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On dénombre usuellement quatre grandes formes d’emplois précaires, c’est-à-dire non durables : les contrats à durée déterminée (CDD), l’intérim, l’apprentissage, et les stages et contrats aidés dans le cadre des politiques publiques d’emploi1.

En 1982, cet ensemble d’emplois précaires concernait 736 000 salariés (en incluant les contrats précaires de la fonction publique). En 1990, ils sont 1 353 000, et en 1998, ce nombre approche de 2 millions, soit une multiplication par 2,7 (alors que dans le même temps, l’effectif des autres salariés est resté relativement stable). La plus forte progression concerne les stages et emplois aidés (5,4 fois plus nombreux en 1998), puis l’intérim et les CDD, dont le nombre a triplé entre 1982 et 19982. Si l’on rapporte ces chiffres à l’ensemble de l’emploi salarié, les proportions sont considérables et autorisent à parler d’un déclin de la norme de l’emploi stable : les emplois précaires représentent en 1998 près de 10% de l’emploi salarié total (7% en 1990).

Pour mieux saisir leur nature et comprendre quelles réalités ils recouvrent, je présenterai plus en détail deux figures de ces emplois précaires : les CDD et l’intérim. Ces deux types de contrat représentent en 1998 respectivement 5% et 3%

1 BELLOC B., LAGARENNE C., « Emplois temporaires et emplois aidés », in Données sociales 1996, Paris, INSEE, 1996, pp. 124-130.

de l’effectif des entreprises de plus de 20 salariés1 (près du quart de ces entreprises employant sous contrat temporaire plus de 10% de leur effectif2).

Trois grandes tendances caractérisent l’histoire récente des CDD et de l’intérim3, dont la réglementation progressive est le produit de l’interaction entre législateurs et négociations collectives. D’abord, les garanties légales offertes aux salariés concernés par ces formes d’emploi ont été renforcées, notamment sur le plan des salaires et des conditions de travail. Ensuite, les possibilités légales de recours à ces types de contrats ont été globalement élargies (même si cela s’est fait de façon discontinue, avec des fluctuations du cadre législatif4). Enfin, les statuts du CDD et de l’intérim ont été progressivement rapprochés.

Les premières entreprises de travail temporaire sont nées aux États-Unis au début du XXe siècle, puis en Europe après la deuxième guerre mondiale (implantation de Manpower à Paris en 1956)5. Mais, au niveau juridique, le secteur du travail temporaire est longtemps resté très inorganisé et artisanal. Peu à peu, les syndicats de salariés et certaines organisations professionnelles ont mis en place une réglementation du travail temporaire, dont la première étape est la signature d’un accord d’entreprise entre Manpower et la CGT en 1969, sur lequel s’est largement appuyée la loi de 1972 sur le travail temporaire. Cette loi reconnaît le travail intérimaire comme forme de travail à part entière et définit la nature juridique de la relation triangulaire entre salarié, entreprise utilisatrice et société de travail temporaire. Par la suite, l’activité intérimaire a évolué en fonction des législations successives et des fluctuations de la conjoncture économique générale. Après un développement dans les années 1970, il connaît une régression au début des années 1980, avec le second choc pétrolier et surtout la loi Auroux de 1982, qui vise à limiter les abus et restreint les conditions de recours à l’emploi intérimaire et la

1 Enquête REPONSE 1998, MES-DARES, cf. COUTROT T., « Les facteurs de recours aux contrats temporaires »,

Premières synthèses, n° 25.3, 2000.

2 Il semblerait qu’il y ait incompatibilité, au-delà d’un certain seuil, entre l’emploi temporaire et la mise en œuvre de nouveaux systèmes socioproductifs centrés sur la mobilisation et la valorisation de compétences qualifiées. Ainsi le seuil maximum optimal de CDD se situerait aux alentours de 10%, avec bien sûr de grandes différences selon les types d’entreprises. Cf. FOURCADE B., « L’évolution des situations particulières d’emploi de 1945 à 1990 », op. cit.

3 MICHON F., RAMAUX C., « CDD et intérim, bilan d’une décennie », Travail et emploi, n° 52, 1992, pp. 37-56.

4 Cf. : RAY J.-E.,« Flexibilité ou précarité normalisée du travail ? Le point de vue d’un juriste », in APPAY B., THÉBAUD-MONY A. (dir.), Précarisation sociale, travail et santé, op. cit., pp. 222-227.

