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La population avant 80, un peuplement par l’exode rural

Dans le document Déplacements et mutations spatiales à Alger (Page 169-178)

L'évolution de la population musulmane et européenne

3.3 La population avant 80, un peuplement par l’exode rural

- Les recensements 1966 -1977

Après l’indépendance de l’Algérie (1962), le premier recensement effectué en 1966 a estimé le nombre d’algériens à 10,2 millions d'habitants.

Comme dans toutes les grandes métropoles, un grand nombre de la population algérienne s’est retrouvé au lendemain de l’indépendance refoulé derrière les remparts des anciennes Médinas, entassé dans des immeubles sociaux ou bien dans des bidonvilles. S’ajoutait à cela, trois millions des paysans venant des camps de regroupement, 400 000 détenus libérés des prisons et des camps militaires, et 400 000 enfants orphelins (Djiar 2014, p.52). Un exode rural massif avait marqué le début des années 60, les habitants des Hauts Plateaux et du Sud partaient vers la bande côtière et sur les régions de l’Atlas Tellien, ce qui avait accéléré le processus de peuplement du

littoral. Le taux d’urbanisation passe donc de 9% en 1900 à 31.4% en 1966 (Hamitou-Zaidi 2014, p.185).

Alger, capitale du pays, était devenue la ville d’espoir pour ces populations misérables à la recherche d’emplois et de logements :« Le bled descend sur la ville […]. Et tout ce que la ville européenne a négligé ou rejeté se trouve rapidement envahi par les néo-citadins » (Descloîtres.R, 1961)235.

Le processus de réappropriation de la ville a été marqué d’abord par le départ de la population européenne, l’exode des pieds noirs et autres estimé à 900 000 personnes à l’échelle nationale dont 400 000 résidaient dans le Grand Alger. Les Européens ont quitté leurs appartements HLM (les cités de recasement), la population voisine des bidonvilles et celle qui venait des campagnes occupèrent alors ces logements dits « vacants » (Deluz 2001, p.50). Les biens vacants sont devenus donc les biens de l’Etat (Sahli 1993, p.57). 300 000 logements furent abandonnés et la population algéroise s’appropria de plus de 90 000 logements vacants. Une intense mobilité géographique s’installe (Belhai-Benazzouz 2005, p.29).

L’année 1966, a été celle du premier recensement effectué dans une période charnière, entre la phase de l'urbanisation démographique et de l’urbanisation économique (CICRED 1974, p.75). Il a dénombré un total de 979 916 habitants répartis sur une superficie de 15 325 hectares. L’accroissement d’Alger indépendante a été presque deux fois plus important que celui de l'Algérie entière (CICRED 1974, p.63). La région algéroise est passée de 1,1 million d'habitants en 1954 à 1,6 million d'habitants en 1966. C’est le Grand Alger qui a connu l'accroissement le plus rapide, cette zone comptait plus de 300 000 habitants en 1954, et plus de 900 000 en 1966. La densité236 de population est passée de 3 140 ha/km² en 1954 à 5 050 ha/km² en 1966. Les nouveaux chefs de ménages installés à Alger entre 1962 et 1966 étaient plus nombreux que ceux arrivés entre 1900 et 1953 (Belhai-Benazzouz 2005, p.37).

En 1977, le nombre d’habitants est passé à 1 724 000 dont 1 336 000 résidaient dans le Grand Alger. Cet afflux de population fut accompagné par un boom démographique naturel dont le taux de croissance annuel est passé de 3,71 %, soit une augmentation de 800 000 personnes (Harouche 1987, p.32) ( voir figures N°106 et 107).

235In Sahli (1993, p.56).

Figure 106 La répartition de la population par zone

Le premier découpage administratif en 1936 fut suivi par le premier recensement en 1966. La ville d’Alger comprenait 14 agglomérations chefs-lieux, dix appartenaient au Grand Alger et quatre autres arrondissements formaient la périphérie algéroise. Trois couronnes structuraient l’agglomération (Belhai-Benazzouz 2005, p.41) :

- La première couronne abritait une population de 421 595 habitants soit une part de 44,32% du total de la wilaya, dont la densité urbaine élevée, représentait plus de 500 ha/km², elle regroupait l'ancien Alger constitué de cinq arrondissements237. La Casbah abritait seulement 10% de la population de la capitale (Sahli 1993, p.57).

