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Guy Haarscher, le « machiavélisme » des droits de l'Homme

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 36-45)

B. Des droits de l'Homme pour tous?

2. Quelques pistes pour un « nouvel » universalisme

2.3 La piste « réaliste » ou concrète

2.3.2 Guy Haarscher, le « machiavélisme » des droits de l'Homme

Intéressons-nous maintenant à ce qui peut-être considérer comme le fondement à la fois le plus solide, et à la fois le plus précaire130. G. Haarscher nous propose d'envisager le fondement des droits de l'Homme, non pas comme métaphysique ou idéal, mais résultant d'une revendication des « gouvernés », si forte qu'elle forcerait

« le Prince » à concéder ces droits. Les droits de l'Homme deviennent ainsi l'objet d'une lutte perpétuelle entre gouvernants et gouvernés.

Mais commençons par analyser les raisons qui poussent Haarscher à adopter une théorie « amorale » à un précepte moral comme les droits de l'Homme. Tout d'abord, il constate que nous vivons dans un monde « désenchanté »131, c'est-à-dire dans un monde où à disparu: « (...) toute référence à une tonalité donatrice de sens, autrement dit à un univers téléologique (...) »132. Les fondements divins ou « naturels » (fondés sur la Raison objective) ont tous été détruits au cours de l'histoire de la philosophie.

Fonder les droits de l'Homme de façon métaphysique ou naturelle (un fondement

« bétonné » selon l'expression de Haarscher) semble aujourd'hui illusoire133.

Pourtant les droits de l'Homme sont aujourd'hui considérés comme universels par un grand nombre d'individus, alors à quoi bon se poser la question des fondements (question qui n'est par ailleurs accessible qu'à un petit nombre d'intéressés)? Selon Haarscher, les seules personnes (de façon schématique) à en être persuadés sans avoir besoin d'un fondement incontesté, sont celles qui bénéficient de l'universalité des droits de l'Homme; à savoir les hommes occidentaux.

Cette foi dans l'universalité chez « l'homme occidental » résulte du fait que les droits de l'Homme lui sont « acquis » depuis sa naissance et qu'il a été éduqué à les voir universels134. L'homme occidental à hérité ces droits des luttes et souffrances passées, et se contente aujourd'hui de « gérer l'héritage »135. Mais en étant l'héritier et le

130 G. Haarscher (1988), « La raison du plus fort », pp. 54-60 et 170-174 131 Ibid., p. 167

132 Ibid., p. 167 133 Ibid., p. 173

134 G, Haarscher (1993), « Philosophie des droits de l'Homme », pp. 121-124 135 Ibid., p. 122

bénéficiaire de l'universalité, il se voit aussi devenir son « promoteur obligé »136 dans le reste du monde. Et cette obligation « morale » implique une prise de risque. En effet, la promotion des droits de l'Homme de par le monde peut impliquer, pour le promoteur, de renoncer à ces droits pour qu'ils soient en fin de compte appliqués à une plus grande échelle. Et c'est là tout le problème, selon Haarscher. En effet, lequel d'entre nous accepterait de prendre ce risque? Qui voudrais abandonner cette

« jouissance paresseuse »137 des droits, pour « passer à l'acte », militer, entrer totalement dans la logique interventionniste de l'universalisme? Personne, ou presque, ne prendrait effectivement ce risque. Haarscher compare l'humaniste occidental au « Juif imaginaire » d'A. Finkielkraut. L'humaniste imaginaire est celui qui, ayant hérité « concrètement » de droits par les luttes des ancêtres, jouit de ces droits en pratique et ressent l'obligation « morale » de les « promouvoir ».

Alors, si personne ne « fait le pas », ne décide d'abandonner sa jouissance confortable des droits de l'Homme pour lutter en faveur des opprimés, qui le fera?

L'approche réaliste d'Haarscher permet de conclure que c'est aux opprimés (qui ne bénéficient pas des droits de l'Homme) eux-mêmes de le faire. En créant une instabilité politique telle que les gouvernants, en « bons Princes » et pour conserver leur pouvoir (motivation ultime du Prince chez Machiavel138), seront obliger de

« concéder » ces droits. L'universalisation aura donc lieu par « le bas », indépendamment de tout fondement philosophique « stable », « (...) le « peuple » ne motive pas son action en la fondant sur des raisonnements philosophiques qui ont toujours, par nécessité, été l'apanage d'une minorité spécialisée »139.

