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Quelles sont les décisions des entreprises ?

C La compatibilité entre les recettes des entreprises et les valeurs attribuées par les acheteurs

A. Quelles sont les décisions des entreprises ?

Dans le modèle de décisions prises par les entreprises, White aboutit à deux types de résultat. Au niveau de la firme, d’abord, le processus de décision part de l’approximation W(.), l’entreprise choisit ensuite la quantité y, notamment en fonction de son type de qualité à la période précédente. Au niveau du marché, ensuite, le choix de toutes les entreprises conduit ainsi à reproduire W(.). C’est donc en ce sens, et seulement au niveau du marché dans son ensemble, que W(y) s’envisage comme un point fixe :

« C’est une indétermination de rétroaction classique dans laquelle les quantités produites dépendent de la teneur du programme de paiement qui, pour mener à

l’équilibre, doit dépendre des quantités produites choisies par les firmes » (White, 1981c, p. 530)125.

Ce que traduit le schéma suivant proposé par White (1981c, p. 529) :

Et c’est précisément pour cette raison, rappelons-le, que White a choisi d’utiliser le modèle de Spence.

Deux types de solutions sont donc apportés au modèle. Chacune des firmes, d’abord, décide de la quantité produite. Afin de montrer que celle-ci est fonction du niveau de qualité i de la firme, nous la notons y(i). Il s’agit d’une fonction microéconomique. Ensuite, l’ensemble des décisions de quantité conduit à W(y), l’ensemble structuré des recettes des firmes. Ce second résultat du modèle pourrait donc être cette fois qualifié de « macroéconomique », au sens où il reflète les résultats globaux des comportements des producteurs.

Pour spécifier ces solutions, il nous faut donc revenir sur la résolution du modèle à l’échelle de la firme. Prenons, pour ce faire, l’exemple d’une firme de qualité i. Celle-ci choisit, selon White, une quantité d’équilibre y* telle que W(y) – C(y,i) soit maximal.

125 Il sera plus explicite en 2002 en écrivant : « le raisonnement procède à l’envers : l’on suppose

l’existence d’un courbe W(y) qui est un profil viable de marché dans un contexte donné, menant à des termes de l’échange acceptés par les participants. On en déduit la forme de cette fonction W(y). » (White, 2002, p. 41).

W(y)

y(n)

W(y(n))

V(y(n))

W(y)

θ

Figure 2.11

Rappelons les quatre équations du modèle (transposées au producteur i) :

[1] W’(y) = C’y(y , i) (condition du premier ordre de maximi- sation de son profit par le producteur i) [2] C(y , i) = q.yc.id (fonction de coût du producteur i)

[3] S(y , i) = r.ya.ib (la fonction S(.) indique la valeur attri- buée par l’ensemble des consommateurs aux biens du producteur i)

[4] Error! = θ (hypothèse d’homothétie de l’échelle des valeurs et de celle des recettes)

De l’équation [2], on déduit que l’on a :

C’y(y , i) = q.c.y c − 1i d,

et donc, en remplaçant C’y(y , i) par q.c.y c − 1i d dans l’équation [1], que : [5] W’(y) = q.c.y c − 1i d.

En remplaçant, maintenant, dans l’équation [4], S(y , i) par son expression de l’équation [3], on obtient l’équation [6] suivante :

[6] W(y)= Error! yaib

En élevant [6] à la puissance – Error! et en multipliant avec [5], on obtient l’équation différentielle à variables séparées :

[7] W’(y).W(y)− d/b = q.c.Error! − d/b y c − 1 − ad/b

[la puissance – Error! est choisie de façon à ce que, par simplification, le terme i disparaisse]

Le membre de gauche de cette équation est la dérivée de F(y) = Error!. Quant à son membre de droite, il est de la forme g(y) = α y e − 1, avec α = q.c.Error! − d/b et

e = c − Error!. Il est donc la dérivée de G(y) = Error! y e.

En conséquence, la solution de l’équation [7] est de la forme : [8] W(y)= (Pye+K)f

où P, e et f dépendent des paramètres caractérisant les fonctions de coût et de satisfaction (à savoir q, r, a, b, c et d)126. Selon les valeurs données à ces paramètres, les

structures de marché prendront des formes différentes, l’idée étant de classer ainsi

126 Plus précisément, le paramètre f est égal à Error!, le paramètre e, à Error! et le paramètre P, à

divers secteurs de l’industrie. K est une constante d’intégration définie historiquement selon White : « il peut exister une foule de profils de marché correspondant. K est la variable qui permet de spécifier l’histoire des interactions qui conduit à l’établissement de tel ou tel profil » (White, 2002, p. 42)

Autrement dit, le paramètre K varie en fonction des événements passés. Plus précisément,

« K n’est pas fixé en fonction des attributs des acteurs et des marchés. Il peut prendre un grand nombre de valeurs arbitraires. Il résume les effets des hasards de l’histoire sur la forme des termes de l’échange, auxquels les acteurs se rallient » (White, 1981a, p. 19).

Lorsque le paramètre K est nul, on se trouve dans le cas où, à quantité nulle correspond une recette nulle ; il serait alors logique, sur le plan mathématique notamment, de supposer K nul. Cependant, dans ce cas, les taux de profit sont alors les mêmes pour toutes les firmes. Dans la mesure où White souhaite rendre compte de l’observation générale selon laquelle les profits sont inégaux, il confèrera à K une valeur souvent différente de 0127.

