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CHAPITRE II : RECENSION DES ÉCRITS SUR LE CHOIX SCOLAIRE

2.1 Les visées individuelles des parents

En portant attention aux chercheurs ayant traité des motifs et attentes des parents faisant le choix d’un établissement d’enseignement, on remarque que cette littérature est abondante. Un peu partout dans le monde, on s’est intéressé aux motivations des parents à choisir une école privée ou une école à projet pédagogique particulier, prenant parfois différentes formes selon le pays dans lequel on se retrouve. Nous rapporterons donc les écrits d’auteurs venant à la fois d’Europe, des États-Unis et du Canada : Élisabeth Flitner (2004; Angleterre, France et Allemagne), Jose Luis Bernal (2005; Espagne), Ellen B. Goldring et Kristie Phillips (2008; États-Unis), Nathalie Lacireno-Paquet et Charleen Brantley (2008; États-Unis), Mark Holmes (2008; Canada), Cynthia Levine-Rasky et Jessica Ringrose (2009; Canada) et Denis Massé (2005; Québec).

La première étude que nous avons retenue pour aborder la question des motivations au choix scolaire est celle d’Élisabeth Flitner (2004), qui a comparé les attitudes des parents par rapport à l’école et le choix de l’école dans trois grandes villes de l’Europe de l’Ouest, à savoir Londres, Paris et Berlin. À partir d’entretiens qualitatifs sur le choix scolaire de parents à Berlin, Flitner a comparé les critères de choix communiqués par les parents berlinois à ceux que van Zanten (2001) et Ball (2003) ont trouvés respectivement à Paris et à Londres. Au total, Flitner mentionne que les parents berlinois (principalement de la classe moyenne) construisent leur choix à partir de cinq éléments : la proximité entre l’école et le domicile; le bien-être de l’enfant; des enseignants jeunes; une attention individualisée des enseignants pour leur enfant; et une offre attractive d’activités parascolaires. Par rapport aux parents interrogés à Paris et Londres, il existe des différences

puisque, dans ces deux villes, les parents semblent mettre davantage de l’avant les éléments suivants : la qualité (ou la perception de la qualité) de l’enseignement; l’homogénéité sociale de la population scolaire; la qualité des professeurs; la sécurité de l’établissement; et le faible nombre d’élèves issus de l’immigration.

Les principales différences s’expliquent, entre autres, par l’existence, en Allemagne, d’une norme pédagogique, selon laquelle l’expérience scolaire devrait servir davantage à l’épanouissement des élèves qu’à leur sélection (Flitner, 2004). C’est pourquoi la moitié des répondants interrogés à Berlin mentionnent qu’il ne faut pas trop exagérer l’ambition scolaire aux dépens du bien-être de l’enfant. Toutefois, au-delà de ces différences, on peut établir un lien entre les trois villes sur l’homogénéité sociale. En effet, si le critère de proximité reste important pour le choix de l’école chez la grande majorité des familles berlinoises, c’est parce qu’à l’époque (l’enquête auprès des parents a été effectuée en 2000) il y avait peu d’élèves issus de l’immigration et lorsque c’était le cas, ils étaient eux aussi de la classe moyenne (Flitner, 2004). Dans ces circonstances, le prix des logements est le principal marqueur de la ségrégation sociale en Allemagne parce qu’au secondaire, la séparation entre les élèves habitant un même quartier semble fonctionner à la satisfaction des parents. Il faut aussi savoir que le système d’éducation allemand opère une sélection précoce des élèves en les séparant dès le primaire entre les « gymnasium », menant à l’université en générale, et les écoles techniques. Donc, l’univers de choix des parents en Allemagne est significativement plus encadré par l’État qu’il peut l’être en Angleterre ou en France. C’est en partie pourquoi les Allemands sont beaucoup moins mobiles dans leurs choix scolaires que leurs homologues de Paris et Londres. Le prix des logements influence aussi la concentration de parents de même classe sociale dans un même quartier. Ce marqueur (le prix des logements) est aussi central aux facteurs qui participent au processus du choix scolaire en Espagne, selon Bernal (2005).

L’étude de Jose Luis Bernal (2005) porte surtout sur l’exclusion et les inégalités produites par le choix scolaire des parents. L’objectif de son étude était justement d’observer auprès de parents et d’élèves, dans différentes écoles de la ville de Zaragoza en Espagne, si certaines populations (les immigrants, les personnes désavantagées socioéconomiquement et les minorités ethniques) étaient concentrées dans les mêmes écoles. Pour bien situer le contexte du choix scolaire en Espagne, il faut savoir que les parents sont libres de choisir l’école qu’ils désirent pour leur enfant (Bernal, 2005). Tout comme au Québec et aux États-Unis, le gouvernement finance à la fois les écoles publiques et les écoles privées. Pour ce qui est des attitudes des parents espagnols à l’endroit du

