• Aucun résultat trouvé

Comme nous l'avons vu précédemment, dans le chapitre 1, l'offre de service des ÉSAT aux entreprises, non seulement en ce qui concerne les TMS mais plus largement pour tous les risques à la santé, se décompose en quatre volets : l'évaluation sommaire, l'information au milieu de travail, le soutien à la prise en charge et le suivi au milieu de travail, et, enfin, le suivi des résultats. La visite de l'établissement fait partie de la première de ces étapes et permet ensuite de réaliser le PSSE.

Par contre, avant de se rendre dans l'établissement, les équipes de santé réalisent plusieurs activités. Elles vont ainsi consulter le bilan lésionnel de l'établissement, de même qu'ils prendront connaissance du PSSE précédent s'il s'agit d'un renouvellement du programme de santé. Elles contacteront également l'établissement pour finalement s'y rendre et

effectuer la visite. Notons qu'il n'y a pas d'ordre précis dans lequel ces actions se déroulent. Ça peut être variable en fonction de l'équipe, et même du dossier.

Selon les commentaires recueillis auprès des intervenants, ces activités permettent d'avoir une première idée du genre de milieu qu'ils vont rencontrer et leur permettent de préparer la rencontre avec les représentants de l'établissement pour savoir, en gros, à quoi s'attendre.

4.2.1. Bilan lésionnel

Pour la première de ces activités, le bilan lésionnel, les intervenants consultent le site de la CSST pour connaître toutes les lésions soumises et toutes les lésions acceptées au cours des cinq années antérieures pour l'établissement. Pour avoir accès à ce site, les membres d'une ÉSAT doivent faire une demande à la CSST. La Commission de la santé et sécurité du travail effectue ensuite une vérification de sécurité. Une fois cet accès garanti, les ÉSAT peuvent accéder directement au site de la CSST via un lien sur leur propre site Intranet : le Système d'information sur la santé au travail (SISAT). Sur le site de la Commission, toutes les lésions soumises et acceptées durant les cinq dernières années, avec le siège de celles-ci, sont indiquées en fonction du numéro d'établissement. De plus, les interventions de ses inspecteurs y sont également inscrites. Une infirmière (24) résume ainsi la situation : « donc

on sait s'il y a eu des interventions de la part des inspecteurs puis on sait s'il y a eu des lésions ». Par contre, la nature exacte de la lésion n'est pas indiquée. Les intervenants savent donc qu'il y a eu « X » lésions aux yeux, pour reprendre un exemple donné par un intervenant, mais ils ne peuvent savoir s'il s'agit d'une éclaboussure d'un produit chimique quelconque, d'une coupure ou encore d'autre chose. Ultérieurement, lors de la visite de l'établissement, les ÉSAT devront éclaircir tant la nature exacte de toutes les lésions présentes sur le site de la CSST que les circonstances de celles-ci. Pour les intervenants, la

3 Le chiffre entre parenthèses fait référence au code attribué à l'intervenant. Dans certaines situations, ce code

sera omis s'il risque de compromettre l'anonymat du participant en question, ou si un préjudice pourrait en résulter.

connaissance de ces lésions de même que de leurs causes permet d'avoir une idée plus précise des risques affectant les travailleurs.

Une autre difficulté, plus spécifiquement en lien avec les TMS, tient au fait que ce type de lésion n'est pas ventilé en tant que telle sur le site de la CSST. En effet, certains troubles musculosquelettiques seront classés comme accident du travail alors que d'autres seront plutôt considérés comme des maladies professionnelles. Les intervenants doivent donc croiser plusieurs données pour avoir une idée plus précise de la situation, notamment les lésions au dos, les accidents ayant engendré une « ite » de même les maladies ayant engendrées une « ite ». Enfin, les personnes interviewées ont également mentionné qu'il peut y avoir des différences de codage selon les régions et selon les personnes qui ont entré les données dans le système.

