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Les grands projets hydro-électriques et la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec

Chapitre 1 – Mise en contexte et problématique

1.2. Transformations alimentaires et territoriales

1.2.3. Les grands projets hydro-électriques et la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec

Au Canada, les politiques d’aménagement territorial relèvent des compétences des gouvernements provinciaux. En 1963, le premier ministre du Québec Jean Lesage fonde la Direction générale du Nouveau-Québec (DGNQ) qui existera entre 1963 et 1978. Les responsabilités officielles de la DGNQ étaient l’administration et l’aménagement du territoire, l’installation des services publics ainsi que l’organisation de la vie matérielle des villages autochtones (Hamelin, 1998). Le bureau de la DGNQ était affilié au Ministère des richesses naturelles, ce qui illustre que l’intérêt envers les territoires nordiques continuait à concerner d’abord et avant tout l’exploitation des ressources naturelles (Lasserre et Lechaume, 2003). C’est durant cette période que le gouvernement québécois cherche à se moderniser en mettant de l’avant un projet de développement phare : la mise en valeur du potentiel hydro-électrique des grandes rivières du nord. Or, la « mise en valeur énergétique » des rivières et fleuves québécois, que le premier ministre Robert Bourassa a qualifié de « projet du siècle » en 1971,

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a entraîné un conflit territorial majeur avec les populations cries et inuit, notamment parce que la création de barrages a nécessité l’ennoiement de grands territoires, engendrant l’expropriation des populations et la dégradation de l’environnement (Lasserre, 2009). De plus, avant de mettre en branle ces grands projets, les populations cries et inuit n’avaient pas été consultées (Administration régionale Kativik, 2014). Face à cette situation, les Cris et les Inuit ont réussi à faire cesser les travaux de construction du barrage dans le cadre du projet hydro- électrique de la Baie-James en 1972, en obtenant une injonction de la cour. Bien que cette décision judiciaire ait par la suite été annulée par la Cour Suprême, le Gouvernement du Québec s’est fait ordonner par le tribunal de s’entendre avec les populations autochtones présentes sur le territoire des projets. Les négociations subséquentes ont mené à la signature, en 1975, d’un accord de revendications territoriales historique, soit le premier traité dit « moderne » entre le gouvernement et des populations autochtones au Canada : la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec (CBJNQ). Cet accord transfère des compétences dans plusieurs domaines en créant notamment différentes institutions inuit : une administration régionale, une commission scolaire et des corporations foncières. La signature de la CBJNQ était également assortie d’une indemnisation de base de 75 millions de dollars (Convention de la Baie-James et du Nord québécois et conventions complémentaires, 1975).

Les données présentées ci-après sur le découpage du territoire opéré par la CBJNQ sont tirées directement de la Convention (Convention de la Baie-James et du Nord québécois et conventions complémentaires, 1975). Le régime des terres que la CBJNQ met en place est décrit dans son cinquième chapitre. Le territoire est ainsi découpé en terres de catégorie I, II et III (Figure 1.2). Les terres de catégorie I représentent un total de 8 107 km2 et correspondent de

façon générale à l’emplacement des 14 villages et à leur environnement immédiat. Cela correspond à une moyenne de 560 km2 par village, soit environ 24 km de long pour 24 km de

large. La propriété de ces terres a été transférée aux corporations foncières inuit créées par une loi spéciale dans la foulée de la CBJNQ. Ces terres sont dédiées à des fins communautaires inuit, que ce soit à des fins résidentielles, commerciales ou encore, industrielles. Si le gouvernement du Québec y demeure propriétaire du sous-sol, aucun minéral ne peut être extrait ou exploité dans les terres de la catégorie I sans le consentement de la corporation communautaire inuit concernée.