5 JOURDAIN C., « L’intérim, une voie d’accès à l’emploi », in Données sociales 1999, Paris, INSEE, 1999, pp. 169-176.

durée des missions. La deuxième moitié de la décennie a au contraire été extrêmement favorable, grâce à l’expansion économique et à de nouvelles interventions des pouvoirs publics, cette fois pour faciliter le recours à l’emploi temporaire (lois de 1985 et 1986 qui élargissent les possibilités de recours). Mais à la suite de cet assouplissement, de nombreuses violations des règles sur les conditions de travail et le statut des salariés sont constatées, et pour y remédier la loi de 1990 revient à une liste limitative des motifs de recours, réduit à nouveau la durée maximale des missions, et met en place des moyens de contrôle. Ensuite, l’activité intérimaire a été particulièrement touchée par la récession du début des années 1990. Au milieu de la décennie, de nombreuses agences ferment leurs portes et l’on passe d’un millier d’entreprises en 1995 à une stabilisation autour de 850 depuis 1997.

L’histoire du CDD partage avec celle de l’emploi intérimaire sensiblement les mêmes grandes étapes législatives. Cependant, la loi fondatrice du CDD intervient plus tardivement, en 1979. Mais ce n’est qu’à partir de 1982, lorsque le CDI est institué comme le contrat de travail de droit commun, que le CDD confirme sa spécialisation comme contrat réservé à l’accomplissement de tâches précises et non durables. Cette caractéristique fait dire à F. Dauty et M.-L. Morin1 que le CDD est plutôt du côté du travail que de l’emploi, si l’on entend par « travail » l’exécution concrète de tâches définies, et par « emploi » l’existence d’une relation durable avec un employeur2.

Le paradoxe du CDD aujourd’hui est d’être « atypique » par rapport à l’emploi normal, tout en constituant le modèle de référence de l’emploi temporaire, particulièrement depuis 1985 où les motifs de recours au CDD et à l’intérim ont été uniformisés, ce qui permet de dire que CDD et intérim sont largement substituables en droit sinon en fait3.

1 DAUTY F., MORIN M.-L., « Entre le travail et l’emploi : la polyvalence des contrats à durée déterminée »,

Travail et emploi, n° 52, 1992, pp. 20-36.

2 On observe de ce point de vue une inversion de sens par rapport à ce qu’étaient les CDD à la fin du XIXe et au début de XXe siècle : ils ne concernaient que les fonctionnaires et les employés de commerce ou d’industrie, embauchés pour des durées déterminées mais longues (1 à 2 ans). Ainsi, F. Gaudu (cité par F. DAUTY et M.-L. MORIN) écrit dans « La notion juridique d’emploi en droit privé » (Droit social, 1987, p. 414) : « L’employé sait à l’avance qu’il obtiendra du travail pour l’année ou les deux années à venir. Sa situation – l’emploi – s’oppose en cela au travail de l’ouvrier qui peut être renvoyé sans indemnité et sans préavis ».

3 Il serait difficile d’analyser ici en détail les avantages et les inconvénients respectifs des CDD et de l’intérim du point de vue des employeurs. En termes financiers, l’intérim coûte un peu plus cher, puisqu’il

De façon synthétique, l’emploi temporaire (particulièrement les CDD et l’intérim) peut être décliné en cinq grandes figures typiques en fonction des logiques de recours1 :

– la logique industrielle, qui s’appuie sur un recours groupé à l’emploi temporaire, dans le cadre de procédures collectives, et souvent associé à des restructurations (plutôt dans les grandes entreprises, et typiquement dans le secteur de la construction automobile),

– la logique commerciale, centrée sur la recherche d’une flexibilité et d’un moindre coût de la main-d’œuvre (secteur type : les grandes surfaces alimentaires),

– la logique de spécialité, où l’entreprise recherche des qualifications et des savoir-faire précis (bâtiment, réparation automobile, conseil en informatique, petites unités industrielles),

– la logique civique, mise en œuvre par les politiques publiques d’emploi (collectivités locales),

– la logique d’arrangement personnalisé entre l’employeur et le salarié (ou logique domestique), par exemple pour la mise en place d’une préretraite ou pour l’embauche temporaire des enfants des salariés permanents.

