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L'équipe de santé au travail, au complet ou en partie selon le cas, va donc se rendre dans l'établissement pour y effectuer la visite initiale. Celle-ci se déroule en deux temps. Il y a d'abord une rencontre formelle avec des représentants de l'employeur et des travailleurs. Ensuite, ces derniers de même que les membres de l'ÉSAT présents vont aller faire le tour de l'établissement pour constater de visu comment ça se passe sur le plancher et pour se faire une idée plus précise des risques pour la santé dans l'environnement de travail.

Tel que mentionné précédemment, nous avons observé deux visites initiales. Le premier de ces établissements (A) est une entreprise de taille moyenne œuvrant dans le secteur de l'alimentation. Les opérations vont de la réception de la matière première jusqu'à la distribution, en passant par la transformation en plusieurs produits finis différents. Les employés, au nombre d'une cinquantaine, y sont syndiqués. Un comité de santé et sécurité est présent. Celui-ci se réunit à tous les mois. Enfin, cet établissement fait partie d'une entreprise plus étendue qui comporte d'autres succursales au Québec. La visite dans cet établissement a été d'une durée totale de trois heures.

Le second établissement (B) a pour activité principale la transformation de bois. Entre 45 et 65 travailleurs y sont actifs selon la période de l'année. Ceux-ci sont également syndiqués et un comité de santé et sécurité est formé. Il se réunit de façon irrégulière selon le gérant de production. Comme dans le cas de l'observation A, l'établissement B n'est que l'une des succursales d'une entreprise québécoise plus vaste. La visite dans l'établissement B a duré deux heures trente.

Dans les deux cas, la visite des locaux à proprement parler a duré environ une heure. La plus grande partie de la rencontre, soit deux heures dans l'un des cas et une heure trente dans l'autre, s'est donc déroulée dans une salle de réunion.

4.3.1. La rencontre formelle

Selon ce qui a été observé, des représentants de l'employeur et des travailleurs sont présents afin d'assister à la rencontre avec l'équipe de santé. Autant pour l'établissement A que pour le B, un membre du comité de santé sécurité de l'établissement représentait les travailleurs. De même, dans les deux établissements, le gérant de production (GP) a assisté à la rencontre. Lors de l'observation dans l'établissement A, le GP a appelé le directeur santé et sécurité de l'entreprise à la maison-mère avec un téléphone mains-libres. Par contre, une fois celui-ci bien informé de l'objet de la rencontre par le médecin, il a demandé au gérant de production de lui faire un compte rendu et a raccroché. Dans le cas de l'établissement B, le directeur santé et sécurité de ce dernier était présent pour la rencontre.

Ces observations correspondent également à ce que les intervenants ont mentionné durant les entrevues. Lorsque des comités de santé existent dans l'entreprise, au moins un travailleur membre de celui-ci assiste à la rencontre, quand ce n'est pas le comité au complet qui est présent. Il arrive aussi que ce soit le médecin qui demande à ce que le CSS ne soit pas présent dans sa totalité mais que seulement un représentant assiste à la rencontre. Enfin, les intervenants ont également affirmé qu'il arrive qu'aucun représentant des travailleurs ne soit présent lors de rencontre formelle.

Présentation de l'équipe

Pour les deux observations effectuées, la rencontre formelle a débuté par la présentation formelle de l'équipe de santé au travail. Pour ce faire, le médecin remet aux représentants de l'employeur et des travailleurs une pochette qui explique le mandat légal de l'ÉSAT de même que les services offerts aux établissements. Dans les deux cas, les médecins ont insisté sur certaines informations contenues dans la pochette. D'abord, ils se sont arrêtés sur les liens entre l'ÉSAT et la CSST. Ensuite, ils ont mentionné que l'ÉSAT peut « forcer »

son entrée dans le milieu de travail s'il y a un refus de collaborer de la part de l'employeur. Enfin, les médecins ont fait part aux représentants de l'établissement du devoir de signalement. C'est-à-dire que s'ils constatent un danger immédiat pour la santé des travailleurs, ils ont le devoir de le signaler à la CSST qui interviendra alors rapidement.

En fonction de ce qui a été mentionné lors des entretiens semi-directifs, cette façon de procéder est standard dans la plupart des équipes en région urbaine. Par contre, dans les régions semi-urbaines, le médecin est fréquemment absent lors de ces visites initiales. Il n'y a alors pas de règles formelles à savoir qui va se charger de cette étape. Ce sera alors soit l'infirmière, soit le technicien selon la situation.