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choix scolaire, Bernal a relevé trois éléments pour lesquels les parents préfèrent l’école privée. Ces derniers sont la sélection (la performance scolaire des élèves fréquentant l’école), la discipline et l’ordre (les comportements des élèves fréquentant l’école et le respect de l’autorité) et une participation contrôlée par les enseignants (modèle participatif basé sur le tutorat). C’est à partir de ces attitudes que Bernal en vient à la conclusion que le marqueur de la ségrégation sociale en Espagne n’est pas défini par des espaces géographiques, mais plutôt des espaces socioculturels (Bernal, 2005). À l’image des parents de la France et de l’Angleterre, le résultat du choix scolaire en Espagne semble clair : « the underpriviledged (gypsies, emigrants and other socially isolated groups) go to public schools while middle class use the private sector » (Bernal, 2005, p.787). Le discours de cet auteur tranche alors avec les facteurs qui participent au processus du choix scolaire plus culturel de Flitner (2004), bien que les deux s’entendent sur le fait que le choix scolaire est plus ou moins une stratégie de « clôture sociale » des parents de la classe moyenne et supérieure.

L’étude de Goldring et Phillips (2008) conduite dans le centre métropolitain de Nashville (État du Tennessee) aux États-Unis confirme aussi ce postulat, dans la mesure où les parents qui choisissent l’école privée ont généralement un niveau d’éducation et un revenu familial plus élevé que les autres parents. Parmi les caractéristiques recensées chez des parents qui choisissent l’école privée, Goldring et Phillips mentionnent qu’il arrive souvent que ces derniers soient plus enclins que les parents qui ont des enfants à l’école publique à donner de l’assistance à leur enfant dans leurs travaux scolaires et à participer à la vie scolaire de leur enfant. Ils accordent aussi plus d’importance aux facteurs scolaires que ceux qui ne considèrent pas le privé, faute de ressources. Par ailleurs, les caractéristiques de l’école sur le plan de la sécurité et de l’encadrement sont aussi des éléments pris en compte au moment de choisir une école. Les auteurs mentionnent aussi que les parents ne choisissent plus nécessairement l’école de quartier de facto. Ils ajoutent que plus le statut socioéconomique des parents augmente, moins les contraintes du marché scolaire, liées à la mobilité entre autres, sont ressenties. On comprend donc qu’il est possible, pour ces parents, de chercher et de sélectionner une école dans un autre quartier que celui de résidence. Goldring et Phillips (2008) traitent aussi de l’importance des relations sociales qu’entretiennent les parents avec d’autres parents. Ceci témoigne de la complémentarité des visées individuelles, des médiations locales et, dans ce cas-ci, des relations sociales. Les résultats de leur analyse quantitative montrent que plus les parents ont accès à l’information, via leurs réseaux sociaux, plus ils ont de chances de considérer l’école privée (Goldring et Phillips, 2008). L’importance qu’accordent Goldring et Phillips aux relations sociales dans le processus du choix scolaire est également centrale aux facteurs retenus par Lacireno-Paquet et Brantley (2008) pour qui le choix scolaire est un acte social,

dans la mesure où les parents construisent leurs perceptions de la qualité des écoles en discutant avec d’autres parents. Après avoir recensé plusieurs études sur le choix scolaire aux États-Unis, Lacireno-Paquet et Brantley (2008) présentent une synthèse sur les motivations, les préférences et les comportements des familles qui s’impliquent activement dans le choix d’un établissement scolaire. Les motivations des familles ressemblent sensiblement à celles mentionnées dans les autres études, à savoir que les parents accordent beaucoup d’importance à la qualité scolaire de l’école et des enseignants, au curriculum et aux résultats des élèves aux tests standardisés, comme le PISA en mathématique. Aux facteurs scolaires s`ajoute la perception des parents quant aux pairs (autres parents et élèves fréquentant l’école) et au statut socioéconomique des élèves qui fréquentent une école. Les auteurs témoignent de l’importance de ces perceptions des parents en mentionnant : « There appears to be fairly consistent evidence that when given the chance parents choose to avoid schools with high percentages of low income students, and that White parents avoid schools with high percentages of minority students » (Lacireno-Paquet et Brantley, 2008, p. 18).

Le marqueur de ségrégation sociale ici est plutôt basé sur le statut socioéconomique et culturel des élèves qui fréquentent une école donnée. Toutefois, pour être à même de juger de la composition sociale et culturelle d’une école, les parents doivent se rapporter à leur perception de la situation. Ces perceptions viennent en partie de l’expérience personnelle et des connaissances individuelles que les parents peuvent mobiliser au moment de faire le choix d’une école, mais aussi de l’information qu’ils sont à même de solliciter, à travers leurs relations sociales, sur ces différents éléments (Bell, 2009). Le capital social (représenté ici dans les relations sociales qu’entretiennent les parents entre eux) représente une ressource matérielle et immatérielle que les parents sont capables de mobiliser lorsque vient le temps de choisir une école pour leur enfant. Bell (2009) mentionne que le capital social est une ressource particulièrement importante et sur laquelle les parents se basent pour choisir une école. Les réseaux sociaux façonnent les choix scolaires, dans la mesure où ceux qui en possèdent peuvent recueillir la somme d’information qui leur suffit pour juger de la qualité d’une école par rapport à une autre (Bell, 2009). Nous reviendrons plus en profondeur sur la signification du capital social dans le chapitre portant sur le cadre d’analyse (Chapitre III). Pour le moment, il suffit de comprendre que le capital social, comme le capital financier, est une ressource qui peut être mobilisée afin de maximiser ses bénéfices personnels dans la cadre du choix scolaire (Coleman, 1988).

