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Quelques grandes critiques du droit naturel

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 9-13)

B. Des droits de l'Homme pour tous?

1. Historique des droits de l'Homme

1.3 Quelques grandes critiques du droit naturel

Depuis les droits de l'Homme des grandes révolutions du 18e siècle aux droits de l'Homme que nous connaissons aujourd'hui, l'évolution ne s'est pas faite sans mal et nous allons maintenant voir que certains des grands fondements du droit naturel ont été très fortement critiqués, ébranlés et conduisent à la crise des fondements que nous connaissons actuellement.

La première grande critique à été formulée au milieu du 18e siècle (soit avant les révolutions américaines et françaises) par David Hume (1711-1776). La théorie de Hume consiste en une forte critique du rationalisme, allant jusqu'à nier l'existence de toute raison et par là-même détruire toute théorie des droits de l'Homme (et de leur universalité) fondée sur le rationalisme.

Hume voyait dans le concept de raison une « illusion fondamentale »17, le rôle de la raison n'est que descriptif, elle n'est capable que de « décrire le donné »18. En matière morale, la diversité des coutumes et les diverses conceptions de la justice de par le monde, sont la preuve que la raison est incapable de les « transcender pour pour définir la bonne conception, la norme rationnelle »19.

Dans sa tentative de destruction du rationalisme, il ira jusqu'à dire que: « It is not contrary to reason to prefer the destruction of the whole world to the scratching of my finger. It is not contrary to reason for me to choose my total ruin, to prevent the least uneasiness of an Indian or person wholly unknown to me »20. C'est à dire que rien (en tout cas dans l'aspect moral) n'est raisonnable et tout est raisonnable, la raison ne joue aucun rôle dans la prise de décision, elle se cantonne à un aspect entièrement descriptif.

Bref on l'aura compris, cette théorie fait l'effet d'un coup de canon dans les théories naturalistes du 18e siècle. En détruisant ainsi le rationalisme, Hume fait tomber le grand fondement sur lequel repose toute théorie de l'universalité. Il intègre l'idée de la relativité des différents systèmes de valeurs et de justice et qu'aucun d'eux ne peut prétendre à l'universalisme en se disant objectivement raisonnable. Ce qui a pour conséquence que tout les différents systèmes moraux se valent, sont moralement égaux puisque la raison, limitée à son rôle descriptif, ne peut plus venir agir en

« tribunal » et juger d'un point de vue universel.

17 G. Haarscher (1993), « Philosophie des droits de l'Homme », p. 80 18 Ibid, p. 81

19 Ibid, p. 81

20 D. Hume, « A treatise of human nature », p. 157, cité par G. Haarscher (1993) op. Cit.

La deuxième grande critique au droit naturel provient d'une approche historique de la philosophie dont G. Hegel (1770-1831) et K. Marx (1818-1883) sont les plus grands exemples. Ces deus auteurs ont écrit des théories radicalement différentes mais qui pourtant tournent autour d'une même vision de l'Histoire. Celle-ci est perçue comme une lente évolution de l'Humanité vers un Bien commun, un monde idéal où règne la liberté pour Hegel, le communisme « désétatisé » pour Marx. Chez Hegel les divers peuples et leurs patriotismes (Volkgeist) sont en fait englobés dans un grand Weltgeist, c'est-à-dire un esprit du monde qui guide progressivement l'Humanité vers la liberté (politique) ou, autrement dit, les droits de l'Homme.21

Le grand problème de ces thèses du point de vue des droits de l'Homme, est que leur réalisation est perçue comme une fin (accomplissement de la liberté, du communisme) et non comme un moyen vers la « bonne vie » grecque, une protection minimale contre les ingérences étatiques.

Le grand corollaire de cette manière de penser les droits de l'Homme est que l'on ne peut réclamer leur réalisation dans l'immédiat puisqu'ils ne sont que le but ultime vers lequel tend l'histoire de l'Humanité. Ces auteurs se contentent de décrire le monde dans lequel ils vivent avec toutes ses imperfections (raison descriptive humienne) sans porter de jugement de valeur(au nom de ce qui devrait être). Selon Hegel, la description de l'Histoire permet de montrer que celle-ci « mène nécessairement à la liberté universelle »22. Cette dernière remarque permet de conclure que l'Histoire marchant inexorablement vers la pleine réalisation des libertés politiques, « nul n'est besoin d'intervenir du dehors – abstraitement – en jugeant le particulier à l'aune de la raison »23.

