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Une vision régionale du développement de la ville d’Alger : le Plan d'Organisation Générale (POG)

Chapitre 2. Après l’indépendance : les périodes économiques fabriquant la ville d’Alger

2.1 Avant 80 : l’ordre économique planifié fabrique la ville administrative et industrielle

2.1.2 Une vision régionale du développement de la ville d’Alger : le Plan d'Organisation Générale (POG)

En 1971, le second Plan Quadriennal (1974-77) avait programmé une industrialisation à l'échelle nationale comme un facteur privilégié de la politique d'aménagement du territoire. La volonté de rééquilibrer l’intérieur du pays par rapport aux zones littorales avait été nettement exprimée. Le développement intérieur permettait de fixer les populations sur place et de limiter la surcharge démographique des zones côtières.

L'élément déterminant dans les choix des localisations industrielles était l'équité entre les régions et la volonté de lutter contre les disparités régionales. L'industrialisation125était accompagnée d'un projet de politique spatiale126et devait contribuer à redresser les disparités régionales léguées par la colonisation (Mutin 1980, p.6).

A l'échelle de l’agglomération algéroise et pour son aménagement et son développement à l’horizon 2000, le COMEDOR avait décidé de geler les anciens outils et de lancer une nouvelle étude. Cette dernière a abouti au plan d’organisation générale de la région d’Alger (POG) adopté

125270 usines avaient été mises en production entre 1971 et 1977 sur l’ensemble du pays, le 2eme plan quadriennal

avait permis de créer 323 000 emplois (Mutin 1980, p.11) et (Attar 2009, p.53).

par ordonnance en 1975127. Comme un outil de gestion foncière, ce plan avait pour objectif la protection des terres agricoles par la définition d'une nouvelle stratégie de l’urbanisation de l’agglomération algéroise. Ce plan a été accompagné de lois importantes comme celle du permis de construire et de bâtir, et des ordonnances portant sur la révolution agraire et sur la constitution des réserves foncières communales.

Le POG se présentait comme un instrument ouvert de référence économico-urbain:« Au-delà d’un instrument de développement urbain agissant directement sur l’espace, il agissait comme un plan de développement économique et social, revêtant un aspect beaucoup plus dynamique et moins figé, se démarquant aussi de l’état statique des plans d’urbanisme précédents. »128(Anouche 1988) (voir figures N° 62 et N° 63).

Figure 62 La nouvelle direction de l'urbanisation d'Alger définie par le POG

127Ordonnance n° 75-22 du 27/03/75. 128 In (Baouni 2009, p.76).

Figure 63 La répartition des grandes activités dans l'agglomération d'Alger

La philosophie générale du POG s’inspirait toujours d’une vision fonctionnaliste définissant des zones spécialisées. Les grandes lignes du POG étaient de planifier à l'échelle régionale le territoire algérois à partir du Sahel et de la Mitidja. Cette vision envisageait de décongestionner la capitale par une organisation des flux allant du port vers l'intérieur du pays. Le plan permettait la création de nouveaux pôles urbains dynamiques pour accueillir de nouveaux emplois : le pôle de Hadjout dans la ville de Tipaza à l’Ouest, celui de Larbaa au piémont de l’Atlas Blidéen au Sud et celui de Bordj Menail à l’Est (Baouni 2009, p.76).

Dans le périmètre administratif de l’agglomération d’Alger, le POG organisait la croissance urbaine vers l’Est et prévoyait une barrière d’urbanisation au Sud. Une ligne infranchissable devait suivre la ligne du front de mer, concentrant l’urbanisation sur la zone choisie, de Bab El Oued à Rouiba. Le but était de profiter des liaisons avec Alger-centre.

L'Est représentait la solution la plus facile et à moindre coût: «un plan d'occupation du sol caractérisé par un développement plus important à l'Est représente la solution la plus facile à appliquer » (Buchanan, 1973) 129 en dépit de protéger les zones agricoles. Selon une étude du BNEDER130(1981), 129In (Meguittif 2008, p.50).

l’extension vers l'Est, avait abouti à la disparition de 31 000 hectares de terres agricoles. Symboliquement, la sortie du site ancien se révélait comme un détachement de la ville coloniale et une liberté de la dépendance d’un lieu (Sidi-Boumedine 2018, p.33).

Le POG a finalement repris les principes du Plan Bleu qui s’imposaient comme une évidence. L’extension vers l’Est se présentait comme la seule solution acceptable. Le POG avait projeté l’implantation des grands équipements de transport, l'industrie et des dépôts dans la partie Est. Ces ensembles constituaient des pôles d'attraction et des zones d’urbanisation prioritaire (ZUP), qui communiquaient avec les centres secondaires par les axes de communication (Meftah 2001)131.

