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7. La quête identitaire

7.1. Le discours druidique en Europe

7.1.1. Le contexte d’émergence du druidisme en Europe

Les principaux groupes dédiés à la pratique du druidisme en Europe, comme le Druid Order, la Gorsedd galloise ou la Kredenn Geltiek Hollevedel, accompagnent leur culte de revendications ethniques. D’ailleurs, Stéphane François (2007), dans son étude politique des groupes néopaïens en Europe, classe le druidisme dans la catégorie des cultes néopaïens se référant à une tradition culturelle et religieuse précise. Cette première catégorie se distingue de la seconde catégorie, qui englobe la Wicca et le néochamanisme, par le fondement ethnique basé sur des recherches historiques et l’objectif de reconstitution d’une religion préchrétienne associée à l’ethnie, dont ces cultes se réclament (François 2007 : 129-30).

Le caractère ethnique intrinsèque à la première catégorie de cultes néopaïens décrite par François (2007) s’explique aisément, du moins dans le cas du néopaganisme celte, par une exploration du contexte d’émergence des premiers groupes druidiques. En effet, la plupart de ces groupes proviennent de peuples minoritaires qui doivent lutter pour être reconnus par une nation dominante; cette création religieuse s’institue en repère ethnique pour appuyer leur affirmation identitaire en tant que peuple distinct au sein de la nation.

Dans le portrait que nous avons dressé de la création de la Gorsedd galloise au chapitre deux, il apparaît clairement que le druidisme au pays de Galles a émergé dans un contexte où la culture celtique traditionnelle disparaissait au profit d’une culture anglaise moderne et assimilationniste (Morgan 1983; Hutton 2011). La création de la Gorsedd contribuait à éviter l’éradication d’une culture galloise qui se distingue de la culture anglaise et, de ce fait, celle-ci est intrinsèquement liée aux revendications ethniques galloises. Le site de la Gorsedd galloise explique en ces termes sa raison d’être :

« Iolo Morganwg believed that the fact that the culture and heritage of the Celts belonged to the Welsh was a fact which needed emphasising, and he believed that the creation of the Gorsedd was the perfect vehicle to reflect this. »

(http://www.eisteddfod.org.uk/english/content.)

Michel Raoult (1983), auteur présenté au deuxième chapitre, souligne d’ailleurs le caractère foncièrement nationaliste de la Gorsedd galloise d’aujourd’hui, l’accusant d’être davantage dévouée à la préservation des langues et cultures celtes qu’à la réactualisation de sa religion païenne. Raoult reprend ainsi la critique énoncée dès 1936 à l’endroit de la Gorsedd de Bretagne, premier groupe druidique du continent européen dérivant de son homologue gallois, par certains de ses membres désireux de pratiquer un « véritable » culte païen. Cette insatisfaction avait conduit ces individus à se désaffilier de leur groupe d’origine (Gorsedd bretonne) pour fonder la Kredenn Geltiek (Raoult 1983 : 108).

Cependant, avant de discuter de la Kredenn Geltiek, un détour par l’implantation du druidisme en Bretagne sera nécessaire pour bien appréhender sa spécificité par rapport aux autres groupes druidiques. La Gorsedd bretonne a aussi été créée dans un contexte de répression ethnoculturelle. En effet, vers la fin du XVIIe siècle, l’État français avait adopté une tendance centralisatrice à l’égard de son territoire (Postic et al. 2003 : 381). Ainsi, la culture de l’île de France – la région parisienne – était imposée à l’ensemble du royaume de France, composé d’une grande diversité culturelle, pour créer une nation française uniforme. La Bretagne était, en tant que territoire français, aussi soumise à cette tentative

d’assimilation, comme en fait foi cette lettre du préfet du Finistère en 1837 en réponse à un magistrat qui proposait un enseignement bilingue français/breton:

« Vous voudriez, Monsieur, que l’instruction primaire se donnât en breton dans nos campagnes et que chaque commune y eût son école bretonne. Cette idée certes devrait être suivie si les Bretons ne devaient pas se fondre chaque jour davantage dans la grande unité française. Mais par cela seul que nous ne formons aujourd'hui qu'une nation, que nous avons la même constitution, les mêmes lois, le même gouvernement, de bons esprits peuvent croire que toutes ces choses communes nous amèneront à n'avoir aussi qu'une même langue et que dès lors, il faut éviter ce qui tendrait à en retarder le moment. » (Postic et al. 2003 : 382).

Plusieurs intellectuels bretons prirent alors conscience de la perte progressive de leur langue et de leur culture et de l’importance de conserver ce patrimoine. Cet éveil mènera notamment aux premiers mouvements régionalistes bretons qui, eux-mêmes, favoriseront l’implantation du druidisme en Bretagne. En effet, certains régionalistes passionnés par leur passé celte allèrent visiter la Gorsedd Galloise et créèrent leur propre Gorsedd lorsque le mouvement régionaliste breton prit de la vigueur (Le Stum 1998).

En continuité de ce contexte et possiblement inspirée par les nouvelles théories qui étaient à cette époque avancées sur les Gaulois et les Celtes, les fondateurs de la Kredenn Geltiek voulaient aller encore plus loin dans leurs revendications que ne l’a fait la Gorsedd de Bretagne. À la revendication de ses spécificités culturelles et linguistiques, elle ajoutait la distinction religieuse. Pour eux, se réclamer descendant des Celtes gaulois n’était pas suffisant, il fallait retrouver le paganisme celte et le revivre.

Le besoin qu’avait Iolo Morganwg, fondateur de la Gorsedd Galloise, de se rattacher à la grande histoire judéo-chrétienne, notamment en affirmant qu’une parenté linguistique existait entre l’hébreu et les langues celtes (Hutton 2011), démontre une conception essentialiste de la culture. Il en est de même pour la Kredenn Geltiek. Ainsi, en

ne remettant pas en cause le lien d’essence présupposé entre un individu et sa culture, cette dernière devait justifier son rejet du christianisme, puis son adoption du paganisme, en octroyant aux Celtes une autre généalogie que celle proposée par la Gorsedd galloise. Pour soutenir cette conviction, la Kredenn Geltiek s’inspira des recherches reliant les Celtes à la grande famille linguistique des Indo-européens.