- La deuxième couronne correspondait aux communes de banlieue, abritait la plus grande part de population avec 438 280 habitants soit 50,53% du total de la wilaya. Elle représentait le périmètre des arrondissements périphériques238. Ce sont ces deux couronnes qui formaient le Grand Alger avec une population de 859 875 habitants soit 94,85% du total de la wilaya.

- Les communes périphériques externes représentaient 5,15% du total de la population avec de 51 200 habitants. Ces communes rurales étaient majoritairement éparses avec une densité très faible.

En 1977, la ville d’Alger groupait 19 communes, dont trois du Grand Alger qui avaient connu une croissance remarquable : El Harrach, Kouba et Bachdjarah. Les cinq communes dites périphériques étaient localisées à l’Est : Bordj El Kiffan, Dar El Beida, Rouiba. Birkhadem (voir tableau N°8).

Tableau 8 La répartition et la croissance de la population

Recensement 1966 Zones Recensement 1977

342 960 Hyper centre 461 646

423 748 Centre-ville 620 041

206 259 Première couronne 361 328

6 949 Deuxième couronne 19 988

Source : Harouche (1987, p.32) et Safar Zitoun (2009, p.37).

237Bab-el-Oued, Casbah, Alger Centre, Sidi-M’hamed, El Madania.

Tableau 9 Les taux d’accroissement annuel par subdivision

Zones/ subdivisions Taux d’accroissement annuel en %

1960-1966 1966-1977

Hyper Centre Ancien Alger 0,75% 2,74

Centre-ville et Première couronne

Grand Alger Entre 1,56% et 2,31% 3,52

Deuxième couronne Communes de

Banlieue/ Couronne périphérique

ND 10,08

Total wilaya d’Alger 979 916 1 463 003 3,71

Belhai-Benazzouz (2005, p.46) et Safar Zitoun (2009, p.38).

Les nouvelles exigences socio-économiques et la politique d’industrialisation ont eu un impact sur le mode du peuplement. Jusqu’en 1977, la construction de l’habitat fut marquée par un temps mort. Le dépeuplement du rural (Ougouadfel, 2006)239 avait provoqué une urbanisation anarchique qui s’était versée sur les riches terres agricoles de la plaine de Mitidja et du Sahel algérois. Les seules opérations notoires furent l’achèvement des cités du Plan de Constantine abandonnées à l’indépendance, dites « les opérations carcasses » (Deluz 2009, p.27). En effet, des extensions anarchiques s’étaient multipliées, avaient occupé les terrains interstitiels et les terrains en proche périphérie (Amireche and Côte 2007, p.77). Ces zones possédaient une bonne accessibilité permettant la mobilité des populations.

Après l’achèvement des premières opérations des logements240, les types grandes cités avaient un taux d’occupation du logement très élevé, le cas des quartiers populaires (exemple les cités les Annassers et les Asphodèles etc…) et les cités de l’Est. Environ 138 535 familles ont été logées sur l’ensemble de la ville d’Alger. Dar El Beida à l’Est à travers la politique des ZHUN, à elle seule, comptait plus de 7 000 habitants. L’emploi de la zone industrielle a permis le surpeuplement de cette zone géographique (voir tableau N°10).

239In Ouadah-Rebrab (2002, p.2).

Tableau 10 Le parc logements concernant le Grand Alger

Année 1966 1977

Nombre des logements 184 600 204 200

TOL 6,1 TOL 7,9

Source : Djiar (2014, p.53).