Il n'y a pas de règles formelles pour décider qui va, concrètement, aller sur le site de la CSST pour consulter le bilan lésionnel de l'entreprise. Selon les réponses obtenues lors des entretiens, l'infirmière est celle qui effectue le plus souvent cette démarche dans la plupart des équipes. Par contre, ça varie en fonction du dossier et des disponibilités de chacun. Mais peu importe l'intervenant qui va consulter le bilan de l'établissement, ce dernier va consigner le nombre total de « ites », maladies et accidents, et de lésions au dos. Par la suite, il va additionner les chiffres obtenus pour obtenir le nombre total de TMS pour un établissement une année donnée. Puis, il va calculer la proportion de troubles musculosquelettiques par rapport aux autres lésions professionnelles. Une fois ce rapport en main, la personne ayant compilé les résultats va le distribuer aux autres membres de l'équipe.

Même si les ÉSAT se fient aux données de la CSST, elles ont conscience que les chiffres ne reflètent pas nécessairement l'ensemble de la réalité. Plusieurs des intervenants ont tenu à mitiger la valeur des données lésionnelles de la CSST. C'est ainsi qu'une infirmière (3) nous fait cette mise en garde : « ok, moi je regarde toujours le bilan lésionnel. Mais c'est sûr que je ne m'arrête pas à ça ». Pour eux, afin d'avoir une idée plus précise de la

situation, ils doivent aller plus loin que la consultation du bilan, notamment lors de la visite de l'établissement.

Dans le cas où le bilan lésionnel en matière de TMS sur le site de la CSST est lourd, l'équipe de santé va déjà avoir les risques de TMS en tête avant de se rendre sur les lieux. Selon plusieurs intervenants, puisqu'il y a sous-déclaration, un nombre élevé de lésions musculosquelettiques accepté signifie qu'il y a probablement un problème de TMS dans l'établissement.

4.2.2. L'ancien p r o g r a m m e de santé spécifique à l'établissement

Lorsqu'il s'agit du renouvellement du PSSE, soit environ à tous les sept ans, les ÉSAT doivent également prendre connaissance des interventions de leurs prédécesseurs. Quels étaient les activités de production principales de l'établissement, les outils et produits utilisés, le nombre d'employés, etc. ? De plus, les risques identifiés alors seront passés en revue, de même que les modifications proposées et effectuées depuis.

4.2.3. Prendre contact avec l'établissement

Parallèlement à la compilation du bilan lésionnel, les intervenants vont contacter l'entreprise pour obtenir un rendez-vous. Encore une fois, il n'y a pas de règles formelles quant à savoir qui va appeler les responsables de l'établissement. Dans certaines équipes, c'est l'infirmière qui se charge de cette tâche systématiquement. Dans d'autres, c'est plus variable.

Les établissements seront plus ou moins enthousiastes de l'appel de l'ÉSAT. En fait, les intervenants rencontrées ont avancé qu'il existe plusieurs types de réactions, celles-ci allant de la collaboration à la non-collaboration, en passant par la méfiance, pour reprendre leurs propres termes.

La collaboration

De fait, la plupart des établissements collaborent bien avec les ÉSAT selon ce qui a été mentionné par les intervenants lors des entretiens semi-directifs. Même si ce ne sont pas eux qui vont contacter spontanément leur CSSS pour qu'une équipe de santé vienne dans leur enceinte afin d'élaborer un PSSE, ils vont accepter de se plier au jeu une fois rejointes. Ils vont donc retourner les appels de l'ÉSAT et accepter de lui donner un rendez-vous.

Plusieurs intervenants ont également affirmé que cette attitude d'ouverture est de plus en plus présente au fur et à mesure que de jeunes entrepreneurs prennent le relais. Ceux-ci seraient ainsi plus au fait, toujours selon les mêmes intervenants, de l'impact des problèmes de santé sur le rendement d'une entreprise et sa rentabilité que leurs prédécesseurs et accepteraient plus facilement d'implanter une culture de prévention dans leur établissement.