A l’Est de la ville, et à 25 km du centre d'Alger ont été programmées les plus grandes zones industrielles, les zones d’El Harrach, de Rouiba et de Reghaia avec 1000 ha. Cette installation avait été critiquée en raison de l’artificialisation de terres agricoles. D’autres zones de moindre valeur foncière, comme Baraki et Oued Semar, auraient présenté plus d’avantages pour cette localisation industrielle.

Dans la périphérie proche d'Alger, à Bab Ali, Bab Ezzouar et à El Hamiz, des usines privées isolées étaient installées sur des terrains communaux de taille plus réduite, proposés par les municipalités (Mutin 1980, p.11). Ainsi au Sud, la zone rurale de Sidi Moussa avait attiré d’autres activités industrielles sur une surface de 166 ha. Cette zone était installée en plein cœur des terroirs les plus fertiles de la Mitidja orientale, dans la zone arboricole et 100 ha d'orangers avaient dû être arrachés (Mutin 1980, p.21)132 . De ce fait, les bourgs ruraux s'étaient transformés en petites villes indépendantes (Baouni 2001, p.281). Plusieurs implantations urbaines133avaient été ajoutées à celles de l'époque coloniale, et avaient permis la création de 70 000 emplois industriels. Plus de la moitié était localisée dans les quartiers Est d’Alger : 17 % à la périphérie d'El Harrach, 17 % àHussein Dey, 11 % à Kouba et Bir Mourad Raïs, et 12 % à El Madania (Mutin 1980, p.9)134.

130Bureau National d’Etudes de Développement Rural. 131Baouni (2001, p.281).

132Mutin a écrit que l’installation industrielle avait été aménagée, sans consultation préalable ni des responsables de

l'aménagement de la wilaya d'Alger, ni des autorités centrales (Plan), ni encore moins des autorités locales qui, un matin de l'hiver 1971 n'avaient pu que constater les dégâts commis par les bulldozers arrachant les vergers. Tous avaient été mis devant le fait accompli.

133Le plus grand nombre relevait de la période coloniale.

134Ces implantations avaient regroupé les constructions mécaniques, chimiques, électriques, tandis que les industries

Les ensembles des communes Hussein Dey- El Harrach et Hamma-Belcourt étaient des unités complémentaires de l’agglomération, elles constituaient une banlieue vers laquelle on rejetait les activités naissantes et les populations migrantes. Cette nouvelle localisation des établissements industriels n’était pas accompagnée d'un véritable projet de "ville satellite". Elle posait le problème des rapports entre un nouvel espace périurbain et une centralité urbaine qui gardait les fonctions décisionnelles et administratives. Des migrations alternantes135 se sont créées que le réseau du transport ne pouvait assurer. L'émergence de l'habitat anarchique autour de ces pôles industriels et la croissance des communes périphériques commençaient à émerger comme problème.

Un autre centre de développement à l’Est avait été prévu autour de l’aéroport deDar El Beida136. L’université de Bab Ezzouar137appelé Houari Boumediene, les écoles supérieures d'El-Harrach comme l’école polytechnique d’architecture et d‘urbanisme (EPAU) 138en constituaient les éléments essentiels.

D’autres projets avaient été inclus dans le POG : un complexe de gares : aérogare (l’extension de l’aéroport international Houari Boumediene), gares routière et ferroviaire de Dar El Beida et El Harrach. Pour relever le prestige des équipements de l’Est, leur proposition et construction avait été confiée à des architectes de renommée mondiale commeOscar Niemeyer.

Figure 64 Les projets d'Oscar Niemeyer

L'université deBab Ezzouar EPAU

135Les déplacements se déroulaient dans un rayon de 30 à 40 km (Mutin 1980, p.31). 136C’était l’œuvre de l’architecte Di Martino.

137Deluz (2001, p.169) avait décrit cette grande composition en masse, elle est plus visible d’avion que du sol. 138Dessiné par l’architecteNiemeyer, dont l’extension avait été dessinée par Deluz en collaboration avec les ingénieurs

Dans la commune deMohammadia au Pins Maritimes, le Palais des Foires et des Expositions appelé « la Foire d’Alger »139 a été construit en bord de mer en 1970. Plus à l’Est àAin Taya, un centre à vocation touristique et culturel a été réalisé. Entre les deux notamment à Bordj El Kiffan, le plan prévoyait de développer des centres dédiés aux activités administratives aussi bien civiles que économiques appelé la Cité Gouvernementale140. Toutefois, ces activités ont été converties en zone résidentielles après 1980.