La solution [8] établit un lien entre les variables y et W(y) tel que les décisions de recettes et de quantité apparaissent indissociables. Rappelons que les recettes W(y) augmentent dans le même sens que la quantité. White estime donc avoir retrouvé là la forme W(.) supposée par l’ensemble des firmes au début du processus de prise de décisions.

La quantité produite y* solution du problème de décision est sensiblement plus difficile à poser en équation.

On remplace, pour ce faire, l’expression de W(y) dans l’équation [6] : [6] ib= Error!W(y).y − a

On obtient alors :

[9] ib= Error!(Py e+K) f.y − a

S’il est impossible de déterminer la solution explicite de cette équation à deux inconnues i et y, le théorème des fonctions implicites permet de dire qu’il existe une fonction qui, à tout i, associe y(i) et qui vérifie [9].

Cette fonction peut toutefois être explicitée dans le cas où K = 0. L’équation [9] devient alors en effet ib= Error!P f.y ef − a

On en déduit : y(i)K=0 = Error!Error!

Si l’on représente l’ensemble des y(i) sur la courbe W(.) d’équation [8], on retrouve le profil de marché W(y) supposé au départ :

« En agissant à partir de ce qu’elles observent, écrit White, les entreprises reproduisent la situation observée » (White, 1981c, p. 518).

On retrouve dans ce modèle les aspects majeurs de la théorie des marchés de White.

Premièrement, y apparaît la nature spécifiquement structurale de l’explication des comportements marchands. White montre que les décisions concernant la quantité dépendent de la qualité de ce qui est fabriqué. Car Sans un tel cadre structural, les décisions sont indéterminées :

« D’un point de vue mathématique et pratique, les entreprises dépendent de la structure comme cadre pour la prise de décision… Rien ne peut débarrasser Tony de son interdépendance sociale vis-à-vis des autres entreprises pour définir son ensemble d’opportunités, ou débarrasser le chercheur d’une dépendance dans les données » (Leifer et White, 1987, p. 95).

Deuxièmement, la volonté de faire apparaître le caractère stable du marché est manifeste dans le choix d’un modèle en termes de point fixe. Du fait de l’autoréalisation, les marchés y apparaissent comme des structures se reproduisant à l’identique, « des cliques auto-reproductrices de firmes » (White, 1981c, p. 520).Ainsi :

« A l’équilibre, écrit White, le cadre des choix faits par les entreprises doit être exactement le programme de marché observé défini par la courbe W(.)» (White, 1981c, p. 524, nos italiques)128.

128 Nous reviendrons sur la normativité sous-jacente à l’utilisation au verbe « devoir » [must] que White

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Les rôles sont perpétués de période en période. La structure maintient donc les firmes dans leurs niches respectives.

Troisièmement, White introduit par le biais du modèle, une hypothèse implicite quant aux comportements des entreprises qu’il approfondira une dizaine d’années plus tard. Selon lui, si les entreprises tendent à prendre des décisions qui ne modifient pas leurs niches et donc, valident la hiérarchie de niches qui structure le marché sur la période antérieure, c’est afin de ne pas prendre le risque de perdre des parts de marché. En effet, face à un environnement dont les producteurs ne savent rien d’autre que ce que véhiculent les signaux envoyés par les autres entreprises, la décision la plus raisonnable pour eux est le maintien de leur position dans la structure.

S’ils choisissaient de s’écarter de cette position et donc de la courbe W(.), il n’y aurait alors plus de cadre de référence pour la période suivante. Car si l’ensemble des points (y, W(y)) ne forme pas une figure simple et reconnaissable, dont la courbe W(y) puisse constituer une approximation, alors les entreprises ne sauront trop comment agir, et on sera en présence d’un système instable, dont on ne peut dire grand-chose tel celui de la figure 2.12 (correspondant à la figure 2.1 in White, 2002, p. 29) :

Figure 2.12

Si seul l’un des producteurs s’écarte de W(.), cela peut aussi signifier que le producteur en question n’appartient tout simplement pas ou plus à ce marché mais à un autre.

En quatrième et dernier lieu, on trouve, dès cette version initiale du modèle de White, la volonté de mettre l’accent sur une dimension plus pratique de sa théorie. Selon lui, le modèle peut servir aux entreprises pour prendre leurs décisions de sorte que « le marché devienne un système réaliste qui peut être utilisé par des entreprises concrètes » écrivent Leifer et White (1987, p. 105). Le modèle est en effet relativement facile à utiliser par les firmes car chacune d’entre elles

« connaît ses propres coûts de production pour une gamme de quantités. Elle n’a qu’à confronter ses coûts avec les opportunités de recettes possibles sur le marché et sélectionner la quantité produite appropriée qui maximise son profit. Ceci peut être fait [par Tony] avec un graphe [la figure 2.14 ci-dessous] (…) et une règle » (Leifer et White, 1987, p. 89).

Figure 2.14

Ainsi les hommes d’affaire peuvent-ils, selon Leifer et White, agir en fonction du cadre analytique défini par le modèle qui acquiert là une dimension pratique, une dimension que Leifer, commentant le modèle de White qualifie de « positive » :

« les entreprises peuvent construire, utiliser, reproduire le mécanisme du marché sans l’intervention de l’économètre ou d’un consultant (…). Le modèle affiche donc une ambition positive » (Leifer, 1985, p. 444).

Pour pouvoir comparer ses coûts au programme de marché W(y), le producteur doit toutefois connaître les valeurs des paramètres θ, γ, et K, ce qui ne va évidemment pas de soi.