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Une fois la visite de l'établissement complétée, les intervenants compilent leurs résultats. Selon les réponses obtenues lors des entretiens, la concertation entre les membres des équipes se fait principalement via les moyens électroniques, le courriel en particulier, et des rencontres informelles. Certaines réunions sont aussi planifiées à l'avance, une fois par mois environ dans la plupart des équipes. Les praticiens disent alors discuter des différents dossiers en cours et faire le point sur le travail à accomplir dans le prochain mois.

Selon les informations colligées lors des entretiens semi-directifs, dans certaines équipes de santé, plusieurs visites successives seront faites. Le nombre des visites est très variable d'un dossier à l'autre. Plusieurs facteurs en influencent le nombre selon les intervenants, notamment la complexité du dossier, la taille de l'entreprise, les risques présents, la collaboration des acteurs de l'établissement.

Au cours de ces visites, le technicien en hygiène industrielle effectuera également de l'échantillonnage en fonction des produits utilisés et des risques perçus afin de connaître les niveaux d'exposition auxquels sont soumis les travailleurs et de s'assurer que ces niveaux sont en-deçà des seuils déterminés dans le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST). En ce qui concerne plus spécifiquement les troubles musculosquelettiques, certains intervenants ont mentionné le fait qu'ils aimeraient que le technicien profite du temps passé dans l'établissement pour observer certains postes de travail jugés à risques lors des étapes précédentes ou encore pour en identifier d'autres potentiellement dangereux à cet égard. Puisque ce sont les techniciens qui passent le plus de temps en entreprise, certains intervenants aimeraient que ceux-ci s'impliquent davantage dans la démarche de prévention des TMS. De fait, certains techniciens le font. Par contre, plusieurs membres des équipes de santé ont souligné le fait que le temps passé dans l'établissement par le technicien est déjà fort chargé et qu'il serait peut-être irréaliste de leur en demander plus.

À l'aide de la somme des données recueillies lors des différentes visites et des échanges d'informations à l'intérieur des équipes, l'ÉSAT va élaborer le PSSE.

4.4.1. Le p r o g r a m m e de santé spécifique à un établissement

Comme nous l'avons vu lors de la problématique, le médecin responsable, et à travers lui l'équipe de santé au travail, a l'obligation d'élaborer un PSSE selon les articles 59 et 112 de la LSST.

L'élaboration du PSSE

Selon que l'on se trouve en région urbaine ou semi-urbaine, cette élaboration prendra différentes formes. En région urbaine, les intervenants ont mentionné qu'une fois que l'infirmière et le technicien ont donné leur point de vue en fonction de leurs observations et des données qu'ils ont colligées, c'est le médecin qui rédige le PSSE et prend la décision finale sur les risques retenus.

En région semi-urbaine, les intervenants exposent une situation différente. Ainsi, en se basant sur le bilan lésionnel, la perception du milieu, le rapport environnemental du technicien en hygiène industrielle et leurs notes personnelles, l'infirmière et le technicien écrivent une première version du futur PSSE. Via le courrier électronique, ils envoient cette version à un médecin désigné dans la région urbaine. Celui-ci va alors apporter quelques corrections, faire des commentaires et poser des questions à l'équipe. Une infirmière (4) explique le genre de corrections effectuées par le médecin : «eux autres, après ça, là ils faisaient des commentaires. (...) Il nous forçait à nous questionner sur des choses qu'on

n'avait pas pensées. (Le médecin) changeait des phrasages (...), c'était pas de fond en comble là.». Enfin, toujours selon les praticiens interrogés, une version définitive sera élaborée et signée par le médecin en région urbaine et renvoyée vers l'équipe de la région semi-urbaine.

La présentation du PSSE

Le PSSE doit être présenté à l'employeur ainsi qu'au comité de santé s'il y en a, sinon au représentant à la prévention ou encore à des travailleurs sélectionnés par l'employeur. De plus, il doit être affiché et disponible pour consultation par les employés de l'entreprise. La présentation de ce programme inclura les risques identifiés et les obligations subséquentes de l'entreprise. Ainsi, il faudra peut-être trouver un produit de remplacement pour certaines substances interdites, des durées d'exposition à d'autres facteurs de risque auront à être réduites, un processus sera à modifier.

