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La modélisation de l’information disponible

Le modèle de marché de production de White

A. La modélisation de l’information disponible

Pour White, l’information est d’abord concrète : outre leurs propres coûts, les entreprises disposent des seules informations sur les recettes et la quantité produite à partir des registres publics. White insiste également sur le caractère mutuel de l’observation : les comparaisons entre entreprises. Une niche ne peut exister seule.

Cette conception relative du concept de niche permet à White de montrer combien il est nécessaire de prendre en compte la comparaison et la concurrence sociales entre les entreprises pour analyser les comportements marchands. Ceci est d’autant plus fondamental qu’il veut montrer que les producteurs prennent leurs décisions de prix et de volume en fonction des décisions prises par leurs concurrents à la période précédente.

a. Le marché comme ensemble de niches

Dans le modèle qui nous occupe ici, l’information, disponible pour tous, prend la forme d’une position. Chaque producteur est en effet caractérisé par un couple (y,

W(y)), où y, rappelons-le, est la quantité produite, et W(y), les recettes correspondantes.

Or ce couple ne prend toute sa signification qu’au sein de l’ensemble de tous les couples caractérisant les entreprises d’un même marché, que White représente graphiquement par un nuage de points (comme sur la figure 2.6 ci-dessous).

L’information contenue dans chaque couple ne consiste donc pas simplement en une quantité de produits et un montant de recettes. Elle indique également la place, ou niche, de chacun par rapport à l’ensemble des entreprises d’un même marché.

Recettes W(y) Volume y • • • • • • • • • • • • Figure 2.6.

De cet ensemble de positions, les entreprises déduisent la structure du marché, qui prend la forme d’une courbe constituant une approximation,comme dans la figure 2.7, du nuage de points (y, W(y)) de la figure 2.6.

Figure 2.7

Cette courbe appelée W(y) est tour à tour qualifiée de « profil de marché » [market profile], « programme de marché » [market schedule] ou de « termes de l’échange ». En rassemblant les données (quantité produite, recettes réalisées) de toutes les entreprises à la période précédente, elle leur sert en effet de référence, de guide pour décider de leur production. Celles-ci la regardent en effet comme leur « propre ensemble d’opportunités » (White, 1981c, p. 521).

Cette hypothèse très particulière mérite d’être davantage explicitée. Il s’agit en fait pour White, comme pour Spence, de modéliser la façon dont le producteur compense un manque d’information sur la qualité des produits. Ne pouvant prendre ses décisions sur la base d’un indicateur de qualité inobservable, chacun se fonde sur la fonction continue W(.) qui lui indique sa propre position i comparée à celle des autres,

j, k, l etc. La fonction W(.), qui fait dépendre les recettes de la quantité produite définit

donc, au sein du marché, une structure hiérarchique commune à l’ensemble des entreprises et connue d’eux. L’expression de « structure hiérarchique » est utilisée pour signifier, au travers de cette courbe légèrement croissante, qu’il existe des firmes

Recettes W(y)

Volume y

produisant beaucoup de produits bas de gamme (donc en bas de la hiérarchie des qualités de produits) et d’autre produisant peu mais un bien haut de gamme — nous y reviendrons.

En 1987, Leifer et White illustrent leur propos à l’aide d’un exemple concernant les pizzas surgelées. Ils s’intéressent plus particulièrement à la manière dont le producteur Tony prend ses décisions sur le marché.

« Pour Tony, écrivent-ils, le marché est peuplé d’autres entreprises de pizzas surgelées qu’il connaît par leur nom et leur réputation. Une marque est associée à chaque entreprise de pizzas surgelées, ce qui confère à chacune d’elles des images publiques distinctes. (…) Jeno’s par exemple produit des pizzas en grande quantité mais peu chères. Stouffer’s, en revanche, utilise une ‘pâte à la française’ [french crust] faite maison en Ohio et trouve une clientèle plus raffinée à un prix plus élevé et une quantité bien plus faible. Celeste s’est quant à elle illustrée en proposant une qualité intermédiaire, la préférée des familles de classe moyenne pour lesquelles aucun parent n’a beaucoup de temps à consacrer à la cuisine » (Leifer et White, 1987, p. 87).