L’habitat légal ou semi-légal était une première étape de récupération du patrimoine foncier de la ville, à travers les transferts des biens immobiliers à l’aveugle (Sahli, 1993). Les acteurs de la bourgeoisie algérienne naissante et les détenteurs des hauts postes du pouvoir ont investi les hauteurs d’Alger (El Biar et Hydra). Ils ont instauré des mécanismes de reprise des infrastructures commerciales (des grandes installations et des magasins) localisées sur les principales artères commerçantes de la ville (Didouche Mourad). Ces locaux ont été proposés à l'achat aux personnes qui les occupaient, d’autant plus que les nouveaux dirigeants de l'Etat algérien, qui avaient repris les fonctions centrales décisionnelles, habitaient ces mêmes lieux centraux. Les collines Ouest de la ville ont aussi connu un mouvement sélectif de la population qui s’est amplifiée par l’installation de certaines catégories de personnes, dans des villas de haut standing. Ces populations aisées et bourgeoises étaient constituées de cadres administratifs et du pouvoir, qui voulaient se distinguer socialement (Seddik 2014, p.224).

L’appropriation de l’espace individuel se faisait souvent par des transactions foncières illicites. Selon Semmoud (2003), un marché immobilier parallèle s’est développé, contournant les lois concernant le permis de construire et de bâtir241. Ces nouvelles stratégies ont eu un impact sur la propriété foncière242et sur la densité des populations. Les communes de plus de 7 000 habitants profitaient du système des coopératives à des prix intéressants, par la politique des lotissements (Oulmane-Bendani 2014, p.213) habités par la bourgeoisie algéroise riche. Ce qui caractérise un nouveau mouvement résidentiel interne (Safar Zitoun 2009, p.36)

Quant aux migrants de l’exode rural, ils étaient entassés dans les quartiers précaires, dénotant les intentions politiques d’une répartition de la population non intégrée au clan du pouvoir (Seddik 2014, p.224).

241Entre 1974 et 1978.

Cette croissance lente des quartiers centraux, à l’inverse celle des zones suburbaines, met en évidence un phénomène de périurbanisation importante. En effet, la population de la ville d’Alger commençait à déborder de son site initial en suivant les voies de communication (Sahli 1993, p.58). La croissance du centre-ville et celle de l’Ouest étaient moins rapides que la partie Est, en raison des investissements industriels et résidentiels. Mais, la production de logements dans la ville d’Alger restait insuffisante, malgré les efforts déployés. La crise de l’habitat et la planification urbaine ne suivaient pas le rythme accéléré de la croissance démographique.

De là, les structures spatiales, sociales et coloniales précédentes ont été renforcées et des déséquilibres sociaux ont produit de nouvelles inégalités. La ségrégation ethnique de l’époque coloniale avait été remplacée par la ségrégation sociale de l’indépendance (N. Semmoud 2003b, p.501), où la densité du sol urbain était le meilleur indicateur de l’inflation démographique postcoloniale (Hamitou-Zaidi 2014, p.185). Semmoud a conclu que le système de reconnaissance différencié et social a influencé le type d’habitat dont la structure urbaine manifestait une réappropriation sociale.

En général, les revenus des habitants de l’Ouest étaient plus élevés que ceux de l’Est. Les arrondissements privilégiés243 du centre et des hauteurs d’Alger sont caractérisés par des logements bien équipés, de taille au-dessus de la moyenne, avec un taux d’occupation par pièce inférieur à la moyenne de la ville. Les lotissements et les grands ensembles résidentiels sont alors réservés aux groupes sociaux aisés. Cette population est essentiellement composée de patrons, de cadres supérieurs, de professions libérales, d’employés des services gouvernementaux qualifiés et de cadres moyens. Les arrondissements populaires244et surpeuplés245 , quant à eux, avaient un caractère commercial, et révélaient plutôt une situation et des conditions assez moyennes dans le niveau d’équipement et la qualité du cadre bâti. Maintenir la politique des loyers était le seul recours pour régler le problème du logement à cette période. Les HLM et les cités des quartiers populaires étaient réservés aux populations à faibles revenus. La population informelle alimentée par l’exode rural ne cessait de croître, les habitants des bidonvilles sont alors passés de 140 000 personnes en 1960 (Sahli 1993, p.57) à 180 000 en 1966, puis à plus de 260 000 habitants en 1977.

243Sidi M’hamed (Belcourt), El Biar, Kouba et Bir Mourad Reis.

244Bab El Oued, Bologhine et de Bouzaréah.