Cette rencontre sera effectuée, selon les personnes interviewées au cours de l'étude, à l'aide d'une présentation PowerPoint. Dans la région urbaine, le médecin participe à la rencontre, de même que l'infirmière. En ce qui concerne le technicien, sa participation varie en fonction des équipes. Dans les deux régions semi-urbaines étudiées, les intervenants affirment que le médecin ne sera pas nécessairement présent. En particulier lorsque le programme de santé a été rédigé par un médecin désigné en région urbaine. Ce sont principalement les infirmières qui vont alors se charger de cette étape.

Pour certains intervenants, la présentation du PSSE aux représentants de l'établissement permet parfois d'aller plus loin et de « découvrir » de nouveaux postes de travail à risque de développer des TMS. Devant la nomenclature des risques qui ont été identifiés par l'équipe de santé, il arrive que des acteurs du milieu en mentionnent d'autres qui ont été oubliés par l'ÉSAT. Ces mêmes intervenants disent bien accueillir ces nouvelles informations sur les

risques puisqu'elles permettent, selon eux, d'intervenir de façon plus ciblée par la suite, en tenant compte des besoins et des attentes du milieu de travail.

Ce qu 'est et ce que n 'est pas un PSSE

Si, comme nous l'avons vu, la LSST centre l'intervention des médecins responsables et des ÉSAT autour de l'élaboration du PSSE, l'offre de service de ces dernières ne se limite pas à cette intervention. Pour plusieurs intervenants, le PSSE permet effectivement d'identifier certains risques pour la santé présents dans le travail mais n'offre que peu de solutions pour les éliminer. Une infirmière (1) illustre son point de vue de cette manière : « Le PSSE, c'est un outil et non une fin en soi ». À partir du programme de santé, les ÉSAT vont offrir des séances d'information pour expliquer aux travailleurs les risques auxquels ils sont exposés. Elles vont également effectuer un suivi sur ces mêmes risques et offrir un soutien à leur prise en charge.

4.4.2. Séances d'information

Suite à la présentation du programme de santé spécifique, des séances d'informations seront menées auprès des travailleurs exposés pour qu'ils soient au courant des dangers potentiels dans leur milieu de travail. Dans certaines équipes, selon ce qui a été mentionné au cours des entrevues, le médecin participe à ces séances. Par contre, plusieurs médecins préfèrent laisser cette activité à l'infirmière et au technicien.

Tout comme pour le PSSE, les praticiens utilisent une présentation PowerPoint pour présenter les problématiques de santé, les facteurs de risques et les déterminants en cause, de même que les conséquences. Selon ce qui a été mentionné lors des entrevues, ces

présentations sont standardisées, c'est le même PowerPoint qui est utilisé par toutes les équipes des régions étudiées. Chacun des risques fera l'objet d'une présentation spécifique. Ainsi, les risques dits « ergonomiques », selon l'appellation que reçoivent les risques de TMS dans les programmes de santé, feront l'objet d'une séance d'information différente des risques chimiques, biologiques, physiques ou autres.

En ce qui concerne spécifiquement les risques de TMS, lorsque l'équipe de santé peut effectivement rencontrer tous les travailleurs d'un établissement pour qu'ils assistent à la séance d'information, plusieurs intervenants disent considérer que l'intervention est un succès. Pour eux, réussir à identifier les risques de problèmes musculosquelettiques dans un milieu de travail, l'inclure au PSSE et en informer les travailleurs répond au mandat qui leur a été confié depuis 2008 et constitue un pas en avant par rapport à ce qui se faisait jusque là. Pour ces mêmes praticiens, lorsque les interventions vont plus loin, que des changements sont effectués dans les établissements et que ceux-ci se prennent en charge, c'est « la cerise sur le sundae » selon un médecin (6).

Par contre, selon quelques intervenants rencontrés, il ne se fait que peu de séances d'information. Il ne s'agit donc pas encore d'une pratique systématique dans toutes les équipes. La principale raison avancée par ces praticiens pour expliquer cela tient au fait que les formations sont encore récentes et que plusieurs membres des ÉSAT sont toujours en période d'appropriation de celles-ci.

4.4.3. Suivi et soutien à la prise en charge

En plus d'élaborer le PSSE, de le présenter aux représentants de l'établissement, tant du côté patronal que des travailleurs, et d'offrir des séances d'information sur les risques identifiés, les ÉSAT assurent aussi le suivi du programme de santé et offrent leur soutien

aux établissements pour les aider à se prendre en charge tant pour les TMS que pour les autres atteintes possibles à la santé.

