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7. La quête identitaire

7.2. L’identité druidique québécoise

7.2.2. Un retour aux bases préchrétiennes occidentales

Les dirigeants et plusieurs membres de la Communauté des druides du Québec (CDQ) soutiennent avoir aperçu, dans leur milieu familial ou social, des croyances et pratiques spirituelles en marge du catholicisme. Il s’agissait généralement de contes et de légendes, de superstitions, de pratiques divinatoires ou de guérison. Souvent, celles-ci pouvaient contenir des éléments du christianisme sans toutefois être conformes à la doctrine catholique. Ce genre de pratiques étaient possibles en raison d’une faiblesse doctrinale inhérente au catholicisme québécois (Balthazar 2009 :143) et d’un fossé important entre ce que Fernand Dumont appela la culture de premier niveau et la culture de second niveau (Lucier 2010). Selon Boutios (2012 inédit) qui a écrit un livre, actuellement en processus d’édition, sur la tradition païenne du Québec, ces croyances et pratiques seraient un vieil héritage indo-européen, principalement gallo-romain, qui se serait perpétué chez les paysans français ayant traversé l’Atlantique. Cette culture traditionnelle du Canada français puiserait ses racines non seulement de l’immigration française, germanique et celte des débuts de la colonie, mais aussi d’une époque antérieure où, croit-on, des Européens celtes seraient venus en terre d’Amérique. Dans les pages suivantes, nous donnerons quelques exemples d’expériences des leaders et des membres qui les amenèrent à faire ce lien entre le folklore canadien-français et le druidisme pour trouver une autre voie ethno-religieuse.

Du récit de Boutios, nous détectons deux éléments cruciaux. Le premier lui vient des expériences vécues avec son grand-père paternel et le second, de la rencontre avec un chaman amérindien. Le grand-père paternel de Boutios était un conteur très versé en tradition orale canadienne-française. Il avait emmagasiné un grand répertoire de contes, légendes et croyances traditionnelles qu’il racontait avec enthousiasme à son auditoire dans lequel Boutios se retrouvait parfois. Ce grand-père utilisait aussi des cartes à jouer pour suivre la progression des saisons, ce qui fascinait Boutios dans sa jeunesse. Les paysans se servaient de cette méthode pour suivre le calendrier lunaire de la façon expliquée ci-bas par Boutios :

« Les cartes étaient aussi utilisées par les habitants comme un almanach ou calendrier des semailles. La carte, une pour chaque jour du mois, était épinglée ou accrochée à la porte de la cuisine de l’habitant. Ce stratagème avait l’avantage de garder le paysan en phase avec les lunes dans l’année. À certains mois une carte était retranchée à la nouvelle lune. Ces mois étaient alors considérés non fastes ou néfastes. Cette pratique, qui permettait de se tenir en phase avec les lunaisons, remonte à une époque lointaine. Puis, tous les trois ans à la lune de juin-juillet une carte « embolismique » s’ajoutait. Il s’agissait du mat ou du fou. Deux ans plus tard, à la lune de décembre-janvier, l’autre mat s’ajoutait. » (Boutios inédit 2012 :125)

La seconde expérience décisive de Boutios est survenue en participant à un Pow wow il y a de cela quelques années. Il a été mis sur la piste de la venue des druides en Amérique par un chaman de la tribu des Pieds noirs. La discussion avait démarré sur une remarque du druidisant concernant l’attitude hostile de plusieurs amérindiens à l’endroit des « blancs » présents. Le chamane lui a alors demandé ses motivations pour participer à leurs activités, ce à quoi Boutios a répondu qu’il se sentait proche de leur spiritualité parce que sa grand-mère est Abénaquise et qu’il cherchait à reprendre contact avec une partie de son héritage. Le vieux sage amérindien lui a fourni la réponse suivante :

Chamane : « Si un noir venait à toi en te disant qu’il désire apprendre la culture et la spiritualité québécoise sous prétexte qu’il veut retrouver ses racines puisque son grand-père était Québécois, quel effet cela te ferait-il ? »

Boutios : « Je trouverais ça un peu bizarre … »

Chamane : « Eh bien, nous aussi on trouve ça un peu bizarre. Tu devrais plutôt te tourner vers la tradition occidentale. Pas celle des blancs qui sont venus nous coloniser, mais celle des druides qui étaient beaucoup plus sages et respectueux avec nous lorsqu’ils sont venus ici. »

Boutios : « Quoi ! Des druides sont déjà venus en Amérique ? D’où sors-tu ça ? »

Chamane : « C’est ton guide qui me l’a dit. » (Notes de terrain, octobre 2009).

