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La piste « juridique »

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 16-22)

B. Des droits de l'Homme pour tous?

2. Quelques pistes pour un « nouvel » universalisme

2.1 La piste « juridique »

Quittons pour le moment la voie très spécifique de la philosophie des droits de l'Homme, et penchons nous un instant sur la question plus générale de la philosophie du droit international public, et voyons si ces théories sont compatibles avec la conception universaliste des droits de l'Homme.

Historiquement, les diverses théories fondatrices du droit international public sont aussi fondées sur le postulat d'un état de nature (voir: Grotius, Püffendorf, etc.). Il s'agit d'un état originel entre Etats souverains et non entre êtres humains. Ces Etats, égaux de par le droit naturel, peuvent s'obliger mutuellement en passant des conventions (tout comme les personnes en droit contractuel), mais sont aussi tenus par un droit naturel ou coutumier (que l'on appelait droit des gens). Ce droit, aussi abstrait que l'était le droit naturel « humain », reste indéfini. La plupart des grandes critiques (positivisme, historicisme, etc.) étudiées plus haut pour le droit naturel

« humain » restent valable pour les théories du droit naturel en droit international public.

Il ne nous reste plus qu'à nous demander si aujourd'hui, la philosophie du droit international nous garde un fondement philosophique (de droit naturel ou autre) pour asseoir la théorie de l'universalité des droits de l'Homme.

Pour ce faire, nous allons étudier successivement ces quelques notions de philosophie du droit international public que sont: le bien commun, la justice, la liberté et la morale42(principes développés par R. Kolb).

2.1.1 Le bien commun

Le concept de bien commun, en tant que tel, naît dans la pensée de Saint-Thomas d'Acquin. Il postule que « l'homme a essentiellement besoin de la société pour se protéger et pour se perfectionner (conservatio et perfectio), il doit reconnaître un bien commun indépendant de lui »43. Cette notion de bien commun se traduit comme un but à atteindre et non comme une prétention concrète et actuelle. Le chemin vers cette finalité est composé de paix et d'ordre, de justice, proportionnalité et du respect de l'autre44. En bref, chez Saint-Thomas, le bien commun était perçu comme « un

42 Voir R. Kolb (2003), « Réflexions de philosophie du droit international », pp. 234-395 43 Ibid., p. 234

44 Ibid., p. 234

corps de valeurs sociales »45 qui sera concrétisé, ensuite, par la loi humaine avec certaines limites de droit naturel. Ces limites de droit naturel servent à protéger un minimum de droits individuels (qui restent nécessaires à l'accomplissement du bien commun), puisque le bien comme, chez Saint-Thomas, prime sur le bien individuel.

Si le « bien de la communauté doit prétendre à une certaine supériorité, il ne saurait demander n'importe quel sacrifice à l'individu »46.

Plus tard, F. De Vitoria ajoutera une dimension universaliste à cette théorie en l'appliquant aux Etats. En effet, selon lui les individus comme les Etats « ne peuvent vivre autrement qu'en société, car aucun ne se suffit absolument à lui-même »47. Les principes développés par Saint-Thomas s'appliquent donc aussi aux Etats, qui se doivent d'évoluer ensemble vers ce but qu'est le bien commun en laissant parfois de côté leur bien individuel.

Dans une perspective plus actuelle, le bien commun reste ce but « suprême » vers lequel tendre, mais est-ce bien le cas dans notre ordre international? Comme le souligne le professeur R. Kolb: « le bien commun ne peut se réaliser que s'il y a un esprit communautaire »48. L'universalité du bien commun, de ce but à atteindre n'est possible que de fait et n'est pas le fruit d'une réflexion empirique.

« La politique internationale n'est pas une politique du bien commun international »49, c'est-à-dire qu'il ne peut exister de buts ou valeurs communs à tous à moins que tout le monde s'accorde sur un bien commun à atteindre. A l'heure actuelle, dans la politique internationale, le bien particulier (national) prime sur le bien commun (international).