Les auteurs représentent les diverses positions qu’occupent ces firmes les unes par rapport aux autres par des points dont l’abscisse correspond à la quantité produite par la firme et l’ordonnée, aux recettes correspondantes. Le graphique suivant (figure 2.8) est alors proposé :

Il suffit de relier les différents points, de la firme fabriquant le produit de qualité la plus élevée à la firme fabriquant le produit de qualité la plus faible, pour trouver

W(y). Elle est donc une courbe qui regroupe l’ensemble des positions des différentes

entreprises.

b. Le lien quantité-prix sur les marchés viables

Dans l’exemple du marché des pizzas surgelés, la fonction W(.) est croissante et concave (voir figure 2.7). White définit en outre le prix P(y) comme le rapport des recettes sur la quantité produite W(y)/y. Lorsque la quantité augmente, les recettes augmentent mais la qualité décroît tout comme le prix. Les pizzas produites en plus grande quantité, bien que vendues moins cher, peuvent ainsi rapporter à leur producteur des recettes plus importantes115.

115 White ne se pose par la question de savoir si la production est automatiquement vendue, il en fait

implicitement l’hypothèse implicite. Si bien qu’il faut considérer la quantité produite y aussi comme le celle vendue par le producteur.

80 60 40 20 64.830 51.864 38.898 25.932 12.966

Quantité produite (millions d’unités) • Stouffer’s • La Pizzeria • Saluto • Celeste • Tony’s • Jeno’s • Tonino’s Figure 2.8. Recettes (millions de dollars)

Selon White, il existe donc un lien entre prix de vente et quantité produite ; notamment un prix faible est associé à une quantité élevée de production. Le sociologue explique ce lien par l’intermédiaire de la notion de réputation associée aux différentes firmes. La qualité étant inconnue, la réputation d’un producteur repose sur l’information disponible, à savoir les signaux de quantité et de recettes qui sont perçus par les autres

Dans cette configuration, le prix semble ne pas pouvoir être dissocié de la position de niche du produit. White dit utiliser « une notion de prix conçu comme prix dépendant de la quantité produite » (White, 1981c, p. 518).116 Et, dans l’explication qu’il en donne, se dessine le reflet du consommateur.

c. Le « reflet » du consommateur

Chez White, aucune fonction de demande ne croise de fonction d’offre. Et pour cause, ces fonctions sont inconnues. Leifer et White écrivent par exemple que : « les courbes de demande ne sont presque jamais disponibles » (Leifer et White, 1987, p. 86) ou encore que l’attrait du modèle repose précisément sur « la grande facilité d’utilisation des données comparées aux courbes en grande partie fictives des économètres » (Ibid., p. 90).

En fait, comme nous l’avons vu dans la section 1, White considère les notions d’offre et de demande comme des catégories inacceptables, parce que définies a priori.

Pour autant, la demande intervient bien dans le processus de décision du producteur mais ce, de manière indirecte. Elle est prise en compte dans la perception que les consommateurs ont concernant les produits des diverses firmes. La vue d’ensemble des niches définit un classement hiérarchique allant du bas de gamme au haut de gamme. Dans la mesure où, sur la période précédente, les ventes des différents produits ont bien eu lieu, c’est que les acheteurs ont conforté ces réputations en les acceptant comme telles.

Ainsi, si, pour White, la réputation d’une firme souffre d’un accroissement de ses parts de marché, c’est que, à une production de masse, les consommateurs

116 Nous détaillons cette conception du prix et la manière dont White explique la formation des prix

associent une faible qualité et n’achètent conséquemment pas le produit si celui-ci est vendu trop cher. Pour le marché des pizzas surgelées, par exemple, Leifer et White anticipent que :

« si Tony augmentait avec succès ses parts de marché, sa réputation s’en trouverait modifiée. Il deviendrait un producteur de masse de pizzas, la perception de la qualité de son produit déclinerait » (Leifer et White, 1987, p. 88).

Si donc, le prix ne baissaient pas, les pizzas de Tony resteraient invendues.

Les consommateurs jouent donc un rôle dans le maintien de la structure de niches. Ce rôle est plus précisément dépeint par White au travers de sa métaphore du miroir sans tain. Selon lui, le marché peut être compris comme une

« fenêtre particulière au travers de laquelle les entreprises ne peuvent pas voir les divers acheteurs alors que les acheteurs peuvent voir les entreprises. Le miroir sans tain est opaque au producteur et lui renvoie l’image de ses pairs. » (White, 2002, p. 34).

***

En résumé, pour prendre leurs décisions, les entreprises ne connaissent par la qualité des divers produits. Elles se réfèrent donc à la courbe W(y) qui leur indique leurs positions respectives et les réputations qui leur sont attachées. Cette courbe a donc une double signification : d’une part, les résultats observés (ou plutôt leur approximation) y sont lisibles — elle correspond en cela au «constat des résultats de la période précédente » (White, 2002, p. 27) ; d’autre part, ces résultats ainsi représentés forment un guide pour les futures décisions de la firme : cette courbe « offre aussi un cadre d’information que les entreprises utilisent pour prendre leurs décisions pour à la période suivante » (White, 2002, p. 27).