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Santé ou travail ? Les expériences sociales de la précarisation du travail et de la santé

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(1)

Valentine Hélardot

SANTÉ

OU

TRAVAIL ?

LES EXPÉRIENCES SOCIALES DE LA SANTÉ

ET DE LA PRÉCARISATION DU TRAVAIL

™ ™ ™ ™ ™

Thèse pour le doctorat de sociologie

Sous la direction du professeur Marcel Drulhe

Université de Toulouse II-Le Mirail

CIRUS-Cers

Institut de sciences sociales Raymond Ledrut

(2)

Thèse soutenue le 2 décembre 2005

à l’université de Toulouse II-Le Mirail

Jury de soutenance :

– Michel GROSSETTI (président)

Chargé de recherche CNRS, CIRUS-Cers (Toulouse II) – Danièle LINHART (pré-rapporteuse)

Directrice de recherche CNRS, GTM (Paris X) – Annie THÉBAUD-MONY (pré-rapporteuse)

Directrice de recherche INSERM, CRESP (Paris XIII) – Marcel DRULHE (directeur de thèse)

Professeur, CIRUS-Cers (Toulouse II)

– Serge CLÉMENT

Ingénieur de recherche, CIRUS-Cieu (Toulouse II)

– Thierry LANG

Professeur de Santé Publique, INSERM U558 (Toulouse III)

™ ™ ™ ™ ™

Doctorat de sociologie obtenu avec la mention Très Honorable

et les félicitations du jury à l’unanimité

(3)

de la version électronique

I

NTRODUCTION

S

ANTÉ ET PRÉCARISATION DU TRAVAIL

:

COMPRENDRE LES EXPÉRIENCES DES

SALARIÉS

...1

Genèse et histoire de la recherche, 2

Une enquête auprès de 50 médecins du travail, 6

Un questionnaire soumis à 200 salariés « précaires » et « non précaires », 6 30 entretiens avec des salariés, 7

Interprétation et empiricité, 8

Les expériences sociales de la santé et de la précarisation du travail : une intelligibilité plurielle, 11

P

REMIÈRE PARTIE

T

RAVAIL

,

EMPLOI

,

SALARIAT

:

INCERTITUDES ET INSÉCURITÉS ANCIENNES ET NOUVELLES

Introduction... 19 Chapitre I

Les mutations conjuguées de l’emploi et du travail ...23 1. Des contrats « atypiques » à la précarisation structurelle de l’emploi, 24

a) La croissance des emplois précaires, 26

b) Des temps et des horaires de travail de plus en plus flexibles, 38 c) Des tremplins vers l’emploi stable ?, 42

d) Vivre la précarité, 43 Précarité et pauvreté, 44

Précarité et pauvreté relationnelle vont-elles de pair ?, 47 Les temporalités du non-travail, 58

(4)

a) Externalisation productive et redéfinitions du rapport salarial : questions au droit du travail, 68

Sous-traitance et règles de l’emploi, 81

Sous-traitance et transfert des risques de l’emploi, 82 Les effets de la taille des entreprises, 83

Accords de branche, conventions collectives et accords d’entreprise, 84 Sous-traitance et conditions de travail, 84

b) Salariés du « noyau dur » et salariés « extérieurs » : quelles formes du « travailler ensemble » ?, 86

3. « Citius, altius, fortius » : le travail sous le règne de l’intensité, 90 a) L’intensification à travers les enquêtes Conditions de travail, 90

Risques et pénibilités au travail de plus en plus déclarés, 92 Une charge mentale qui progresse et se diversifie, 93 Davantage d’autonomie..., 95

... mais persistance des contraintes, 97

Un principe transversal : la règle de l’urgence, 98

b) De l’objectivation des risques du travail à son intensification réelle, 100 c) « Post-taylorisme » ou « taylorisme assisté par ordinateur » ?, 107 4. Néomanagement et enrôlement des subjectivités, 113

Les deux dimensions de l’intégration professionnelle, 127 Chapitre II

Effritement du modèle salarial et dynamiques de précarisation sociale ... 137 1. Les remises en question du modèle salarial, 138

a) Les nouveaux visages de la condition salariale, 138 b) Une reconfiguration de la structure sociale ?, 144

Persistance des inégalités de classes et nouveaux clivages, 144

« Exclusion », « underclass » : des conceptualisations insuffisantes, 149 c) Précarisation sociale et réindividualisation des protections, 155 2. Travail, emploi et « question sociale » : quelles perspectives ?, 159

a) Panser ou repenser le salariat, 159 b) Dépasser l’hégémonie du travail ?, 163

(5)

DEUX POINTS DE VUE SUR LES RELATIONS SANTÉ

-

TRAVAIL

-

PRÉCARISATION

Introduction ... 175 Chapitre III

Santé, travail et précarisation : continuités et nouveaux enjeux... 177 1. La construction historique de la santé au travail : entre réparation et

prévention, 179

2. Enjeux sanitaires et sociaux autour des accidents du travail et des maladies professionnelles, 188

3. La santé au cœur des processus de précarisation du travail, 196 a) Accidents du travail, organisation et rapports sociaux dans le

travail, 196

b) Les enjeux de santé reformulés par la précarisation du travail, 207 Les pathologies de l’intensité, 211

Un renouvellement des sources d’insatisfaction et de souffrance au travail, 218

Précarisation de l’emploi et externalisation : une division sociale des risques et des atteintes, 235

Intermittence en emploi, conditions de vie et santé, 244 Emploi contre santé ?, 252

Chapitre IV

Une enquête auprès de 200 salariés... 259 Construction et passation du questionnaire, 259

« Précaires » et « non précaires », 261

Interroger les perceptions et les expériences, 262 1. Caractéristiques de la population interrogée, 265

Sexe et âge, 265

Emploi et qualification, 266

Statut de l'emploi, temps de travail et « précarité perçue », 271 Conditions de vie et relations sociales, 273

(6)

a) Précarité et insécurité de l’emploi actuelles et dans le parcours, 277 Précarité professionnelle actuelle, 278

Précarité dans le parcours, 280 Le « sentiment de précarité », 285 b) Les conditions de travail, 286

Conditions de travail détaillées et sexe, 292 Conditions de travail détaillées et âge, 293

Conditions de travail détaillées et type d’emploi, 295 Conditions de travail détaillées et statut de l’emploi, 297 c) Satisfaction dans et par le travail, 298

La satisfaction dans le travail, 300 La satisfaction par le travail, 305 d) Rapport projectif à l’emploi, 307

« Si vous étiez licencié... », 307 Retrouver un emploi, 308

e) Une classification des expériences du travail et de l’emploi, 310 Satisfactions et sécurité dans l’intégration assurée, 313

L’expérience « laborieuse » du travail, 314

Une intégration incertaine peut en cacher une autre, 316 Les jeunes ouvriers de l’ intégration « mixte », 319 3. Santé : tableau de l’état physique et moral des salariés, 323

a) La santé actuelle perçue, 324 b) L’histoire de santé, 328 c) Le rapport à la santé, 331

d) Une dimension transversale : « souffrir de quelque chose », 337 e) Une classification des expériences de la santé, 341

Une classe de très bonne santé, 343 La santé en difficultés, 344

Une classe où émerge la souffrance, 345

Le cumul des problèmes dans la classe de la mauvaise santé, 347 4. Expériences du travail et de la santé : quelles articulations ?, 347

a) Classes d’expériences de travail et classes d’expériences de santé : des recoupements partiels, 348

b) Les composantes de l‘expérience du travail et de l’emploi et les dimensions de la santé, 350

(7)

parcours professionnel et santé perçue, 358 – Le « sentiment de précarité » : un indicateur de santé ?, 363

Conditions de travail et santé, 370

En situation de travail : la santé subordonnée à l’activité professionnelle, 374

Satisfactions liées au travail et santé, 378

Satisfaction dans le travail et santé, 378 – Satisfaction par le travail et santé, 380

c) Des liens désignés par les salariés, 384 Les accidents de travail, 385

Accidents de travail et expériences du travail et de l’emploi, 386 – Accidents de travail et expériences de la santé, 388

