• Aucun résultat trouvé

b) Des temps et des horaires de travail de plus en plus flexibles

Outil majeur de flexibilisation du temps de travail, le travail à temps partiel concerne en 1998 17% des actifs occupés, avec une progression d’environ un point par an depuis 1992 (date de la mise en place du dispositif d’exonération de cotisations sociales employeurs pour le temps partiel)1. On trouve les emplois à temps partiel surtout dans le secteur tertiaire (commerce, services aux particuliers) et dans les industries agroalimentaires, et cette forme d’emploi demeure très largement féminine (plus de 80%).

Mais plus que le temps partiel proprement dit, c’est le sous-emploi qu’il est pertinent d’interroger : il désigne, selon la définition du BIT, le cas des « personnes pourvues d’un emploi qui travaillent involontairement moins que la durée normale du travail dans leur activité, et qui étaient à la recherche d’un travail complémentaire, ou disponibles pour un tel travail dans la semaine de référence ». C’est la distinction entre le temps partiel choisi et le temps partiel subi qui est ici importante. Ce dernier concernait 1,5 million de personnes en 1997, et représentait 43% des emplois à temps partiel (et jusqu’à 66% parmi les salariés en poste depuis moins d’un an). On peut ajouter qu’il existe une association forte entre le fait de travailler en temps partiel contraint et le fait d’occuper un emploi précaire : en 2002, 21,5% des femmes travaillant en temps partiel contraint sont aussi titulaires d’un contrat précaire (contre seulement 8% des femmes exerçant à temps complet, et 7% de celles qui ont choisi le temps partiel). Cette remarque vaut aussi pour les hommes, qui sont deux fois plus nombreux à avoir un contrat précaire lorsqu’ils l’exercent en temps partiel contraint que lorsqu’ils travaillent à temps complet.

1 AUDRIC S., FORGEOT G., « Le développement du travail à temps partiel », in Données sociales 1999, op. cit., pp. 177-181. Paradoxalement, l’essor du temps partiel n’empêche pas par ailleurs que les longues durées de travail soient également plus fréquentes : la proportion de salariés qui déclarent travailler plus de 10 heures par jour est ainsi passée de 18% en 1984 à près de 22% en 1998.

Plus encore que l’emploi à durée déterminée, l’emploi à temps partiel recouvre une grande hétérogénéité sociale. A cause de sa grande majorité féminine1, il a souvent été étudié sous l’angle du genre2. Pour une synthèse générale, je reprendrai ici le travail de Bénédicte Galtier3, qui propose de distinguer, parmi les salariés à temps partiel, sept catégories. Sa typologie repose sur la combinaison du critère choisi/contraint croisé avec trois logiques d’emploi.

Dans la logique d’insertion dans l’emploi, on peut distinguer trois groupes de salariés ayant en commun le souhait de travailler davantage (temps partiel contraint) : des hommes de moins de 25 ans, peu qualifiés, exerçant souvent en stage ou en contrat aidé ; des hommes de 25 à 56 ans, plus diplômés que les précédents, et pour qui le travail à temps partiel est une activité « faute de mieux » après une période de chômage ; enfin, des femmes de moins de 25 ans, dont plus du tiers sont employées de commerce, et près d’une sur dix ouvrières non qualifiées dans le secteur artisanal.

Une autre logique associée au temps partiel (mais ici, choisi) est celle de la sortie

progressive de l’emploi, et concerne des hommes de plus de 56 ans adhérant à la

préretraite, après avoir longtemps exercé, souvent dans des grandes entreprises4. Enfin, une troisième forme d’emploi à temps partiel, spécifiquement féminine et qui représente 70% des salariés à temps partiel, regroupe des femmes de plus de 25 ans, les unes (souvent les plus âgées) ayant choisi de travailler à temps partiel comme employées de bureau ou de commerce, ou comme salariées des professions intermédiaires de la santé ; les autres, non qualifiées, exerçant en temps partiel contraint à plus de 15 heures par semaine comme secrétaires, assistantes maternelles, employées de maison, ouvrières agricoles ; ou à moins de 15 heures hebdomadaires, comme femmes de ménage ou salariées des entreprises de nettoyage. Bien que travaillant à temps partiel selon des logiques différentes (par choix, notamment en référence aux temps scolaires, ou par contrainte), ces femmes

1 Il faut rappeler que l’arrivée massive des femmes sur le marché de l’emploi s’est pourtant effectuée d’abord à temps plein, cf. : MARUANI M.,Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, 1999.

2 BOURREAU-DUBOIS C., GUILLOT G., JANKELIOWITCH-LAVAL E., « Le travail à temps partiel féminin et ses déterminants », Économie et statistique, n° 349-350, 2001, pp. 41-61.

3 GALTIER B., « Les temps partiels : entre emplois choisis et emplois faute de mieux », Économie et

statistique, n° 321-322, 1999, pp. 57-77. Les données sont issues de l’enquête Emploi de mars 1995 et de

l’enquête complémentaire sur la durée du travail réalisée la même année. L’étude réalisée porte sur les salariés du secteur privé (N=12 082).

4 On trouve un exemple de ce cas de figure, mais pour une femme, parmi les entretiens réalisés auprès de salariés : celui de Mme Jost, infirmière d’entreprise.

ont en commun d’avoir transité par le chômage au cours des deux années précédant l’enquête.

