• Aucun résultat trouvé

John Rawls et la théorie de la justice

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 22-25)

B. Des droits de l'Homme pour tous?

2. Quelques pistes pour un « nouvel » universalisme

2.2 La piste « transcendantale »

2.2.1 John Rawls et la théorie de la justice

Dans son ouvrage: « théorie de la justice », J. Rawls remet au goût du jour le contractualisme issu des théories du droit naturel et va chercher à le renforcer, lui donner une assise impartiale (et donc universelle). Ces principes minimaux de justice que l'on va chercher à découvrir sont issus de l'idée de contrat et du principe de cohérence64.

63 M. Mutua (2004), « The complexity of universalism in human rights » in: « Human rights with modesty: the problem of universalism »

64 P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », tout ce passage (Rawls-Habermas) est tiré de cet ouvrage.

L'argument du contrat, passé par des individus en « position originelle »65, ne fait pas appel à un accord réel, mais à un accord fictif portant sur des principes de justice

« qui seraient choisis, de préférence à d'autres, par des individus rationnels qui, tout en étant placés dans une situation initiale d'égalité, chercheraient à définir les termes fondamentaux de leur association future »66.

Il s'agit donc de définir des principes de justice qu'auraient choisit des individus rationnels en « position originelle ». Et pour assurer l'impartialité du choix de ces différents principes de justice, ces individus sont réputés « négocier » le contrat sous couvert d'un « voile d'ignorance »67. Ce voile sert à empêcher qu'une décision soit prise en fonction de diverses circonstances, naturelles ou sociales, dans le but de favoriser des intérêts purement personnels. Le voile exclut notamment les informations concernant «(...) la position de classe ou le statut des individus dans la société future, ainsi que la part qui sera la leur dans la répartition des atouts, des capacités et des dons naturels. Sont également exclues les informations relatives à leurs dispositions psychologiques personnelles, aux particularités de leur projet d'existence et de leur conception du bien, ainsi qu'à la situation économique, politique et culturelle de la société future »68.

Cet argument du contrat est complété par l'argument de cohérence. « Il s'agit de monter que les principes qui seraient adoptés par des personnes rationnelles dans une position originelle d'égalité s'accordent par ailleurs avec un ensemble de convictions, bien pesées, que nous partageons généralement sur la justice des institutions sociales »69. Ou en d'autres termes, les principes du contrat (purement rationnels) l'argument rationnel du contrat permet d'éviter le risque d'arbitraire provenant du principe de cohérence, ce dernier permet de sortir de ce monde abstrait du choix rationnel et de garder contact avec les valeurs morales pré-existantes.

Ces deux arguments permettent à Rawls de justifier ses deux grands principes de la justice, sensés guider le fonctionnement de toute société civile:

« 1. Chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres.

2. Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois,

– elles apportent aux plus désavantagés les meilleures perspectives

– et elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à la juste égalité des chances »71.

65 P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », p. 145 66 Ibid., p. 143

67 J. Rawls (1987), « Théorie de la justice », pp. 168-174, cité par: P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », pp. 135 ss.

68 P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », p, 147 69 Ibid., p. 143

70 J. Rawls (1987), « Théorie de la justice », p. 47 71 P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », p. 140

Il s'agit là de principes minimaux dont le but est de structurer toute société civile. Il convient de préciser, avant toute analyse, que le premier de ces principes prime sur le second.

Le premier principe reconnaît donc, à tous, une égale jouissance des libertés de base.

Ou en d'autres de termes: une égale jouissance des droits civils et politiques. Ce principe implique que « (...) les restrictions éventuellement imposées aux libertés de certains individus ne sauraient être justifiées ou compensées ni par l'octroi d'avantages économiques et sociaux supplémentaires au profit du plus grand nombre, ni par la volonté de réaliser certaines valeurs morales concurrentes (perfectionnisme) »72. Les seules limitations aux libertés de base tolérables sont des limitations qui ont pour but la sauvegarde d'une ou de plusieurs libertés de base concurrentes.

Le second principe est, lui, plus novateur. En effet, il fonde une conception de la justice qui admet et prend en compte les inégalités. Il détermine les conditions pour qu'une inégalité ne soit plus inacceptable mais jugée tolérable. L'on quitte ici le domaine des libertés individuelles pour enter dans celui de la répartition d'avantages économiques et sociaux. Ces avantages sont acceptés comme répartis de façon inégalitaire, mais cette inégalité n'est tolérable qu'à condition « (...) que l'on puisse montrer que cette répartition procure les meilleures perspectives aux membres les plus désavantagés de la société »73. Donc si l'inégalité sociale de fait est tolérée, l'inégalité des chances, elle, ne l'est pas. On ne peut sacrifier les individus les plus défavorisés au profit des autres.

Ce principe de l'égalité des chances, que l'on tire du second principe de justice, ouvre donc la voie aux droits économiques et sociaux dans la conception de la justice de Rawls. Cette conception « essentiellement rationnelle »74de la justice ne va pas sans critiques. En effet, certains auteurs considèrent l'argument du contrat « repose également sur des convictions ou sur des intuitions morales qui sont irréductibles à ces exigences »75. Rawls admet lui-même que l'arbitraire, que l'on cherche à éviter par le voile d'ignorance, constitue lui-même une intuition morale, qui échappe à la rationalité telle qu'elle est conçue dans la théorie de la justice.

L'argument du contrat n'est donc pas « une justification exclusivement rationnelle qui serait indépendante de toute conviction morale préalable concernant la justice sociale et l'impartialité »76. Toute l'idée de la position originelle « présuppose (...) un ensemble de convictions morales qu'elle permet d'expliciter »77.

En conclusion, on constate que cette théorie qui potentiellement pouvait donner un fondement transcendantal à l'universalité d'un minimum de droits de l'Homme (les libertés de base, dont notamment: liberté de pensée, conscience, expression, droits politiques et liberté personnelle), s'avère avoir cette même faiblesse dans ses fondements que les théories du droit naturel. A tel point d'ailleurs, que Rawls

même adhéra, quelques années plus tard, aux critiques formulées à l'encontre de sa théorie de la justice. L'universalité des droits de l'Homme ne peut donc se prévaloir de cette thèse comme d'un fondement nouveau et incontesté. Et si l'on applique cette théorieau niveau international, Rawls applique la même fiction de la position originelle, cette fois entre Etats.

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 22-25)