L’étiologie selon les salariés : les empreintes du travail sur la santé, 390 Les « effets négatifs » du travail sur la santé, 390

Rapport au travail et perception d’effets négatifs sur la santé, 391 – Santé et perception d’effets négatifs sur la santé, 394

Être exposé à des « choses dangereuses », 395

Attribuer sa dernière maladie à son activité professionnelle, 397 Des événements fragilisants sur le plan de la santé, 399

« Souffrir de quelque chose » : quels liens avec la vie professionnelle ?, 401

Souhaiter prendre du congé en cas de fatigue trop intense : un indicateur du rapport au travail ?, 404

Quand la santé restreint l’accès à l’emploi, 407 Synthèse des principaux résultats, 410

Chapitre V

La médecine du travail : une expertise au croisement du médical

et du social ... 423 1. Soigner le travail ?, 424

a) La médecine du travail et ses dissensions : construction d’une profession, 424

b) Une pratique hybride, 435

2. Les médecins du travail et les relations santé-travail-précarité, 439 a) Les schèmes de précarité élaborés par les médecins du travail, 443

La précarité comme une production de la société, 444 La précarité comme production du monde du travail, 446

(8)

b) Santé et précarisation : les référentiels des médecins du travail, 451 Le modèle étiologique de l’épidémiologie sociale : la précarité au travail facteur de mauvaise santé, 451

Le modèle de la sélection sociale par la santé : la mauvaise santé, facteur de précarité, 454

Le modèle d’une détérioration progressive de la santé faute de soins et de prévention, 458

L’enchaînement et le cumul de processus qui détériorent une santé déjà fragile : le modèle du « cercle vicieux », 460

c) La construction de « figures » par les médecins du travail, 462 Les facettes plurielles de l’inaptitude, 463

La pauvreté méritante face aux mutations de la condition salariale, 465

La condition des femmes et particulièrement des femmes seules avec enfants, 465 – Les « jeunes » face à l’intégration incertaine et au déclassement, 467 – Les « harcelés », 469

La précarisation comme processus généralisé : la peur des lendemains pour tous, 470

Penser le désengagement ou la moindre affiliation au travail, 471 3. La production d’une double expertise confrontée aux réponses des

salariés, 475

a) « Précarité » : les jugements des médecins, les réponses des salariés, 476 Qui sont les salariés désignés comme « précaires » ?, 476

Les critères de précarité selon les médecins, 478

Médecins et salariés : regards croisés sur la précarité, 481

Précarité et insécurité de l’emploi, 482 – Pénibilité du travail, 483 – Précarité des conditions de vie, 485 – La mauvaise santé comme critère de précarité, 486 – Souffrance et mal-être, 486

b) Santé : pronostics des médecins et perceptions des salariés, 489 L’ « avenir de santé » selon les médecins du travail, 489

Perception d’effets négatifs du travail sur la santé et pronostic médical, 492 Santé perçue et pronostic médical, 495

(9)

LA CONSTRUCTION SOCIALE ET BIOGRAPHIQUE DES EXPÉRIENCES

Introduction ... 501 Chapitre VI

Les expériences sociales du travail façonnées par sa précarisation... 511 1. Les dynamiques d’intégration professionnelle à travers le rapport au

travail et à l’emploi, 511

a) Les types d’intégration professionnelle, 511 Sept cas d’intégration « assurée mais... », 512

Ouvrières et employés dans l’intégration laborieuse, 519 L’intégration incertaine entre précarité subie et choisie, 523 Les souffrances de l’intégration disqualifiante, 530

Quatre personnes « entre deux intégrations », 535

b) Des types aux dynamiques d’intégration professionnelle : la ligne des parcours, 541

2. Les composantes du rapport au travail et leurs modalités, 556

a) Le rapport au travail doublement défini par la satisfaction dans le travail et l’investissement identitaire, 563

Les quatre sources du plaisir au travail, 569

Être en contact avec autrui, 570 – Servir, aider, être utile, 572 – Faire, créer, 574 – S’enrichir, apprendre, découvrir, 579

Le travail entre activité et identité, 579

La « vocation » et ses variantes : pluralité des engagements identitaires dans le travail, 582

La vocation, forme pure du travail-identité, 582 – L’attachement à un métier ou à un secteur d’activité, 586 – La réalisation de soi au-delà de la nature des activités, 587 – L’identité d’emploi dans le statut ou la carrière, 589

Conceptions instrumentales du travail : le travail-activité, 601

Le travail pour construire le hors-travail, 601 – Une lecture « rationnelle » des conditions de travail et d’emploi, 604 – « Je cherche dans tout », 606 – « Il fallait travailler », 609

b) Six types de rapport au travail, 611

3. La dialectique travail-emploi et les sens de la précarité, 621 a) La précarité apprivoisée dans la cité par projets, 627

(10)

Construire son employabilité, 632

c) La précarité défensive comme échappatoire à l’intégration laborieuse, 635

d) L’emploi avant tout, 638 Chapitre VII

Des événements corporels au souci de soi : la santé entre représentations et pratiques ... 651

1. Dire le mal et lui donner un sens, 659

a) Qualifier son état : quatre façons de percevoir sa santé, 659 La pleine santé, 659

Des événements ou états morbides sur fond de bonne santé, 660 Des problèmes préoccupants qui altèrent la santé, 661

Des profils de mauvaise santé, 662 b) Désigner les « problèmes », 665

c) La cause et le sens : la question du « pourquoi », 670 2. Entretenir et restaurer sa santé : ressources et supports, 678

a) La santé en pratiques, 678

La logique médico-sanitaire entre norme et écarts à la norme, 681

La recherche de l’agrément et de l’épanouissement dans la logique de bien-être, 686

Logique pragmatique : les pratiques corporelles au service de l’action, 699 La trace des origines dans la logique culturelle, 693

b) Soigner, guérir, réparer... : actions pour « aller mieux », 696 Connaître et reconnaître des états psycho-corporels, 698 Faire avec « ce qu’on a » : les recours domestiques, 699 Les recours professionnels : prendre soins, 702

Du signe au symptôme, 702

Les relations avec les thérapeutes professionnels, 707

Le médecin de famille : « plus qu’un médecin », 707 – Des recours ciblés aux spécialistes, 709 – Du pluralisme des personnes au pluralisme des univers thérapeutiques, 711 – Des recours... de dernier recours, 712 – Des formes de résistance ou de mise à distance, 714

(11)

1. L’articulation santé-travail : quatre couples de dynamiques élémentaires, 726 2. Les relations santé-travail dans l’expérience des salariés, 738

a) L’emploi, c’est la santé ?, 739

Lorsque l’intégration professionnelle favorise la santé et le bien-être, 739

Forme faible : l’intégration professionnelle permet la santé, 739 - Forme forte : l’intégration professionnelle thérapeutique, 742

Les effets délétères de conditions d’emploi précarisées, 744

La construction de la santé contrariée par les conditions et les modes de vie, 744 – Incertitude et angoisse pathogènes, 746 – Les préoccupations de santé subordonnées aux enjeux de l’intégration professionnelle, 751

b) La santé comme opérateur d’intégration professionnelle, 757 La santé au service de l’intégration professionnelle, 757

La santé facteur de sélection-exclusion dans la sphère professionnelle, 759

L’inaptitude et ses suites, 759 – Choisir de ne pas s’exposer, 769 – Incapacités perçues et limitation des perspectives professionnelles, 771 – L’intégration professionnelle fragilisée par une santé précaire, 773

c) La santé à l’épreuve du travail, 779

Reconnaissance, construction identitaire et plaisirs de faire : la centralité du travail pour la santé mentale, 780

