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La ville d’Alger tourne le dos au port avec le premier schéma de structure à l’horizon 1985 « le Plan Bleu »

Chapitre 2. Après l’indépendance : les périodes économiques fabriquant la ville d’Alger

2.1 Avant 80 : l’ordre économique planifié fabrique la ville administrative et industrielle

2.1.1 La ville d’Alger tourne le dos au port avec le premier schéma de structure à l’horizon 1985 « le Plan Bleu »

Au lendemain de l'indépendance, la ville d'Alger s'est retrouvée capitale de l'Algérie indépendante. Les premières années ont été marquées par une instabilité politique, traduisant des divergences quant aux choix politiques entre différents groupes au sein même du Front de Libération National (FLN). La prise du pouvoir par le colonel Houari Boumediene101installe un pouvoir fort et centralisé avec une forte idéologie étatique et socialiste.

Les premières années d’indépendance ont été consacrées à la reconstruction d’un appareil d’Etat. Boumediene a développé une économie planifiée et autocentrée, fondée sur l'industrialisation102dont l’Etat devait été l’acteur principal. Il a visé en premier plan l’ouverture vers les villes de l'intérieur en direction du Sud, tout en tournant le dos au port. Trois principales villes côtières étaient concernées par les gros investissements industriels :Alger, Oran et Annaba.

La politique économique algérienne voulait développer la gestion des ressources locales, notamment le contrôle de la production du pétrole103, et les réorienter au profit du développement industriel. La

101A la tête de "l'armée des frontières", ministre de la Défense et chef d'État-major général, il était devenu par un

coup d’Etat le nouveau président de l'Algérie. Le gouvernement d’Ahmed Ben Bella avait duré moins de 3 ans (septembre 1962-juin1965).

102Selon Palloix (1980), l’Algérie s’était trouvée entre un carrefour de trois économies : l’économie industrielle

structuraliste, l’économie de travail et l’économie monétaire.

nationalisation104 des secteurs clés de l'économie, la création d'entreprises publiques105, la mise en place d'un processus de planification et de réorganisation des institutions publiques constituaient les moyens pour réaliser ces objectifs.

L’Etat ne voulait pas avoir en face de lui une société avec des groupes sociaux fortement organisés et dotés de pouvoirs importants : grands propriétaires fonciers, gros commerçants, bourgeoisie industrielle ou classe ouvrière, mais plutôt des groupes intellectuels à forte influence idéologique : professions libérales, avocats, juristes et journalistes (Leca 2005).

La désorganisation des campagnes à la suite de la guerre, l’exode forcé des habitants et le départ des colons a placé les questions agricoles106au cœur des premières préoccupations, problèmes fonciers, nationalisation des terres107(Bethemont 2000, p.221) et migrations vers les ville, remplacement des colons par des coopérants. La libération de l’habitat urbain a permis d’atténuer les effets de la crise sociale des premières années depuis l’indépendance. L’arrivée plus au moins contrôlée des ruraux vers les villes a nécessité une première tentative d’organisation du développement urbain. La gestion urbaine et l’aménagement du territoire avaient comme seuls outils, ceux utilisés pendant la période coloniale , malgré l’idéologie socialisante (Mezoued and Declève 2010, p.11). Le modèle socialiste a inspiré un urbanisme tout autant dans la continuité que dans la rupture (Mezoued 2015, p.89). Le centre d’Alger, se retrouve abritant les sièges de commandement et d'administration108. Le nouvel Etat souverain a occupé l’ensemble des bâtiments administratifs et les lieux symboliques109. Le boulevard du front de mer110 était devenu la façade maritime de l’Etat algérien indépendant. La population aisée a habité les immeubles coloniaux abandonnés et les nouveaux arrivants étaient recasés dans des camps de regroupement (Benazzouz-Belhaï, Cheballah-Hezil, and Djelal 2014, p.136) et dans l'habitat précaire. En effet, l’organisation socio-spatiale de l’agglomération algéroise

104En 1966, il y avait eu la nationalisation des mines et des compagnies d’assurances étrangères et en 1971 la

nationalisation des hydrocarbures.

105Boumediene avait aussi lancé la gestion socialiste des entreprises (GSE). Côte (2011), il est à souligner que la

phase socialisante avait été marquée par la construction d’un tissu industriel national, fondé sur les industries de base, structuré par filières, organisé en grosses unités publiques.

106Le concept de« la révolution agraire » a été créé.

107Selon Bethemont (2000, p.221), l’Etat avait restitué des terres aux prioritaires algériens, en réalisant en réalité peu

d’investissements dans le secteur agricole, les propriétaires étaient dépourvus du matériel de culture. La paysannerie algérienne, déstabilisée de longue date par le colonialisme, a été peu favorisée.

108Selon Sidi-Boumedine (2018, p.38), certains sièges des ministères et des sociétés nationales avaient construit leur

bâtiments sans agrément ou permis de construire.

