The former can be universal. The latter is not, and any claim to the universality of the philosophy of human rights creates more problems than solutions »113.

Le fondement recherché ne se situe donc plus dans une réflexion purement théorique, mais dans une série de constatations de fait et dans des idées

« concrètes ». Le but n'est plus de rechercher dans les droits de l'Homme (et de leur fondement) une série de valeurs profondément humaines, mais plutôt: « (...) a set of rules for behaviour »114. Dans cette conception, Osiatynski perçoit les droits de l'Homme comme une sorte de « code pénal pour gouvernements »115.

110 G. Haarscher (1988), « La raison du plus fort », pp. 53-55 et 167-174 111 Voir Machiavel, « Le Prince »

112 W. Osiatynski (2009), « Human rights and their limits », p. 175 113 Ibid., p. 183

114 Ibid., p. 175

115 Ibid., p. 183, en réf. à L. Kolakowski

Les droits de l'Homme deviennent ainsi des règles de comportement à observer en tout temps, même si l'on n'adhère pas à la philosophie qui est à leur origine. Leur respect est donc impératif, formel et indépendant de toute opinion politique ou philosophique, à l'image d'un code pénal.

Passons maintenant à la question qui nous intéresse: y a-t-il, selon cette conception des droits, une universalité à l'heure actuelle? La réponse est bien évidemment non, Osiatynski lui-même l'admet. Les critiques à l'universalisme sont trop nombreuses et, sur un plan factuel, les droits de l'Homme sont si peu respectés de par le monde qu'il est impossible de parler de consensus international. Les accusations de néo-colonialisme, de paternalisme et les forts courants relativistes viennent renforcer cette conclusion.

Osiatynski rappelle que les critiques n'ont pas toujours été si virulentes et que ce n'est que depuis environ la fin des années septante que « l'anti-universalisme » s'est développé. En effet, il nous rappelle que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 a été le fruit d'un consensus international et que son contenu n'a pas été imposé pas les puissances occidentales.

Le contenu de la Déclaration n'est pas uniquement issu de la tradition philosophique occidentale plutôt centrée sur les aspects libéraux et individualistes des droits fondamentaux. Il se trouve que la Déclaration consacre aussi des droits de la

« deuxième génération », qui sont, eux, issus de traditions philosophiques marxistes et chrétiennes. « A formulation accurately reflecting such diverse values and principles was necessarily the result of a broad compromise »116.

Osiatynski ajoute que de nombreux dirigeants et philosophes issus d'Etats « non-occidentaux » ont activement participé aux travaux préparatoires de la Déclaration.

Le résultat ne pouvait donc qu'être le résultat d'un consensus international. Les auteurs de la Déclaration étaient d'ailleurs convaincus que les droits de l'Homme étaient une idée universelle, capable de transcender l'histoire, les cultures, les religions et les divergences politiques117.

Il faut, par ailleurs, noter que lors de l'adoption de la Déclaration en 1948, les diplomates du « Tiers-Monde » ont été les plus fervents défenseurs de l'universalité118. Les thèses relativistes ont d'ailleurs été avancées par les grandes puissances occidentales, alors que les autres avançaient l'universalité.

Bref, un consensus international sur l'universalité des droits de l'Homme (et non sur leurs philosophie) existait en 1948. Que s'est-il passé depuis pour que ce consensus tombe et que l'universalité soit remise en question? Selon Osiatynski, c'est essentiellement pour les raisons suivantes: le montée du relativisme culturel et la politisation d'une certaine conception des droits de l'Homme.

Commençons par analyser le relativisme culturel. Il est le fruit d'un mélange entre réaction politique (face à « l'impérialisme culturel » occidental) et valeurs culturelles ou traditions directement en conflit avec un ou plusieurs droits de l'Homme.

116 W. Osiatynski (2009), « Human rights and their limits », p. 145 117 Ibid., p. 146

118 Ibid., p. 164, en réf. à Burke

Le meilleur exemple de cette réaction relativiste se trouve dans le concept des

« Asians values » que certains Etats asiatiques opposent à l'universalité des droits de l'Homme. Ce concept sous-entend que les droits de l'Homme (en tant que création occidentale) sont parfois en contradiction avec certaines valeurs « asiatiques » et que, dès lors, ces dernières doivent primer. C'est aux droits de l'Homme de s'adapter à la culture dans laquelle ils « s'implantent » et non l'inverse.

La principale idée véhiculée par les « Asian values » consiste à dire que la tradition culturelle asiatique est moins centrée sur l'idée de liberté, et est plutôt centrée sur les concepts d'ordre et de discipline119. Les libertés civiles et politiques (issues de la culture occidentale) doivent donc, non pas disparaître, mais accorder la priorité aux principes d'ordre et de discipline.

D'une manière plus générale, le relativisme culturel est essentiellement fondé sur l'idée que la communauté prime sur l'individu, d'où un certain conflit avec les droits de l'Homme (notamment de la première génération). L'idée qu'un individu puisse faire passer son bien-être personnel avant celui de la communauté et que, de surcroît, il en ait un droit universel est parfois dure à admettre. L'individualisme véhiculé par les droits de l'Homme vient aussi servir d'argument en faveur d'un relativisme, de l'idée que des valeurs culturelles totalement différentes entrent en collision par l'universalité.