Le temps de travail traditionnel tend également à perdre son caractère typique avec le développement des rythmes de travail variables, décalés et/ou morcelés. Si les horaires « atypiques » (travail de nuit, travail posté) font partie depuis longtemps de l’organisation du travail, notamment dans l’industrie, et se maintiennent dans des proportions constantes1, on observe une tendance de fond à la flexibilisation des horaires de travail qui traverse tous les secteurs d’activité, y compris le secteur public. Cette flexibilité, différenciée selon les entreprises, repose sur l’utilisation du temps partiel, de la modulation, des heures supplémentaires et, bien sûr, varie fortement selon les modes de mise en place de la réduction du temps de travail2. Elle prend parfois la forme d’une corvéabilité (ou « flexploitation »), c’est-à-dire d’une « mise à disposition permanente et aléatoire de la force de travail3 », à laquelle sont soumises en particulier les femmes (mais pas exclusivement)4.

Au cours des années 1980, les semaines irrégulières et le travail du samedi ont fortement augmenté, pour se stabiliser dans la décennie suivante, tandis que le travail de nuit et celui du dimanche ont légèrement progressé5.

Entre 1984 et 1998, la proportion de salariés qui déclarent travailler un nombre de jours variable par semaine est passée de 11,8% à 14,4% (avec une augmentation de 14% à 19% parmi les employés). Si les cadres et les professions intermédiaires ont des semaines plus régulières en 1998, c’est l’inverse pour les ouvriers de type industriel, qui en outre travaillent plus souvent la nuit6.

1 BOISARD P., FERMANIAN J.-D., « Les rythmes de travail hors norme », Économie et statistique, n° 321-322, 1999, pp. 111-131.

2 ESTRADE M.A., ULRICH V., « Réduction du temps de travail et réorganisation des rythmes de travail », in

Données sociales 2002-2003, Paris, INSEE, 2002, pp. 301-308 ; ULRICh V., « Durée annuelle du travail et outils de flexibilité du temps de travail en 2001 », Premières synthèses, n° 33.1, 2003.

3 APPAY B., « Précarisation sociale et restructurations productives » in APPAY B., THÉBAUD-MONY A. (dir.),

Précarisation sociale, travail et santé, op. cit., pp. 509-553.

4 L’approche historique montre que la précarité professionnelle a toujours été une caractéristique majeure du travail féminin, cf. : FRADER L.L., « Précarité du travail et rapports sociaux de sexe. Une perspective historique », in APPAY B., THÉBAUD-MONY A. (dir.), Précarisation sociale, travail et santé, op. cit., pp. 291-311.

5 GOUX D., « Les horaires de travail atypiques sont de moins en moins exceptionnels », in Données sociales

1993, Paris, INSEE, 1993, pp. 188-194.

6 BUÉ J., ROUGERIE C., « L’organisation des horaires : un état des lieux en mars 1998 », Premières synthèses, n° 30.1, 1999.

En 1998, à peine 50% des salariés ont les mêmes horaires de travail tous les jours (ils étaient 59% en 1984). Parmi les autres, 17% ont des horaires variables selon les jours, décidés par l’entreprise (cette proportion est stable par rapport à celle de 1984), et 14,4% choisissent leurs horaires de travail (10,5% en 1984)1. Enfin, en 1998, près d’un quart des salariés ne connaissent leurs horaires de travail que pour la semaine ou le lendemain, ou bien ne connaissent pas du tout leurs horaires à venir2.

On pourrait penser qu’avoir des horaires de travail flexibles ou irréguliers permet aux salariés d’échapper à la monotonie d’un emploi du temps répétitif. Si cette hypothèse reste à vérifier, il a en revanche été observé qu’à durée de travail identique, le fait d’avoir des horaires irréguliers est associé à un sentiment de fatigue et de manque de temps3. En effet, les résultats de l’enquête « Emploi du temps » de l’INSEE effectuée en 1998-1999 montrent que parmi les salariés travaillant entre 35 et 45 heures par semaine (soit la moitié des actifs), le sentiment d’être fatigué à la fin de la journée est moindre chez les personnes ayant des horaires standard, de même que chez les personnes dont les horaires varient peu d’une semaine à l’autre. De plus, chez les salariés les plus diplômés, l’autonomie dans l’organisation des horaires de travail va de pair avec le sentiment d’être débordé.

L’analyse des transformations des temps de travail (par rapport à la norme du temps plein aux horaires fixes) se décompose donc en (au moins) deux aspects bien distincts (même s’ils se cumulent souvent) : la problématique quantitative du temps

partiel centrée sur le nombre d’heures effectuées, et celle, qualitative, du temps flexible où la variabilité s’associe parfois à l’imprévisibilité.

1 Selon une autre méthodologie centrée sur les « rythmes irréguliers » (variations erratiques des jours travaillés et/ou des horaires de travail), la proportion des salariés travaillant à rythme irrégulier est passée de 19% en 1995 à 21% en 2001, cf. : BISCOURP P., « Les rythmes de travail entre 1995 et 2001 : faible progression de l’irrégularité », INSEE Première, n° 994, 2004.

2 Parallèlement à cette flexibilisation des horaires se maintient leur dimension contraignante : en 1998, 28% des salariés déclarent, en cas d’imprévu, ne pas pouvoir modifier leurs horaires de travail en s’arrangeant avec des collègues.

3 CHENU A., « Les horaires et l’organisation du temps de travail », Économie et statistique, n° 352-353, 2002, pp. 151-167.