L’ensemble des facteurs qui participent au processus du choix scolaire en Europe et aux États-Unis aborde des questions reliées à l’importance de la qualité scolaire, de la composition sociale et

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économique des écoles et du capital social dans le choix scolaire. S’inscrivant dans un champ de recherche qui postule l’existence d’un lien entre les choix scolaires et les intérêts de classes des parents des classes moyennes et supérieures, ces représentations soulèvent des questions reliées au choix scolaire au Canada et, plus précisément, au Québec. Selon Holmes (2008), il existe au moins cinq types de choix scolaire au Canada. Le premier est le choix selon la langue première des Canadiens, soit l’anglais et le français. Ce choix est limité par plusieurs lois, notamment l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 au Canada11 et la Loi 101 au Québec. Le second est le choix des

écoles d’immersion française pour les anglophones et d'immersion anglaise pour les francophones. Le troisième est le choix des écoles confessionnelles (catholiques, protestantes ou autres) financées par le gouvernement. Les trois provinces où ce choix est populaire sont l’Ontario, l’Alberta et la Saskatchewan. Le quatrième est le choix d’une école à charte, dans le même style qu’aux États- Unis, mais ce type de choix est presque inexistant. L’Alberta est la seule province qui permet ce type d’école au Canada. Le dernier type est celui des écoles privées indépendantes. Les deux provinces où ce type s’école est le plus populaire sont le Québec et la Colombie-Britannique. Près de 10 % de l’effectif scolaire du Québec fréquente ce genre d’écoles (Holmes, 2008). En Colombie- Britannique et dans la région de Montréal, au Québec, cette proportion se situe à près de 30 % au secondaire (Holmes, 2008).

Dans une perspective multiculturelle, Levine-Rasky et Ringrose (2009) soulignent l’importance du multiculturalisme sur le choix scolaire des parents au Canada. Alors que, d’un côté, les parents sont pressés par le discours politique néolibéral de faire le meilleur choix scolaire possible pour leur enfant afin de leur assurer la récompense sociale qui vient avec la réussite scolaire, d’un autre côté, ils sont appelés à accueillir le multiculturalisme dans leur quartier de résidence et dans les écoles publiques (Fleras et Elliot, 2007 dans Levine-Rasky et Ringrose, 2009). Dans ce contexte, les résultats de l’étude montrent que l’anxiété des parents quant au choix scolaire est intensifiée parce que les forces du marché rendent les discours de performance et de succès hégémoniques. Ceci a

11 Les citoyens canadiens dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou

anglophone de la province où ils résident, qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue. (2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction. (3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province : s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité; comprends, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

pour conséquence de bloquer leur engagement à l’endroit de l’égalité sociale et du multiculturalisme (Levine-Rasky et Ringrose, 2009). Le risque de l’échec scolaire et de l’instabilité du positionnement social fait en sorte, selon les auteurs, que les parents naviguent constamment entre les impératifs associés au succès financier de leurs enfants et leurs engagements face aux discours sur l’égalité et le multiculturalisme (Levine-Rasky et Ringrose, 2009).

Pour documenter le choix scolaire au Québec ou, du moins, documenter les attitudes et les motivations des parents par rapport à l’école et le choix de l’école privée, nous avons retenu l’étude de Denis Massé (2005) menée pour la Fédération des établissements d’enseignement privés et portant sur la situation socioéconomique des clientèles du réseau de l’enseignement privé. L’auteur mentionne que le réseau privé est fréquenté par une clientèle venant de familles plus à l’aise financièrement et plus scolarisé que la moyenne des familles québécoises. Les parents interrogés ont identifié quatre motifs majeurs justifiant le maintien de leurs enfants au privé : la qualité de l’encadrement disciplinaire (89 %), la qualité de l’encadrement pédagogique (78 %), les valeurs morales et spirituelles (43 %) et l’assurance que l’enfant accède plus facilement aux études supérieures (41 %) (Massé, 2005). À l’image d’autres études réalisées ailleurs dans le monde, les motifs portant sur l’encadrement pédagogique et disciplinaire (représentant d’une certaine manière la qualité de l’école aux yeux des parents) semblent primordiaux au Québec.

Bien que les études canadiennes et l’étude québécoise sur les visées individuelles menant au choix scolaire que nous avons présentées ne soulignent pas l’importance des relations sociales ou des médiations locales, il demeure pertinent de se demander dans quelle mesure les médiations locales ou sociales (le capital social) sont mobilisées par les individus pour accomplir leurs visées individuelles. On peut aussi se demander dans quelle mesure la culture (médiation locale au choix) peut influencer les visées individuelles des parents. Enfin, ce sont des questions pour lesquelles les études recensées jusqu’à maintenant n’offrent que des réponses partielles. C’est pourquoi il nous apparaît nécessaire maintenant d’aborder la vision d’auteurs sur les médiations locales, sociales ou systémiques au choix scolaire.