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White, fondateur du groupe de Harvard

La fondation de l’analyse des réseaux par le groupe de Harvard

A. White, fondateur du groupe de Harvard

Lorsque White rejoint l’université de Harvard, le département des relations sociales au sein duquel il commence à travailler est encore dirigé par Talcott Parsons. Ce département est célèbre pour son interdisciplinarité et ses recherches en psychologie et en anthropologie sociale.43 Un tel environnement joue un rôle tout à fait favorable dans le développement des idées de White.

Ce dernier y dispense des cours aujourd’hui célèbres — comme celui intitulé « Introduction to social relations » (de 1964 à 1969)dont Nicholas Mullins, qui y assista, dit, avec Carolyn Mullins, qu’ « il était l’un des cours d’introduction auquel assistait le plus grand nombre d’étudiants » (1973, p. 255)44 — et parvient ainsi, pendant plus d’une vingtaine d’années, à rassembler autour de lui un certain nombre d’étudiants qu’il incite notamment à réaliser diverses études empiriques et à développer des logiciels informatiques.

Ces étudiants formeront, après White, la nouvelle vague d’analystes des réseaux, le « groupe de Harvard », qui enrichira l’ARS en la questionnant et en l’appliquant à des terrains de plus en plus étendus. Azarian a établi la liste des étudiants qui firent leur thèse avec White à Harvard entre 1963 et 1986 ; on y retrouve les membres aujourd’hui les plus célèbres de l’analyse des réseaux. A la fin des années 1960, on voit ainsi

43 En outre, s’y trouvaient à l’époque réunis nombre de chercheurs en sciences sociales américains

reconnus comme Goron Allport, Daniel Bell, Robert Bellah, Seymour Lipset, Stanley Milgram, Davis Shapiro, Charles Tilly, ainsi que George Homans.

44 Azarian donne la description suivante de ce cours : « le cours traite de l’individu, de la société, de la

culture et des relations entre eux. Il s’attaque aux problèmes du développement individuel, de la famille, des cultures primitives, des institutions sociales et de la société moderne industrielle, selon les points de vue différentes de la psychologie, de l’anthropologie et de la sociologie » (Azarian, 2003, p. 202).

apparaître les noms de Nicholas Mullins45, Nancy Lee46, Michael Useem47 et Barry Wellman48 (qui réalisa en 1988 un survey sur les réseaux sociaux (Wellman et Berkowitz 1988)). On trouve également dans cette liste les étudiants qui cosignèrent avec White des travaux importants dans les années 1970 : François Lorrain49 qui participa à l’écriture d’un article fondateur sur la théorie des réseaux (Lorrain et White, 1971), ainsi que Boorman50 et Breiger51 (Boorman, Breiger, White, 1976). Enfin et surtout, on y trouve ceux qui deviendront des acteurs centraux de la Nouvelle sociologie économique (NSE) qu’ils développeront à partir de l’approche de White : Robert Eccles52 avec lequel White construit une analyse des centres de profit et de la formation des prix de transferts au sein des entreprises, Eric Leifer53 qui cosigne avec White un article fondateur sur les marchés (Leifer et White, 1987), Michael Schwarz54 qui exercera une grand influence à Stony Brook55, Paul DiMaggio56 qui jouera un rôle non négligeable dans l’introduction des considérations culturelles dans la NES et…

Mark Granovetter qui réalise sa thèse en 1970 (Changing jobs : channels of mobility

45 Thèse réalisée en 1967 : Social networks among biological scientists.

46 Thèse réalisée en 1968 : Acquaintance networks in the social structure of Abortion.

47 Thèse réalisée en 1970 : Involvement in a radical political movement and patterns of friendship : the draft

resistance community.

48 Thèse réalisée en 1969 : Social identities and cosmopolitanism among urban adolescents : variation by race, social

status and school integration experience.

49 Thèse de 1972: Social networks and social classifications: an essay on the algebra and geometry of socials structure. 50 Thèse de 1973: A frequency-dependent natural selection model for the evolution of social cooperation.

51 Thèse de 1975 : Dual and multiple networks of social structure : a study of affiliation and interaction. 52 Thèse réalisée en 1979 : The organization and market structure in the construction industry. 53 Thèse réalisée en 1983 : Robust action : the joint determination of outcomes in social relationships. 54 Thèse réalisée en 1971: The southern farmers’ alliance: the organizational forms of radical protest.