109D’après Mezoued and Declève (2010, p.21), l’ancienne Assemblée et la préfecture avait été occupées par les hauts

placés du pouvoir. Aussi, selon Deluz 2001,( p.43 et p.95 ), la SONATRACH ( société algérienne des hydrocarbures) et le ministère des travaux publics avaient installé leurs sièges sur les hauteurs deSidi M’hamed,

bénéficiant de la vue sur la mer, le port, le centre et le jardin du musée duBardo. Dans le but d’embellir les lieux

centraux historiques, un administrateur de la ville avait transposté une fontaine italienne placée par l’architecte Pouillon au pied de la tour de la citéDiar El Mahcçoul au carrefour de la Marine.

était caractérisée par ces déséquilibres dans la répartition des populations et des activités. Semmoud (2003) a précisé que cette structure socio-spatiale était passée d'une ségrégation ethnique de l'époque coloniale à une ségrégation sociale. La structure urbaine était calquée sur la répartition des types de population (Taieb 1971, p.41). La distribution sur le territoire urbain s’est faite par le système d'accessibilité différentielle aux ressources localisées, dépendant du revenu des couches sociales (M. Sgroi Dufresne 1983, p. 369)111.

En 1966, une première structure institutionnelle est créée, la ville d’Alger constituée de 10 communes appelées le Grand Alger, de trois agglomérations chefs-lieux de communes périphériques (ACL) et d’une agglomération secondaire (AS) (voir figure N° 56 et tableau N°1).

Figure 56 La ville d’Alger en 1966

Tableau 1 Le Grand Alger et ses agglomérations (le RGPH 1966)

Commune Agglomération Type Population

Grand Alger Grand Alger ACL 943 551

10

Birkhadem Birkhadem ACL 16 097

1

Dar El Beida Dar El Beida ACL 3 766

1

Bordj El Kiffan Bordj El Kiffan ACL 23 489

1

Beni Messous Beni Messous AS 2 623

1

Total des ACL 14

Source : Collection statistique, N°38, ONS, 1992112.

Le premier recensement national a décompté une population algéroise de 979 916 habitants dont l’essentiel de cette population concentré dans le Grand Alger. La gestion urbaine de la nouvelle capitale s’est effectuée sans plan approuvé ni géré par un organisme définitif (Harouche 1987, p.146).Les communes de la périphérie ( les AS et les ACL) étaient très proches et dépendaient fonctionnellement du Grand Alger (Bakour 2016, p.113). Cette structure apparait déjà assez complexe, s’appuie sur des décisions administratives issues de l’ère coloniale et dont on pouvait prévoir l’inadaptation. Cet effort de regroupement laissait présager une faiblesse organisationnelle devant être résolue par l’intervention du pouvoir central. Cette structure sera maintenue jusqu’au début des années 80.

Les premières questions urbaines furent laissées aux compétences des organismes issus de la période coloniale : GPRA113, l’OPHLM114, CIA115, CADAT et de l’organisme associé CEDA116. Ces organismes étaient pilotés par l'Etat et ont repris les schémas inachevés des plans coloniaux : Plan de Constantine et Plan Hanning. Mais, ils étaient intégrés jusqu’en 1967 dans une nouvelle structure et une nouvelle appellation : le Plan Triennal (appelé aussi le Plan Expérimental de Transition). Il visait en général à inventorier les besoins en matière d’équipements, d’emplois et à attribuer les investissements nécessaires dans tout le territoire algérien (des grands ensembles de logements et la distribution de zones industrielles).

112In Bakour ( 2016, p.116).

113Le Gouvernement provisoire de la République algérienne. 114Offices publics d’habitation à loyer modéré.

115Compagnie immobilière algérienne.

En 1968, les organismes précédents ont été remplacés par les bureaux d'études ETAU117 qui étaient placés sous la tutelle du Ministère des Travaux Publics. Ils avaient été engagés à élaborer une série d’études de plan d'urbanisme. Puis, un bureau d´étude nationale a été créé, appelé ECOTEC118. Il a effectué une étude pour prendre en charge les problèmes de l’aménagement urbain d’Alger pour le compte du Ministère de l’Economie.

Le Plan Triennal de la CADAT, les séries d’études d’ETAU et d‘ECOTEC se résumaient à des propositions générales, mais aucune intervention urbaine n’a été entreprise.

En 1970, dans le cadre du premier Plan Quadriennal (1970-73), le COMEDOR119a été créé et a remplacé ECOTEC. Sa mission était de maîtriser la gestion de la capitale. Cet organisme dépendait directement de la Présidence de la République et avait d’importants moyens juridiques et de larges prérogatives. Tous les Ministères, le Wali et les attributions des collectivités locales étaient y représentés. En revanche, la société civile et les élus étaient exclus du processus d’élaboration des projets urbains (Mezoued 2015, p.91).