4.4.3.1.Le suivi

En ce qui concerne le suivi, les équipes le réalisent en s'informant périodiquement des progrès effectués par le milieu de travail. Selon les intervenants, la fréquence de ce suivi est très variable en fonction de l'établissement, de sa collaboration avec l'équipe de santé, des progrès réalisés entre chacun des contacts et du temps à la disposition de l'ÉSAT, notamment. De fait, chaque médecin du travail est responsable d'environ 70 établissements actifs. Pour chacun, il faut faire le suivi des modifications proposées, du plan d'action, et intervenir lorsque la situation ne bouge pas assez vite, en plus de mettre à jour le PSSE à tous les sept ans environ.

En somme, les praticiens rencontrés affirment effectuer un suivi à tous les six mois pour les établissements les plus récalcitrants, c'est-à-dire ceux dont les changements tardent à venir et qui se trouvent des raisons pour retarder la prise en charge. Pour les établissements où ça va bien, le suivi pourra s'effectuer à tous les 18 mois. Les intervenants affirment également être tolérants vis-à-vis les aléas de la vie économique des entreprises. C'est ainsi que plusieurs ont signifié que lors de la dernière crise économique, ils ont donné des délais supplémentaires à la plupart de leurs entreprises.

Dans la grande majorité des cas, selon ce qui est ressorti des entrevues, le suivi est effectué via le téléphone. Un membre de l'ÉSAT prend contact avec l'interlocuteur rencontré lors de la visite initiale et s'informe de la vie de l'établissement en général et des progrès réalisés en santé et sécurité en particulier. Dans quelques cas, la situation exigera que l'équipe de santé retourne sur les lieux. Les intervenants expliquent que c'est surtout le cas lorsque des changements majeurs affectent la vie de l'entreprise, par exemple la modification

importante d'un processus de production ou encore l'achat d'un nouvel équipement qui peuvent modifier les risques existants ou introduire de nouveaux risques.

4.4.3.2.Le soutien à la prise en charge

En ce qui a trait à la prise en charge, tous les intervenants rencontrés sont catégoriques : la prise en charge de la santé et sécurité relève de la responsabilité de l'établissement, et plus spécifiquement de l'employeur. Selon la LSST, ce dernier a l'obligation de protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Par contre, si l'entreprise le souhaite, l'ÉSAT peut lui venir en aide et apporter son expertise afin de faciliter la recherche de solutions et leur implantation.

Évaluation ergonomique par l'ÉSAT

Dans le cas spécifique des TMS, cette aide peut prendre plusieurs formes. Dans un premier temps, l'ÉSAT peut réaliser une « évaluation ergonomique » de certains postes de travail pré-identifiés durant le bilan lésionnel, la perception du milieu ou encore la visite de l'établissement, afin d'en évaluer les facteurs de risques et éventuellement proposer des pistes de solution.

Lors de l'observation de l'une de ces évaluations ergonomiques, le médecin et l'infirmière étaient présents pour procéder à l'intervention. C'est le premier qui était en charge de poser les questions aux travailleurs à l'aide du « questionnaire sur les douleurs musculosquelettiques ». La deuxième s'occupait plutôt de filmer l'activité de travail et de prendre des photos à l'aide d'une caméra numérique.

Cette façon de procéder est assez commune à la plupart des équipes selon les réponses obtenues lors des entretiens. Plusieurs intervenants préfèrent y aller à deux, particulièrement en région urbaine. Et ce sont souvent le médecin et l'infirmière qui réalise l'évaluation ergonomique. Tous les praticiens ont mentionné que les techniciens en hygiène sont moins intéressés que les autres corps de métier à réaliser cette activité, même si certains le font malgré tout. En région semi-urbaine, les intervenants indiquent que le médecin ne participe que peu à ces interventions et qu'une seule personne peut prendre l'ensemble de l'opération en charge.