Le travail pathogène : « prendre sur soi », 784

Usure et atteintes physiques : les violences faites au corps, 787 Atteintes à l’identité et à la dignité : les violences faites à la personne, 797

« Ravaler son métier », 797 – Expériences de la domination et « harcèlement moral », 801 – « Sale boulot » et conflits de valeurs dans le travail, 807

Les résonances psycho-corporelles du « stress » et de l’usure nerveuse, 810

d) La santé au cœur des activités de travail, 817

3. « Tenir » au travail : des significations et des ressources diversifiées, 820 a) Pourquoi et pour quoi « tenir » au travail ?, 821

Les enjeux du rapport à l’emploi, 821 « Tenir » par éthique du travail, 823

« Tenir » ses engagements envers autrui, 824

« Tenir tête » et garder la face dans un rapport de domination, 827 b) Comment « tenir » ?, 829

(12)

La médecine du travail, 832 Les étais chimiques, 833

4. Des dynamiques élémentaires aux configurations biographiques de l’articulation santé-travail, 835

a) Le cercle vertueux : intégration professionnelle, travail et santé en synergie, 836

b) La santé menacée par la situation professionnelle, 837 Le cercle vertueux brisé par la précarité de l’emploi, 838 Le cercle vertueux brisé par le travail pathogène, 838 c) La situation professionnelle réorientée par la santé, 839 d) La situation professionnelle suspendue à la santé, 839 e) Le cercle vicieux, 840

CONCLUSION

TRAVAIL, EMPLOI, SANTÉ, VIE HORS TRAVAIL : LA QUADRATURE DU CERCLE ... 845

BIBLIOGRAPHIE ... 861

ANNEXES ... 889 Annexe 1 – Liste des sigles, 891

Annexe 2 – Liste des 50 médecins du travail interrogés par téléphone, 892 Annexe 3 – Guide d’entretien avec les médecins du travail, 894

Annexe 4 – Questionnaire d’enquête, 895

Annexe 5 – Guide d’entretien avec les salariés, 901

Annexe 6 – Présentation des 30 entretiens avec les salariés, 903 – Mme Alpe, 905 – Mme Anam, 907 – Mlle Arène, 909 – M. Arène, 911 – Mme Artur, 913 – Mme Beban, 915

(13)

– M. Bois, 921 – Mme Brax, 923 – Mme Chafi, 925 – Mme Damo, 927 – Mme Delache, 929 – Mme Enzo, 931 – Mme Faya, 933 – Mme Fonviel, 934 – Mme Jeco, 937 – Mme Jodu, 939 – Mme Jost, 941 – Mme Kléber, 943 – Mme Lavaur, 945 – Mlle Loci, 947 – Mme Mara, 950 – Mme Mermoz, 952 – Mme Pinson, 954 – Mlle Portet, 956 – Mlle Roque, 957 – M. Sernin, 960 – M. Terray, 962 – M. Thimas, 964

(14)
(15)
(16)
(17)

M

es remerciements s’adressent en premier lieu à Marcel Drulhe, qui a accompagné ce travail depuis ses prémices avec une grande bienveillance, une attention constante... et beaucoup de patience ! Au-delà de ses qualités de directeur de thèse, je tiens à rendre hommage à son exigence et à sa rigueur dans le travail, à la finesse de ses analyses, et à sa curiosité intellectuelle toujours renouvelée. En cela, pour reprendre les termes de C. W. Mills, il représente pour moi un modèle d’ « artisan intellectuel » préoccupé de « l’humaine diversité ».

E

n compagnie de Serge Clément, Monique Membrado et Jean Mantovani, dans le cadre de notre recherche collective et en d’autres occasions conviviales, j’ai pu profiter d’échanges fructueux et de remarques stimulantes qui ont largement nourri ma réflexion et enrichi ce travail. A tous les trois, un grand et amical merci.

R

ien n’aurait pu remplacer l’aide inestimable que m’a apportée le docteur Pierre Jansou : sa gentillesse, sa disponibilité et son efficacité ont à plusieurs reprises considérablement facilité ma recherche. J’ai également apprécié son regard de médecin du travail humaniste. Pour tout cela, je le remercie chaleureusement.

C

orrélations, classifications, khi², dispersion... et tant d’autres entités statistiques n’ont pas de secrets pour Béatrice Milard et Michel Grossetti, qui m’ont aidée à en comprendre certaines subtilités. Pour le temps qu’ils m’ont accordé et pour leurs explications limpides, un très « significatif » merci !

I

l m’est impossible de citer ici tous les participants aux séminaires et aux journées des doctorants du CERS, aux rencontres du groupe « Santé » et aux mémorables « séminaires sauvages », ainsi que tous les « voisins de couloir » (ils/elles se reconnaîtront...) dont les commentaires et les critiques constructives ont contribué à l’élaboration de ce travail. Qu’ils en soient collectivement remerciés.

S

ans oublier tous mes proches, famille, amis, ami... qui m’ont encouragée et soutenue tout au long de ce travail. Merci à vous.

(18)
(19)

Introduction

Santé et précarisation du travail :

comprendre les expériences des salariés

Le travail et la santé, en tant que composantes des existences individuelles comme en tant que champs sociétaux, sont l’un avec l’autre dans un rapport fondamentalement ambivalent. « Le travail, c’est la santé », dit-on, et de fait, dans la configuration historique de la société salariale1, l’intégration sociale que permet la participation au monde du travail est un support essentiel de construction de la santé. L’activité professionnelle détermine en effet en grande partie les conditions de vie ; elle participe également à la définition des identités et des statuts sociaux ; elle contribue enfin, au quotidien, à l’épanouissement personnel et à la satisfaction de l’existence. En même temps, travailler n’est pas une activité sans risque ni danger pour la santé : aujourd’hui encore chaque année, en France, près de 700 personnes trouvent la mort dans l’exercice de leur travail, et plus de 30 000 sont atteintes de maladies dont l’origine professionnelle est reconnue2. De plus, lorsque les contenus et les conditions de travail sont marqués par des pénibilités physiques ou mentales, ou lorsque le travail s’accomplit au sein de rapports sociaux violents et conflictuels, l’expérience du travail est porteuse d’insatisfactions et de souffrances qui vont à l’encontre de la santé et du bien-être des salariés. Travailler, c’est donc gagner sa vie et sa santé, mais c’est aussi, parfois, les perdre.

D’un autre côté, et simultanément, le rapport santé-travail est animé par une deuxième dynamique, correspondant à l’autre sens de lecture : si le travail, par de multiples médiations, construit la santé, la santé en regard détermine la capacité à

1 CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995. 2 Source : C

(20)

travailler et oriente la vie professionnelle à travers des processus de sélection-exclusion dans le monde du travail.

L’ambivalence du rapport santé-travail tient donc à ces deux caractéristiques centrales : réciprocité de la relation, double potentialité positive ou négative du façonnement mutuel. Or, cette tension constitutive est depuis une trentaine d’années profondément infléchie et renouvelée par les dynamiques de précarisation et de flexibilisation des conditions d’emploi, et par les transformations à l’œuvre dans les organisations productives et les conditions de travail. Ces processus viennent reformuler et complexifier le rapport dialectique santé-travail, au niveau des expériences individuelles comme à l’échelle macro-sociale. L’idée directrice explorée et mise à l’épreuve dans cette thèse est que sous l’effet de ces dynamiques de précarisation, les enjeux de santé et les enjeux de travail et d’emploi sont de plus en plus difficiles à concilier pour les salariés (c’est ce qu’exprime schématiquement la formule du titre : « santé ou travail ? »).

Ces observations d’ordre général sur la nature et les enjeux du rapport santé-travail dessinent la toile de fond de la problématique explorée dans cette recherche, qui vise à comprendre comment, dans le contexte des processus de précarisation du travail et de

l’emploi, le rapport santé-travail est perçu et mis en forme par les individus au fil de leur expérience. Cette formulation sera explicitée un peu plus loin. Mais auparavant, il

me semble utile de retracer la genèse et l’historique de la recherche, non pas seulement à titre de contextualisation « documentaire » des analyses proposées, mais bien parce que cette histoire est constitutive de la construction même de l’objet d’étude et des choix méthodologiques effectués. Ainsi, la meilleure façon de faire comprendre comment et pourquoi ce travail est devenu ce qu’il est me semble être d’en exposer les moments successifs.