Le COMEDOR avait lancé un débat sur les instruments de gestion du sol et avait proposé un schéma des structures d’Alger à l’horizon 1985, appelé aussi le « Plan Bleu »120. Il avait axé ses réflexions sur la distribution des activités économiques. En revanche, le volet urbain ne concernait que la localisation des investissements121(Attar 2009, p.25). Le plan se fondait sur une population maximale de 1,6 à 2,1 millions d’habitants, occupant une surface de 7000 ha.

Les idées principales reproduites dans le « Plan Bleu » comme outil d’urbanisme de la période post indépendance provenaient de l’ancien Plan Hanning122. La maîtrise de la complexité du site était le souci des autorités administratives algériennes, la continuité urbaine par les grands axes de communication constituait le principe structurant de l’organisation de la ville. Le développement de l’urbanisation vers l’Est en ressortait comme l’objectif fondamental. La topographie offrait un espace qui permettait toute opération à moindre coût123, la possibilité des différentes liaisons par les infrastructures ferroviaires et routières à vocation régionale. La présence de la zone Oued El

117Bureau central d’étude de travaux publics, d’architecture et d’urbanisme. 118Bureau national d’étude économique et technique.

119Comité permanent d’étude, de développement, d’organisation et d’aménagement de l’agglomération d’Alger. 120Selon (Deluz (2009, p.210), ce plan était la première version du futur plan d’orientation général ( POG).

121Ceci avait constitué l'effort de la direction des plans et des ministères, d’où apparition des PCD (plans

communaux du développement).

122 D’après le document : Algiers Under French Rule. Berkeley: University of California Press, 1997,

http://ark.cdlib.org/ark:/13030/ft8c6009jk/.

123Selon Attar (2009, p.76), le niveau de la nappe phréatique était très élevé, permettant des forages et des pompes

Harrach représentait le milieu avantageux de toute extension urbaine. La préservation des terres fertiles et des ressources alimentaires n'était pas encore posée comme prioritaire à cette époque (Harouche 1987, p.148) (voir figure N°57 et 58).

Figure 57 Le PlanHanning,Alger, leSahelet laMitidja

Source :(Mezoued 2015, p.80).

Figure 58 Trame d'Alger parHanning

Source: urban Forms and Colonial Confrontations124.

124Algiers Under French Rule. Berkeley: University of California Press, 1997,

http://ark.cdlib.org/ark:/13030/ft8c6009jk/.

Le Plan Hanning a proposé une structure urbaine de l'agglomération algéroise par une configuration en T, avec le haut du T vers Maison-Carrée, pour s'adapter au site. Le projet s’appelait aussi « l’Equerre d’Alger » et se présentait comme un triangle (Deluz 2001, p.167) :

1) LaCasbah et la ville coloniale au Nord. 2) El Harrach à l’Est, porte de la Mitidja. 3) El Biar au sommet, porte du Sahel.

La ville devait être organisée par une continuité entre l'Est et le centre ancien selon deux axes orthogonaux et transversaux. Le front de mer a été intégré en dédiant le croissant de la Baie d'Alger aux activités économiques. Les pentes étaient consacrées aux logements de masse et aux grands ensembles. Quelques projets de masse proposés par le plan Hanning avaient été achevés pendant la période coloniale (exDiar El Mahçoul…).

Les hauteurs d'Alger avaient maintenu leur vocation résidentielle, mais étaient aussi dotées de fonctions administratives, commerciales et même industrielles. Fondamentalement, la ligne de crête devait concentrer les fonctions régaliennes, les institutions de l’Etat et les ambassades. Sous les crêtes, un espace résidentiel était dédié aussi à des fonctions administratives et de services. Les grandes industries étaient rejetées vers l’Est avec de grands ensembles sociaux pour accueillir les populations marginalisées les plus pauvres (Taieb 1971, p.43) (voir figure N°59).

Figure 59 La répartition des activités selon le Plan Bleu

Ce plan s’inspirait très fortement d’une vision fonctionnaliste de la ville, où chaque espace était spécialisé dans une activité résidentielle ou économique. Il distinguait entre les niveaux supposés de ces activités : régaliennes, administratives, résidentielles aisées et résidentielles de masse, et, tout en réutilisant l’actif colonial, il orientait le développement d’Alger vers l’Est entre la mer et la ligne de crête (voir figure N°60).

Figure 60 Schéma d'organisation de la ville d’Alger selon le Plan Bleu (1968)

Les transports urbains et les infrastructures routières s’organisaient en hiérarchie fonctionnelle (routes, autoroutes et voies rapides), et le système de transport en commun, les transports de masse et le chemin de fer (suburbain et inter urbain) avaient été placés au centre des préoccupations des décideurs de l’époque (Baouni 2009, p.76), en adéquation avec le projet urbain. Le blocage à l’Ouest et le développement vers l’Est posaient un problème de localisation et d’accessibilité au centre ancien et à la ville coloniale adossée au port qui perdaient leur centralité géographique. Il devenait nécessaire d’envisager de nouvelles centralités (voir figure N°61).

Figure 61 Schéma d’organisations du plan de transport

2.1.2 Une vision régionale du développement de la ville d’Alger : le Plan