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Chapitre 1 – Mise en contexte et problématique

1.3. Les défis contemporains du système alimentaire mixte au Nunavik

1.3.3. Vulnérabilité face aux changements climatiques

Le climat mondial subit aujourd’hui des changements rapides, avec des implications pour la vie et les moyens de subsistance des populations à travers le monde. Les populations autochtones ont été identifiées comme particulièrement vulnérables parce qu'elles vivent dans des régions en pleine mutation, qu’elles continuent de s'appuyer sur des moyens de subsistance dépendants des ressources naturelles et qu’elles ont souvent connu la colonisation et un changement culturel dont les héritages continuent d'aggraver les défis actuels (Ford, 2009; Gérin-Lajoie, Cuerrier et Siegwart Collier, 2017; Leduc, 2010; Schoolmeester et al., 2019). Ce cas de figure s’applique aux Inuit, qui, tels que mentionnés précédemment, ont traversé au cours du siècle dernier une multitude d’événements marquants qui ont définitivement bouleversé leur mode de vie traditionnel.

Dans les régions polaires, arctiques comme antarctiques, les effets des changements climatiques sont non seulement attendus plus précocement qu’ailleurs sur la planète, il est également prévu qu’ils se fassent sentir de façon significativement plus importante (Chapin III et al., 2012). Le rapport scientifique de l’Arctic Climate Impact Assessment (ACIA) sur les changements climatiques tire dix constats principaux pour les régions nordiques et leurs habitants4 :

1. Le climat arctique se réchauffe rapidement et des changements beaucoup plus importants sont prévus.

2. Le réchauffement de l'Arctique et ses conséquences ont des implications mondiales.

3. On prévoit que les zones de végétation arctiques se déplaceront, ce qui aura des répercussions de grande envergure.

4. La diversité, les variétés et la distribution des espèces animales changeront. 5. De nombreuses communautés et installations côtières sont de plus en plus exposées aux tempêtes.

6. La diminution de la banquise est très susceptible d'accroître le transport maritime et l'accès aux ressources.

7. La fonte du pergélisol perturbera les transports, les bâtiments et autres infrastructures.

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8. Les communautés autochtones seront confrontées à des impacts économiques et culturels majeurs.

9. Les niveaux élevés de rayonnement ultraviolet affecteront les personnes, les plantes et les animaux.

10. De multiples influences interagissent pour causer des impacts aux personnes et aux écosystèmes (Meakin et Kurvits, 2009, p. 13).

En accord avec ces constats, de plus en plus de chercheurs font référence au Nord comme étant le « canari dans la mine » des changements climatiques, c’est-à-dire l'endroit où l'apparition des changements climatiques sera la plus évidente avant de déclencher des changements dans d'autres régions du monde, une sorte d’avertissement de ce qui s’en vient pour le reste de la planète (Leduc, 2010). L’augmentation du CO2 atmosphérique va

probablement concourir à un réchauffement de 5 à 10°C aux pôles, ce qui entraînera des dérèglements climatiques importants, affectant l’évaporation, l’ennuagement et les précipitations (Chapin III et al., 2012). Les écosystèmes de ces régions, qui jouent un rôle crucial dans l’alimentation des Inuit, ont déjà commencé à être affectés par ces changements (Ford, 2009; Gérin-Lajoie et al., 2017; Holzman, 2011).

Les changements climatiques affectent la pratique de la chasse et de la pêche de différentes façons. L’augmentation des températures, la transformation des dynamiques de la glace de mer, l’accroissement des événements météorologiques extrêmes et le dérèglement des saisons sont tous des facteurs qui haussent les risques associés aux déplacements sur le territoire et sur la glace et qui affectent la santé et la disponibilité de certains animaux importants pour la subsistance des Inuit (Berkes et Jolly, 2002; Ford, 2009). Par exemple, le réchauffement des étendues d’eau a un impact négatif sur l’omble arctique, car il réduit la taille de son habitat et crée des conditions plus attrayantes pour de nouvelles espèces invasives (AMAP, 2009). Par ailleurs, les parcours migratoires et la distribution spatiale de certains animaux tels que le caribou seront modifiés par le réchauffement du climat (Meakin et Kurvits, 2009).

Les activités de cueillette sont aussi menacées par les changements climatiques. En effet, il est attendu que les zones de végétation sont perturbées et que des arbustes colonisent des latitudes de plus en plus élevées (Berner et Heal, 2005). Un couvert arbustif plus dense, combiné à des périodes de croissance plus longues et plus chaudes pourrait nuire à certaines plantes à petits fruits, et particulièrement les airelles rouges et les myrtilles des marais

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(Allard et al., 2012). La présence de ces arbustes modifie aussi la distribution et la tenue de la neige au sol, ce qui affecte par ricochet le pergélisol, la rétroaction à l’atmosphère et les voies de transport des humains comme des animaux (Allard et al., 2012). En somme, les changements climatiques dans l’Arctique, plus prononcés qu’ailleurs dans le monde, affectent la disponibilité, l’accessibilité et la qualité de sources d’aliments traditionnels qui sont importantes pour les Inuit. La pratique des activités de subsistance et la sécurité de ces activités s’en retrouvent également perturbées (Brinkman et al., 2016; Meakin et Kurvits, 2009; Schoolmeester et al., 2019). Les changements climatiques posent donc un défi de taille pour l’adaptation des stratégies de subsistance.

Dans le monde, l’ajustement au dérèglement des éléments du climat sera plus difficile pour les groupes sociaux qui sont d’ores et déjà dans une situation de vulnérabilité, tel que c’est le cas pour les Inuit de l’Arctique canadien (Bohle, Downing et Watts, 1994). L’intégration du Nunavik dans le système alimentaire global fait en sorte que les Inuit subissent également les défauts inhérents à celui-ci, et notamment les hausses de prix sur les denrées agricoles provoquées par des événements climatiques extrêmes dans d’autres régions du monde, tels que les épisodes d’inondations dans le sud du Québec ou encore de sécheresse en Californie, dont les effets se répercutent par de brutales hausses de prix et des ruptures dans l’approvisionnement.