Le témoignage de Lucia démontre aussi clairement son sentiment d’appartenance ancestrale à la culture païenne par le biais des traditions familiales. Pour Lucia, incorporer le druidisme dans ses pratiques spirituelles s’insère dans une démarche pour reprendre contact avec la sagesse féminine occidentale dont les descendants des Celtes ont été dépossédés par la conquête romaine, puis par le christianisme. En visionnant le film Les

brumes d’Avalon, elle a fait le lien entre cette lignée de femmes détentrices d’un savoir

particulier et ses pratiques familiales. Lucia nous explique ainsi la teneure de ces traditions familiales :

« Dans notre famille, spontanément on va prendre un pendule pour recevoir des réponses. Tout ce qui touche à de l’énergie, tout ce qui est énergétique, ça fait partie de nous. […] Maman fait du reiki, elle fait de la guérison avec un pendule et on en fait tous. On prend tous quelque chose dans nos mains, n’importe quoi qui n’est pas un pendule peut en devenir. Et cela, sans formation, sans rien ! »

Puis, elle ajoute son hypothèse quant à la provenance de cette spécificité familiale :

« Je pense que ça vient de ma grand-mère, mais elle n’en parlait pas du tout et j’ai compris que ça venait de plus loin le jour où j’ai vu Les

Brumes d’Avalon. C’est un film que je vais regarder encore

régulièrement en me disant que ce sont de vieilles religions. […] Il y a quelque chose qui me dit que je connais ça plus. Et les druides, bien on a tous au Québec quelque chose de… et je me dis qu’à quelque part, on fait tous partie de la lignée de ces femmes-là. » (Lucia, décembre 2010)

Genistos a aussi vécu plusieurs épisodes qui l’ont mis sur la voie du druidisme. Pour lui, l’événement déclencheur a été une conversation tenue avec un nouvel élève de kobudo, la discipline martiale que Genistos enseigne :

« En 1984, un nouvel élève de kobudo vient d’arriver d’Algérie. Il me parle du peuple kabyle, peuple d’origine celtique qui lutte contre les

persécutions et l’éradication de sa culture aux mains des islamistes algériens. Au cours de nos conversations, il m’initie à toute cette tradition celtique et païenne qui aurait dû être mon héritage si les persécutions de l’église de Rome n’avaient pas forcé à la clandestinité les druides, les prêtresses et les irréductibles païens celtes. Ce jour-là en l’écoutant, j’ai pris conscience que j’étais enfin dans ma demeure. J’étais chez moi! Ma dernière quête venait de démarrer. » (Genistos, conférence mars 2011)

Ces échanges et les recherches qu’il fit subséquemment ont permis à Genistos de faire des liens avec certaines observations faites dans sa jeunesse. Il avait une tante qui pratiquait des rites païens au sein d’un cercle de femmes auquel il a assisté dans son enfance dont il nous a fait le récit :

« Enfant j’ai eu l’occasion d’assister à quelques-uns de ces rituels. Trois dames faisaient un rituel devant une table qui servait d’autel. Sur cette table il y avait une étoile, un pentacle de couleur or et différents objets, de la nourriture et une figurine d’une femme de l’antiquité. » (Genistos, conférence donnée en mars 2011)

Bien que la mère de Genistos ait été catholique, elle était reconnue dans son milieu familial pour avoir un don. Elle avait une sensibilité pour sentir la mort au moment où celle-ci se produisait. Par exemple, elle a su dire à son fils le moment exact où son époux était décédé alors qu’elle n’était pas présente. Ce matin là, en rencontrant Genistos qui lui était présent au moment du décès, elle lui a dit qu’elle savait que son père était mort à trois heures cinq précisément, Genistos ne put que le confirmer (Notes de terrain, mars 2011). Il était généralement accepté dans la tradition canadienne-française, tout comme dans celles de la France (Favret-Saada 1977; Auray 2007), que certaines personnes possédaient des dons particuliers. À travers leurs discours sur les dons et pratiques ésotériques familiaux, ces druidisants québécois relient leur lignée généalogique avec leur druidisme.

En réponse à ces observations, les druidisants de la communauté ont choisi de réinventer la tradition à la fois en ressortant le substrat folklorique du Québec et en s’inspirant du druidisme européen, la supposée religion primordiale de l’Europe, pour réaffirmer leur identité culturelle par l’entremise d’une religion en accord avec leur tendance néopaïenne. Nous verrons dans la prochaine section quels éléments traditionnels québécois sont utilisés par les membres de la CDQ pour fonder leur druidisme à la québécoise.