Genèse et histoire de la recherche

Le projet de recherche dont cette thèse est l’aboutissement est né de deux constatations-interrogations, associées chacune à un moment de mon parcours de recherche.

(21)

En premier lieu, une étude ethnographique, effectuée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise1, a fait naître une interrogation fondamentale sur le corps comme ressource et lieu d’investissement pratique et symbolique. Le terrain d’enquête était un lieu d’accueil de jour pour personnes sans domicile, proposant une écoute, un moment de convivialité, et un ensemble de services (suivi social, aide au C.V., douches, bagagerie, etc.). L’analyse du matériau ethnographique issu de 8 mois d’observation participante m’avait amenée, entre autres choses, à remarquer que certaines personnes qui fréquentaient ce lieu faisaient preuve d’une très grande attention à l’égard de leur corps, de leur santé, de leur apparence physique, et étaient très demandeuses de soins corporels et médicaux. Ce constat allait à l’encontre de certains propos (témoignages, enquêtes journalistiques, littérature « grise » sur la « grande précarité »...) affirmant que dans ces situations de dénuement extrême, lorsque les ressources matérielles sont si drastiquement réduites, le souci du corps et de la santé passe après les exigences plus aiguës de la survie immédiate, et que cet « oubli du corps » aboutit fatalement à la « clochardisation ». S’il ne fait pas de doute que ce processus se vérifie parfois2, ce que j’ai observé était l’exact inverse : chez certaines personnes, loin d’être relégué au dernier rang des priorités, le corps (son état, son apparence, ses sensations...) semblait au contraire être devenu un lieu majeur de (re)construction de soi dans une identité positive. Tout se passait comme si le corps était l’ultime possession, la seule que l’on ne peut pas perdre, et à laquelle on se « raccroche » en la surinvestissant d’attention et de soins.

De cette enquête est donc née l’envie de mieux comprendre ces comportements, et de savoir ce que devient le souci de soi quand le corps est « tout ce qu’il reste », c’est-à-dire dans les situations de pauvreté, de précarité et de désaffiliation sociale. Un deuxième point fondateur de ce travail a été la lecture des travaux d’Annie Thébaud-Mony, en particulier d’un article qui raconte comment certains salariés temporaires travaillant dans l’industrie nucléaire s’exposent délibérément et clandestinement à des doses de rayonnements supérieures aux normes de sécurité,

1 H

ÉLARDOT V., La rue entre parenthèses. Étude ethnographique d’un lieu d’accueil de jour pour personnes sans domicile fixe, Mémoire de maîtrise de sociologie (sous la direction de M. Drulhe), Université de

Toulouse II-Le Mirail, septembre 1996.

2 D

(22)

dans l’espoir de voir leur contrat renouvelé1. Avec ce qui relevait sans doute d’une forme de naïveté, j’ai été surprise et même choquée par la violence d’un tel comportement – violence envers soi-même, prise de risque physique, exposition volontaire à un danger avéré. Comment cela était-il possible ? Comment des gens pouvaient-ils en arriver à ce qui était à mes yeux une attitude extrêmement radicale ? Quels étaient les contextes sociaux permettant (nécessitant ?) de telles conduites ? Des lectures autour du thème « santé et précarisation du travail2 », et notamment des témoignages de médecins du travail3, sont ensuite venus renforcer ma curiosité : ces médecins signalent en effet une mise en jeu de la santé de plus en plus forte avec les évolutions actuelles du travail et de l’emploi, et essaient d’alerter le public sur la gravité des faits dont ils sont témoins et acteurs.

Ces lectures ont fait naître la deuxième interrogation initiatrice de ce travail : comment certains salariés sont-ils amenés à faire le choix de privilégier leur emploi, au détriment de leur santé ? C’est en ces termes – bien sûr quelque peu simplistes – que s’est initialement posée la question centrale pour moi.

Le rapprochement de ces deux points de départ faisait ressortir une notion commune : la « précarité », celle des personnes vivant à la rue ou celle des salariés en contrats précaires. En commun également, l’idée d’une éventuelle hiérarchisation des enjeux existentiels, parmi lesquels les enjeux de santé pouvaient être investis d’une valeur variable. Ma sensibilité personnelle à l’égard de la sociologie « compréhensive » m’amenait à souhaiter appréhender ces réalités sous l’angle des ressorts subjectifs des comportements et des expériences, et donc à partir du sens que le travail, l’emploi, la santé prenaient pour les personnes concernées. Ma question de départ s’est donc cristallisée sous la forme suivante : « que fait-on de sa santé lorsqu’on est en situation de précarité ? ». De là sont parties en étoile une multitude de pistes de recherche et de réflexion, dont on retrouvera les aboutissements dans les pages qui suivent.

1 T

HÉBAUD-MONY A., « Précarisation du travail, précarisation de la santé : quel coût social ? », Prévenir, n° 28,

1995, pp. 63-71. Très précisément, le « déclencheur » de mon travail de thèse a été la phrase suivante : « il revient ensuite au salarié de gérer son exposition, au besoin en laissant l’appareil d’enregistrement des doses loin derrière lui pendant une opération "coûteuse en dose", afin de ne pas voir son contrat remis en question » (p. 67).

2 A

PPAY B., THÉBAUD-MONY A. (dir.), Précarisation sociale, travail et santé, Paris, Éditions de l’IRESCO, 1997 ;

Dossier « Santé, précarisation et précarité du travail », Archives des maladies professionnelles, vol. 56, n° 3, 1995.

3 H

(23)

Un premier problème consistait à circonscrire le cadre empirique en donnant un contenu opérationnel à la notion de précarité : dans la nébuleuse de situations que ce terme recouvre, quelle(s) population(s) fallait-il approcher, quelle(s) délimitation(s) étaient pertinentes ? Très vite s’est dessiné le choix d’enquêter auprès de personnes en situation de précarité professionnelle, c’est-à-dire dont les liens avec le monde du travail étaient distendus, fluctuants ou problématiques – mais présents. L’enquête auprès de personnes en « grande précarité » m’avait en effet donné à voir qu’une grande partie de ces personnes étaient en emploi peu de temps auparavant (ou même l’étaient encore)1. Les ruptures, bifurcations, fragilisations... de leurs trajectoires sociales avaient donc lieu alors même qu’elles exerçaient une activité professionnelle.

Mais qu’est-ce que la « précarité » dans le registre professionnel ? Alors que je privilégiais au départ la dimension du rapport à l’emploi, mon exploration bibliographique m’a rapidement conduite à déplacer le regard vers le champ du travail dans son ensemble, car les dynamiques de flexibilisation et de précarisation sont constitutives des transformations contemporaines du monde du travail qu’elles redessinent en profondeur. C’est pourquoi d’un questionnement initialement focalisé sur la précarité de l’emploi, j’en suis venue à une problématique mobilisant de façon plus large les diverses composantes des expériences du travail, pour en analyser les résonances avec le registre de la santé2. Partie du couple « santé et précarité », la recherche s’est peu à peu pleinement inscrite dans le champ « santé et travail ».

Alors que j’étais dans la phase de préparation de mon travail de thèse, un élément est intervenu et en a orienté le déroulement, en particulier sur le plan des entrées empiriques. Il s’agit d’un contrat de recherche financé par l’INSERM,dans le cadre

du programme « Santé et situation sociale ». Au sein de l’équipe de recherche, j’ai participé à l’élaboration du projet et à la réalisation de l’enquête3. A cette occasion,

1 DE LA ROCHÈRE B.,« Les sans-domicile ne sont pas coupés de l’emploi », INSEE Première, n° 925, 2003. 2 H

ÉLARDOT V., Expériences de la précarisation et rapports au corps : enjeux de santé, Mémoire de DEA de

sociologie (sous la direction de M. Drulhe), Université de Toulouse II-Le Mirail, septembre 1997.