- L’emploi et la population active

Djilali Sari (1969)246 a expliqué qu’une des conséquences importantes de la colonisation résidait dans la disparité entre la répartition de la population et les emplois. L'exode rural après l’indépendance, a entraîné vers la capitale la masse des populations rurales paupérisées, attirées par les activités traditionnelles et modernes. La population urbaine n’a pas cessé d’augmenter (40% ) dont les jeunes arrivés qui avaient juste 20 ans (Djiar 2014, p.54). L’importance de cet accroissement démographique a permis l’entrée des populations en vie active, sans absorber le chômage des jeunes diplômés, officiellement non reconnus et même absents des statistiques. La dissimulation des chômeurs dans l’emploi se traduisait par un gonflement des inactifs.

L’économie administrée-panifiée contrôlait le marché du travail (Talahite 2007, p.7), qui se révélait essentiellement du secteur public et administratif, le secteur privé étant lui, marginal ( voir les tableaux N°11, 12 et 13).

Tableau 11 La population active en 1966

Population active 383 212 (Total de l’Algérie 2 564 663) Salariés réguliers 121 454 Taux d’activité

Hommes Femmes Salariés de

l’industrie Salariés du commerce Salariés du service 43,7% 3,2% 38% 45% 31% Total 23,5% 26 528 34 219 60 707 31,4% Source CICRED (1974, p.116).

Tableau 12 Les données sur l’emploi à Alger en 1977

Taux d’activité Taux de chômage Les actifs de l’agriculture Les actifs de l’industrie Les actifs de l’administration Les actifs des services 21% 11% 6% 28% 46% 25% Source : Harouche (1987, p.33).

Tableau 13 L’emploi dans l’agglomération d’Alger en 1977 Nombre d’emplois Agglomération 360 000 Wilaya 438 590 Homme : 89% Femmes : 11%

Hyper centre Grand Alger La périphérie

196 550 169 310 72 730

Secteur secondaire 80 000 100 000 40 000

Secteur tertiaire 140 000 90 000 30 000

Harouche (1987, p.37).

La capitale algéroise était la plus favorisée pour les mobilités professionnelles. Son statut a influencé la répartition de l’emploi. Pendant les premières années de l’indépendance, les actifs représentaient 14% du total national. Le nombre de l’emploi est passé de 300 000 en 1972 à plus que 400 000 en 1977. Le plus grand pôle industriel de l’Algérie a permis de tripler les emplois industriels qui privilégiaient une main d’œuvre masculine. Le secteur industriel occupait à lui seul 64% des emplois. La création du pôle universitaire a aussi nettement participé à l’évolution du nombre d’emplois dans l’agglomération. Les femmes participaient faiblement à l’activité économique, mais ceci n’avait pas empêché de préparer la scolarisation des filles pour le futur. Les femmes au foyer étaient comptées comme inactives, même si elles étudiaient.

Selon Harouche (1987), la politique d’industrialisation a suscité des déséquilibres de la répartition de l’emploi dans la capitale. La densité de l’emploi, à l’intérieur de la wilaya, était hétérogène et dépendait des zones géographiques ainsi que de leurs accessibilités. La réorganisation spatiale de l’emploi présentait un phénomène de centralité (Sahli 1993, p.58), le centre surpeuplé et suréquipé offrait une couverture d’emplois équilibrée, cependant que les zones périphériques présentaient des déséquilibres visibles, une forte densité démographique et une faible densité d’emplois, favorisant ainsi la croissance de l’emploi informel qui se pratiquait surtout dans les zones des bidonvilles.

Par ailleurs, le Grand Alger concentrait 75,5% d’emplois dans son axe économique Est-Ouest, à partir desAnnassers jusqu’à El Harrach, et comptait 18% des actifs. Les emplois industriels répartis dans cette partie de la ville ont triplé, au détriment de l’emploi agricole (exemple : Dar El Beida et Rouiba). L’hyper centre est caractérisé par une part d’emplois élevée. Les emplois liés à l’administration et aux services sont répartis dans les communes localisées sur les hauteurs d’Alger.

3.4 La population après 80, un peuplement alimenté par la crise et

Dans le document Déplacements et mutations spatiales à Alger (Page 169-178)