Selon ce que certains intervenants ont exprimé, c'est souvent lors de cette présentation que les employeurs vont manifester ouvertement leurs réticences face aux interventions de l'équipe de santé s'ils en ont. Ainsi, selon un médecin (6) : « si ça a à brasser, ça va brasser là ». Avant l'utilisation de la pochette explicative, les interventions devenaient parfois de plus en plus difficiles au fur et à mesure qu'elles se déroulaient. Désormais, la présentation du mandat de l'ÉSAT de manière formelle, selon les mêmes intervenants, permet d'évacuer immédiatement la question de la collaboration, ou de la non- collaboration. Au cours des deux visites initiales observées, aucun commentaire négatif n'a été émis par les représentants de l'employeur lors de cette étape. Un directeur de production a demandé si tous les établissements devaient « y passer », et s'il y avait une certaine sélection, comment celle-ci était effectuée. Le médecin a répondu qu'effectivement, tous devaient y passer en autant qu'ils sont dans un des groupes prioritaires.

Questionnaire « connaissance préalables »

Suite à la présentation du mandat légal de l'ÉSAT, les intervenants se renseignent ensuite sur les activités de production de l'entreprise au moyen d'un questionnaire intitulé «

connaissances préalables » (voir ANNEXE E). Il s'agit d'un outil standardisé qui est utilisé par toutes les équipes selon ce qui a été observé concrètement et ce qui a été mentionné lors des entrevues. Cet outil permet de faire le tour de la situation de l'entreprise, du nombre d'employés aux produits chimiques utilisés, en passant par l'organisation du travail, la gestion de la santé et sécurité du travail, de même que l'outillage et les procédés de production. Il s'agit en fait de la partie la plus longue de la rencontre formelle.

Là encore, il ne semble pas y avoir de règle précise entre les équipes sur qui pose les questions et qui note les réponses. Par contre, à l'intérieur des équipes, une certaine routine s'installe. Ainsi, c'est parfois principalement l'infirmière qui pose les questions et qui prend les réponses en note. Ce fût le cas lors de la première observation. Le médecin (6), pour sa part, est intervenu à plusieurs reprises pour préciser certains détails techniques tout en prenant une grande quantité de notes personnelles. Il semblait connaître en profondeur les procédés industriels de l'entreprise. Dans d'autres équipes, ce peut aussi être le médecin ou le technicien qui pose les questions de l'outil et qui inscrit les réponses. Lors de la seconde observation, c'est principalement le technicien (14) qui a posé les questions. Ce dernier a également pris plusieurs notes autant dans les espaces prévus à cette fin sur le questionnaire papier que dans le bas des pages et à l'endos de celles-ci. Le médecin (13) est aussi intervenu à plusieurs reprises et prenait des notes sur son propre questionnaire de connaissances préalables. L'infirmière, pour sa part, faisait beaucoup d'écoute active en reformulant fréquemment les réponses des représentants de l'employeur.

D'autres intervenants, principalement en région semi-urbaine, ont mentionné se servir de l'outil de façon plus informelle. C'est-à-dire qu'ils ne poseront pas les questions systématiquement aux représentants de l'établissement mais vont plutôt chercher à obtenir les réponses à travers des discussions plus générales sur le fonctionnement de la vie de l'entreprise. Ce n'est qu'une fois de retour à leurs bureaux qu'ils vont entrer les informations sur le formulaire officiel. Le faire devant les représentants en passant en revue toutes les sections du questionnaire dans l'ordre ne favoriserait pas, selon eux, l'établissement d'une relation de confiance avec l'entreprise.

Outil « perception du milieu »

Enfin, un dernier outil est utilisé lors de la rencontre formelle : la perception du milieu (ANNEXE F). Il s'agit d'un outil spécifiquement conçu pour les TMS. Ce questionnaire sert à connaître la perception des travailleurs et de l'employeur à propos des facteurs de risques de TMS présents dans l'établissement. Pour ce faire, plusieurs questions sont posées aux représentants de l'entreprise : « dans votre milieu de travail, y a-t-il des postes où les gens ont des troubles musculosquelettiques ? » et « y a-t-il d'autres postes qui pourraient présenter des situations à risque de TMS même en l'absence de lésions ou douleurs ? ». Par la suite, selon les postes identifiés en réponse à ces deux premières questions, les représentants de l'entreprise doivent identifier le siège principal des lésions, les difficultés particulières de ce poste, de même que les actions en prévention déjà entreprises ou encore à venir. Lors des deux renouvellements de programme de santé spécifique à l'établissement observés, c'est l'infirmière qui a posé les questions de cet outil.

Pour tous les intervenants interviewés, l'outil « perception du milieu » est central dans la démarche de prévention des TMS et, ce à plusieurs titres. Il s'agit d'abord pour eux de vérifier si le bilan lésionnel reflète la réalité ou s'il sous-estime celle-ci. Comme nous l'avons mentionné précédemment, les intervenants cherchent à aller au-delà des statistiques de la CSST. Même si peu de lésions au dos ou en « ites » ont été déclarées et acceptées, ils considèrent possible que plusieurs facteurs de risque de TMS soient quand même présents dans le milieu de travail, que plusieurs travailleurs puissent être victimes d'une lésion musculosquelettique et être indemnisés par leur propre assurance-salaire plutôt que par la CSST, ou même être toujours au travail ou pas encore suffisamment atteints pour s'absenter.