Quant à elles, les terres de catégorie II couvrent 90650 km2 et sont situées, le plus souvent, au

pourtour des terres de catégorie I. Cela donne une moyenne de 6 500 km2 par village. Les Inuit

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possession de terres de la catégorie II à des fins de développement, à condition de les remplacer. Les non-Inuit ne sont pas autorisés à chasser, à pêcher ou à trapper dans les terres de la catégorie Il sans le consentement des Inuit. Finalement, les terres de catégories III sont, en pratique, des terres publiques appartenant au Gouvernement du Québec. Les Inuit ont le droit d’y exercer leurs activités de subsistance, mais n’y ont de droits exclusifs que pour certaines espèces de poisson. Bien que les pratiques du gouvernement du Québec en matière de consultation et de respect des droits des populations autochtones demeurent imparfaites jusqu’à ce jour, la CBJNQ a posé les bases d’une autonomie politique et territoriale qui octroie aux Inuit certains outils pour protéger leur territoire nourricier (Petit, Viger, Aatami et Iserhoff, 2011; Thériault, 2009).

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Source : extrait de : Environnement Canada et Géolocation (2011)

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Suite à la signature de la CBJNQ, le Gouvernement du Québec a poursuivi le développement du potentiel hydro-électrique du Nord. L’hydroélectricité, devenue source de fierté pour les Québécois méridionaux, est aujourd’hui majoritairement produite dans les régions du Nord- du-Québec et de la Côte-Nord où se situent les centrales les plus importantes (Ministère de l’Énergie et des Resources Naturelles, 2013). Grâce aux infrastructures de production et de distribution, la puissance installée au Québec s’établit à 42 368 MW, dont plus de 97% proviennent d’énergies renouvelables (Ministère de l’Énergie et des Resources Naturelles, 2013). Cette abondance énergétique a permis à la population québécoise de se hisser au troisième rang des plus grands consommateurs mondiaux d’énergie derrière l’Islande et la Norvège et loin devant d’autres pays capitalistes avancés comme les États-Unis et la France qui consomment respectivement deux et trois fois moins d’électricité par habitant (Ministère de l’Énergie et des Resources Naturelles, 2013). L’acheminement de cette énergie jusqu’aux grands centres urbains du Sud a requis la construction d’imposantes infrastructures. Hydro- Québec qualifie ces réalisations de prouesses techniques et d’exploits qui ont marqué la Révolution tranquille et lui ont valu une renommée internationale (Hydro-Québec, 2017). Pour Lasserre (2009), au-delà du développement économique qu’ont permis les grands barrages hydroélectriques, le « projet du siècle » revêtait aussi des ambitions géopolitiques. En effet, il a autorisé une prise de possession physique symbolisant l’emprise politique du gouvernement québécois sur l’ensemble du territoire provincial et de l’appartenance du nord à la province du Québec.

Les 14 villages du Nunavik ne sont quant à eux pas connectés au réseau électrique provincial, mais sont plutôt fournis en énergie par des réseaux autonomes alimentés par des groupes électrogènes fonctionnant au diesel. Ce type de centrale thermique au diesel est plus coûteux à opérer, mais également source d’une pollution atmosphérique et sonore (Hydro-Québec, 2013). Les Inuit sont à cet égard dépendants d’un ravitaillement annuel par bateau pour l’ensemble de leur production électrique ainsi que pour l’énergie consommée par leurs véhicules. La répartition spatiale inégale des infrastructures de production d’électricité sur le territoire du Québec a affecté les activités de subsistance des Inuit. Cela est évident pour ceux et celles qui ont été déplacés et dont les territoires de chasse ont été inondés. Mais l’équipement des villages du Nunavik en infrastructures de production d’une énergie non renouvelable, coûteuse et polluante suscite également le mécontentement des organisations inuit qui y voient une limitation pour le développement économique de la région et une

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source d’inquiétudes quant à la contamination de l’environnement naturel dont ils dépendent encore pour leur subsistance et leur bien-être (Administration régionale Kativik, 2014; Harbour-Marsan, 2018).