Ce qui motive le « peuple », c'est n'est pas forcément d'obtenir le pouvoir ou la capitulation du Prince, mais c'est d'exiger d'être traité avec un certain respect, de ne pas voir ses « femmes prises par le Prince »140. Bref, le fondement des droits de l'Homme ne proviendrait pas de la « raison naturelle », mais d'un « peuple » qui décide de peser dans l'échiquier politique, donc de « la raison du plus fort ».

Si cette conclusion peut sembler extrêmement pessimiste, Haarscher nous rappelle que la théorie politique de Machiavel n'est pas que cynisme et immoralité, bien au contraire. Le machiavélisme véhicule toute une série de valeurs républicaines nécessaires à la conservation du pouvoir. « (...) La stabilité et la « durabilité » de la domination supposent le respect « républicain » du peuple, la liberté de ce dernier »141. La stabilité du pouvoir d'un gouvernant ne peut que passer par l'application d'une certaine justice aux gouvernés.

Dans la théorie de Machiavel, un gouvernant qui cherche à le rester doit faire preuve de virtù. C'est-à-dire qu'il doit agir en fonction de certaines normes (ou valeurs) pour pouvoir être considéré comme un « bon » Prince et ainsi garder son pouvoir. Son action n'est toutefois pas guidée par le bien commun, mais par son « grand égoïsme »

136 G, Haarscher (1993), « Philosophie des droits de l'Homme », p. 123 137 Ibid., p. 122

138 Voir Machiavel, « Le Prince »

139 G, Haarscher (1993), « Philosophie des droits de l'Homme », p. 129

140 Voir G. Haarscher (1988), « La raison du plus fort », p. 24, Haarscher fait ici référence au conseil que donne Machiavel aux Princes: « Ne leur prenez surtout pas leur femmes », conseil qui implique de traiter le peuple avec certains égards, « d'auto-limiter » son pouvoir pour mieux le conserver.

141 Ibid., p. 172 à propos du « Prince » et des « discorsi » deux ouvrages de Machiavel

qui le pousse à concéder, rechercher le consensus pour au final conserver se domination.

Un dirigeant virtueux chez Machiavel est: « (...) ouvert au risque, à l'intelligence des situations, aux ruses de la domination »142. Et c'est surtout un homme possédant un sens aigu de la chose publique, autrement dit: il est doué d'un grand sens républicain.

Haarscher précise d'ailleurs que: « (...) la tyrannie n'est pas machiavéliennement stable; en d'autres termes, la stabilité sans justice ne peut exister (...) »143. C'est cette intelligence politique, républicaine qui rend le gouvernant ouvert aux droits du peuple. Mais ce n'est pas parce que le gouvernant, de par sa virtù, serait prêt à concéder des droits au peuple qu'il le fera.

En effet, l'obtention de droits par le peuple nécessite un rôle actif de la part de ce dernier. Si les gouvernants doivent faire preuve virtù, la même « obligation » incombe aux gouvernés. Si ces derniers ne font pas preuve de sens républicain, qu'ils ne participent pas à la chose publique, ils n'obtiendront rien de la part du gouvernant.

Autrement dit, si la virtù des gouvernés vient à manquer, les gouvernants « ne verront plus le respect des droits des peuples comme la voie obligée de leur pouvoir »144.

Dès lors, le rapport gouvernant-gouvernés, dans l'hypothèse où ils font tous preuve de virtù, cesse d'être un rapport dominant-dominés pour devenir un rapport d'égal à égal. Le « jeu » politique, amoral par définition, devient un système consensuel où règne la raison du plus fort qui est parfois celle du plus faible145. En bref, le respect des droits du peuple (aujourd'hui les droits de l'Homme) est soumis « (...) à la double condition que celui-ci (Ndla: le peuple) se défende et que les dominants comprennent et assument le sens de cette défense »146.

