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Makau Mutua et les « nouveaux droits de l'Homme »

Dans le document Des droits de l'Homme pour tous? (Page 27-32)

B. Des droits de l'Homme pour tous?

2. Quelques pistes pour un « nouvel » universalisme

2.2 La piste « transcendantale »

2.2.3 Makau Mutua et les « nouveaux droits de l'Homme »

L'idée, chez cet auteur, c'est de ne plus percevoir les droits de l'Homme comme un

« produit fini » que l'on cherche à universaliser, mais plutôt comme un concept inachevé qui va évoluer et que l'on va construire sur la base d'un dialogue interculturel, sur le modèle de la discussion raisonnable de Habermas.

Avant de commencer toute analyse, il est important de préciser que Mutua a une approche totalement différente de l'universalité. En effet, celle-ci n'est pas issue d'une vérité « supérieure » à l'humain ou d'un sens commun profond. L'universalité est un concept relatif. « We must approach all claims of universality witn caution and trepidation »89. L'universalité n'est donc pas un phénomène naturel, et donc n'importe quelle vérité n'est en fait qu'une vérité locale90.

87 P. Gérard (2007), « L'esprit des droits », p. 135 88 Ibid., p. 137

89 M. Mutua (2004), « The complexity of universalism in human rights » in « Human rights with modesty: the problem of universalism », p. 51

90 Ibid., p. 51

Mais il ne faut cependant pas conclure de ce qui vient d'être dit que l'universalité d'un principe ou d'une idée est impossible. En effet, une vérité locale peut potentiellement devenir universelle, mais la question à résoudre n'est plus de savoir si cette vérité est « objectivement » juste, mais plutôt de se demander comment une vérité locale peut, de façon légitime, devenir un principe universel91.

Pour revenir à la question des droits de l'Homme, nous allons maintenant voir quelles sont les conditions à remplir pour que ces derniers deviennent universels de façon légitime. Et nous verrons que la théorie de la discussion rationnelle a son rôle à jouer dans ce processus de légitimation des droits de l'Homme.

Mutua commence par souligner l'aspect purement relatif des droits de l'Homme.

L'idée de leur universalité est, selon lui, « liberal and European »92. De plus, le fait que la plupart des auteurs universalistes soient peu enclin à l'ouverture d'un débat à propos de la nature culturelle des droits, ainsi que la « marginalisation » des régimes politiques cherchant à (ré)ouvrir ce débat93, constitue un argument supplémentaire en faveur de ce premier constat.

En second lieu, il fait remarquer un paradoxe ressortant de ce premier constat. En effet, si l'une des valeurs défendues par l'idée de droit de l'Homme la diversité (et donc l'ouverture », la conception purement universaliste de ces droits coupe court à tout débat qui chercherait à amener une autre vision de ces droits; « (...) the human rights corpus can be said to be favorable to political and cultural homogeneization while hostile to difference and diversity, the two variable that are at the heart of the vitality of the world today »94.

En troisième lieu, Mutua réfute totalement l'idée que les droits de l'Homme (dans une perspective universaliste) sont, à l'heure actuelle, une finalité. Ils ne sont pas un

« produit fini » d'un point de vue universel. « There needs to be a realization that the movement is young and that this youth gives it an experimental status, not that of a final truth »95. Le débat ne fait que commencer, et pour qu'il quitte le stade

« expérimental » o u « embryonnaire », il doit maintenant passer au stade interculturel. La vision universelle des droits de l'Homme tels que nous les concevons actuellement, risque de prématurément fermer le débat96.

Le but de ce nouveau stade du débat serait d'obtenir: « a cross-cultural legitimacy to a universal human rights corpus »97. Selon cette idée, chaque culture gagnerait à apprendre des autres, même en matière de droits de l'Homme. Cette perspective interculturelle du débat permettrait, d'une part de rejeter toute accusation

« d'impérialisme culturel », et permettrait d'éviter d'autre part une « hiérarchie des cultures »98. En effet, le rejet systématique du débat sur le contenu des droits va de pair avec une certaine « hiérarchie » des cultures.

91 M. Mutua (2004), « The complexity of universalism in human rights » in « Human rights with modesty: the problem of universalism », p. 52

92 Ibid., p. 54

Un universalisme légitime n'est donc possible que sur la base d'un débat (discussion chez Habermas) interculturel, dont le but n'est pas de convaincre de bien-fondé des droits de l'Homme, mais de construire un système de droits nouveau, universel et légitime. Cette méthode permettrait de rejeter touta accusation « d'impérialisme » ou de « hiérarchisation culturelle ». Il ne reste plus qu'à définir les conditions dans lesquelles le débat doit avoir lieu pour que ces droits « futurs » soient considérés comme universels et légitimes.