Hegel considère l'Histoire comme « rusée » et que certains détours de celle-ci parfois incompréhensibles du point de vue du particulier sont en fait parfaitement compréhensibles et justifiés du point de vue de l'Histoire universelle. En d'autres termes, les violences et autres violations des droits de l'Homme aujourd'hui ne sont en fait qu'une ruse de l'Histoire pour mener le monde à la pleine réalisation de la liberté universelle.

Marx reprendra cette idée de l'Histoire qui marche vers une fin connue, un bien de l'Humanité. Cette fois, l'Histoire marche vers le fin de l'Etat moderne et vers la réalisation du communisme. L'idée de cette « bonne vie » comme étant une fin historique à l'échelle de l'Humanité et non de l'individu existe aussi chez Marx.

L'histoire doit aussi avoir sont lot de révolutions, d'injustices et de conflit jusqu'à ce que l'abondance des ressources permette la « pacification des rapports humains »24. Pour conclure cette deuxième vague de critiques, l'on notera que chez ces auteurs l'idée de pleine réalisation des droits de l'Homme n'est pas abandonnée. Mais cette dernière devient une fin à l'échelle de l'Humanité et que certains détours ou « ruses » de l'Histoire sont nécessaires. Contrairement au théories du droit naturel qui voient les droits de l'Homme comme un minimum de droits applicables partout et en tout

21 Sur ce point: G. Haarscher (1993), « Philosophie des droits de l'Homme », p.86 22 Ibid., p. 87

23 Ibid., p. 87 24 Ibid., p. 92

temps, Hegel et Marx élargissent la réalisation de ces derniers à une jouissance totale de la liberté mais soumettent cette pleine réalisation à la condition que l'Histoire universelle atteigne son but final.

Passons enfin brièvement à la troisième vague de critiques de l'Ecole du droit naturel, à savoir: le positivisme. C'est un courant de philosophie juridique initié par J.

Bentham (1748-1832) et issu de la pensée humienne. En effet, le positivisme juridique consiste à faire une séparation stricte entre le droit et la morale. On définit le droit comme étant ce qu'il est (raison descriptive) et non comme ce qu'il devrait être (raison naturelle).

Par ce biais, aucun droit ou ordre juridique n'est en soit immoral ou contraire à un quelconque droit naturel transcendant et supérieur au droit positif. Le droit n'existe que parce qu'il est essentiel à la vie en société (principe d'utilité).

Une autre différence entre le positivisme juridique et le droit naturel consiste en ce que le positivisme nie l'existence de tout contrat social. Et en niant le contractualisme et l'aspect moral (raisonnable) du droit, le positivisme enlève toute assise philosophique pour une théorie universelle des droits de l'Homme. Ceux-ci peuvent exister dans un ordre juridique comme partie du droit positif mais perdent tout fondement supérieur. Le positivisme consiste donc en « un subjectivisme des valeurs »25, la raison ayant perdu son fondement universel avec Hume, la tradition (re)devient « le modèle de la société juste »26, celui permettant la « bonne vie ».

Le danger de cette vision est évident: le subjectivisme des valeurs implique une égalité des valeurs. Cette égalité ouvre la porte à toute une série d'abus possibles (cf.

le nazisme) qui, sous couvert de tradition ou de valeurs culturelles, échappent au

« tribunal de la raison ». N'importe quel acte ou décision devient dès lors justifié du moment qu'il est permis par l'ordre juridique positif en vigueur, seul point de référence d'une certaine « morale » locale.

Pour terminer cette partie sur les critiques du droit naturel, il convient de préciser que ces critiques ont poursuivit leur chemin au cours de l'histoire et qu'aux alentours de la fin du19e siècle, les théories naturalistes ont été largement mises de côté au profit des thèses positivistes et historiques.

Il faudra attendre la fin de la deuxième Guerre Mondiale et la découverte de toutes les atrocités commises pour que le droit naturel puisse faire son grand retour sur le devant de la scène.

