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« Il suffisait que quelque chose craque, un jour, qu’une agence ferme ses portes, ou qu’on les trouve trop vieux, ou trop irréguliers dans leur travail, ou que l’un d’eux tombe malade, pour que tout s’écroule. Ils n’avaient rien devant eux, rien derrière eux. Ils pensaient souvent à ce sujet d’angoisse. Ils y revenaient sans cesse, malgré eux. Ils se voyaient sans travail pendant des mois entiers, acceptant pour survivre des travaux dérisoires, empruntant, quémandant. Alors, ils avaient, parfois, des instants de désespoir intense : ils rêvaient de bureaux, de places fixes, de journées régulières, de statut défini ».

Georges Perec2

Après cette prise de repères qui a permis de situer la nature et l’ampleur des processus de précarisation de l’emploi, je propose d’aborder quelques aspects de l’expérience que vivent concrètement les salariés. Je n’évoquerai pas la longue liste

1 GALTIER B., « Le temps partiel est-il une passerelle vers le temps plein ? », Économie et statistique, n° 321-322, 1999.

des « inconvénients » qu’il y a à connaître la précarité financière, l’absence de contrôle sur l’avenir proche, la difficulté à s’épanouir dans et par le travail... Ces éléments sont autant de réalités connues dont une nouvelle énumération ne serait pas utile à mon propos. Néanmoins, je voudrais proposer quelques perspectives de réflexion autour de la question de savoir « quelle vie ça fait », ou plutôt, quelle vie on se fait, lorsqu’on expérimente la précarité de l’emploi. Trois points en particulier me semblent appeler quelques éléments de réponse ou de commentaire, correspondant à trois dimensions essentielles de l’existence :

– les conditions matérielles de vie : quelles continuités peut-on établir entre les situations de précarité et l’état de pauvreté ?

– les relations sociales : qu’en est-il des liens entre expériences de la précarité et relations de sociabilité ?

– les temporalités : quels régimes temporels caractérisent les expériences de la précarité de l’emploi ?

Précarité et pauvreté

Il serait logique qu’ayant des parcours professionnels discontinus, souvent entrecoupés de périodes de chômage, les personnes qui travaillent en contrats précaires connaissent plus que les autres des situations financières difficiles. Et c’est le cas en effet : en 1996, 10% des salariés ayant travaillé toute l’année en CDD ou en intérim sont des « travailleurs pauvres1 ». Le fait de travailler à temps partiel est également associé à des formes de pauvreté : cela concerne 5% des personnes travaillant en CDI à temps partiel depuis au moins un an. Il convient d’ajouter que le revenu plus faible des personnes travaillant à temps partiel ne s’explique pas uniquement par le moindre nombre d’heures effectuées, ni même par la moindre qualification des salariés concernés par cette forme d’emploi. Car même en contrôlant ces deux effets, ainsi que l’âge, l’ancienneté, le secteur d’activité et la taille de l’établissement, le salaire horaire des hommes exerçant à temps partiel est inférieur à celui des hommes salariés à temps complet (la différence étant nettement

1 Est défini comme « travailleur pauvre » une personne dont le revenu disponible annuel est inférieur à 50% du revenu médian. Le revenu disponible comprend les revenus annuels déclarés au FISC augmentés des prestations sociales non imposables, et diminués des impôts directs. Cf. : LAGARENNE C., LEGENDRE N., « Les "travailleurs pauvres" », INSEE Première, n° 745, 2000. Les données sont issues de l’enquête INSEE « Revenus fiscaux » de 1996.

plus marquée pour les professions intermédiaires)1. On ne note pas cette différence de salaire chez les femmes.