La nécessité d'un accord vers la poursuite d'un bien commun donne donc tout son sens à cette phrase: « (...) le terme (bien commun) est destiné à évoluer dans l'histoire selon les conceptions et les besoins variables des hommes »50. Le bien commun n'a donc rien de naturel, de divin ou d'originel, il ne s'agit que d'une vision ponctuelle d'un certain « ordre idéal » vers lequel tendre.

Recentrons maintenant cette question dans l'optique des droits de l'Homme. Ces derniers ils une finalité (bien commun selon son acception actuelle) ou ne sont-ils qu'un moyen pour atteindre ce bien commun? Ou autrement dit, ne sont-sont-ils qu'une part de nos ordres juridiques ou constituent-ils un ordre « idéal » vers lequel tout législateur devrait tendre?

Si l'on s'arrête sur les relations entre droit et bien commun, l'on s'aperçoit que ce dernier constitue le but de toute société et que le droit n'est qu'un moyen pour atteindre ce but. Et même « les valeurs juridiques fondamentales, la justice, la réciprocité ou la sécurité juridique, demeurent toujours finalisées à un bien supérieur à elles: le bien de la vie sociale »51. Inutile de préciser que la poursuite de ce bien ne saurait se concilier avec l'arbitraire.

45 R. Kolb (2003), « Réflexions de philosophie du droit international », p. 234 46 Ibid., p. 235 (cette partie est inspirée de cet ouvrage)

47 Ibid., p. 235 48 Ibid., p. 244 49 Ibid., p. 245 50 Ibid., p. 237 51 Ibid., p. 236

La question de la place des droits de l'Homme dans cette relation droit-bien commun se pose toujours. Est-ce qu'à l'heure actuelle l'on perçoit ces droits comme un idéal vers lequel tendre ou leur respect n'est qu'une condition pour atteindre la conception contemporaine de bien commun?

Sur un plan purement factuel, on constate qu'il n'existe aucun Etat dans le monde où les droits de l'Homme sont parfaitement et toujours respectés, et les ONG dénoncent toujours plus de violations commises un peu partout dans le monde. Puisque les droits de l'Homme n'ont jamais été totalement respectés, il faudrait en conclure qu'ils ne constituent en fait que ce but commun (inatteignable selon Saint-Thomas) vers lequel la communauté internationale devrait tendre sous réserve d'un réel esprit communautaire.

Pour conclure sur ce principe, on constate que le bien commun reste un fondement potentiel pour l'universalité des droits de l'Homme. Son côté évolutif le rend fragile et peu stable, mais en même temps il fait appel à une réalité concrète (esprit communautaire) qui rendrait l'universalité indiscutée. Ce consensus nécessaire constitue aussi le plus grand problème d'une théorie de l'universalité fondée sur le bien commun. En effet, et en tout cas à l'heure actuelle, il n'existe aucune volonté internationale concrète d'agir dans un but commun.

L'autre grand défaut de cette théorie est qu'en cas de consensus, le respect des droits de l'Homme risque de devenir la finalité impossible à atteindre, et non plus un minimum de droits à respecter comme base de départ vers un plus grand bien commun. Le non-respect de certains droits risque de devenir acceptable puisque leur respect plein et entier en tant que finalité est impossible.

2.1.2 La justice

L'on a, au fil de l'histoire, conçu la justice sous trois différentes formes: la justice divine, la justice universelle et la justice particulière52.

La première de ces formes, la justice divine, consiste en une justice seule et unique décidée par Dieu. Le droit est rendu juste par la foi, seule garante d'un droit juste. La morale et le droit sont incorporés à la religion qui est le seul ordre moral « juste » puisque divin. Dans cette conception, le justice humaine est dévaluée au profit de la justice divine.

Dans la deuxième forme, la justice universelle, l'idée d'une justice seule et unique subsiste. Celle-ci n'est plus issue d'un commandement divin auquel l'on se soumet, mais est issue d'une réflexion objective. Elle était (chez les philosophes grecs) considérée comme la mère des vertus, celle qui harmonisait toute les autres.