Pour accompagner cette répartition fonctionnelle des activités, l’Etat engagea à partir du milieu des années 70, un important programme d’habitat en créant de grands ensembles collectifs. Le plan prévoyait la création de ZHUN141 pour accueillir la population travaillant dans la zone d’activité. Ces zones d’habitats devaient accueillir chacune plusieurs milliers de logements et sont localisées essentiellement à l’Est de la ville. On les retrouve notamment à Bab Ezzouar, le reste à Gué de Constantine et aux Annasser. Néanmoins, en 1977, sur près de 300 000 logements programmés, seulement 70 000 avaient été achevés (Benameur 2010, p.56). Ce modèle d’urbanisation qui reproduisait la politique de grands ensembles pourtant très critiquée, présentait les mêmes faiblesses avec un déficit en commerces, équipements et services.

Le plan prévoyait pour l’Ouest de la ville, le développement des projets touristiques142et sportifs en dépit de la difficile accessibilité, en particulier les projets de F. Pouillon (Sidi Fredj et Zeralda,) et la zoneClub des pins.

Figure 65 Le complexe de Sidi Fredj

139La foire était construite par une coopération chinoise et constituée de plusieurs pavillons : les pavillons URSS et

de la protection civile avaient été construits parMogenet, le pavillon SNS (société nationale de la sidérurgie) réalisé par Fleury, le stand African National Congress (ANC) bâti par Deluz en 1972.

140 Destinée à regrouper les organes de la présidence, les ministères, le parlement, cités des affaires réservées aux

sociétés nationales, sociétés publiques, correspondant chacun à un secteur de l’activité économique.

141 Des Zones d’habitat urbaines nouvelles, se développait chacune sur 90 hectares et comptait près de 2.600

logements.

En prolongement vers l’Ouest des zones de crêtes dédiées aux fonctions régaliennes, la faculté de droit et le complexe olympique143ont pu être édifiés. Ce dernier est localisé entre les communes :

Dely Ibrahim et Ben Aknoun (sur la vallée de l’Oued Lakhal à Châteauneuf). Figure 66 Le parc olympique 5 Juillet

L’hôtel Aurassi144, première grosse intervention d’architecture en Algérie, localisé sur la crête des

Tagarins, a été construit sur l’axe de croissance d’Alger Mohamed Khmisti pour renforcer la centralité. L’accessibilité au centre urbain de ces équipements dépendait de la réhabilitation de la Casbah et des voies interurbaines.

Cet effort de construction se révéla largement insuffisant et une urbanisation illégale spontanée s’est développée à proximité des pôles industriels et des pôles d’emplois (voir figure N°67).

143Le projet avait été décroché par un bureau d’étude hongrois et a été construit en 1972.

144 Ce projet datait de l’époque du premier président Ben Bella, la construction de l’hôtel a été commencée au

moment même du coup d’état du président Boumediene, dans l’indécision et face au problème du poids de l’hôtel par rapport au sol, le projet s’était arrêté pour une période. Plus tard il avait été confié à l’architecte égyptien Mustapha Moussa qui avait proposé un hôtel de 20 étages puis à l’architecte italien Moretti qui avait réduit la hauteur proposée au début, à sa moitié (Deluz 2001, p.13).

Figure 67 Schéma d'organisation de la ville d'Alger selon le POG (1975)

Le POG a été accompagné par un Plan de transport en 1973145sous la direction du COMEDOR. Lui aussi était d’une vision fonctionnaliste proposant une hiérarchisation des voies et du réseau viaire, des axes principaux Ouest-Est jusqu’à la desserte locale. Ce plan de transport envisageait de transformer la ligne de barrière à urbanisation évoquée par le POG, en boulevard périphérique qui devait joindre l’Est et l’Ouest du Grand Alger. Deux infrastructures routières importantes avaient été programmées, jouant le rôle de ceinture (Baouni 2001, p.128)( voir figure N°67) :

1) L'autoroute de l'Est longeant le front de mer à partir du port jusqu’à la localité de Bordj El Kiffan.

2) La rocade Sud146 comme axe périphérique parallèle à la mer, de Ben Aknoun à Dar El

Beida.

La liaison entre ces deux axes et la desserte des zones urbanisées étaient assurées par six (6) radiales (Baouni 2009, p.76) :

a) La radiale d’El Harrach. b) La radiale de l’aéroport c) La radiale deBouzaréah.

d) Trois autres secondaires : de l’Est,des Annasser et Oued Ouchayah.