La discontinuité de l’activité professionnelle est donc indéniablement un facteur fragilisant sur le plan financier, qu’il est plus pertinent d’apprécier à l’échelle du revenu annuel qu’à celle du revenu issu d’un emploi ponctuel. Mais au-delà de la mesure strictement quantitative, la fragilité financière des « salariés de la précarité » se traduit par un ensemble de difficultés liées à l’instabilité et à l’imprévisibilité des revenus : en l’absence de CDI, il est extrêmement difficile par exemple d’obtenir un prêt bancaire pour un achat important (voiture, logement2...), de planifier un budget permettant d’étaler les dépenses annuelles, et même de louer un appartement. Ainsi, si la subsistance au quotidien et les besoins primaires sont tant bien que mal assurés, compte tenu des aides institutionnelles ou personnelles que les ménages peuvent mobiliser, c’est la possibilité de prévoir et de faire face aux aléas qui s’avère problématique, obligeant les personnes à une gestion au plus juste et à court terme3. Ainsi, s’il existe une relative continuité entre les situations de pauvreté traditionnelles et celles de la précarité financière contemporaine, il ne faut pas oublier qu’ « au cours de la période 1945-1990, les trois éléments "primaires" de la précarité (discontinuité/revenu/protection sociale) ont subi chacun des transformations suffisamment profondes pour que le sens même de la précarité en soit modifié : la précarité des situations particulières dans les années cinquante, caractérisée par une faible discontinuité, mais de faibles revenus et une faible protection sociale, est-elle comparable à celle des situations particulières des années quatre-vingt, où l’on retrouve les faibles revenus, mais une plus forte discontinuité et une plus forte protection sociale ?4 ».

L’enquête quantitative menée auprès de 200 salariés de Midi-Pyrénées permet d’étudier le lien entre la situation à l’égard du travail et la situation financière. Un

1 GALTIER B., « Les temps partiels : entre emplois choisis et emplois "faute de mieux" », op. cit.

2 Ainsi, les deux-tiers des salariés en CDI de plus de 40 ans sont propriétaires de leur logement, contre la moitié pour les salariés en contrats courts du même âge, cf. : CANCÉ R., FRÉCHOU H., « Les contrats courts : source d’instabilités mais aussi tremplin vers l’emploi permanent », op. cit.

3 LEGENDRE N., « Les conditions de vie des pauvres », in Données sociales 1999, op. cit., pp. 444-452 ; PONTHIEUX S.,« La pauvreté en termes de conditions de vie : quatre profils de ménages », in Données sociales

2002-2003, op. cit., pp. 417-426 ; PAUGAM S., La disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 1991 ; MESSU M., Les assistés sociaux, analyse identitaire d’un groupe social, Toulouse, Privat, 1991.

4 FOURCADE B., « L’évolution des situations d’emploi particulières de 1945 à 1990 », op. cit., p. 13. Pour une étude des niveaux de vie en fonction de la situation à l’égard de l’emploi entre 1993 et 1997, cf. : BREUIL -GENIER P., VALELIÈVRE H., « Trajectoires d’activités et de niveaux de vie », in Données sociales 2002-2003, op.

quart des personnes enquêtées ont un revenu mensuel pour le ménage inférieur à 5000 F, et plus de la moitié n’ont pas plus de 8000 F. Interrogés sur l’appréciation qu’ils portent sur leur situation financière, les salariés se répartissent en trois groupes d’effectifs voisins : un premier groupe rassemble des personnes se situant plutôt du côté d’une aisance financière relative (34%)1, un deuxième évalue sa situation comme difficile mais tenable (36%)2, et le troisième recouvre les situations financières les plus difficiles (29%)3. On observe également que les personnes seules (avec ou sans enfants) déclarent plus souvent connaître des difficultés financières. Par ailleurs, 39 personnes ont déclaré avoir bénéficié d’une aide exceptionnelle ou d’un minimum social (RMI, API, etc.) au cours des deux dernières années, et 75 personnes ont dû retarder le renouvellement de leur mobilier au cours de la même période.

