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Spécificité du druidisme et réinvention de la tradition

7. La quête identitaire

7.2. L’identité druidique québécoise

7.2.3. Spécificité du druidisme et réinvention de la tradition

Nous venons de voir que plusieurs druidisants de la CDQ ont interprété la tradition orale et certaines pratiques ancestrales comme des relents de l’ancienne sagesse populaire celtique. Cette vision leur permet de jeter les bases d’un projet identitaire druidique. Le but de leur projet est d’établir, par la recherche, une autre vision de l’histoire et de la culture du Québec en révélant au grand jour l’importance de la culture occidentale préchrétienne celte comme base structurelle de la culture canadienne-française. Le groupe veut aussi démontrer que si la culture judéo-chrétienne est incompatible avec des valeurs néopaïennes, cette incompatibilité n’existe pas entre les valeurs néopaïennes et la culture canadienne- française.

Un parallèle intéressant peut être fait entre l’analyse de François Gauthier (2009) sur la prise de psychotropes à des fins spirituelles néochamaniques au festival de Burning man et la volonté des druidisants à retourner aux bases préchrétiennes, car le système de pensée de base est le même. La conception du néochamanisme, tout comme celle du druidisme, prône que:

« L’élargissement de l’état de conscience permettrait d’accéder à un soi touchant l’universel et le primordial (Vazeilles 2003 :255) de manière à le réinscrire dans le flux du cosmos d’où le christianisme et la modernité, l’auraient déraciné, avec pour effet de régénérer l’humanité. Déçus par les universalismes fondés sur la croyance et la révélation que sont les grands monothéismes, au premier chef le christianisme, cette nouvelle conception prône l’expérience comme voie d’accès à une

« interconnexionalité » (interconnectedness) reliant tous les êtres humains et, ultimement, toutes les composantes de la nature. » (Gauthier 2009 : 215).

La Communauté des druides du Québec (CDQ), sans faire appel aux psychotropes, va dans le sens indiqué par Gauthier. Cependant, les techniques préconisées, comme décrites dans la section consacrée aux rituels de la communauté, pour se relier au cosmos (méditation, communion avec la nature, utilisation du symbolisme, etc.) sont différentes tout en étant axées sur le corps, le ressenti et l’expérience. Les recherches de la Kredenn Geltiek sur la spécificité des Indo-européens, auxquelles participent certains leaders de la CDQ, tendent en effet vers la recommandation de ces techniques comme étant les plus appropriées à nos structures mentales (notes de terrain Pluvigner, 22 décembre 2009).

Par ailleurs, Gauthier (2009) identifie dans la prise de psychotropes à des fins spirituelles une volonté de réactualiser « un passé ancestral, pré-moderne et extra-

occidental, source d’authenticité, âge d’or d’avant le désenchantement où l’homme était en harmonie avec la Nature et le cosmos. » (2009 :229). Cette formulation contient ce qui

rapproche et différencie le druidisme et le néochamanisme. Si les deux sont mus par un désir de reprendre contact avec ces temps ancestraux et authentiques, le choix du druidisme sera motivé par la conviction que ce passé peut être retrouvé dans un cadre culturel et religieux occidental qui doit être réactualisé.

Il est en effet présupposé dans le discours néochamanique rapporté par Gauthier (2009) que, pour revenir à un rapport sain de l’individu au sein de l’univers, il faut prendre exemple sur les spiritualités non occidentales. Un lien est alors fait entre la dénaturation de l’être et les cultures occidentales et ce lien indique qu’une distanciation d’avec sa culture d’origine est nécessaire à l’Occidental pour retrouver son harmonie avec le cosmos et la nature. Le druidisant, au contraire, n’est pas enclin à rejeter en bloc sa culture, voire son identité occidentale, ce qui l’amène à mettre l’accent sur l’aspect déracinement de l’explication mise de l’avant dans notre citation de Gauthier (2009 :215). L’affirmation

même que le christianisme et la modernité auraient déraciné l’individu sous-tend l’idée qu’il fut un temps où cet enracinement existait. De même, l’attribution de ce problème spirituel au christianisme et à la modernité présuppose qu’avant la venue du christianisme dans les sociétés occidentales, l’Occidental vivait aussi en harmonie avec son univers. Par ailleurs, l’expérience vécue de certains druidisants les a convaincus d’aller puiser dans un registre plus proche de leur mentalité. Rappelons d’une part la discussion entre Boutios et le chaman et d’autre part, Genistos a acquis cette conviction à travers son cheminement dans le bouddhisme zen et par son voyage au Japon pour y apprendre les voies martiales:

« De retour au Québec, en 1974, j'enseigne les voies martiales traditionnelles, ses techniques spirituelles et ses pratiques. Mais il reste une légère insatisfaction: je ne suis pas japonais et bien que je comprenne cette culture et sa démarche spirituelle, un aspect intérieur chez moi n'est pas comblé. »

Il ajoute aussi : « Ma présence en Terre Nipponne m’a permis de prendre conscience que si j’ai des affinités avec le peuple japonais, je demeure un Gaijin, un étranger. Jamais je ne serai un Japonais. Cette différence m’incite à rechercher s’il existe dans ma propre culture une tradition qui respecte ma vision spirituelle. » (Genistos, résumé de conférence, mars 2011).

Les dirigeants de la Communauté des druides du Québec (CDQ), ayant la conviction que les Canadiens français possèdent une autre voie spirituelle que le catholicisme, veulent la faire ressurgir afin que leurs compatriotes aient une autre voie ethno-religieuse vers laquelle se tourner. Le but ultime de la création du groupe, des recherches polyvalentes (historique, linguistique, etc.) entreprises par Boutios et Genistos, de la réinvention des outils rituels et du renouvellement de la doctrine pour mieux les adapter à la modernité est d’offrir cette option.

Pour ce faire, l’histoire du Québec, la mythologie celtique et les conceptions symboliques modernes sont mises à contribution. L’habit rituel des leaders est composé de symboles traditionnels canadiens-français comme le bonnet et la ceinture fléchée. De plus,

le bois utilisé pour faire le feu et les offrandes qui y seront jetées font tous partie de la flore québécoise (sapin, érable, canneberge, noisettes, etc.). Par ailleurs, la symbolique celtique toujours présente sera expliquée en tentant de faire un parallèle, dans la mesure des connaissances acquises par les chercheurs du groupe, avec le folklore québécois. Par exemple, le druide Boutios expliquera que, Ambiuolcaia, la fête celtique célébrée au début du mois de février a été récupérée sous le nom de Chandeleur par le christianisme puis comment cette célébration, presque oubliée maintenant, était fêtée par nos ancêtres (http://enorus.unblog.fr/les-rites-et-rituels/section).

Enfin, la symbolique du rituel est composée de façon à respecter à la fois la philosophie celte et la mentalité de l’humain moderne. D’une part, les leaders évitent de donner un ton hiérarchique au rituel et ne donnent que quelques instructions et explications. Tous les participants sont appelés à vivre le rituel de façon interactive au cours du partage des impressions après la période d’offrandes et d’intériorisation, moment où chaque participant qui le désire est appelé à parler. Tous peuvent éventuellement tenir un rôle rituel. Lors d’Ambiuolcaia, trois femmes d’âges différents sont appelées à tenir conjointement le rôle d’officiantes, car selon les dirigeants ce rituel est féminin. C’est alors à ces femmes d’officier le rituel55 et les leaders, nonobstant leur statut, deviendront simples participants. D’autre part, la symbolique donnée devra être moderne, car le rituel est créé pour qu’il ait une signification pour le participant. Ainsi, un moment fort du rituel d’Ambiuolcaia est le transfert de la lumière où les femmes participant au rituel tiennent une chandelle qui a été allumée par les prêtresses et vont allumer la chandelle des hommes en face d’elles. On symbolise ainsi la passation de l’énergie féminine de la déesse Brigantia56, associée à la femme, vers l’homme.

Les dirigeants avaient le besoin de vivre en groupe une spiritualité qui célèbre leur identité collective et leur authenticité et ils ont graduellement constaté qu’ils n’étaient pas les seuls au Québec à ressentir ce besoin. Ils ont alors créé à l’aide de diverses inspirations

55 Elles avaient aussi la charge de remanier le rituel à leur convenance.

le groupe et les outils spirituels qui leur permettraient de combler ce vide. La dernière section visera à expliquer l’importance du druidisme dans le paysage religieux québécois.