3 DRULHE M., CLÉMENT S., HÉLARDOT V., MANTOVANI J., MEMBRADO M., Précarisation au travail et santé :

l’expérience sociale des salariés et de leur famille confrontée au jugement des médecins du travail, Rapport

de recherche pour l’INSERM, avril 2002, 187 p. Il est toujours difficile, lorsqu’un travail a été non seulement

effectué, mais pensé, organisé, analysé et rédigé collectivement, de retrouver a posteriori la part des contributions individuelles. Pour clarifier la répartition à un niveau général, je peux préciser que si le projet de recherche que nous avons soumis à l’INSERM était initialement une réélaboration de mon travail de DEA, la

réflexion et la réalisation collectives l’ont par la suite largement nourri et transformé. Lors de ce travail collectif, j’ai réalisé la plus grande partie des traitements statistiques. Puis, dans le cadre de ma thèse, j’ai

(24)

certains choix méthodologiques valant tant pour cette recherche collective que pour ma thèse ont été arrêtés.

Une enquête auprès de 50 médecins du travail

Une première décision importante a été le choix d’observer des contextes de précarisation « ordinaire » (par opposition à la « grande précarité » ou au chômage), et pour cela d’accéder à une population de salariés en emploi par le biais des professionnels spécialisés que sont les médecins du travail. Ceux-ci ont été sollicités à double titre : comme intermédiaires nous permettant de recruter la population enquêtée, mais aussi en tant qu’acteurs de terrain particulièrement bien placés pour nous informer sur les processus de précarisation à l’œuvre dans les milieux de travail, et également pour rendre compte de ce qui peut se passer sur le plan de la santé. Un premier volet de l’enquête a donc consisté à mener une cinquantaine d’entretiens téléphoniques auprès de médecins du travail de la région Midi-Pyrénées, afin d’analyser leurs représentations et leurs expériences en matière de précarisation au travail et de liens avec la santé1.

Un questionnaire soumis à 200 salariés « précaires » et « non précaires »

Les médecins ont ensuite été sollicités pour soumettre un questionnaire à des salariés qu’ils reçoivent en consultation (visite médicale d’embauche, visite annuelle ou consultation à la demande du salarié). La consigne était la suivante : soumettre le questionnaire à un salarié que le médecin estimait être en situation de précarité, puis au salarié vu immédiatement après, qu’il soit « précaire » ou non. La définition de la « précarité » était donc volontairement laissée aux libres jugements des médecins du travail (jugements que les entretiens téléphoniques avaient pour but d’expliciter). A la fin de chaque questionnaire, une question ouverte demandait aux médecins d’argumenter leur évaluation.

retravaillé (tant sur le fond que sur la forme) ces résultats, que j’ai prolongés et approfondis. Tout le volet qualitatif a été réalisé par la suite.

1 Cf. Annexe 2 : Liste des médecins du travail ayant participé à l’enquête, et Annexe 3 : Guide d’entretien

(25)

L’échantillon de salariés interrogés par questionnaire se compose de 200 personnes, 59% d’entre elles relevant de situations précarisées aux yeux des médecins du travail.

Ce questionnaire interroge les salariés d’une part sur leur parcours professionnel, leurs conditions de travail actuelles et passées, leurs conditions de vie ; et d’autre part sur leur trajectoire de santé (événements de santé, événements de vie) et leur auto-évaluation de leur santé actuelle1.

L’objectif de ce questionnaire n’était pas de faire apparaître des « déterminants sociaux de l’état de santé » liés à l’activité professionnelle. Nous souhaitions en effet nous démarquer d’une approche épidémiologique objectiviste et causale, et privilégier une approche permettant plutôt de mettre en regard diverses composantes de l’expérience sociale de personnes en emploi. Comment les salariés perçoivent-ils les rapports entre leur expérience du travail et de la précarité, leur expérience de la santé, et leur expérience de la vie relationnelle (entourage familial et social) ? Quelles significations accordent-ils à ces divers aspects de leur existence sociale ? Telles sont les questions qui ont guidé l’enquête par questionnaire, qui visait moins à recueillir des informations quantifiables sur des faits et des pratiques qu’à saisir les rapports subjectifs à la santé et au travail, en particulier dans le contexte de sa précarisation.

30 entretiens avec des salariés

Enfin, le troisième volet de la recherche (initialement prévu dans le cadre de l’enquête collective, mais que j’ai finalement réalisé ultérieurement) a consisté à effectuer des entretiens approfondis avec une trentaine de salariés2, recrutés également par le biais de médecins du travail. Ces entretiens avaient pour but de recueillir des récits biographiques permettant de mettre au jour les logiques subjectives et objectives de construction du rapport santé-travail-précarisation dans l’expérience des salariés ; de comprendre comment les enjeux de travail, d’emploi et de santé s’articulent au fil des parcours de vie ; et de décrire d’un point de vue

1 Cf. Annexe 4 : Questionnaire d’enquête.

2 6 hommes, 24 femmes, de 21 à 54 ans, ayant des statuts professionnels diversifiés, qui ont tous été

désignés comme « précaires » par 9 des médecins du travail participant à la recherche. Cf. Annexe 5 : Guide d’entretien avec les salariés, et Annexe 6 : Présentation des 30 entretiens avec les salariés.

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émique les différentes « mises en intrigue1 » élaborées par les salariés pour rendre compte de leur « histoire croisée » de santé et de travail.

Après cette présentation des principales étapes et des questions directrices de la recherche, je propose de caractériser les principes indissociablement épistémologiques, théoriques et méthodologiques qui ont guidé ce travail, et d’en préciser la problématique d’ensemble.

Interprétation et empiricité

« Nous partirons de deux postulats, qui ne semblent plus à démontrer à force d’avoir été réaffirmés et réargumentés par les uns et les autres : a) les sciences sociales sont fondamentalement interprétatives (corrélat : le positivisme scientiste et le naturalisme ne sont pas tenables), b) les sciences sociales sont des sciences empiriques (corrélat : l’anarchisme méthodologique et le postmodernisme ne sont pas tenables) ».

Jean-Pierre Olivier de Sardan2

Sans entrer dans de longs développements qui dépasseraient largement le cadre de cette introduction, il me semble nécessaire de spécifier brièvement les caractéristiques du positionnement épistémologique et théorique adopté ici.

Tout d’abord, concernant la question très générale du rapport au réel, qui travaille toute démarche scientifique en tant qu’elle vise à élaborer une connaissance de ce « réel », l’approche développée ici se situe dans une épistémologie constructiviste d’inspiration nominaliste. Cela signifie que la question de l’existence de la réalité en tant que telle, c’est-à-dire en dehors de son appréhension par des sujets (qu’ils soient des « scientifiques » ou des sujets « ordinaires ») n’a pas de pertinence : contrairement aux épistémologies positivistes ou réalistes, le constructivisme suppose que « la connaissance implique un sujet connaissant et n’a pas de sens ou de valeur en dehors de lui. Autrement dit, ce sujet n’est pas tenu de postuler (ou d’exclure) l’existence ou la non-existence d’un réel connaissable qui lui serait

1 R

ICŒUR P.,Temps et récit, 3 tomes, Paris, Seuil, 1983.

2 In « La violence faite aux données. De quelques figures de la surinterprétation en anthropologie », Enquête,

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étranger, et l’inconnu n’est pour lui qu’un connaissable en instance d’actualisation1 ».