Pour étudier l’association entre ces indicateurs de pauvreté et la situation à l’égard de l’emploi, une variable synthétique a été construite pour tenir compte à la fois du statut de l’emploi et du temps de travail. La répartition de l’échantillon au regard de cette variable est la suivante (n=198) : 36% des salariés interrogés exercent en CDI à temps plein, 17% en CDI à temps partiel, 28% ont un emploi précaire4 et travaillent à temps complet, enfin 19% cumulent précarité de l’emploi et temps partiel. Le croisement avec les variables de pauvreté fait apparaître très nettement que c’est dans ce dernier groupe que les difficultés financières se traduisent le plus fortement, aussi bien à travers l’appréciation de la situation financière (61%*5 des salariés en contrat précaire et en temps partiel estiment que leur situation est difficile ou sont endettés) que pour le renouvellement du mobilier (un tiers ont dû le retarder) ou pour la perception d’une aide exceptionnelle (37%* en ont bénéficié). On peut remarquer également que les salariés exerçant en CDI mais en temps partiel semblent moins fragiles financièrement que ceux qui exercent à temps complet, mais en contrat précaire. Plusieurs explications peuvent être avancées ici : d’une part, les salariés en CDI sont globalement plus qualifiés et exercent donc des emplois mieux rémunérés, de sorte que la différence de revenu persiste même lorsque le CDI n’est pas exercé à temps plein ; d’autre part, il est certain que le fait

1 Réponses « on est à l’aise » et « ça va ».

2 Réponse « c’est juste ».

3 Réponses « on y arrive mais difficilement » et « on ne peut y arriver qu’en faisant des dettes ».

4 CDD, intérim ou contrat aidé.

d’exercer en CDI (même à temps partiel) permet plus facilement d’obtenir par exemple un prêt bancaire que le fait d’exercer en contrat précaire (même à plein temps).

Ces quelques résultats, malgré leurs limites (notamment le fait que l’on croise la situation actuelle à l’égard de l’emploi avec des indicateurs de pauvreté couvrant les deux dernières années), montrent une convergence certaine entre la précarité professionnelle et la fragilité financière. L’une des questions que l’on peut se poser est celle des recours face à ces difficultés matérielles. Dans une recherche complémentaire à l’enquête INSEE « Situations défavorisées » de 1986-87, M. Legros a montré que parmi les stratégies des ménages « pauvres » (en l’occurrence, dont le revenu est inférieur à 60% du SMIC), le recours à l’emprunt est mis en œuvre une fois sur cinq, et s’adresse très majoritairement à la famille et aux amis (plutôt qu’à l’employeur ou aux établissements bancaires)1. Cela nous amène à la deuxième question énoncée plus haut : qu’en est-il des liens de sociabilité (et notamment des possibilités de soutien social et matériel qu’ils offrent) lorsque le rapport à l’emploi est précaire, lorsque la situation financière est fragile ?

Précarité et pauvreté relationnelle vont-elles de pair ?

Cette dimension des expériences de la précarité me semble importante à explorer : dans quelle mesure l’absence d’emploi ou d’emploi stable s’associe-t-elle avec un affaiblissement du réseau social ? Avant de tenter de répondre à cette question, il apparaît nécessaire de s’interroger sur sa légitimité même. En effet, pourquoi cette association serait-elle a priori posée comme allant de soi ? Elle l’est pourtant, dans les représentations et les discours ordinaires, mais aussi dans nombre de travaux sociologiques. C’est ce que montre Sébastien Schehr2, qui développe une virulente critique de ce présupposé largement partagé selon lequel le manque d’emploi se doublerait systématiquement d’une désocialisation, ou d’une pauvreté ou instabilité relationnelles – construit sociologique qui selon lui repose sur une incapacité à penser l’existence sociale en dehors du travail. Il prend pour exemple le concept de désaffiliation développé par Robert Castel, qui propose une

1 LEGROS M.,« Et en cas de difficultés, comment faites-vous ? », in BOUCHAYER F. (dir.), Trajectoires sociales et

inégalités, Paris, ERES, 1995, pp. 199-219.

représentation de l’espace de l’intégration sociale en deux axes : celui de l’intégration par le travail, et celui de l’intégration relationnelle.