1.4 1945 et la « renaissance » du droit naturel

Ce n'est en fait que lors de la guerre contre les fascismes que le terme droit de l'Homme réapparaît dans le débat politico-juridique. « The idea of rights experienced its renaissance »27. C'est pour parer aux atrocités du régime nazi et pour avoir une

25 G. Haarscher (1993), « Philosophie des droits de l'Homme », p. 83 26 Ibid., p. 83

27 W. Osiatynski (2009), « Human rights and their limits », p. 14, cette partie (notamment ce qui

assise philosophique et morale lors des jugements des criminels nazis que la théorie du droit naturel a été remise au goût du jour (cf. Les procès de Nuremberg ». Ces thèses ont permis de rendre « pénaliser » rétroactivement les crimes crimes de guerre puisque ces derniers (re)devenaient contraire aux droits imprescriptibles et inaliénables de tout être humain.

Le 10 décembre 1948, l'Assemblée Générale des Nations Unies (alors composée de 58 membres) adopte la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, qui vise à codifier le droit naturel28. Le contenu de cette déclaration se compose en majeure partie de droits individuels (directement issus des théories naturalistes) et peuvent être qualifiés de droits « occidentaux » ou, autrement dit, de droits issus de cultures et de traditions essentiellement occidentales.

Il ne faut cependant pas laisser de côté le fait que la plupart des grandes puissances

« occidentales » de l'époque, n'avaient pas grand intérêt dans la reconnaissance internationale des droits de l'Homme. Le peu de soutient de ces Etats lors des travaux préparatoires de la Déclaration en est d'ailleurs une illustration29. Chacune de ces puissances avait en effet des particularités internes qui allait en contradiction directe avec le principe des droits de l'Homme. « Russia had domestic terror and the Gulag;

England and France had colonies; and the United States racism and legal segregation »30.

Le peu de soutient de ces grandes puissances dans la codification des droits de l'Homme à l'époque, résultait aussi du fait que pour conserver ou asseoir leur suprématie au niveau mondial, elles avaient un grand intérêt à soutenir les principes de souveraineté et de juridiction nationale afin d'éviter des ingérences des plus

« petites » nations dans leurs affaires intérieures31.

Un autre fait permettant de penser que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'est pas uniquement le fruit d'une culture ou tradition « occidentale » se trouve dans la composition de la Commission des Nations Unies pour la promotion des droits de l'homme dont le travail était d'écrire un projet de Déclaration. En effet, outre des membres français (René Cassin) ou encore américains (Eleanor Roosevelt), la commission tait notamment composée d'un philosophe chinois (Peng-chun Chang), un journaliste et porte-parole des Philippines (Carlos Romulo) ou encore d'une représentante indienne (Hansa Mehta)32. De plus, lors de l'adoption de la Déclaration en 1948, les plus grands partisans de cette dernière étaient les gouvernements latino-americains, ensuite rejoints par les représentants d'un certain nombre d'Etats Islamiques et Bouddhistes33 (ne perdons pas de vue que la plupart des Etats africains « actuels » n'existaient pas encore à l'époque).

Si l'on s'intéresse maintenant brièvement au contenu de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, celle-ci tient directement de l'Ecole du droit naturel. Le meilleur exemple de cette parenté résulte de l'article premier de la Déclaration:

concerne la Déclaration) est inspirée de cet ouvrage.

28 W. Osiatynski (2009), « Human rights and their limits »., p. 14 29 Ibid., p. 15

30 Ibid., p. 15 31 Ibid., p. 16 32 Ibid., p. 18 33 Ibid., p. 18

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Si l'on a abandonné toute référence directe au droit naturel comme il y en avait dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyens de 1789, le terme « tous les êtres humains naissent libres et égaux » montre bien le caractère intrinsèque des droits de l'Homme. De plus, dans la deuxième phrase il est précisé que les humains sont « doués de raison ». L'universalité rationnelle des droits de l'Homme est donc (ré)affirmée dans la Déclaration Universelle (d'où son caractère « peremptory and absolute »34). L'assise philosophique de cette dernière se trouve donc bien dans le jusnaturalisme « pur », à l'inclusion de son fondement rationalisme. Les grandes critiques semblent donc oubliées en 1948.

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