Les droits de l'Homme sont donc fondés, dans cette opinion, par les rapports de forces politiques entre gouvernants et gouvernés, sans aucun besoin d'une assise morale. Ce fondement est à la fois très solide, puisque concret, et très fragile, puisque ne reposant sur aucune autre justification que celle de la volonté (parfois changeante) d'une population. « Mais une fondation précaire et toujours à reprendre ne vaut-elle pas mieux qu'une fondation « bétonnée », mais illusoire? »147

Avant de conclure, il faut préciser que dans cette perspective machiavélienne des droits de l'Homme, ces derniers ne sont jamais acquis. Ils font l'objet de la « lutte » perpétuelle entre gouvernants et gouvernés, dont l'issue sera changeante en fonction des circonstances. Il faut: « (...) nous habituer au fait que les droits de l'homme reposent sur un combat toujours recommencé. Il faut toujours les arracher à la violence du monde: les princes ne les respecteront que si les peuples représentent une force avec laquelle ils sont machiavéliennement (et non moralement) tenus de compter »148.

142 G, Haarscher (1988), « La raison du plus fort », p. 171 143 Ibid., p. 38

Donc, on l'a vu, les droits de l'Homme ne sont respectés que si le peuple dispose d'un sens élevé de la chose publique, et qu'il participe activement à la vie politique. Ce sens républicain n'est pas inné (rappelons que la théorie de Machiavel est amorale), il doit donc provenir de quelque part. Cette virtù populaire s'acquiert par l'éducation.

C'est en effet en « éduquant » le peuple, en enseignant le sens de la chose publique (le sens civique en quelque sorte) que l'on permet à une population de devenir une force avec laquelle le gouvernant doit compter. « L'éducation politique, civique, machiavélienne, « tocquevillienne » (...) consiste à éduquer les peuples en leur apprenant à prendre en charge leurs intérêts propres, à ne pas se laisser écraser, à faire montre de « virtù », à participer à l'espace public au sens de Hannah Arendt »149.

Pour conclure, notons que dans cette perspective machiavélienne les droits de l'Homme ne sont pas universels (le système étant amoral), mais peuvent le devenir lorsqu'un peuple décide de les revendiquer. De plus, les réels « combattants » des droits de l'Homme étant rares, la perspective machiavélienne implique qu'il est de la responsabilité d'un peuple de faire valoir ses revendications à l'égard des dirigeants, en se manifestant (créant un climat d'instabilité politique) pour peser dans les rapports de forces.

Cette responsabilité découle du fait que personne d'autre ne luttera (concrètement) pour les droits d'un peuple auquel il n'appartient pas, et d'un sens « civique » ou de la chose publique aigu. Ce sens civique n'est pas inné, il ne découle pas de la nature humaine ou d'un commandement divin. C'est quelque chose qui s'apprend par l'éducation.

Et c'est peut-être là la plus importante conclusion à tirer dans l'optique de la question de l'universalité des droits de l'Homme. Si celle-ci n'existe pas à l'heure actuelle (ni

« théoriquement », ni concrètement), elle sera peut-être possible dans le futur par le biais d'une éducation « machiavélienne », par l'enseignement du sens de la chose publique et des responsabilités qui en découlent.

149 G, Haarscher (1988), « La raison du plus fort », p. 54

3. Des droits de l'Homme pour tous?

Après avoir passé en revue ces quelques « pistes », il nous faut toujours répondre à la question qui nous intéresse: les droits de l'Homme sont-ils universels? La réponse semble assurément être non. « (...) Universality is, at least for the present, a myth »150 Mais l'analyse qui vient d'être faite n'a pas pour autant été vaine, de nombreux enseignements peuvent être tirés de ce qui précède et peuvent aider à répondre à une question autrement plus importante, à savoir: les droits de l'Homme pourront-ils, un jour, êtres pleinement et concrètement universel? Cette question amène une réponse plus nuancée puisque, on l'a vu, l'universalité peut résulter de critères différents (métaphysiques, factuels, etc.) et si elle n'existe pas aujourd'hui, rien n'empêche son avènement dans le futur.

Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à une autre approche de l'universalité. Cette fois, il ne s'agira plus de se demander si elle existe ou si elle est possible, mais nous nous demanderons plutôt quel est le degré d'universalité de chaque droit.