La méfiance

Une seconde attitude à laquelle font face les équipes de santé au travail est celle de la méfiance. Selon ce que plusieurs participants à l'étude ont raconté, un grand nombre d'employeurs ne connaissent tout simplement pas ce que sont les ÉSAT ni leur mandat. Au premier contact, ils vont souvent confondre les services de santé au travail avec les

inspecteurs de la CSST qui ont, pour leur part, un pouvoir de contrainte beaucoup plus important, comme l'explique une infirmière : « il faut toujours, là, dès le départ, l'expliquer notre mandat puis qu 'on n 'est pas de la CSST. C 'est sûr qu 'on collabore avec la CSST, mais on n 'est pas des inspecteurs ». Une fois ce malentendu réglé, la méfiance se change fréquemment en collaboration.

Il importe de noter que plusieurs intervenants ont mentionné que ce sont parfois les travailleurs qui sont méfiants envers l'équipe de santé. Ils ne semblent pas vouloir s'ouvrir à elle, parler de leurs douleurs ou des postes qu'ils jugent potentiellement à risque de développer des TMS ou une autre maladie du travail. Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer cette situation par les participants. Certains d'entre eux ont avancé que les travailleurs seraient mal à l'aise de parler de leurs problèmes devant leur employeur, ou son représentant, et qu'ils auraient peur de possibles représailles. Surtout quand les emplois sont précaires. Pour d'autres, les travailleurs se méfient des solutions qui pourraient être proposées, l'automatisation en particulier. Ainsi, s'ils identifient un poste de travail à risque, à plus forte raison le leur, celui-ci sera potentiellement transformé ce qui pourrait entraîner des pertes d'emplois.

La non-collaboration

Enfin, les intervenants ont également mentionné qu'ils sont parfois confrontés à une attitude de non-collaboration et de fermeture, voire à de l'hostilité. Si ces situations sont marquantes pour eux, ils ont en effet tous quelques anecdotes à raconter à ce sujet, il n'en reste pas moins que ça demeure l'exception selon tous les répondants.

Concrètement, cette attitude se traduit de plusieurs façons. D'abord par le fait de ne pas retourner les appels de l'ÉSAT, même après plusieurs tentatives de prendre contact avec l'établissement. Éventuellement, le membre de l'équipe de santé en charge de cette

opération va mentionner sur le répondeur que la prochaine étape consiste à transmettre le dossier à la CSST. Les intervenants ont indiqué qu'en général, ils vont alors recevoir un retour d'appel. Dans d'autres cas, l'équipe de santé réussit rapidement à entrer en contact avec un employeur. Ce dernier se montrera cependant hostile et refusera carrément de collaborer et de recevoir l'ÉSAT.

Face à l'une ou l'autre de ces situations, il y a dorénavant une procédure précise sur le comment agir au niveau régional. Un médecin (7) explique que : « maintenant, si un employeur, carrément ça fait quatre fois qu 'on y laisse des messages téléphoniques puis qu 'il nous rappelle pas puis qui veut pas collaborer, bien y a une procédure ». Celle-ci dicte d'acheminer une demande au bureau régional de la CSST. Cet organisme prend ensuite les choses en mains à l'aide de ses inspecteurs et pourra forcer l'établissement à recevoir l'ÉSAT.

En ce qui concerne plus spécifiquement les TMS, forcer l'entrée dans un milieu de travail signifie cependant, selon ce que tous les intervenants ont répondu, qu'aucune action en prévention ne pourra être effectuée. Ils expliquent que pour agir en prévention sur ce type de pathologie, ça prend un minimum de collaboration entre les intervenants et le milieu de travail. De fait, pour eux, l'absence de normes légales encadrant les TMS fait en sorte qu'ils ne peuvent pas obliger un employeur à effectuer des changements dans son entreprise. Il serait trop facile pour un employeur rébarbatif de contester les évaluations ergonomiques de l'ÉSAT. Les intervenants considèrent que leur seul réel levier d'action en matière de troubles musculosquelettiques est la relation de confiance qu'ils parviennent à établir avec un établissement.