Intégration relationnelle Intégration

professionnelle Forte Faible

Forte Zone d’intégration Zone de vulnérabilité

Faible Zone d’assistance Zone de désaffiliation

La combinaison des deux axes définit quatre « zones de cohésion sociale », dont Robert Castel précise bien qu’elles ne sont pas statiques : « il s’agit moins de placer les individus dans ces "zones" que d’éclairer les processus qui les font transiter de l’un à l’autre1 ». Mais justement, que sait-on de la façon dont s’associent les mouvements sur les deux axes ? Plus précisément, un affaiblissement sur l’axe de l’intégration professionnelle est-il nécessairement accompagné d’une plus grande vulnérabilité sur l’axe relationnel ? « L’apport théorique et la modélisation proposés par l’auteur lui-même autoriseraient d’autres ouvertures qu’il esquisse d’ailleurs peut-être trop timidement », estime S. Schehr. En effet, la grille de lecture proposée par R. Castel fait apparaître cette « zone d’assistance » où se maintient une inscription relationnelle forte tandis que l’intégration par le travail est faible ou absente. Mais il est vrai, et je rejoindrai S. Schehr sur ce point, que les propos de R. Castel, au fil de son livre, tendent à tenir pour acquis l’effet préjudiciable pour la sociabilité d’un éloignement de la sphère du travail2, bien que ponctuellement il précise tout de même que si cette hypothèse « paraît largement vérifiée pour les situations extrêmes qui associent expulsion totale de l’ordre du travail et isolement social3 », il faut considérer que « pour les situations intermédiaires, les relations entre les deux axes sont plus complexes. Dans quelle mesure la dégradation de la situation de travail se paie-t-elle d’une dégradation du capital relationnel ? Sauf erreur, il n’existe pas de réponse vraiment convaincante à cette question au-delà

1 CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., p. 14.

2 Jusqu’à employer l’expression très forte de « no man’s land social », p. 412.

3 Encore peut-on se demander si l’isolement social total existe réellement. Même les études sur les personnes sans domicile montrent qu’elles ne sont pas dénuées de tout contact relationnel, ne serait-ce qu’avec des pairs ou avec des travailleurs sociaux. L’étude ethnographique que j’ai pour ma part réalisée auprès de cette population va dans ce sens : vivre dans la rue n’est pas synonyme de désocialisation, cf. HÉLARDOT V., La rue entre parenthèses. Étude ethnographique d’un lieu d’accueil de jour pour personnes sans

domicile fixe », op. cit. Si l’on tient à l’hypothèse d’une association entre absence de travail et isolement

relationnel, on la vérifie sans doute au moins autant (et peut-être même davantage) chez les personnes âgées que chez les chômeurs ou les travailleurs précaires.

soit d’analyses ponctuelles du type histoires de vie1, soit de proclamations générales sur le désastre que représentent les ruptures du lien social et la perte des solidarités traditionnelles2 ». La critique est cependant fondée, et d’ailleurs R. Castel lui-même reconnaît, dans un texte ultérieur, avoir eu « tendance à assimiler trop vite désaffiliation et isolement social. De ce point de vue, le paradigme du vagabond, qui fonctionne si bien dans la société pré-industrielle, est éclairant, mais peut aussi être simplificateur. Le décrochage des circuits productifs a des effets profondément déstabilisateurs sur les modes de vie et les trajectoires personnelles. Cependant il n’équivaut pas au vide social, ni à l’absence de relations, ni à la perte de tout sens. Il faudrait analyser au plus serré les formes de sociabilités nouvelles qui se déploient dans les interstices du travail et dans les marges des régulations collectives. Modalités aléatoires du vivre avec, souvent marquées du sceau de l’incertitude, elles ne doivent pas pour autant relever d’une lecture purement négative3 ».

Encore faut-il rappeler qu’il existe mille et une façons de définir et de mesurer des notions aussi complexes que la sociabilité, l’insertion relationnelle ou, pour reprendre les termes de P. Bourdieu, le capital social. Elles peuvent être abordées sous l’angle quantitatif, et l’on s’intéresse alors au nombre de liens qu’une personne déclare avoir. Mais le nombre ne dit pas la qualité de ces liens, c’est pourquoi il faut autant que possible évaluer leur nature : à quels types de ressources ces liens donnent-ils accès ? Quand et comment sont-ils créés puis mobilisés ? Qu’est-ce qui est échangé ? L’analyse de réseaux sociaux a montré, outre la distinction liens forts / liens faibles (et l’importance de ces derniers4), que la densité et la structure du réseau (répartition interne des différents liens) détermine son efficacité opératoire de façon différenciée5. Et, à l’inverse, comment définir l’isolement relationnel, dont J.-C. Kaufmann rappelle qu’il est souvent amalgamé sans aucune rigueur conceptuelle avec d’autres notions proches sémantiquement mais bien différentes

1 Note de R. Castel : « Et lorsqu’elles sont bien faites, elles ne se laissent pas lire d’une manière unilatérale ».

2 CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., pp. 416-417.

3 CASTEL R., Réponse aux commentaires de JOIN-LAMBERT M.-T. et ELBAUM M., « A propos de l’ouvrage de Robert Castel Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat », Travail et emploi, n° 68, 1996, p. 87.