Mais avant, récapitulons les quelques leçons que nous avons tirées de l'étude de ces quelques pistes:

Premièrement, revenons sur la piste dite « juridique ». Plusieurs leçons peuvent être tirées de ce qui a été dit. Tout d'abord, et c'est ce qu'il y a de plus évident, il est impossible de tirer l'universalité de l'essence de chacun des principes étudiés. Ce sont des principes « vides » de tous principes moraux, qui seront le fruit d'un consensus.

C'est donc bien le sens moral actuel, subjectif (et non pas intemporel et objectif) qui vient « remplir », orienter le principe juridique et non l'inverse.

Prenons l'exemple du bien commun, ce dernier est défini comme un corps de valeurs ou d'idées vers lesquelles toute société (y compris internationale) doit tendre pour espérer la meilleure vie possible. Le bien commun constitue donc le but à atteindre, mais son contenu est juridiquement indéfini et donc extrêmement variable. Il est sujet aux revers de l'opinion publique, aux évolutions historiques et n'est donc pas adapté pour pouvoir inclure de façon stable un principe comme les droits de l'Homme, qui se veut universel et intemporel. Si l'on entend les droits de l'Homme comme un principe universel issu de la nature humaine, comme part de l'essence même de l'être humain, il ne peut pas être fondé dans un principe juridique.

L'autre leçon à retenir de cette recherche de fondement dans la philosophie

« purement » juridique, consiste à se demander quelle place donner aux droits de l'Homme dans l'ordre juridique international, quel « rang » lui donner dans la

« hiérarchie » des principes juridiques. La réponse dépendra essentiellement de la façon dont sont perçus, ou pensés, les droits de l'Homme.

Si ces derniers sont élevés, comme c'est souvent la cas aujourd'hui, au rang de valeur morale suprême, de définition du « Bien », bref une sorte de valeur quasi-religieuse, leur accomplissement risquerait de passer au stade du principe juridique suprême, à savoir le bien commun. Ce dernier est le principe directeur de tous les autres

150 A. Cassese (1990), « Human rights in a changing world », p. 51

principes, il est en quelque sorte une « boussole » pour les autres principes qui s'orientent dans sa direction. C'est le but suprême vers lequel toute vie en société doit tendre. Mais en tant que principe ultime, « divin », il n'est jamais atteint. Et c'est bien là tout le problème. A trop idéaliser les droits de l'Homme, on les élève au rang de principe inaccessible, au lieu de les percevoir comme ils ont été conçus à l'origine, c'est-à-dire comme une série de garanties minimales.

Pour Hannah Arendt, l'abstraction des droits de l'Homme est dangereuse151. Pour elle, l'expérience de la deuxième Guerre Mondiale a montré que: « (...) les droits fondés sur la notion abstraite d'être humain ont été inefficaces pour protéger les innombrables individus qui, réduits à la condition d'apatrides, de réfugiés ou de déportés, ont été privé de toute appartenance communautaire »152. L'idée abstraite d'Homme (au sens d'être humain), privée de toute référence à la citoyenneté, au statut politique, bref l'idée d'Homme en général est trop abstraite et impuissante face à des formes de tyrannies et d'oppression extrêmes. « Arendt en déduit que les individus ne peuvent puiser de droits authentiques que dans leur qualité de citoyen ou de membre d'une communauté politique, et non dans l'idée d'être humain en général »153.

Il faut donc faire attention à ne pas élever les droits de l'Homme au rang trop abstrait d'idéal, ce qui risquerait de leur donner la qualité de but à atteindre, et non plus de moyen pour atteindre un but plus élevé encore. Si les droits de l'Homme deviennent le but commun de la société internationale, leur non-respect ne serait pas sujet à des sanctions puisqu'ils sont par définition irréalisables, les Etats devant uniquement se contenter de faire de leur mieux.

On l'aura compris, pour donner une réelle efficacité aux droits de l'Homme, il ne faut pas les positionner aussi haut sur l'échelle morale, mais les penser comme un outil servant à la réalisation d'un but plus élevé. Leur place se trouve dans les droits positifs, avec de « vrais » bénéficiaires, identifiables et considérant leurs droits comme une base, un strict minimum sans lequel la poursuite du but commun (quel qu'il soit) est impossible.

