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6. La quête spirituelle

6.1. L’engagement dans la quête spirituelle

6.1.2. Distinctions de genre

La présente section visera à mettre en évidence, par l’étude des trajectoires religieuses des druidisants de la Communauté des druides du Québec (CDQ), certaines différences dans la façon qu’ont les hommes et les femmes d’aborder la religion. À ce sujet, la sociologue Meredith McGuire (2008 : chap.7) affirme que l’influence culturelle sur les rôles attribués à chaque sexe a un impact sur la façon de vivre sa spiritualité, cette division culturelle occasionnant une normalisation du comportement selon le genre. Ainsi, nous soutenons à l’instar de McGuire que les différences entre hommes et femmes observées au sein du groupe peuvent être influencées par le contexte de socialisation.

Notre étude semble démontrer une tendance générale, plus démarquée chez les individus d’âge mûr, indiquant que les hommes sont à la recherche d’une voie spirituelle à adopter tandis que les femmes sont en quête de « ressources symboliques » pour construire de façon indépendante leur propre spiritualité. Il ressort du parcours des druidisants masculins rencontrés qu’un certain nombre de religions furent expérimentées, puis délaissées. D’abord le catholicisme fut écarté, tout comme d’autres religions visitées par la suite, de sorte qu’il reste rarement plus de deux voies fréquentées par ces hommes au moment où l’entrevue fut menée : or, le niveau d’implication dans la ou les voies choisies sera important. Il est notable que ces hommes aient tous une fonction déterminée au sein du groupe, soit druide ou gardien de la porte50, contrairement aux femmes du groupe. Aussi, lorsque d’autres hommes assistent aux rituels en simple participant, c’est à titre de représentant d’un autre groupe religieux51. Les parcours des druidisantes recueillis lors de cette étude sont parsemés d’un nombre important de groupes spirituels rencontrés et toujours fréquentés. Cependant, leur niveau d’engagement reste assez faible et elles font une distinction nette entre le modèle spirituel offert par ces groupes et leur spiritualité personnelle, spiritualité à laquelle elles accordent une grande importance. La fréquentation de ces groupes semble servir d’occasion pour récolter des ressources religieuses qui

50 Voir section 3.2.2. sur rôles attribués.

enrichiront leur spiritualité individuelle, d’où une difficulté pour les druides à recruter des prêtresses.

Comme le sous-tend l’hypothèse de McGuire mentionnée plus haut, l’une des explications de cette différence observée entre les genres, concernant leur rapport au groupe religieux, pourrait se trouver dans l’histoire du Québec des cinquante dernières années. Le rôle d’une religion collective et dominante au sein d’une société, comme l’était le catholicisme d’avant la Révolution tranquille, est de normaliser les comportements sociaux, incluant le comportement prescrit par les normes de genre (McGuire 2008 : 167). La baisse du pouvoir de l’Église catholique alliée au renversement du modèle patriarcal favorisé par le féminisme (Jean 1979) provoquèrent un remaniement des rôles masculins et féminins auxquels chacun tente de s’adapter (Dupuis-Déri 2004). Or, la jeunesse de plusieurs druidisants fut marquée par les anciens modèles et le sentiment d’infériorité ethnique cultivé par le peuple canadien-français (Dion 1987). Ce vécu peut avoir eu un impact qui perdure jusqu’à maintenant, même chez les plus jeunes, par un effet de « transmission des normes et des valeurs boomers » (Meunier 2008 : 55).

Pour les druidisantes québécoises rencontrées, le double statut d’infériorité en tant que femmes et en tant que Canadienne française, caractérisé par une grande limitation du pouvoir décisionnel sur leur vie (Jean 1979), pourrait avoir provoqué un besoin de liberté se reflétant dans leur spiritualité. Face à l’oppression religieuse et sociale vécue dans leur jeunesse (Jean 1979; Legge 1995), les femmes « baby-boomer » interviewées durant notre terrain semblent opposer une résistance passive (Tomm 1995 : 246) aux systèmes religieux institutionnels en choisissant de vivre leur spiritualité de façon indépendante. Par la fréquentation libre de groupes religieux, elles découvrent des ressources symboliques qu’elles utilisent ensuite pour enrichir leur propre vision de la spiritualité. En d’autres termes, elles trouvent une forme de liberté par l’agentivité religieuse (Tomm 1995) en construisant leur religion personnelle et parfaitement adaptée à leur conception de la réalité. Pour elles, la possibilité de choisir sans compromis le système de croyances et de pratiques régissant leurs paroles et leurs actes est en soi la démonstration ultime de l’appropriation du

pouvoir décisionnel de l’acteur social féminin sur sa vie. C’est pourquoi, contrairement aux hommes pratiquant le druidisme que nous avons rencontrés, ces druidisantes n’adhèrent pas pleinement au système druidique. Elles ne sont pas à la recherche d’une voie spirituelle à adopter, car elles ne veulent pas perdre la liberté de pensée religieuse et la créativité que leur permet la construction de leur propre spiritualité, ce que provoquerait inévitablement selon elles l’adhésion entière à un groupe religieux (ou spirituel) et à la doctrine qu’il promulgue.

Pour les hommes de la communauté des druides du Québec (CDQ), cette situation ethnique partagée avec les femmes et conjuguée à la perte récente du rôle dominant réservé à leur sexe dans l’idéologie patriarcale (Dupuis-Déri 2004) peut les avoir encouragés à retrouver un statut dominant, une identité forte, par la religion (McGuire 2008). Ainsi, le rôle tenu par les membres masculins de la communauté semble leur apporter une reconnaissance et une valorisation (Gauthier 1984) consolidant, voire rehaussant, leur identité (McGuire 2008).

Le druidisme n’est qu’un exemple parmi la pléthore de nouveaux mouvements religieux qui s’installèrent au Québec suite à la baisse de la pratique religieuse catholique des Québécois et, par le fait même, à la diminution du pouvoir de l’Église catholique au Québec. Pour les hommes interviewés, l’aboutissement de la quête spirituelle signale le début de la véritable quête de sens au sein d’une ou deux voies qui peuvent les mener vers le sentiment de plénitude tant recherché par l’être humain (Taylor 2011). Pour les femmes que nous avons rencontrées, la quête de sens passe par la recherche du sentiment de plénitude en synthétisant divers courants religieux, ceci sous-tendant une vision holiste de la spiritualité. Cette situation illustre bien les différentes facettes de la religion, prise dans son sens large, qui s’adapte aux besoins des individus durant les changements sociaux (McGuire 2008). On assiste alors à une redéfinition du champ religieux (Gauthier 1991) dont on ne connaît pas encore l’aboutissement.