4 GRANOVETTER M., « The strength of weak ties », American Journal of Sociology, vol. 78, 1973, pp. 1360-1380.

5 DEGENNE A.,LEMEL Y.,« Les réseaux de relations de la vie quotidienne », in Données sociales 1999, op. cit., pp. 354-358 ; DEGENNE A.,FORSÉ M.,Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 1994.

sociologiquement : « le célibat renvoie à l’état civil, le fait de vivre "seul" dans son logement à la composition du ménage, l’isolement proprement dit à une faiblesse (qui reste bien sûr à définir) de l’inscription relationnelle, la solitude à un sentiment éprouvé et pouvant se traduire en pathologies1 ».

Compte tenu de ces remarques préliminaires qui appellent à une grande prudence à la fois épistémologique et méthodologique, que peut-on dire de l’expérience de sociabilité des personnes qui ont une relation précaire à l’emploi ? Il faut dire d’abord qu’au niveau des enquêtes extensives les données disponibles sont plus nombreuses pour les chômeurs que pour les personnes en emploi précaire2. Le travail du CERC3 à partir des données de l’enquête INSEE « Situations défavorisées » 1986-1987 donne tout de même quelques indications sur les liens sociaux en fonction du statut de l’emploi. Cette enquête a montré que les personnes en emploi instable ou en emploi stable menacé sont plus nombreuses à avoir une sociabilité familiale « faible4 » que celles qui sont en emploi stable (7% pour ces derniers, 8,6% dans l’emploi stable menacé, et 12,5% dans l’emploi instable). La même tendance s’observe pour la sociabilité définie sous l’angle du support relationnel, celui-ci étant évalué à travers la possibilité de se faire héberger quelques jours, de se faire prêter de l’argent, de se faire aider par des services ou du soutien moral, et à travers l’existence de « meilleurs amis » en dehors de la famille proche. Un support relationnel faible est observé pour 8,2% des personnes en emploi stable menacé et 10% des personnes en emploi instable, contre 4,9% parmi les personnes ayant un emploi stable. L’analyse de la participation à la vie associative va également dans le sens d’une moindre sociabilité des personnes dont l’emploi est menacé ou instable. En synthétisant ces trois approches de la sociabilité, les auteurs construisent la notion de « vulnérabilité sociale », qui apparaît nettement corrélée au degré de précarité professionnelle : « on constate bien un effritement progressif de la sociabilité lorsqu’on passe successivement de la meilleure à la moins bonne

1 KAUFMANN J.-C., « Vie hors couple, isolement et lien social : figures de l’inscription relationnelle », Revue

française de sociologie, vol. XXXV, n° 4, 1994, pp. 593-617.

2 Selon l’enquête INSEE « Relations de la vie quotidienne et isolement », les chômeurs sont près d’un tiers à connaître l’isolement social, contre près d’un quart dans l’ensemble de la population. L’isolement relationnel est ici défini par le fait de n’avoir parlé qu’à 4 interlocuteurs au cours de la semaine, hors ménage, hors téléphone et hors relations professionnelles ou de service, cf. PAN KÉ SHON J.-L., « Être seul », in Données sociales 2002-2003, op. cit., pp. 587-594. Cf. également : LÉVY M.-L., « Les chômeurs dans leur famille », Population et sociétés, n° 350, 1999.

3 PAUGAM S., ZOYEM J.-P., CHARBONNEL J.-M., Précarité et risque d’exclusion en France, La Documentation

française, Documents du CERC n° 109, 1993.

situation professionnelle1 », c’est-à-dire que l’on passe d’environ un quart de personnes considérées comme « vulnérables ou très vulnérables » socialement parmi celles qui ont un emploi stable, à près de la moitié parmi les chômeurs depuis plus de deux ans.