Cette prétention à l'objectivité se retrouve dans les théories du droit naturel. En effet, si l'homme peut par a raison connaître ses droits naturels, leur respect constitue donc une forme de justice et, à l'inverse, leur non-respect une injustice.

52 R. Kolb (2003), « Réflexions de philosophie du droit international », p. 251-253

Passons à la justice particulière, cette dernière n'a aucune vocation à s'étendre ou à viser un bien universel. Elle est perçue comme une « notion purement sociale »53, qui ne concerne que les rapports des individus dans une société donnée. « L'altérité devient la marque propre de cette justice, elle concerne toujours un rapport avec l'autre placé sur un pied d'égalité »54, la justice devient donc un concept subjectif qui commande de se projeter vers l'autre, de voir à travers ses yeux et de considérer son point de vue.

A l'heure actuelle, il est impossible de donner une définition de la justice internationale, et il est tout aussi impossible de la faire entre dans l'une de ces trois catégories. Ce que l'on peut dire, c'est que dans ses rapports avec le droit, elle agit comme « but régulateur »55, dont la finalité serait le bien commun puisque, on l'a vu, la justice est subordonnée au bien commun.

Aujourd'hui, la justice est considérée comme un « principe ouvert »56, en mouvement, à l'inverse du droit qui est censé « pétrifier » une situation donnée. Le critères qui viennent compléter ce « principe ouvert » sont « issus de la morale sociale, de l'idéologie et plus généralement de l'ensemble des données sociales existant à un moment de l'histoire »57. Autrement dit: les critères définissant la justice se trouvent en dehors de la justice.

La justice se trouve donc aussi être un principe évolutif, soumis aux aléas de l'histoire et impossible à « pétrifier » objectivement. Dans la perspective de l'universalité des droits de l'Homme, rien dans cette conception ne nous permet d'asseoir définitivement l'universalité sur un fondement stable. Les mêmes risques mentionnés dans la partie dédiée au bien commun sont applicables au principe de la justice. Il faut tout de même préciser que si les droits de l'Homme, en raison de facteurs sociaux ou autres, entrent un jour concrètement dans la conception internationale de la justice, cela signifierait que leur respect serait une condition nécessaire à la poursuite du bien commun et non plus un but abstrait vers lequel tendre sans jamais l'atteindre.

En d'autres termes, la protection internationale des droits de l'Homme gagnerait à n'être « qu'une » partie de la justice internationale, dont l'application serait nécessaire et basique, et non pas un noble idéal à atteindre dans un monde idéal.

2.1.3 La liberté

« Le droit n'existe que parce qu'il y a la liberté »58, tout comme la liberté a besoin du droit pour se préserver. Les rapports entre droits et libertés sont donc existentiels. Là où il y a droit, il y a liberté. Cela est dû au caractère, du droit, « de norme formulant un devoir et non de loi naturelle précisant une nécessité »59. Le rôle du droit est

53 R. Kolb (2003), « Réflexions de philosophie du droit international », p. 254 54 Ibid., p. 254

55 Ibid., p. 250 56 Ibid., p. 252 57 Ibid., p. 252 58 Ibid., p. 330 59 Ibid., p. 330

d'encadrer, de délimiter la liberté par rapport aux libertés des autres sujets, et il a aussi un rôle de garantie de cette liberté, qu'il aide à préserver.

Cette idée provient de l'idée des Lumières selon laquelle les libertés sont conçues comme un « système de limitations mutuelles »60.

Pour revenir à la question de l'universalité, il est important de noter que le droit (au sens où on l'entend aujourd'hui) est conçu comme une limitant la liberté, mais aussi comme garant de cette même liberté. Si là où il y a droit, il y a liberté, il devrait donc y avoir un minimum de respect de certaines libertés fondamentales.