Ainsi, CDD et intérim partagent une histoire en partie commune, et qui prend sens dans l’histoire plus large de l’avènement du CDI comme norme d’emploi. Leurs utilisations actuelles par les entreprises s’inscrivent dans des logiques proches. Mais ces deux types de contrat concernent des populations et des emplois dont les caractéristiques ne se recouvrent pas entièrement.

Si le taux de croissance de l’intérim dépasse depuis 1995 celui des CDD, ceux-ci représentent encore deux fois plus de salariés en 2002 (500 000 intérimaires pour 900 000 salariés en CDD1).

suppose le versement de frais de mission à l’entreprise de travail temporaire, mais il économise par ailleurs le coût associé à la sélection et au recrutement des salariés. Globalement, il semble que l’intérim soit plus rentable pour des durées très courtes (moins d’un mois). Pour une comparaison détaillée, voir MICHON F., RAMAUX C., « CDD et intérim, bilan d’une décennie », op. cit.

1 MICHON F., RAMAUX C., « CDD et intérim, bilan d’une décennie », op. cit., p. 53. Les cinq types présentés dans cet article sont inspirés d’une classification portant sur l’utilisation des dispositifs de la politique publique pour l’emploi (Callens S., Essai sur les logiques économiques liées aux initiatives pour l’emploi, CEE, Dossier de recherche n° 28, 1990).

Les salariés employés en CDD sont pour plus de la moitié des femmes (58% en 2002), et cette proportion est stable depuis 1990. On observe une tendance à l’élévation du niveau de qualification des salariés : 45% ont au moins le Bac (ils n’étaient que 25% en 1990), même si à l’opposé un quart d’entre eux n’ont aucun diplôme. Ils sont également moins jeunes qu’auparavant : 28% ont moins de 25 ans (cette proportion atteignait 41% en 1990). 60% travaillent dans le secteur tertiaire, et un tiers occupent des postes d’ouvriers et d’employés non qualifiés.

La durée moyenne des CDD s’est stabilisée autour de deux mois et demi. D’une façon générale, cette durée augmente avec la taille de l’entreprise.

Il existe un partage sectoriel traditionnel entre les CDD et l’intérim : les premiers se trouvent surtout dans le secteur tertiaire, les seconds dans l’industrie2. Le taux moyen de recours3 à l’intérim dans l’industrie en 1999 est de 6,5% (pour 1,5% dans le tertiaire), et jusqu’à 9,3% dans la construction automobile. La construction est également fortement utilisatrice du travail intérimaire, avec un taux de recours de 7,8%. Ces constats expliquent que la population concernée par les contrats d’intérim est largement masculine (près de 70% en 2002), plus souvent non diplômée (30%), et occupe pour plus de 80% des postes d’ouvriers (en majorité non qualifiés). Les intérimaires sont également très jeunes : 45% ont moins de 25 ans, 8% ont plus de 45 ans.

La durée moyenne des missions d’intérim se situe autour de deux semaines (avec des missions notablement plus longues dans l’industrie que dans le tertiaire). Chaque intérimaire a effectué en moyenne 6 missions dans l’année (soit un total de 12 744 000 contrats de mission). Le temps de travail annuel moyen correspond à 3 mois d’équivalent temps plein, soit 3,3% de l’emploi salarié.

Sans doute plus que les CDD, le sens du travail intérimaire pour les salariés peut être compris autour de deux pôles bien distincts : « d’un côté les "professionnels" de l’intérim, bien adaptés voire tirant parti des avantages de la situation (en termes d’indépendance ou d’avantage salarial), fraction minoritaire mais d’effectifs non

1 CANCÉ R ., FRÉCHOU H., « Les contrats courts : source d’instabilités mais aussi tremplin vers l’emploi permanent », Premières synthèses, n° 14.1, 2003.

2 Les évolutions des dernières années sembleraient indiquer que ce partage se nuance, avec une pénétration de l’intérim dans des secteurs plutôt réservés aux CDD, comme l’activité industrielle saisonnière féminine et certains domaines du tertiaire (transports, services aux entreprises).

négligeables (...) ; de l’autre les intérimaires contraints, la majorité, utilisant les opportunités qu’offre l’intérim pour s’insérer dans un emploi stable1 ».

