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Chapitre 1 – Mise en contexte et problématique

1.4. Questions et hypothèses

La crise alimentaire qui sévit dans l’Arctique canadien est symptomatique d’une transition inachevée entre deux modes d’habiter et d’un équilibre qu’il reste à trouver entre les possibilités qui s’offrent actuellement aux résidents du Nord, puis les solutions qu’il reste à imaginer pour le futur. La problématique alimentaire qui sévit dans les territoires nordiques s’inscrit dans le contexte global d’un système alimentaire de plus en plus intégré et dominé par les intérêts des grandes corporations transnationales dont les circuits d’approvisionnement ne permettent pas de nourrir convenablement la population mondiale. Les règles du système alimentaire mondial ne s’appliquent pas de la même façon au Nunavik et ailleurs dans le monde. Les inégalités sociospatiales, de santé et économiques vécues par ses habitants sont nombreuses et limitent leur possibilité d’accéder à la sécurité alimentaire comme à la souveraineté alimentaire. À celles-ci s’additionne une multitude de facteurs environnementaux qui peuvent également être considérés comme contribuant à la situation d’injustice sociale et environnementale vécue par les Inuit. La transition du système alimentaire en cours au Nunavik positionne sa population à l’intersection de deux territorialités appartenant aux deux grands paradigmes de relations humains-milieux : d’une part un mode de vie de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs semi-nomades et d’autre part un mode de vie sédentaire dont la subsistance est basée sur l’agriculture. C’est l’ensemble du rapport au territoire qui se trouve bouleversé par la modification de l’alimentation.

Le questionnement principal autour duquel s’articule cette thèse est le suivant : En quoi la transition du système alimentaire et les territorialités antagoniques qu’elle sous-tend affectent-elles la capacité des Nunavimmiut à accéder à une alimentation favorisant la santé et le bien-être?

Je soumets l’hypothèse que la nouvelle configuration du système alimentaire modifie les interactions humains-milieux de telle sorte qu’elle devient incompatible à la fois avec les écosystèmes du Nunavik, et avec la culture et l’identité inuit. Je soutiens que la lente transition du système alimentaire entamée lors des premiers échanges soutenus avec la HBC et Révillon Frères répondait à une logique coloniale et marchande qui a profondément bouleversé la territorialité inuit d’une manière insidieuse et progressive. Cette dépendance accrue envers un système économique exogène transforme la dimension matérielle de la relation au territoire parce que les déplacements sur le territoire et les stratégies de chasse

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sont modifiés pour répondre aux nouvelles exigences d’une économie marchande. L’intégration de plus en plus forte du Nunavik dans l’espace de la globalisation néolibérale demeure singulière d’un point de vue spatial, car si l’espace relatif entre les villages du Nunavik et les grands centres s’est fortement réduit, l’espace absolu et l’espace relationnel continuent à compter pour beaucoup dans la définition du système alimentaire inuit.

1.4.1. Premières question et hypothèse secondaires : interactions humains-

milieux et souveraineté alimentaire

En s’intéressant à la fois aux aliments du marché et aux aliments du terroir, la première question secondaire vise à comprendre : comment s’articulent la transformation des interactions humains-milieux et l’évolution du statut de souveraineté alimentaire au Nunavik depuis la sédentarisation?

Je soumets l’hypothèse que le rôle subalterne des territoires nordiques dans la chaîne agroalimentaire limite leur accession à une plus grande souveraineté alimentaire. Je soutiens également que l’intensification progressive des liens entre économie inuit et économie globalisée a concouru à placer les territoires nordiques dans une position d’échange inégal et de dépendance envers les producteurs et les fournisseurs d’un secteur agroalimentaire exogène au sein duquel les résidents du Nord ont peu d’occasions de se faire entendre.

1.4.2. Deuxièmes question et hypothèse secondaires : représentations et

imaginaire géographique

Suite à plusieurs décennies de transformations drastiques, je souhaite ensuite améliorer la compréhension de la façon dont ces changements de l’alimentation sont perçus par les Inuit en me demandant : comment la transformation drastique du système alimentaire du Nunavik affecte la façon dont les Inuit se représentent et s’identifient à leur alimentation?

À travers ce questionnement, je m’intéresse à l’imaginaire géographique et aux valeurs qui sont associées aux différents types d’aliments ainsi qu’à leur provenance. Je chercherai par exemple à connaître leur degré d’appréciation des différents types d’aliments. Je soumets l’hypothèse d’un décalage entre les représentations de l’alimentation et ses métarécits ancrés

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dans une relation humains-milieux millénaire, puis l’alimentation réelle dont la vision marchande appose une valeur monétaire aux éléments de la nature. Je soutiens également que ce décalage entre les aspirations des Inuit et leur diète réelle participe à un sentiment de mal-être, car la dimension symbolique de l’alimentation du marché s’oppose aux valeurs culturelles que les Inuit associent à l’alimentation, telle que l’importance du don et du partage.

1.4.3. Troisièmes question et hypothèse secondaires : les pistes de solutions

Une multitude de programmes ont été mis en place au cours des dernières décennies pour pallier les effets néfastes de l’insécurité alimentaire qui prévaut au Nunavik. Or, force est de constater que beaucoup d’efforts devront encore être faits pour permettre aux Inuit d’accéder à une alimentation en quantité et en qualité suffisantes. Dans le cadre de cette troisième question secondaire, je m’intéresserai aux pistes de solutions et aux leviers d’action déjà en place et à imaginer afin de mettre en place une stratégie alimentaire holistique qui permettrait d’améliorer les relations alimentation-bien-être-environnement au Nunavik. Je me demanderai : quelles sont les solutions envisageables pour améliorer l’accès aux différents types d’aliments et quelles pourraient être leurs contributions pour améliorer la sécurité et la souveraineté alimentaire ?

Je soumets l’hypothèse que la production locale d’aliments « non-traditionnels », par exemple à travers les projets de jardinage et d’élevage, s’inscrit dans une démarche visant une plus grande souveraineté alimentaire et une protection envers les failles du système alimentaire globalisé. Devant les effets déstructurant de la sédentarisation, les Inuit cherchent à s’approprier les méthodes de production alimentaire associées au mode de vie sédentaire pour en tirer également les retombées positives. Le développement d’une production maraîchère au sein des villages pourrait permettre de renforcer le système alimentaire local et d’ajouter une troisième voie à l’offre actuelle articulée autour des aliments du terroir et des aliments du marché. Cette nouvelle possibilité pourrait favoriser la résilience du système socioécologique, solidifier les liens entre santé, bien-être et environnement et permettre de réfléchir à une transition vers un modèle de développement alimentaire durable, c’est-à-dire poursuivant le triple objectif d’équité sociale, de viabilité économique et écologique.

Chapitre 2 – Cadre conceptuel et approche