Dans le champ particulier des sciences humaines, cette posture a donné lieu à de multiples mises en œuvre : « la voie constructiviste n’est pas une autoroute bien tracée et rectiligne ; elle ressemble plutôt au treillis de sentiers de randonnée plus ou moins bien balisés qui couvrent nos paysages rupestres2 ». Parmi ces chemins,

celui que j’ai suivi emprunte à la sociologie phénoménologique d’A. Schütz, qui lui-même prolonge la sociologie compréhensive de M. Weber. J’en retiens les principes essentiels suivants :

1. le monde social est d’emblée un monde intersubjectif, « parce que nous y vivons comme hommes parmi d’autres hommes3 » ;

2. il est un « univers significations », caractérisé par sa « texture signifiante4 » : « les êtres humains qui y vivent, qui y pensent et qui y agissent » construisent des « objets de pensée qui déterminent leur comportement, définissent le but de leur action, les moyens utiles pour les mener à bien – en bref, qui les aident à s’y retrouver à l’intérieur de leur environnement, tant naturel que socioculturel et à s’en accommoder5 » ;

3. « le but des sciences sociales est l’explication de la "réalité sociale" en tant qu’elle est appréhendée par une personne dont la vie quotidienne se déroule à l’intérieur du monde social lui-même6 » ;

4. l’élaboration de la connaissance sociologique, qui consiste à « comprendre par interprétation l’activité sociale et par là [à] expliquer causalement son déroulement et ses effets7 » ne diffère pas dans sa nature cognitive de la façon dont les sujets organisent et interprètent pour eux-mêmes la réalité sociale. Les objets de pensée construits par le sociologue « se fondent sur les objets de pensée construits par la pensée courante. (...) Les constructions utilisées par le chercheur en sciences

1 L

EMOIGNE J.-L., Les épistémologies constructivistes, Paris, PUF, 1995, p. 67.

2 DRULHE M., « Comment mesurer la santé ? », Esprit, février 1997, p. 61. 3 S

CHÜTZ A., Le chercheur et le quotidien, trad. fr. : Paris, Méridiens Klincksieck, 1987, pp. 15-16.

4 Ibid. 5 Ibid., p. 10. 6 Ibid., p. 42. 7 W

EBER M., Économie et société, 1. Les catégories de la sociologie, trad. fr. : Paris, Pocket, 1995, p. 28.

Weber précise que cet objectif vaut pour la sociologie « telle que nous la concevons ici (qui se limite à la "sociologie compréhensive" que l’on ne peut ni ne doit imposer à personne » (ibid., p. 40).

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sociales sont, pour ainsi dire, des constructions au deuxième degré, notamment des constructions de constructions édifiées par les acteurs sur la scène sociale1 ».

La compréhension sociologique2 vise donc à élaborer une reconstruction interprétative de la réalité. Pour que les analyses ainsi produites puissent prétendre au statut de connaissances scientifiques (au sens où ce terme s’applique dans le champ des sciences humaines3), ce travail interprétatif doit être mené avec un souci constant de validité empirique, c’est-à-dire en s’assurant autant que possible que les interprétations proposées soient cohérentes avec les données analysées, et que celles-ci rendent compte au mieux des réalités que l’on cherche à décrire. Je me référerai ici aux propos de J.-P. Olivier de Sardan4 qui me semblent énoncer l’essentiel de ce principe d’adéquation entre « référents empiriques » et « assertions interprétatives ». Celui-ci suppose le respect d’un double lien :

– le lien « entre le "réel de référence" et les données produites à son sujet ». Ce lien est à dominante méthodologique : il s’agit de « garantir que les données produites indiquent quelque chose du "réel" et ne sont pas sans le "représenter" d’une certaine façon ». L’attention doit donc porter ici sur le choix et l’utilisation des méthodes d’enquête, en gardant à l’esprit que : premièrement, quel que soit l’outil de recueil des données, « seul un fragment de la réalité peut constituer chaque fois l’objet de l’appréhension scientifique5 » (chaque méthode possède son « champ de vision » et ses angles morts) ; deuxièmement, les « données » ne sont pas le réel, elles en sont une mise en forme fondée sur des choix de découpage, de définition, de mesure... qui ne sont pas exempts de biais dont il faut être conscient ;

– le lien « entre ces données et les énoncés interprétatifs proposés ». A dominante argumentative, ce lien suppose de la part du chercheur une « mise en scène ou une mise en récit de ces données (sous formes d’attestation, d’exemples, de tableaux, de schémas, de cartes, de cas, etc.)6 ».

1 S

CHÜTZ A., Le chercheur et le quotidien, op. cit., p. 11.

2 SCHNAPPER D., La compréhension sociologique. Démarche de l’analyse typologique, Paris, PUF, 1999. 3 P

ASSERON J.-C., Le raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du raisonnement naturel, Paris,

Nathan, 1991.

4 OLIVIER DE SARDAN J.-P., « La violence faite aux données. De quelques figures de la surinterprétation en

anthropologie », op. cit., pp. 36-41.

5 W

EBER M., Essais sur la théorie de la science, trad. fr. : Paris, Pocket, 1992, p. 149.

6 Pour chaque analyse proposée, je fais apparaître autant que possible les données sur lesquelles je

m’appuie, qu’il s’agisse de tableaux statistiques ou d’extraits d’entretiens, qui ne sont donc pas présentés à titre « illustratif » mais bien comme la matière première d’une analyse « enracinée » (« grounded ») sur les données empiriques (cf. : GLASER G. G.,STRAUSS A. L.,« La production de la théorie à partir des données »,

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Le travail de production de connaissances dans le domaine des sciences humaines doit donc se doter de « garde-fous contre la propension aux excès interprétatifs : le recoupement des sources, la recherche des contre-exemples, l’identification des propos, la compétence linguistique, et bien d’autres "tours de métier", aident à garder une souhaitable prudence empiriciste au sein même de la nécessaire prise de risque interprétative ».

Ces quelques principes d’ordre épistémologique, théorique et méthodologique, très brièvement énoncés ici1, sont au fondement de la démarche adoptée dans ce travail, et l’on pourra je l’espère s’en rendre compte tout au long du présent texte.

Les expériences sociales de la santé et de la précarisation du travail :

une intelligibilité plurielle

Le cadre théorique qui vient d’être décrit s’opérationnalise en particulier dans le choix d’un concept essentiel : celui d’expérience sociale. Le terme « expérience » désigne la succession des situations et des événements de l’existence en tant qu’ils sont

perçus, interprétés, reconstruits et restitués2 par des individus considérés avant tout comme

des sujets. C’est donc à une sociologie de l’expérience que se rattache de façon centrale

ce travail, qui rejoint en cela l’invitation de F. Dubet à « suivre les postulats d’une sociologie "phénoménologique", étant donné qu’il n’est de conduite sociale qu’interprétée par les acteurs eux-mêmes3». Cette définition du concept d’expérience appelle certaines précisions importantes, qui paraîtront peut-être relever du « sens commun sociologique », mais qui à mon sens méritent néanmoins d’être clairement formulées afin d’éviter tout malentendu.

Il faut en premier lieu souligner la portée nécessairement longitudinale de l’expérience ainsi définie : même lorsqu’elles sont appréhendées dans le présent et en référence à une situation momentanée, les expériences (de la santé, du travail, de l’emploi...) sont toujours à envisager dans une double mise en perspective

1 En complément aux références déjà citées, cf. notamment : B

ENOIST J., KARSENTI B. (dir.), Sociologie et phénoménologie, Paris, PUF, 2001 ; BERGER P., LUCKMANN T., La construction sociale de la réalité, trad. fr. :

Paris, Masson/Armand Colin, 1996 ; CORCUFF P., Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan, 1995 ; PHARO P., Le

sens de l’action et la compréhension d’autrui, Paris, L’Harmattan, 1993.

2 En particulier sous la forme du récit dans le cadre de l’enquête par entretiens. La démarche adoptée pour

la conduite et l’analyse des entretiens est présentée dans l’introduction de la troisième partie.

3 D

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rétrospective et prospective. La diachronie est une dimension constitutive de l’expérience et donc un point crucial de son analyse.