Deux études qualitatives menées par la DARES2 permettent de mieux comprendre les sens et les enjeux des emplois précaires (CDD et intérim) pour les salariés qui les occupent. En recoupant les résultats de ces enquêtes et ceux de l’enquête Emploi, plusieurs sous-groupes peuvent être identifiés3.

Tout d’abord, parmi les salariés qui ne recherchent pas un autre emploi (environ 44% de l’ensemble), on peut repérer un groupe de salariés qui présentent une ancienneté relative dans l’entreprise (au moins un an), ou qui y travaillent pour encore au moins 3 mois. Ils occupent des emplois d’ouvriers et d’employés, et vivent leur situation vis-à-vis de l’emploi comme un pis-aller ou même une déchéance, se percevant comme peu « employables ». Un autre groupe est constitué de salariés de plus de 50 ans, peu diplômés, qui enchaînent les contrats courts et peu qualifiés. Passés plus souvent par le chômage, ils semblent résignés à ne pas trouver d’emploi stable, et c’est ce découragement qui explique qu’ils ne cherchent pas d’autre emploi. L’emploi précaire est pour ces personnes une façon de rester dans le travail, ce qui est préférable au chômage, même indemnisé. Enfin, un dernier groupe parmi ceux qui ne cherchent pas d’autre emploi rassemble des salariés diplômés (niveau supérieur au Bac), occupant des emplois qualifiés. Les contrats courts sont ici le résultat d’un choix de vie et de travail, dans la mesure où ils permettent une gestion plus souple des temps de travail et de loisir, et une diversification des expériences professionnelles.

Deux autres groupes rassemblent des salariés qui sont à la recherche d’un autre emploi. Les uns (14%) sont en fin de contrat ; les autres (7%) en revanche ne sont pas dans l’urgence (ils sont en début de contrat), mais leur recherche peut être comprise comme une insatisfaction dans leur emploi actuel, dont on peut supposer qu’il s’agit d’un contrat court de « dépannage » entre deux CDI.

1 LEFÈVRE G., MICHON F., VIPREY M., Les stratégies des entreprises de travail temporaire. Leurs ambitions de

gestionnaire de la ressource humaine, Rapport de recherche pour la DARES, 2002, p. 20. Cette dualisation de l’intérim est relativement ancienne et a été décrite par PIALOUX M., « Jeunesse sans avenir et travail intérimaire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 26-27, 1976, pp. 19-47.

2 CANCÉ R., « Travailler en contrat à durée déterminée, entre précarité contrainte, espoir d’embauche et parcours volontaire » ; JOURDAIN C., « Intérimaires, les mondes de l’intérim », articles parus dans Travail et

emploi, n° 89, 2002.

3 CANCÉ R ., FRÉCHOU H., « Les contrats courts : source d’instabilités mais aussi tremplin vers l’emploi permanent », op. cit.

Enfin, deux groupes (6% et 8%) mêlent des salariés qui cherchent un emploi alternatif et d’autres qui n’en cherchent pas. Il s’agit d’une part d’étudiants occupant des petits emplois pour financer leurs études, et d’autre part de salariés en début de carrière, en phase d’insertion dans le monde du travail, pour qui les contrats courts sont autant d’occasions d’acquérir de l’expérience et d’affiner un projet professionnel. Cette typologie montre donc notamment – et c’est là un point important – que les expériences de l’emploi précaire s’inscrivent dans des logiques très diversifiées mettant en jeu de multiples paramètres objectifs et subjectifs.

Puisque les « formes particulières d’emploi » en sont venues à constituer une part structurelle du marché de l’emploi, on peut se demander pourquoi et, en étant un instant fonctionnaliste, poser la question de leur utilité : à qui et à quoi servent-elles ?

Bien que les discours patronaux et ceux de la pensée économique dominante mettent en avant la « loi du marché » comme justification du recours inévitable aux emplois précaires, la progression de ceux-ci n’est expliquée qu’en partie par les fluctuations de la conjoncture économique1. S’il est vrai que l’emploi temporaire joue un rôle d’amortisseur pour les entreprises (on pourrait parler ici de « fonction manifeste »), leur permettant de réduire leurs effectifs en périodes de ralentissement de l’activité, et inversement, de les augmenter pour faire face à une reprise d’activité, on constate que l’évolution du nombre de CDD et de contrats d’intérim ne recouvre pas complètement la courbe de la croissance et de la récession macro-économiques. C’est que l’emploi précaire présente pour les entreprises d’autres avantages que la seule flexibilité, c’est-à-dire la possibilité de s’ajuster immédiatement aux mouvements du marché. Ces avantages (ou « fonctions latentes ») sont d’ordre financier (pas de coûts de licenciement, moins de coût de gestion du personnel, pas de prise en compte salariale de l’ancienneté, et dans un contexte de chômage massif, possibilité d’exercer une pression à la baisse sur les salaires), et d’ordre stratégique (externaliser des activités considérées