145Réalisé par le bureau d’études Anglais Buchanan &Cie, considéré à l’époque comme le meilleur bureau au monde. 146Passant parBaraki, Oued El Karma, Saoula, Bab Hassen, Douéra, Zeralda.

La zone des hauteurs avait été aussi reliée à l'Est par :

- La route partant de Bab El Oued et passant par Climat de France, Tagarins, le Golf, Nador, pour atteindreles Annasser-Kouba et enfin El Harrach.

- L’autoroute de la périphérie Sud qui reliait Château Neuf à Dar El Beida en passant par El

Harrach, cette infrastructure a été prise dans le Plan Bleu comme limite de croissance de la ville.

Sur cette autoroute venaient se greffer trois pénétrantes, permettant de la relier au réseau routier côtier :

- A l’Ouest, la pénétrante duFrais-Vallons reliant Château Neuf à Bab El Oued.

- A l’Est, la pénétrante d’El Harrach joignait la nouvelle zone industrielle d’Oued Smar à l’autoroute côtière.

- La pénétrante d'Hussein Dey qui reliait Oued Ouchayah à l’avenue de l’ALN (la moutonnière).

La construction de 12 km d’autoroutes, des ponts et des échangeurs comme celui de Fusillés, la place1er Mai et Addis-Abeba (Baouni 2009, p.76) étaient parmi les grands projets du POG.

Pour l’amélioration du transport collectif, les conditions des déplacements et la gestion de la circulation automobile dans le centre-ville, une autorité spécialisée devait apporter des solutions techniques efficaces et performantes147. Des enquêtes avaient été menées sur les déplacements et la circulation routière. Un réseau régional du chemin de fer148a été doublé sur le tronçon saturé

El Harrach-Thénia.

Le schéma d’aménagement avait proposé un réseau de lignes longitudinales de transport multimodal, qui convergeaient vers le nouveau centre de la ville (réseau de bus pour les dessertes locales et les rabattements). Le transport massif domicile- travail était une des préoccupations des études du plan. Le POG ( et le plan de transport) prévoyait également la réalisation d’autres

147Il a été créé aussi une association pour la formation du transport en collaboration avec le bureau national ETAU,

localisée à l’Est dans la commune deRouiba (Deluz 2001, p.132). Les nouvelles gares aménagées se trouvaient à

proximité du siège de l’association.

148Selon le témoignage de Jacques Karim Budin dans le livre de (Sidi-Boumedine (2018, p.187), le bureau d’étude

Deutsche B Eisenbahn Consulting (DEC) filiale du chemin de fer ouest-allemand Deutsche Bundesbahn avait collaboré dans les études du plan régional.

infrastructures relatives au transport collectif comme la gare routière, la gare multimodale de voyageurs àDar El Beida, la gare de tri de marchandises à Reghaia (Baouni 2009, p.76).

Les projets de lignes de téléphériques réalisés àDiar El Mahçoul, à Notre-Dame d’Afrique, au Riad El Fateh avec le palais de la culture devaient assurer la desserte des hauteurs d’Alger depuis les parties basses.

Figure 68 Schéma de transport défini par le POG

Ces documents d’urbanisme POG et le plan de transport réalisés, comparativement avaient bien saisi les contraintes qu’imposait le relief du site d’Alger. La seule solution à la croissance urbaine était une extension de l’ancienne ville coloniale vers l’Est, le développement vers l’Ouest étant contraint par les verrous deBab El Oued et de Bouzaréah.

Mais, ils ont d’une manière générale sous-estimée la croissance démographique et le retard pris par l’aménagement urbain, depuis l’indépendance. Les investissements programmés n’étaient pas à la hauteur des nécessités.

En conséquence, un fort développement d’un marché foncier parallèle (N. Semmoud 2003b, p.505) et de l’habitat illicite important a provoqué une dynamique urbaine différente de celle programmée initialement. Toutefois, cette dynamique informelle rencontra les mêmes contraintes imposées par le site et entrainera une urbanisation vers l’Est avec une insuffisante articulation entre les zones résidentielles, zones d’emplois et infrastructures de communication. Ces dernières,

en raison d’un sous-investissement systématique (Mutin 1980, p.36), se transformeront en lieux de congestion et d’encombrement.

Le COMEDOR a pu imposer une vision globale de l’urbanisation du Grand Alger, associant dans une logique, habitat, emploi et transport. Mais, à la fin des années 70, cette vision globale s’est progressivement affaiblie au profit d’une sectorisation de la réflexion, chaque ministère renforçant son expertise sur son domaine de compétence. Le prix à payer fut une perte de cohérence d’ensemble qui va marquer les années 80.

2.2Après 80 : l’ordre économique marchand fabrique la ville