D’autre part, il est nécessaire de clarifier ce qui est entendu ici sous les catégories du « subjectif » et de la « subjectivité ». L’expérience, certes, est indissociable du sujet qui la vit, et l’objet d’une sociologie de l’expérience est donc la subjectivité des acteurs. Mais il faut immédiatement préciser que :

1. le « subjectif » ne se réduit pas au « ressenti », à l’émotionnel au sens du « vécu », des affects et des sentiments passivement éprouvés par les individus. Il englobe également toute la part cognitive et symbolique de l’activité humaine de

construction de significations et d’articulation de ces interprétations entre elles. En

ce sens, l’expérience est « une manière de construire le réel et surtout de le "vérifier", de l’expérimenter. (...) L’expérience sociale n’est pas une "éponge", une manière d’incorporer le monde à travers des émotions et des sensations, mais une façon de construire le monde1 » ;

2. le « subjectif » n’est pas l’arbitraire ou l’irrationnel : les acteurs n’élaborent pas des significations et ne construisent pas leur rapport au monde « ex nihilo » mais bien à partir des événements, situations, circonstances concrètes, interactions avec autrui... dans lesquels ils sont engagés. Le « subjectif » consiste donc en une appropriation et une mise en forme de l’ « objectif », c’est-à-dire de ce qui se présente comme tel aux yeux des individus ;

3. le « subjectif » n’est pas a-social : il est enraciné dans la vie concrète, donc sociale, des individus, et les catégories utilisées pour donner sens à ce « monde-vie2 », se le représenter et en rendre compte, sont elles-mêmes socialement et historiquement construites (à commencer par le langage lui-même). C’est pourquoi il est pertinent de parler d’expériences sociales (même si d’un point de vue sociologique il s’agit presque d’un pléonasme) ;

4. ainsi défini, le « subjectif » intéresse la sociologie en ce qu’il oriente très concrètement les actions et les comportements. Lorsqu’on dit que l’expérience est « reconstruite » ou « mise en forme » par les sujets, la dimension symbolique n’est pas la seule en jeu : à partir du sens qu’ils donnent à leurs situations, les acteurs s’engagent dans des conduites concrètes, des choix pragmatiques, des actions

1 Ibid., p. 93.

2 Husserl introduit ce concept de « monde vécu » ou « monde-vie » (« Lebenswelt ») dans La crise des

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matérielles..., et reconfigurent ainsi leur « expérience1 » dans sa dimension factuelle.

On comprend donc (et, je l’espère, on constatera) que la sociologie de l’expérience telle qu’elle est mise en œuvre dans ce travail n’a rien d’une approche qui resterait enfermée dans la seule attention à l’ « intériorité » des sujets envisagés comme de « purs esprits ».

Le travail présenté ici se focalise sur deux registres particuliers des expériences sociales (sans pour autant les isoler des autres composantes de l’existence : histoire familiale, vie relationnelle, conditions de vie...) : les expériences du travail et de l’emploi et les expériences de la santé, et vise à rendre intelligibles leurs articulations en privilégiant le point de vue émique. L’une des spécificités de la démarche est donc de s’intéresser à un objet hybride, situé à l’intersection entre plusieurs ordres de réalité et inscrit dans des champs distincts de la discipline sociologique : la sociologie de la santé, la sociologie du travail et la sociologie de l’emploi. Il s’agit donc de puiser dans chaque corpus disciplinaire les concepts et les résultats empiriques susceptibles d’éclairer l’interrelation santé-travail dans ses multiples dimensions. Il faut par ailleurs souligner la relative rareté des approches sociologiques qui tentent d’appréhender conjointement les registres du travail, de l’emploi et de la santé. La sociologie du travail n’aborde en effet que de façon très marginale la dimension de la santé ; les approches sociologiques de la précarité sociale et de la pauvreté considèrent la plupart du temps les faits de santé comme des « dommages collatéraux » parmi d’autres ; et en sociologie de la santé le travail n’est souvent qu’un élément de cadrage socioprofessionnel. De plus, lorsque la thématique des liens entre santé et travail est abordée, c’est le plus souvent sous l’angle des « effets du travail sur la santé », dans une optique inspirée des travaux d’épidémiologie sociale sur les « déterminants sociaux de la santé ». Même si ces approches apportent des résultats intéressants et importants, elles sont insuffisantes pour comprendre pleinement le rapport santé-travail, que je propose ici d’appréhender dans sa complexité grâce à un double déplacement du regard : d’une part, d’une approche causale unilatérale à une analyse prenant en compte la

DE QUEIROZ J.-M.,

1 On reconnaît ici le fameux « théorème de Thomas » : « quand les hommes considèrent leurs situations

comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences » (W. Thomas, cité in

(32)

réciprocité de la relation (cf. le double sens du façonnement mutuel évoqué plus haut) ; d’autre part, d’une approche externe reposant sur des catégories préconstruites à une recherche des logiques et des interprétations émiques par lesquelles les salariés construisent leurs expériences du travail et de la santé. Plus largement, j’ai cherché à diversifier les modes d’intelligibilité du rapport santé-travail, de façon à l’étudier sous de multiples facettes1 (sans bien entendu prétendre à l’exhaustivité). Cela consiste notamment à faire jouer une triple complémentarité : – celle des échelles de contextualisation et d’analyse : les articulations santé-travail-précarisation sont ainsi analysées sous l’angle biographique des parcours, au niveau des situations et des interactions, à l’échelle macro-sociale des structures, et dans leurs modes de construction historique ;

– celle des entrées empiriques : l’objet est appréhendé au prisme de l’expérience des salariés, mais aussi du point de vue des médecins du travail, et par le recours à des sources documentaires d’horizons disciplinaires variés ;

– celle des méthodologies : données quantitatives et qualitatives sont mobilisées et s’éclairent mutuellement, leur mise en perspective permettant de faire évoluer les questions et d’affiner les analyses. J’ajoute, s’il en était besoin, qu’il n’existe aucune hiérarchie de principe quant au statut respectif et à la valeur argumentative des deux types de matériaux : les entretiens ne sont pas conçus comme une « illustration » des analyses statistiques, qui elles-mêmes ne sont pas un simple « cadrage » des données d’entretiens2.

J’ai fait le choix d’organiser la thèse en trois grandes parties, dont l’ordre correspond globalement au déroulement chronologique du travail, et surtout à la progression du cheminement analytique.

La première opération à effectuer me semblait être de caractériser précisément les « processus de précarisation du travail et de l’emploi3 », afin de pouvoir ensuite comprendre de quelles façons ils modèlent l’expérience des salariés et pèsent sur la

1 « Plutôt que de rester attaché à une échelle de contexte, à une méthode particulière et/ou à un mode

d’écriture particulier, il est utile de faire soi-même varier, sur le même objet, les modes d’observation, de description et d’interprétation » (LAHIRE B., « La variation des contextes en sciences sociales. Remarques

épistémologiques », Annales Histoire et Sciences Sociales, n° 2, 1996, p. 398).

2 Un encart qui pourra servir d’aide-mémoire et/ou de marque-page présente les principales caractéristiques

de la population interrogée par questionnaire et des personnes rencontrées en entretien.

3 Ou, de façon plus concise, « les processus de précarisation du travail » – le « travail » étant alors entendu

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structuration du rapport santé-travail. Ces processus sont donc analysés dans le

premier chapitre, qui décrit les transformations contemporaines à l’œuvre dans le

monde du travail autour de quatre phénomènes majeurs étroitement liés entre eux : la précarisation structurelle de l’emploi (et ses conséquences sur les modes de vie des individus en situation de précarité professionnelle) ; les nouvelles divisions du travail allant dans le sens de sa fragmentation et d’un éclatement des collectifs ; l’intensification du travail ; et le renouveau des formes d’encadrement et de mobilisation des salariés (« néomanagement »). Le chapitre s’achève avec une présentation de l’approche développée par Serge Paugam1 qui distingue quatre formes d’intégration professionnelle à partir du croisement des deux axes qui la construisent : celui du rapport à l’emploi et celui du rapport au travail.

