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Vision essentialiste et justifications ethno-religieuse

7. La quête identitaire

7.1. Le discours druidique en Europe

7.1.2. Vision essentialiste et justifications ethno-religieuse

La Kredenn Geltiek fait appel à une tradition religieuse celte et préchrétienne, commune à tous les Bretons, et dont leurs ancêtres auraient été dépossédés à la suite de la Conquête romaine et de l’avènement du christianisme. Cette conception se base sur une vision essentialiste où « l’essence » du membre d’un groupe ethnique le prédispose vers une certaine mentalité, une certaine culture, un certain langage et même une certaine religion. La sociologue Danielle Juteau-Lee en donne la définition suivante :

« L'essentialisme attribue des caractéristiques fixes, des attributs de nature ahistorique à l'ensemble des membres d'un groupe. Il peut reposer sur une idéologie expliquant le comportement en termes de nature ou de différences biologiques, mais il n'en est pas toujours ainsi (E. Grosz, 1990). En effet, l'essentialisme peut aussi renvoyer à des qualités psychologiques ou culturelles communes (intuition, dévouement, sens des affaires, etc.) qu'on trouverait nécessairement chez tous les membres d'une catégorie donnée.» (Juteau-Lee 1996 : 99, note de bas de page).

La Kredenn Geltiek revient donc à l’histoire antique pour expliquer ses propos. Elle rappelle tout d’abord que le christianisme est né d’une culture sémite. Cette affirmation suppose certaines prémisses qu’il est nécessaire d’évoquer pour comprendre la suite de l’argumentaire. La première établit un lien entre le regroupement des grandes familles linguistiques et la parenté des ethnies appartenant à chacune de ces familles. La lecture des linguistes du début du XXe siècle comme Jacques Vendryes (1918; 1948) et Georges Dumézil53 influença sensiblement l’établissement de cette prémisse (voir la section Les inspirations de la communauté). Ainsi, les ethnies rassemblées par leur langue sous une même famille linguistique partageraient une origine commune plus ou moins lointaine et

53 Il nous semble impossible d’indiquer précisément quelques dates d’ouvrages de Georges Dumézil puisque les druidisants ont puisé ces idées de l’œuvre intégrale de Dumézil.

certaines caractéristiques structurelles (mentale, sociale, religieuse, etc.) leur seraient attribuées pour cette raison. D’autre part, l’autre prémisse sous-tend qu’une religion née dans une société particulière est teintée par sa culture. Or les Celtes, tout comme les Romains et les Germains, auraient une culture indo-européenne puisque leur langue est classée dans la famille linguistique indo-européenne tandis que le christianisme est une religion qui émergea au sein de la culture juive dont la langue, l’hébreu, est classé dans la famille sémite. Par cela, ils se rapprochent par certains aspects de la pensée néopaïenne folkiste54, proposant une « conception ethno-religieuse d’un paganisme propre à une

mentalité indo-européenne » (François 2007 : 134) comme le démontre cet extrait du site

de la Kredenn Geltiek Hollvedel :

« Pour la K:G: le Druidisme se doit d'être une incitation pour les Celtes à rechercher l'harmonie par une étude sapientiale incessante de la Tradition ancestrale et de la Loi du Bon Ordre de l'Univers.

Mais la raison d'être du Druidisme est aussi le maintien inébranlable de l'identité celtique sous tous ses aspects, en vue de recréer finalement une

nouvelle société celtique sapientiocratique »

(http://www.druidisme.org/principes.htm).

Les religions judéo-chrétiennes seraient alors plus appropriées pour favoriser le plein développement spirituel des peuples juifs ou arabes, dont la langue est classée dans la famille linguistique sémitique tandis que les peuples dont la langue est catégorisée comme indo-européenne seraient avantagés spirituellement en suivant une voie religieuse polythéiste.

Ainsi, puisque le modèle religieux judéo-chrétien, malgré ses prétentions universalistes, n’est pas compatible avec la structure mentale des cultures occidentales

54 Ce mouvement français dirigé par Pierre Vial propose la voie de l’ethno-communautarisme folkiste dont la pensée pourrait se résumer simplement par l’idée que les peuples sont physiologiquement adaptés à leur environnement. Pour plus de détails, voir l’article de Stéphane François. 2007. « Le néo-paganisme et la politique : une tentative de compréhension ». Pp. 133-4.

indo-européennes, les druidisants préfèrent revenir à la religion préchrétienne des Celtes, à laquelle ils seraient génétiquement et culturellement prédisposés. Cette conception n’est pas sans rappeler le discours de plusieurs ethnologues des cultures amérindiennes, comme Danièle Vazeilles, à propos de l’appropriation partielle des systèmes religieux amérindiens par des Occidentaux sous le couvert du néochamanisme :

« Des problèmespeuvent se poser et se passer quand on exporte en terre étrangère des pratiques cérémonielles appartenant à des ethnies et des cultures localisées dans un espace géographique déterminé. » (Vazeilles 2008 : 6).

Les spécialistes des cultures et des religions autochtones qui tiennent ces propos proches du « folkisme » soutiennent à leur insu un discours essentialiste à saveur ethno-religieuse à cause des prémisses qu’ils suggèrent. Ils peuvent être récupérés par des groupes néopaïens européens comme la Kredenn Geltiek pour appuyer leur argumentation. Notre citation de Vazeilles peut, selon ces groupes dénonçant l’évangélisation forcée de l’Europe vers la fin de l’Antiquité (François 2007 : 135), aussi s’appliquer aux visées expansionnistes des grandes religions aux prétentions universalistes et justifier leur retour au néopaganisme. Ils invoqueront que les croyances et pratiques religieuses chrétiennes, appartenant aux peuples sémites « du désert », n’étaient pas plus aptes à l’exportation que ne le sont les traditions amérindiennes selon ces ethnologues et, par conséquent que cette évangélisation forcée a été néfaste à la culture de leurs ancêtres celtes. « En effet, ils s’identifient aisément aux

peuples opprimés et acculturés de force, les Européens l’ayant été par le christianisme. »

(François 2007 : 135).

Nous venons de présenter comment les groupes druidiques néopaïens d’Europe, dont l’ascendance celte (en tant que Gallois ou Breton) est généralement acceptée, justifient leurs choix religieux. La prochaine section démontrera pourquoi certains Québécois choisissent de pratiquer le druidisme ou, du moins, de participer à des rituels druidiques et comment ceux-ci justifient leur adhésion à la Communauté des druides du Québec (CDQ).