La perception du milieu sert, ensuite, de pierre d'assises aux futures interventions en prévention, selon ce qui a été avancé par plusieurs intervenants. De fait, ceux-ci ont affirmé préférer s'intéresser à des postes identifiés lors de la perception du milieu même s'ils constatent par ailleurs, lors de la visite ou autrement, que d'autres postes présentent plus de risque de TMS que ceux nommés. Ils vont ainsi démontrer leur « utilité » à l'entreprise,

pour reprendre un terme utilisé par plusieurs membres des ÉSAT, pour ensuite tenter de convaincre les responsables de l'établissement de s'attaquer à d'autres postes jugés plus problématiques par l'équipe de santé au travail.

Tout comme dans le cas de l'outil « connaissances préalables », certains intervenants des régions semi-urbaines affirment utiliser le questionnaire « perception du milieu » de façon plus informelle que dans la région urbaine. Les questions seront posées au fil de la rencontre et de la visite de l'établissement plutôt que de façon systématique. Les réponses ne seront complétées sur le questionnaire qu'une fois de retour au bureau.

4.3.2. La visite des locaux

À la suite de ces questionnaires, l'équipe de santé va ensuite visiter les locaux de l'établissement et observer de visu les différentes étapes du processus de production. Les mêmes personnes qui ont assisté à la rencontre formelle vont se promener ensemble dans l'entreprise et discuter des façons de procéder et des dangers potentiels pour la santé, tout en prenant de multiples notes. En théorie, chacun des postes sera observé. En pratique, selon ce que nous avons pu voir durant une de ces visites, il peut arriver que certaines étapes du processus ne soient pas en fonction au moment de la visite. Lors de l'une des observations, c'est le gérant de production qui a mimé les tâches des travailleurs à un poste afin de montrer à l'ÉSAT comment le travail se déroule. Par ailleurs, selon le poste observé et les équipements qui y sont utilisés, le technicien peut être plus impliqué que les autres. C'est le cas par exemple pour tous les postes qui nécessitent de la soudure, qui utilisent des produits chimiques ou qui produisent de la poussière. Par ailleurs, le médecin est l'interlocuteur privilégié pour les représentants de l'entreprise. Selon ce qui a été observé, c'est surtout à lui à qu'on explique le fonctionnement d'une machine, les étapes d'un procédé ou encore l'utilisation d'un outil-machine.

L'infirmière va profiter de cette visite pour faire la tournée des équipements de premier secours. Lors des deux visites observées, cette dernière est partie de son côté avec le représentant des travailleurs pour aller vérifier l'emplacement des trousses de premier secours, des douches oculaires et des couvertures anti-feu, notamment. Durant ce temps, le reste de l'équipe continue le tour de l'établissement avec le représentant de l'employeur.

Pour plusieurs intervenants, c'est à cette étape qu'un premier repérage des risques TMS est effectué. Sans utiliser formellement un outil ou une grille en particulier, les membres des ÉSAT vont se servir de leur expérience et de leurs connaissances pour repérer certains gestes, postures ou manutentions qui sont particulièrement à risque d'engendrer une lésion musculosquelettique dans le futur. De plus, si un poste a été identifié lors de la « perception du milieu », ou dans le bilan lésionnel, les intervenants vont s'y attarder davantage. Enfin, l'équipe de santé, toujours selon ce qui a été observé, n'interagit que très peu avec les travailleurs aux différents postes. Au contraire, l'ÉSAT tente de déranger le moins possible les activités normales de l'entreprise.

Également, lorsque questionnés sur les éléments pris en compte lors de la décision quant aux postes qui seront l'objet par la suite d'un repérage plus systématique des facteurs de risque de TMS, s'il y en a, cette visite de l'établissement n'est mentionnée par aucun intervenant, contrairement au bilan lésionnel et à la perception du milieu. Ainsi, selon la démarche proposée par la Direction de la Santé publique, notons qu'il s'agit réellement d'une proposition et non d'une obligation selon ce qui nous a été rapporté, l'ÉSAT devrait en théorie faire un premier repérage des risques de TMS lors de cette visite à l'aide de la grille « repérage des postes ou fonctions à risque » (ANNEXE G). Les membres des équipes de santé affirment plutôt utiliser cette grille lors des évaluations plus systématiques d'un poste ou d'une activité jugée à risque à la suite du bilan lésionnel ou de la perception du milieu.