Cette idée de liberté, liée de façon existentielle à tout ordre juridique, ne constitue pas en soit un assise suffisante pour un respect total des droits de l'Homme, il n'y a pas dans ce concept assez de « place » pour fonder l'universalité, un petit quelque chose permettant d'affirmer que le droit à été penser avec la liberté (qui ne constitue pas en soi l'entier des droits de l'Homme)

2.1.4. La morale

Les relations entre droit et morale ont longtemps été houleuses et compliquées.

Aujourd'hui encore il parfois difficile de tracer une frontière nette entre la morale et le droit. La morale se rapporte à « l'idée du bien dans la vie sociale »61, ou, autrement dit, du bien commun. Est moral tout acte ou loi conforme avec le but du bien commun. Le droit quant à lui, ne concrétise que les normes issues de la morales nécessaires à la bonne marche de la vie sociale.

Si la morale se rapporte aussi à la poursuite du bien commun, c'est qu'elle aussi n'est pas objectivement identifiable et est soumise aux évolutions sociales.

La séparation entre droit et morale se trouve dans le fait que cette dernière requiert des exigences de perfection que le droit est incapable de contenter, et d'un autre côté, les dispositions de détail du droit iraient trop loin par rapport à ce que nécessite la morale. « Un droit trop largement confondu à la morale tue la liberté »62. Donc plus le droit se concrétise, plus il « s'écarte » des préceptes moraux évitant ainsi

« d'étouffer » les libertés individuelles prises dans l'étau d'une morale beaucoup trop présente dans le droit positif.

La morale est en fait la manière d'atteindre le bien commun, alors que le droit droit se trouve être l'outil pour l'atteindre. Si les deux principes tendent vers le même but, ils ont un rôle différent et des divergences sont parfois nécessaires.

Pour en revenir au débat sur l'universalité, si celle-ci devient morale, les droits de l'Homme deviendraient un concept vague et abstrait dont seulement les grands principes essentiels seraient concrétisés dans le droit positif.

60 R. Kolb (2003), « Réflexions de philosophie du droit international », p. 331 61 Ibid., p. 344

62 Ibid., p. 348

Pour conclure cette recherche d'un fondement d'un point de vue juridique, force est de constater qu'aucun grand principe de philosophie du droit international ne permet de fonder objectivement les droits de l'Homme. Tous les principes étudiés sont pensés et conçus d'une manière évolutive (le droit se pliant à leurs exigences). Ce sont des principes extrêmement relativistes qui ne portent en soi aucune valeur, ils sont pensés comme des récipients vides qui se remplissent et se vide en fonction de l'évolution sociale, idéologique ou autre.

Donc pour qu'il y ait universalité d'un point de vue juridique, il faut un consensus international, un « esprit communautaire » allant dans la direction d'un respect universel des droits de l'Homme. Il faut en quelque sorte une universalité de fait, et non théorique ou philosophique. Nous verrons plus loin que la solution se trouve peut-être dans ce type d'universalisation.

Mais même si un jour un esprit communautaire est atteint et que les droits de l'Homme sont partout considérés comme universels, le problème de la crise des fondements subsiste. S'il n'existe aucune assise stable, rien n'empêche un jour un retour en arrière.

Un autre problème apparaîtrait dans le cas de l'existence d'un esprit communautaire, il s'agit de déterminer leur place dans tous ces principes. On l'a vu, si les droits de l'Homme sont placés « trop haut » dans l'échelle des principes (bien commun ou morale), il ne deviennent plus qu'un but à atteindre, un ordre parfait vers lequel tendre sans jamais l'atteindre. Leur respect plein et entier ne serait donc plus qu'hypothétique, il n'aurait lieu que dans le « monde des idées ».

Il ne faut pas perdre de vue que ces droits ont été conçus au départ (par les auteurs naturalistes) comme protégeant le strict minimum de droits dont chaque être humain devrait pouvoir jouir.

En idéalisant trop ces droits, le risque serait de leur faire définitivement quitter la sphère du droit positif, pour entrer dans la sphère idéale du but à atteindre.

Fondamentalement, ces droits sont pensés pour une application concrète et devraient rester dans les sphères du droit positif, sans trop s'évader dans l'idéalisme.

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