1 Plus que la conjoncture économique en tant quelle telle, c’est – dans les grandes entreprises – un principe « préventif » de rentabilité qui joue un rôle dans le recours aux emplois temporaires. T. Coutrot montre ainsi que « le taux d’intérim est nettement accru du fait de l’appartenance à un groupe et de la cotation en Bourse. Tout se passe comme si la pression exercée par les maisons-mères et par les actionnaires incitait les gestionnaires à privilégier l’embauche temporaire pour pouvoir rapidement ajuster les effectifs à toute fluctuation de la demande, et préserver ainsi la rentabilité des investissements », COUTROT T., « Les facteurs de recours aux contrats temporaires », op. cit.

comme annexes1), mais servent également à la sélection et au contrôle des salariés. Les emplois temporaires permettent en effet aux employeurs de « tester » les salariés lors d’un premier contrat, qui a valeur de période d’essai, avant un éventuel renouvellement ou une embauche en CDI. Mais plus encore, le recours à l’emploi précaire fournit aux employeurs une main-d’œuvre qui redouble d’efforts dans l’espoir d’être réembauchée temporairement ou définitivement, assurant ainsi une productivité soutenue. Enfin, l’emploi temporaire permet aux employeurs d’exercer un véritable contrôle social sur les salariés, dans la mesure où la crainte du chômage les amène à se plier sans contestation aux conditions de travail qui leur sont faites, dans la mesure également où l’emploi précaire produit un turn-over élevé qui affaiblit ou empêche la constitution des salariés en collectifs, et rend donc très difficile l’émergence de toute revendication collective. Ainsi, l’emploi précaire est un moyen non négligeable de garantir la docilité des salariés2. Serge Paugam le formule ainsi : « de façon presque cynique, on pourrait conclure que le recours au travail temporaire est une arme pour assurer la paix sociale des entreprises3 ». Dans ces conditions, il est essentiel de bien voir que la précarisation des emplois n’est pas une simple conséquence de la recherche de rentabilité maximum pour les actionnaires des entreprises, mais qu’elle est la condition de possibilité, la source même de cette rentabilité4.

Faut-il pour autant considérer l’emploi précaire comme nécessairement négatif et insatisfaisant ? Ce serait oublier que pour une partie des salariés qui en font l’expérience, cette forme d’emploi présente des avantages : pour les jeunes diplômés en particulier, les emplois non durables permettent une socialisation « douce », car sans engagement, au monde du travail et de l’entreprise, et offrent la possibilité de connaître une période de test pour mieux se déterminer par la suite.

1 Cet aspect sera étudié plus loin, cf. : §2b.

2 Dans le cas de l’intérim ce contrôle est particulièrement actif, puisqu’en fin de mission l’entreprise utilisatrice communique à l’entreprise de travail temporaire un bilan écrit ou oral sur le salarié.

3 PAUGAM S., Le salarié de la précarité, op. cit., p. 72. Ceci dit, même rares, des mouvements de revendications de salariés en contrats précaires commencent à émerger, et peuvent même obtenir gain de cause, comme l’a montré par exemple la grève menée par les salariés de Pizza Hut (site de Bonne Nouvelle) à Paris en février 2003.

4 La recherche de rentabilité a désormais un horizon temporel très court : les profits doivent être immédiats. Cet aspect constitue l’une des différences entre le capitalisme contemporain et celui que décrivait Max Weber, dans lequel les entrepreneurs avaient une éthique (liée au protestantisme) consistant à épargner, et à remettre à plus tard la jouissance des fruits du travail. Cf. : SENNETT R., Le travail sans qualités, trad. fr. : Paris, Albin Michel, 2000.

Ce type de stratégie vis-à-vis de l’emploi précaire peut aussi se trouver chez des personnes qui à un moment de leur parcours choisissent (ou sont obligées de) se