Le chapitre II poursuit l’exploration de la notion mobilisée dans la question de départ (la « précarité »), en élargissant le regard de l’intégration professionnelle à l’intégration sociale. Il s’agit de montrer en quoi les processus décrits dans le premier chapitre sont constitutifs d’un effritement du modèle sociétal incarné par la « société salariale », et de proposer quelques pistes de réflexion sur l’actualité et l’avenir du lien entre salariat et « question sociale ».

Les deux chapitres de la première partie proposent donc un tour d’horizon conceptuel et empirique des notions de précarité et de précarisation, en examinant les réalités qu’elles recouvrent tant à l’intérieur du monde du travail que sous l’angle plus large de l’intégration sociale.

Une fois ces clarifications établies, le cœur de l’objet peut être abordé. La deuxième partie en propose une première approche organisée en trois temps. Le rapport santé-travail est d’abord caractérisé dans son histoire et ses formes contemporaines : en faisant appel à des sources théoriques et empiriques variées (sociologie, épidémiologie, psychodynamique du travail...), le chapitre III montre comment les processus de précarisation décrits dans le chapitre I transforment et renouvellent les enjeux de l’interrelation santé-travail, à travers un ensemble pluridimensionnel de processus qui aboutissent globalement à un durcissement de la tension constitutive du rapport santé-travail évoquée au début de cette introduction. Après cette prise de repères analytiques, deux points de vue sur les

1 PAUGAM S., Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle, Paris, PUF,

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relations santé-travail-précarisation sont examinés et mis en regard. Celui, tout d’abord, des salariés interrogés par questionnaire : le chapitre IV expose les résultats de l’enquête quantitative en mettant notamment en lumière la diversité des expériences du travail et de l’emploi comme celle des expériences de la santé, et en analysant comment ces deux registres s’associent et s’articulent dans les situations et les parcours des salariés. Le chapitre V décrit quant à lui le point de vue des médecins du travail, c’est-à-dire la façon dont, au cours de leur pratique professionnelle, ils perçoivent et interprètent les phénomènes de précarisation du travail et leurs résonances avec la dimension de la santé.

Armée de toutes les analyses précédentes, la troisième partie entre de plain-pied dans l’analyse des expériences sociales des salariés. Le chapitre VI est consacré aux rapports au travail et à l’emploi : il en fait ressortir les modalités et les logiques, et montre comment les deux axes se combinent dans des configurations diversifiées et changeantes au fil des parcours. Le chapitre VII décrit les expériences de la santé sous le double angle des représentations et des pratiques. Enfin, le chapitre VIII analyse les entrelacements biographiques des expériences de la santé et des expériences du travail et de l’emploi. Le rapport santé-travail est d’abord « décomposé » en dynamiques élémentaires puis, à partir de ce cadre d’analyse, je développe une approche combinatoire qui permet de décrire comment les enjeux simultanés de santé et d’intégration professionnelle sont perçus et négociés par les salariés, tant sur le plan des significations élaborées que dans les conduites concrètes et les arbitrages mis en œuvre. L’attention porte en particulier sur les configurations dans lesquelles enjeux de travail, d’emploi et de santé se révèlent au moins partiellement inconciliables (« santé ou travail ? »). Il s’agit alors de comprendre comment cette tension se présente aux salariés, et ce qu’ils en font, en fonction à la fois de logiques et de perspectives subjectives, et des différentes ressources et contraintes qui caractérisent leur situation.

(35)

P

R E M I È R E P A R T I E

T

R A V A I L

,

E M P L O I

,

S A L A R I A T

:

I N C E R T I T U D E S E T I N S É C U R I T É S

(36)
(37)

Les deux chapitres de cette première partie visent à montrer qu’un ensemble de phénomènes sociaux et économiques caractéristiques de la société française actuelle sont autant de facettes d’un même processus socio-historique : celui, pour le dire succinctement, du développement du capitalisme contemporain. C’est en effet dans une même dynamique que s’inscrivent le chômage de masse (celui des « jeunes », celui des plus âgés, celui « de longue durée »...) ; les emplois « précaires » parce que non stables dans le temps ou trop peu rémunérés (temps partiels) pour permettre de vivre correctement ; les « restructurations » opérées par les entreprises ; le durcissement des conditions, des rapports et des ambiances de travail ; l’ « exclusion sociale » (extrême pauvreté, « SDF ») ; et plus généralement la perception d’une menace diffuse et omniprésente, une peur sociale de sombres lendemains.

Les discours communs, médiatiques notamment, ont fréquemment recours au terme « précarité » pour désigner ces différents faits sociaux, et les appréhendent bien souvent à travers des catégories préconstruites (notamment de type juridique ou administratif : « rmistes », « chômeurs de longue durée », « jeunes sans qualification », etc.), entérinant du même coup une vision à la fois statique et parcellaire de ce phénomène1.

Parallèlement, divers travaux scientifiques ont abordé la « précarité » sous des angles relativement autonomes : d’un côté, la thématique du travail et de l’accès au

1 La notion de « précarité », comme le montre J.-C. Barbier, est d’abord issue du champ des politiques

familiales. Elle s’est ensuite banalisée jusqu’à désigner la « précarité » de la société tout entière, tandis que certains auteurs (des économistes notamment) réservent l’usage de ce terme aux évolutions du marché de l’emploi. Cf. : BARBIER J.-C.,A survey of the use of the term « précarité » in French economics and sociology,

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marché de l’emploi, de l’autre celle de l’intégration ou « exclusion » sociales, de la pauvreté, des conditions de vie (le logement et la ségrégation spatiale, la famille et ses modes de décomposition-recomposition, la sociabilité et les formes de fragilisation du lien social).

Je voudrais ici, à la suite d’autres auteurs1, proposer une approche plus unifiée, centrée sur la notion de précarisation sociale, en mettant en avant d’une part sa double inscription dans la sphère de l’emploi et du travail, et d’autre part ses manifestations dans le registre des conditions et des modes de vie, des sociabilités et des cultures.

Cette première partie a donc pour ambition de « faire le tour » d’un objet multiforme, dont j’essaierai de montrer à la fois la complexité et la cohérence. Mon objectif n’est pas d’analyser en détail et de façon exhaustive les formes et les logiques des évolutions sociétales récentes en matière d’emploi, de travail et de protection sociale (tâche qui dépasserait largement le cadre de ce travail), mais d’en retracer les principaux aspects et les enjeux majeurs, dans un double objectif : 1. clarifier et définir les différents ordres de réalités que recouvrent les notions de « précarité » ou de « précarisation » (dans et hors de la sphère du travail et de l’emploi) ; 2. (pro)poser les repères à la fois empiriques et analytiques nécessaires pour éclairer et contextualiser l’ensemble des données et des analyses qui seront l’objet des chapitres suivants, et qui montreront la centralité de la santé au sein de ces processus.

Dans un premier chapitre, je propose d’analyser ce que j’appellerai globalement la « précarisation du travail » à travers ses quatre principales composantes : la précarisation de l’emploi (§1), les nouvelles formes de mobilisation du travail et de relations inter-entreprises (§2), l’intensification du travail (§3), et le développement d’un néomanagement (§4). Je présenterai ensuite la typologie de l’intégration professionnelle élaborée par Serge Paugam, fondée sur la combinaison de deux axes distincts : celui du rapport à l’emploi et celui du rapport au travail. Puis, dans un deuxième chapitre, j’élargirai le propos, centré jusque-là sur les recompositions du travail et de l’emploi, et montrerai en quoi celles-ci s’inscrivent plus largement dans

1 Notamment CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, op. cit. ; APPAY B., THÉBAUD-MONY A. (dir.),

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une remise en question du modèle salarial (§1) et, peut-être, de la centralité du travail (§2).

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