Passons maintenant à la deuxième « piste » étudiée, à savoir la piste transcendantale.

Si les différentes thèses n'ont pas forcément pu nous offrir un fondement indiscuté pour les droits de l'Homme, on peut toutefois tirer un certain nombre d'enseignements de ce qui a été étudié.

Tout d'abord, et en optant pour un point de vue réaliste ou « pessimiste », l'étude de cette piste montre qu'il faudrait peut-être arrêter de rechercher un fondement indiscutable et indiscuté dans la notion même d'être humain, dans sa façon d'être

« naturelle ». En effet, le bref historique et l'étude des thèses transcendantales montrent que ces différentes théories ne vont pas sans critiques, et que leur prétentions à l'objectivité résulte en fait de leur propre subjectivité.

151 P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », p. 33 en réf. à H. Arendt. « Les origines du totalitarisme.

L'impérialisme. » 152 Ibid., p. 33 153 Ibid., p. 33

Mais si ces thèses ne nous permettent pas de fonder, de façon absolument certaine, les droits de l'Homme, elles ont toutefois eu le mérite de faire ressortir une certaine tendance.

En effet, toutes les thèses étudiées ont évoqué, d'une manière ou d'une autre, l'idée d'un dialogue libre et égal. Qu'elle serve de principe de base à une forme de « néo-contractualisme », ou qu'elle soit la condition indispensable à la réalisation d'une discussion raisonnable seule porteuse de légitimité, cette idée est toujours présente.

C'est souvent de ce principe de base que sont tirés les fondements transcendantaux des droits de l'Homme.

Chez Rawls, le dialogue libre et égal sert de principe fondamental, directeur lors de la « négociation » du contrat hypothétique sous couvert du voile d'ignorance. Chez Habermas, une discussion ne peut être considérée comme raisonnable que si elle a lieu sur un pied d'égalité et que les divers interlocuteurs sont libres de dire ce qu'ils veulent et de participer. Si une discussion n'est pas considérée comme raisonnable, la décision qui en découle ne sera pas légitime. Et ceci est évidemment valable lors de la prise de décision législative, d'où le principe démocratique découlant du principe de discussion. Dans ces deux thèses, les droits de l'Homme de première génération (droits civils et politiques) sont tirés de ces principes de base que l'on peut considérer comme profondément humains et antérieurs à toute société civile.

Et c'est justement là le problème de ces différentes thèses, le fondement même de leurs thèses et des droits de l'Homme (le dialogue libre et égal) ne repose sur aucun argument concret et indiscutable. Ce fondement résulte de l'idée (subjective) que pour qu'un être humain considère une norme comme légitime, il doit avoir pu, au moins hypothétiquement, avoir part au processus décisionnel.

Et c'est là que les thèses de M. Mutua apportent quelque chose de nouveau. Elles permettent de ne plus considérer l'idée du dialogue libre et égal comme le fondement transcendantal des droits de l'Homme, mais en quelque sorte comme la « règle du jeu » permettant d'aller vers les droits de l'Homme. Cette « règle du jeu » garderait certes son fondement « transcendantal » et donc discutable, mais les droits de l'Homme deviendraient, eux, le fruit d'un consensus international, indiscuté et libre de toute critique « réaliste ».

La théorie de Mutua amène une autre idée beaucoup plus importante dans le débat sur l'universalité des droits de l'Homme. Il nous propose de ne plus considérer les droits de l'Homme comme un produit fini, une valeur à défendre telle quelle, mais plutôt comme un concept en pleine évolution, qui cherche à se développer et qui à énormément à apprendre de chaque culture.

Cette idée est vraiment très intéressante du point de vue de l'universalité. En effet, si les droits de l'Homme ont une ambition universelle, et donc tendent à s'appliquer n'importe quelle culture, il paraît acceptable que le concept apprenne, se complète par le contact avec des cultures qui lui sont à l'origine inconnues. Les droits de l'Homme dans une perspective universaliste (et donc internationale) gagneraient à

« se remettre en question », à vivre un changement profond pour devenir finalement une norme, internationale et interculturelle, de protection des droits minimaux de tout un chacun. L'universalité naîtrait donc des relativismes. Ce qui n'empêcherait

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