Le travail est analysé à l'aide de l'un ou l'autre de ces trois outils, selon les intervenants : le Quick Exposure Check (QEC), le questionnaire du Washington Industrial Safety and Health Act (WISHA) ou encore l'outil de « repérage des postes et fonctions à risque ». Certains intervenants se sentent plus à l'aise avec certains d'entre eux et vont les utiliser plus fréquemment, à l'exemple de cette infirmière (1), parlant de l'outil de repérage des postes et fonctions à risque : «puisje suis revenue avec la grille [de repérage] (...). Qui est moins scientifique mais qui est tout aussi valide ». Pour elle, cette grille en particulier est moins scientifique parce qu'elle a été élaborée, au niveau régional, par des intervenants provenant du terrain plutôt que par des chercheurs universitaires. Par contre, elle est aussi valide que les deux autres, toujours selon la même infirmière, puisqu'elle est bien adaptée à son travail quotidien et qu'elle répond à ses besoins. Pour d'autres, ça dépend de la situation et du poste de travail à étudier. Ils vont utiliser l'outil qu'ils jugent le plus approprié une fois rendus sur place. À la suite des réponses obtenues, il est possible d'affirmer que le premier et le dernier sont les plus utilisés. De retour dans les bureaux, les praticiens affirment visionner les images le plus rapidement possible puisque c'est encore frais dans leur mémoire pour remplir un « rapport d'intervention en ergonomie ». Certaines équipes vont également reporter les données colligées avec la grille de repérage, peu importe celle utilisée, vers le questionnaire QEC.

Dans certains cas jugés plus difficiles à évaluer, les intervenants demandent à un ergonome de visionner les vidéos avec eux. Cet ergonome pourra ainsi valider ou infirmer les premières impressions de l'équipe de santé.

Intervention de l'ergonome

Dans un second temps, comme nous venons de le mentionner, un ergonome peut également collaborer avec l'équipe de santé et avec l'établissement. Lors des entrevues, tous nos participants ont parlé de cette présence de façon positive. Il s'agit pour eux d'une ressource précieuse, aussi importante que des outils comme la perception du milieu ou que le bilan lésionnel.

L'ergonome vient donc en support lors de l'évaluation ergonomique d'un poste de travail. Plusieurs cas de figures sont possibles selon les intervenants. Parfois, ces derniers constatent dès la visite initiale, à travers la perception du milieu, qu'une activité de travail sera difficile à évaluer par eux. Un médecin (8) a donné l'exemple d'un poste se situant au début d'une chaîne de montage : effectuer des changements à ce poste aurait eu des répercussions sur l'ensemble du processus de production. L'équipe de santé ne se sentait pas assez solide pour faire des propositions en ce sens et a donc fait appel dès le départ à l'ergonome pour que ce dernier participe directement au repérage des facteurs de risque.

Les praticiens mentionnent également que dans d'autres occasions, c'est à la suite d'une tentative d'évaluation ergonomique que les intervenants vont contacter l'ergonome, constatant qu'ils ont de la difficulté à évaluer correctement le poste. Ce dernier va parfois retourner directement en entreprise pour faire sa propre évaluation ou encore visionner les vidéos enregistrées par l'équipe.

Enfin, les intervenants disent aussi solliciter l'ergonome pour trouver des solutions concrètes face à des facteurs de risque de TMS. Ce dernier peut alors agir à titre d'expert- conseil et proposer une gamme de solutions à un problème précis, par exemple l'achat de tel ou tel autre équipement. Il peut également jouer le rôle d'agent facilitateur; c'est-à-dire qu'il interviendra dans l'établissement comme agent de changement en créant un comité dans ce dernier, selon ce qui a été rapporté lors de nos entretiens. Plusieurs travailleurs de la production touchés par la problématique seront alors libérés par leur employeur et réunis avec des représentants de l'employeur, des membres de l'équipe de santé et l'ergonome. Ce

dernier va exposer le problème, les facteurs de risque connus et les conséquences potentielles sur la santé des personnes. Ensemble, les membres du comité vont faire du brainstorming et proposer différentes solutions. Des critères de sélection seront ensuite décidés entre eux pour en arriver à établir des priorités d'action et un calendrier de réalisation avec des responsables pour chaque action. Ces interventions durent, au dire des intervenants, entre une demi-journée et une journée complète.

Peu importe la situation, plusieurs praticiens ont mentionné que l'ergonome permet de faire de la formation continue avec les ÉSAT. Il y a alors un transfert de connaissances du spécialiste en ergonomie vers les intervenants en santé au travail.