55 Selon Convert et Heilbron, « au début des années 70, (…) beaucoup d’étudiants (…) se regroupent

autour de Michael Schwarz (…) qui est sur le plan scientifique un héritier de White et un spécialiste de l’analyse des réseaux. (…) De récentes avancées dans la technique d’analyse des réseaux et notamment de l'analyse de la centralité développée par Bonacich (1972) ont permis à Schwarz et à ses étudiants de relancer des recherches sur les« interlocking directorates », c’est-à-dire les liens entre entreprises créés par la participation croisée, la participation d’individus d’une entreprise au conseil d’administration d’une autre entreprise dont l’un des membres participe en retour au conseil d’administration de la première entreprise. Entre 1978 et 1980, Beth Mintz, Mark Mizruchi et Peter Mariolis soutiendront leur thèse sur ce sujet à Stony Brook. Ils mettront en évidence la centralité dans le réseau des entreprises américaines, de grandes banques commerciales et compagnies d’assurance new-yorkaises. Ces questions ont été étudiées jusqu’à aujourd’hui par deux sociologues issus eux-aussi de Stony Brook, Mark Mizruchi et Linda Stearns » (Convert et heilbron, à paraître, p. 8-9).

information in a suburban population) et qui écrit en 1985 l’article sur le concept

d’encastrement, considéré comme le texte fondateur de la NES.

Il faut dire que White crée en 1970 un nouveau « département de sociologie » à Harvard qui viendra parachever la rupture intellectuelle née de la création du « groupe de Harvard ». En effet, lorsqu’il arrive à Harvard en 1963, en tant que « professeur associé » (Azarian, 2003, p. 195), c’est, nous l’avons dit, au sein du « département de relations sociales » encore à l’époque dirigé par Parsons. Or, la prise de distance théorique de White à l’égard de la tradition structuro-fonctionnaliste de Parsons va se traduire par cet acte symbolique important d’un point de vue institutionnel. On peut citer les noms de Daniel Bell et Seymour Lipset parmi les professeurs qui le rejoignent dans ce département nouvellement créé et dont Homans occupera la chair jusqu’en 1975.

L’analyse des réseaux connaît donc à Harvard, grâce à White, un tournant décisif. C’est ce que soulignent, par exemple, Wellman et Berkowitz (1988)57 ou John Scott lorsqu’il parle de « la révolution de Harvard » [Harvard breakthrough] (1991, p. 33) pour qualifier le travail de ce groupe de recherche :

« les travaux de Mitchell, Barnes et Bott furent extrêmement influents en Angleterre, mais leur succès engendrèrent une identification forte de l’analyse des réseaux sociaux avec les idées assez particulières des anthropologues de Manchester. Cela confinait d’une part, l’objet de l’analyse des réseaux aux relations interpersonnelles informelles (aux relations de type communautaire) et, d’autre part, sa méthode à l’étude des réseaux « égocentriques ». On peut donc dire

que le tournant crucial vers l’étude des propriétés globales des réseaux sociaux dans tous les champs de la vie sociale n’avait pas eu lieu. Il se réalisa à Harvard. En effet, (…)

Harrison White et ses collaborateurs publièrent plusieurs articles qui étendirent la portée de ce type d’analyse. Rapidement le travail de ses étudiants et de ses

57 Wellman et Berkowitz écrivent ainsi : « Bien que l’analyse structurale ait de profondes racines dans

des traditions théoriques plus anciennes, les théoriciens des sciences sociales nord-américaines la reconnaissent comme une perspective spécifique depuis moins de vingt ans. Même si le travail fondateur date de 1965, les implications qu’elle pouvait avoir pour étudier de vastes structures sociales n’étaient pas très claires. Ce n’est qu’au milieu des années 70 qu’un groupe professionnel se forme autour de l’analyse des réseaux ainsi qu’un journal Social Networks est créé » (Wellman et Berkowitz, 1988, p. 1). Ils précisent en ces termes le rôle de White : « le groupe de recherche qui s’est constitué autour de Harrison White à Harvard dans les années 60 et 70 joue un rôle très important dans ces efforts » (Ibid., p. 21-22).

collègues donna lieu à un torrent d’articles qui firent de l’analyse des réseaux sociaux une méthode importante d’analyse structurale » (Ibid., p. 33-34, nos italiques).

Parallèlement à la création d’un groupe de chercheurs et à sa reconnaissance institutionnelle, White participe surtout à la construction de l’analyse des réseaux, en élaborant les concepts clés de ce courant théorique.