Et c'est pourquoi le relativisme culturel vient servir d'argument soutenant les accusations « d'impérialisme culturel » occidental. Les valeurs véhiculées par l'universalisme peuvent parfois donner l'impression « d'annihiler » les valeurs ou traditions locales, au profit de la « culture occidentale ». Les droits de l'Homme sont qualifiés par certains auteurs comme étant « an alien ideology for non-Western societies »120.

A tous ces arguments, Osiatynski répondra que le relativisme culturel n'implique pas en-soi le rejet de l'idée de droits de l'Homme. Il implique sans aucun doute le rejet de l a philosophie des droits de l'Homme, mais pas du concept. La « vraie » critique résultant du relativisme culturel consiste à dire qu'au niveau international, l'application des droits de l'Homme est, en majorité, orientée en fonction de besoins ocidentaux121. Donc pour que le concept de droits de l'Homme devienne effectivement universel, il faut l'élargir et l'adapter aux valeurs et besoins culturels internationaux122.

La deuxième raison de cette « désuniversalisation » tient dans la politisation des droits de l'Homme par les puissances occidentales. De plus, la conception des droits de l'Homme « instrumentalisée » des années septante était différentes de la conception « universelle » de 1948. En effet, si la Déclaration faisait état de droits découlant de diverses idéologies, la conception qui prit place dans le débat politique post-colonial était réduite aux droits civils et politiques. Si ce changement n'a pas (ou peu) été remarqué en occident, la différence à parfaitement été ressentie dans le reste du monde.

119 W. Osiatynski (2009), « Human rights and their limits », p. 150 120 Ibid., p. 153, en réf. à M. Mutua

121 Ibid., p. 154, en réf. à E. Brems 122 Ibid., p. 154

C'est en fait dans des cultures où la communauté prime l'individu, que le changement a eu le plus gros impact. Les droits de l'Homme ainsi réduits ne prenaient plus en compte les besoins urgents (sociaux) des pays en voie de développement, et ne représentaient plus ce consensus international de 1948123. Ils sont ainsi (re)devenus un système de valeurs typiquement occidental et inadapté aux autres systèmes culturels dans lesquels ils chercheraient à « s'implanter ».

Voici donc les raisons pour lesquelles le consensus international est aujourd'hui inexistant. Le mouvement des droits de l'Homme souffre de surcroît de conflits internes. « Human rights organizations today pursue many different goals and represent a number of diversified interests (...) »124. C'est cette diversité de buts et d'intérêts qui empêche, aujourd'hui, de trouver une définition commune des droits de l'Homme, un système commun de valeurs et d'idées125. « The very language of human rights has become a source of debate and confrontation rather than consensus »126.

Et c'est pour faciliter l'arrivée de ce consensus « nouveau », qu'est utile la distinction entre universalité des droits et universalité de la philosophie des droits. Il est en effet plus simple de s'accorder sur un série de droits minimaux que sur une série de principes philosophiques127. Pour Osiatynski, l'universalité des droits de l'Homme ne signifie pas que le monde entier doive se soumettre à une conception des choses. « It means only that there are certain fundamental rights that no government in the world may violate »128.

Ce qu'il est important de retenir de ce qui vient d'être dit, c'est que la recherche du consensus doit porter sur des droits concrets et spécifiques et non sur des principes théoriques et philosophiques129. Ce consensus devrait au minimum consacrer les principes d'égalité et de liberté, mais il devrait, d'un autre côté, sortir du caractère extrêmement individualiste de la conception actuelle, afin de devenir acceptable pour des cultures qui place la communauté au centre du débat.

Osiatynski termine sa théorie en énonçant deux types de violation des droits de l'Homme. Le premier type est une violation commise par un régime tyrannique ou dictatorial. Dans ces cas, il est clair qu'il s'agit d'une violation injustifiable d'un point de vue relativiste, et donc que les droits de l'Homme, en tant que « code pénal » pour gouvernements, doivent être appliqués en plein.

Mais dans le deuxième type de violation, la situation est plus complexe. En effet, il s'agit de violations commises, cette fois, par ou en vertu de traditions culturelles. Il s'agit donc de violations qui ont une légitimité élevée (notamment d'un point de vue relativiste). L'application de droits de l'Homme « universels » doit cette fois se faire d'une manière beaucoup plus mesurée. Il s'agit de prendre en compte certains aspects relativistes même dans une conception universaliste.

123 W. Osiatynski (2009), « Human rights and their limits », pp. 168-169 124 Ibid., p. 174

Pour conclure cette partie consacrée à Osiatynski, il convient de retenir que les droits de l'Homme ne doivent plus être considérés comme un idéal découlant d'une tradition philosophique universaliste donnée. Il faut les désacraliser, et les penser comme un ensemble de règles qui visent à encadrer la vie dans la communauté internationale.

C'est ensemble de règles tient donc sa légitimité de sa nature consensuelle et non de sa nature « métaphysique » ou « « objectivement juste ». C'est pourquoi il doit viser à s'appliquer en tant que « code pénal gouvernemental » et non plus comme un ensemble d'impératifs moraux que l'on doit tendre à respecter. L'universalité des droits de l'Homme tiendra donc sa légitimité du consensus trouvé, et son intérêt dans son application en tant que droit positif, hors de toute philosophie ou morale.

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 32-36)