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Une première ébauche de l’ARS de White ?

Le tournant vers l’analyse des réseaux : une analyse structurale « concrète »

C. Une première ébauche de l’ARS de White ?

L’analyse de la mobilité sociale met en relief un nouveau type de concept de réseau, ce dernier étant conçu comme chaîne. Les enseignements que l’on peut en tirer quant à la définition de l’analyse structurale de White sont multiples.

En premier lieu, on constate que l’analyse de la mobilité sociale conserve l’aspect formel et modélisé déjà présent dans les années 1960. White signe ici un deuxième ouvrage relevant de la sociologie mathématique, et dans lequel modélisation et enquête empirique sont mêlées :

« Dans ce travail, écrit-il, apparaît implicitement une manière de construire et d’utiliser les modèles mathématiques en sciences sociales. Un simple concept, les chaînes d’opportunités, stimule et dirige la recherche. Cependant les analyses de données concrètes façonnent les modèles depuis les premiers mois » (White, 1970, p. vii).

31 « L’expression Chains of Opportunity, expliquera t-il ultérieurement, signifie qu’il faut systématiquement

aller saisir la nature des structures de possibilités et la manière dont les contingences en termes d’opportunités peuvent être rendues compatibles entre elles » (1990, p. 81).

L’analyse structurale semble donc définitivement s’inscrire dans cette voie.

En second lieu, elle met en relief une conception spécifique du réseau. Il apparaît que si la notion de réseau était employée de manière métaphorique dans ses travaux antérieurs, afin de faire apparaître qu’un individu est au cœur de multiples liens de parenté, White la mobilise en revanche ici à de nombreuses reprises, et ce, dans un tout autre esprit. Il l’utilise en effet pour souligner trois points :

— Il s’agit pour lui de mettre l’accent sur l’enchaînement des faits microsociaux dans le temps et dans l’espace provoqué par un événement initial, la mobilité étant alors conçue comme un processus macrosocial dynamique.

— Le réseau est mobilisé pour décrire la chaîne d'événements qui se produisent concrètement dans une réalité qui est chaotique et à partir de laquelle on ne peut que proposer des modèles stochastiques.

— Le réseau, enfin, permet de procéder à une étude relationnelle des faits sociaux et non de les considérer isolément.

C’est plus précisément sur ce troisième point, la dimension relationnelle de l’analyse, que nous souhaitons mettre l’accent car White lui accordera par la suite toute son attention. Avec l’étude des chaînes, White montre les deux apports principaux d’une analyse structurale fondée sur la notion de réseau de relations.

— En étudiant, les chaînes d’événements White ne se situe ni à un niveau micro, ni à un niveau macro mais d’emblée à un niveau intermédiaire. « Au sein de la sociologie, écrit-il ainsi, l’analyse des réseaux est probablement la plus pertinente parce que la plupart des approches conventionnelles de la théorie des rôles sont soit trop macro, soit trop micro pour être utilisées pour l’examen des structures sociales tangibles » (1988, p. 229). Le niveau intermédiaire qui est celui de la relation permet en outre de ne pas supposer soit l’individu, soit la société comme des données.

Par ailleurs, l’analyse structurale qui se donne à lire dans Chains of Opportunity procède par agrégation des objets sociaux (acteurs, groupes, événements) en fonction, non pas d’attributs définis a priori, mais des relations sociales mises en évidence entre eux. Ce faisant, elle permet de rendre compte de la réalité de la structure qui est donc définie comme ensemble de relations sociales concrètes entretenues par les acteurs sociaux. En outre, les individus ne sont plus définis

selon leurs caractéristiques individuelles qui les regroupent en catégories, mais selon les positions qu’ils occupent au sein d’une structure sociale.

L’ouvrage de 1970 de White permet ainsi d’esquisser « l’analyse des réseaux sociaux » telle qu’elle sera construite par White dès l’année suivante et qu’il considère comme le meilleur moyen permettant d’appréhender les structures sociales concrètes, ainsi qu’il le revendique de manière tout à fait explicite par la suite :

« je pense que les relations de réseaux sont très importantes (…), c’est une manière particulière de concevoir la structure, mais ce n’est certainement pas la seule manière. J’ai tendance à être un peu obsessionnel et à en faire la seule manière, parce que je pense que c’est une voie très fructueuse. Mais le réseau est un concept très subtil avec toutes sortes d’aspects » (White, 2001, p. 5).

Avant d’examiner de quelle manière il fonde plus précisément cette analyse des réseaux, comme moyen de l’analyse structurale, deux remarques s’imposent.

L’analyse structurale menée dans Chains of Opportunity pourrait être considérée comme un premier type d’analyse des réseaux dans le travail de White. Ce n’est toutefois pas ce type d’analyse qu’il définira explicitement comme telle, ni d’ailleurs qui est généralement retenue lorsque l’on parle de « l’ARS de White ». Ce n’est pas non plus celle qu’il applique à l’étude des marchés — nous y reviendrons.

Il faut aussi noter que, en se penchant sur le marché du travail, White aborde, pour la première fois, l’étude des phénomènes économiques. Il montre en particulier que la prise en compte des relations sociales est nécessaire à la compréhension du marché du travail. « J’espère faire apparaître, écrit-il, le lien entre les disciplines sociologique et économique » (White, 1970, p. vii). Il inscrit ainsi le concept de réseau dans une analyse qui se situe au croisement de l’économie et la sociologie.

Section 3

La fondation de l’analyse des réseaux