Pour que le débat passe au stade supérieur (interculturel) et qu'il soit considéré comme légitime, il doit avoir lieu entre participants libres communicant sur un pied d'égalité, à l'image de la discussion raisonnable développée par Habermas. Il s'agit donc d'un débat où « toutes les personnes intéressées ont le droit de participer (...) et d'y faire valoir, dans la liberté et l'égalité, les arguments visant à justifier ou à contester le bien-fondé de la prétention en jeu »99. Le mot-clé est ici égalité. En effet, Mutua considère qu'aujourd'hui le dialogue interculturel sur un pied d'égalité est impossible, et ceci pour les raisons qui suivent:

Tout d'abord, les droits de l'Homme « actuels » résultent d'une conception euro-centriste trop fermée au dialogue et à vocation universelle. En effet, Mutua considère l'attitude des Etats occidentaux trop arrogante, à l'égard des autres Etats ou cultures, lorsqu'il s'agit de droits de l'Homme. Les Etats-Unis, en devenant la plus grande puissance mondiale, sont devenus les porte-paroles de la culture « occidentale » et par conséquent des droits de l'Homme aussi. A tel point d'ailleurs, que la plupart des allocutions de présidents américains dans des Etats non-occidentaux, ressemblent de plus en plus à des sermons ou des prêches100. C'est pour Mutua la mauvaise voie à suivre, puisqu'elle ne va pas vers le dialogue. « The human rights movement, and its ally the American state, must abandon the pathology of the savior mentality if there is to be any real hope in a genuine international discourse on rights »101.La vraie finalité d'un débat sur les droits de l'Homme étant selon Mutua la construction d'une théorie nouvelle et non l'imposition d'un concept euro-centriste qui se veut universel.

L'universalité n'est possible que si toutes les cultures ont la possibilité de contribuer de façon égale à la construction des droits de l'Homme. De plus, l'arrogance

« occidentale » peut aussi résulter d'une certaine continuité avec le colonialisme102:

« international human rights fall within the historical continuum of the European colonial project in which whites poses as the saviors of a benighted and savage non-European world »103.

Le meilleur exemple de cette « arrogance » se trouve selon lui dans la vision

« occidentale » de l'excision. En effet, ce qui peut être considéré comme une pratique culturelle ou une tradition, est appelé en occident une « mutilation génitale ». Selon Mutua, il s'agit d'un: « language that stigmatizes as barbaric cultures that condone the practice and dehumanizes the women who are subject to it »104.

99 Voir n. 80

100M. Mutua (2004), « The complexity of universalism in human rights » in « Human rights with modesty: the problem of universalism », p. 58

101Ibid., p. 58 102 Ibid., p. 61 103 Ibid., p. 61 104 Ibid., p. 62

Pour Mutua, cette arrogance est un réel obstacle à l'avènement d'une « universalité commune »105. L'autre obstacle se situe dans le fait que, dans la conception actuelle des droits, seuls les régimes démocratiques (« à l'européenne ») sont réputés pouvoir garantir et assurer le respect des droits de l'Homme.

« The logic of the human rights text is that political democracy is the only political system that can guarantee or realize the fundamental rights it encodes »106. Si ce principe ajoute de « l'arrogance » aux Etats occidentaux, il a aussi pour effet d'exclure du dialogue tout les régimes non-démocratiques. Selon Mutua: « the choice of a political ideology that is necessary for human rights is an exclusionary act »107. Donc, si les régimes non-démocratiques sont exclus du débat, de la discussion rationnelle, ce débat est donc sans effet. Si certains en sont exclus, on ne pourra jamais légitimement prétendre à l'universalité des droits de l'Homme (actuels ou futurs).

D'une manière générale, « l'arrogance » occidentale et l'exigence de démocratie sont toutes deux obstacles visant à exclure du débat toute contribution « occidentale ». « The imposition of the current dogma of human rights on non-European societies flies in the face of conceptions of human dignity, and rejects the contributions of others cultures in efforts to create a universal corpus of human rights »108.

Bref, on l'aura vu, un universalisme légitime n'est possible qu'en acceptant une conception nouvelle des droits de l'Homme, sur la base d'un dialogue interculturel ouvert, avec des participants placés sur un pied d'égalité sur le plan moral et sur le plan culturel. Plus important encore, ce dialogue (ou débat) doit être ouvert à tous sans jamais exclure qui que ce soit. « Inclusion not exclusion is the key to legitimacy »109.

Pour conclure cette deuxième partie, on constate que la piste transcendantale n'est, elle non plus, pas exempte de faiblesses. L'idée de fonder les droits de l'Homme dans des principes profondément humains, voire naturels, semble peut-être vaine. Il n'empêche que l'idée de la discussion rationnelle de Habermas mérite plus de considération, notamment sur un plan réaliste.

En effet, si l'idée de fonder les droits de l'Homme en général dans le principe de discussion est sujette à critique, l'idée de la discussion, elle, reste. Et si comme dans la théorie de Mutua, les droits de l'Homme ne sont pas un principe « connu », issus de réflexions transcendantales, mais un principe en construction, « à découvrir »?

Les principes issus de la théorie de la discussion rationnelle garderaient leur intérêt.

Ils serviraient comme « règles du jeu », de principes de base guidant le débat interculturel vers des nouveaux droits de l'Homme.

105 M. Mutua (2004), « The complexity of universalism in human rights » in « Human rights with modesty: the problem of universalism », p. 62

106 Ibid., p. 59 107 Ibid., p. 59 108 Ibid., p. 60 109 Ibid., p. 63

Les droits de l'Homme ne seraient dès lors plus fondés de façon transcendantale, mais les principes de base de la discussion l'auraient été. La piste transcendantale s'avère donc ne pas être suffisante pour fonder les droits fondamentaux en principe universel, mais il ne faut pas non plus tout laisser de côté. Comme nous venons de le voir, ces différentes théories (notamment Habermas) peuvent servir à fonder les grands principes d'une discussion internationale menant à l'universalité de certains principes. Donc, si l'on ne peut fonder une conception du « juste », des droits ou autre dans la nature ou dans les caractéristiques humaines, on pourrait toutefois y trouver les principes du dialogue menant à cette « justice universelle » ou autrement dit, aux droits de l'Homme (enfin) universels.

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