Le rendez-vous

En somme, les intervenants en santé au travail vont donc tenter de fixer le rendez-vous à un moment où la production est à son maximum pour être en mesure d'observer les différents postes de travail en action afin d'être en mesure de constater s'il y a des risques pour la santé ou non. Parfois, ça peut signifier prendre le rendez-vous très tôt le matin. Dans d'autres situations, il faudra y aller à plusieurs reprises pour voir les différents moments de production, tel que mentionné par une infirmière (2) : « donc, des fois, sur notre visite, on va tout voir mais, d'autres fois, il faut y aller parce qu'ils font une chose une fois puis une autre chose une autrefois ». Malgré cela, il peut arriver que certains postes ne soient pas en fonction lors du passage de l'ÉSAT et que, au final, il ne sera pas possible de les observer selon plusieurs intervenants.

4.2.4. Se rendre sur les lieux

Une fois que le bilan lésionnel est connu de l'ensemble de l'équipe, que chacun a pris connaissance de l'ancien programme de santé dans le cas d'un renouvellement et que le rendez-vous est fixé, l'ÉSAT est prête à partir faire sa visite initiale. Les membres de l'équipe vont alors se rendre sur les lieux de l'établissement par leur propre moyen. De fait, ces visites peuvent parfois être assez longues. Plusieurs intervenants vont donc s'y rendre directement à partir de leur domicile si la rencontre a lieu dans l'avant-midi, ou y retourner si celle-ci est prévue dans l'après-midi.

Lors des deux visites initiales observées, tous les membres de l'équipe de santé étaient présents. Dans la région urbaine étudiée, il y a une certaine divergence d'opinion de la part des différents intervenants sur qui devrait effectivement être présent lors de ces rencontres. Ainsi, pour l'un des médecins, la présence de l'infirmière est optionnelle tandis que celle du technicien est essentielle. Ce même médecin considère d'ailleurs que le technicien

pourrait en théorie effectuer la visite initiale seul. Par contre, toujours selon lui, ces visites comportent un volet administratif qui exige que le médecin soit présent : c'est lui qui doit expliquer le mandat de l'équipe de santé aux représentants de l'établissement et qui doit aussi remplir le questionnaire « connaissances préalables ». Pour un autre médecin, c'est plutôt la présence du technicien qui est superflue lors de la visite initiale puisque ce dernier aura de toute façon à revenir pour faire ses échantillonnages. Toujours selon lui, le médecin et l'infirmière peuvent alors ensemble effectuer la visite, remplir les formulaires administratifs et faire le premier repérage des risques de TMS aux postes de travail. Enfin, pour d'autres intervenants, c'est plus simple si toute l'équipe assiste à la rencontre même s'ils trouvent que ça fait un peu «fonctionnaire », selon un terme utilisé par un médecin lors d'une entrevue, d'arriver à trois dans un établissement, en particulier dans les petites entreprises.

En ce qui concerne les deux régions semi-urbaines, la situation est différente puisqu'il arrive parfois qu'aucun médecin responsable n'y soit formellement désigné. Comme l'illustre un technicien (9) : « parce que là, on est en rupture de stock en médecin responsable ». Ce sont donc les techniciens et les infirmières qui vont alors procéder aux visites d'établissement, remplir les formulaires et questionnaires appropriés, et qui procéderont éventuellement aux repérages des facteurs de risques de TMS en utilisant les outils à leur disposition.

Une autre particularité des régions semi-urbaines étudiées est le fait que les ÉSAT y sont moins stabilisées qu'en région urbaine. C'est-à-dire qu'une infirmière peut travailler en collaboration avec un technicien sur un établissement, et avec un autre pour le prochain. Et vice versa. Les duos technicien - infirmière ne sont donc pas formalisés.